Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Réunion du jeudi 26 novembre 2020 à 14h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • compagnie
  • manifestant
  • manifestation
  • unité
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  PS et divers gauche    En Marche    MoDem  

La réunion

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La séance est ouverte à 14 heures 35.

Présidence de M. Jean-Michel Fauvergue, président.

La Commission d'enquête entend en audition Mme Pascale Regnault-Dubois, directrice centrale des compagnies républicaines de sécurité, M. Jean-Marie Salanova, directeur central de la sécurité publique, et M. Jérôme Foucaud, directeur de l'ordre public et de la circulation à la préfecture de police.

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Mes chers collègues, nous allons entendre Mme Pascale Regnault-Dubois, directrice centrale des compagnies républicaines de sécurité au ministère de l'Intérieur, M. Jean-Marie Salanova, directeur central de la sécurité publique à la direction générale de la police nationale du ministère de l'Intérieur, et M. Jérôme Foucaud, directeur de l'ordre et de la circulation de la préfecture de police. Madame, messieurs, il nous est apparu pertinent de vous recevoir ensemble afin de mieux comprendre la répartition des rôles entre les différentes forces de police. Cette audition est diffusée en direct sur le site de l'Assemblée nationale.

Avant de vous donner la parole pour une brève intervention liminaire, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires imposant aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, je vous invite à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Pascale Regnault-Dubois, M. Jean-Marie Salanova et M. Jérôme Foucaud prêtent successivement serment.)

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Pascale Regnault-Dubois, directrice centrale des compagnies républicaines de sécurité (DCCRS)

Je souhaite vous présenter rapidement la maison CRS que je dirige depuis le 1er août dernier. À mes côtés, se trouve le contrôleur général Thierry Guion de Meritens, sous-directeur des opérations à la direction centrale.

Les compagnies républicaines de sécurité constituent la réserve générale de la police nationale à disposition permanente des autorités gouvernementales. Leur raison d'être originelle, la préservation des institutions républicaines sur l'ensemble du territoire, constitue un ancrage historique, mais au fil de plus de soixante-quinze années d'existence, les compagnies républicaines de sécurité ont su faire évoluer leurs capacités opérationnelles au rythme des besoins de sécurité de notre société.

Si le maintien de l'ordre reste le domaine de prédilection de la maison CRS, d'autres missions spécialisées ont été développées : la police de la route, le secours en montagne, la sécurisation des lieux de villégiature, la protection des hautes personnalités et différents dispositifs de prévention de la délinquance au bénéfice des publics scolaires. Au fil des années, le spectre des missions de la maison CRS s'est enrichi et diversifié : sécurisation, lutte contre la délinquance aux côtés de la sécurité publique, missions de contrôle des phénomènes migratoires aux côtés de la direction centrale de la police aux frontières. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et les tueries de masse, la maison CRS est également une des forces primo-intervenantes du schéma national d'intervention.

Le maintien de l'ordre, cœur de métier des CRS, est assuré par soixante unités du service général, soit environ 8 200 fonctionnaires, hommes et femmes. Leur organisation, leur capacité à être projetées en tout temps et en tout lieu, leur autonomie logistique permettent à ces unités de répondre efficacement à tous les enjeux, au profit des services territoriaux.

Afin de préserver l'ordre public, la direction centrale des compagnies républicaines de sécurité s'est organisée pour garantir le maintien optimal en condition opérationnelle de toutes ces unités, notamment par un dispositif de formation particulièrement exigeant : formation individuelle mais, également, surtout pour le maintien de l'ordre, formation collective. La formation permet, en effet, aux effectifs de s'adapter sans délai aux nouvelles menaces auxquelles ils sont confrontés.

Tous les fonctionnaires affectés à la DCCRS, qu'ils sortent de l'école ou y soient mutés, bénéficient d'une formation de base leur permettant d'assimiler la doctrine d'intervention et d'acquérir les actes réflexes individuels et collectifs indispensables à l'exercice de leur mission. Cette formation, d'une durée de trois semaines, est également dispensée aux officiers nouvellement affectés.

Dans la continuité de cette première formation, la formation continue au maintien de l'ordre s'organise autour de dispositifs nationaux, dans trois de nos centres de formation, à Lyon, Rennes et Dijon, et par la mise en œuvre d'entraînements spécifiques. Chaque unité de service général doit effectuer trois périodes de recyclage par an et seize journées d'entraînement, pour une valeur cible de vingt-cinq jours de formation par an. Ces périodes d'entraînement permettent de réaliser les objectifs de formation collective et individuelle, notamment les habilitations et la validation de l'emploi à l'armement.

En complément de ces formations au sein des unités et dans les centres, des périodes de recentrage opérationnel des compagnies sont organisées dans chaque unité afin qu'elles soient « recyclées » sur l'ensemble des missions de maintien et de rétablissement de l'ordre par une équipe spécialisée de formateurs.

Enfin, chaque année, les soixante unités de service général font l'objet d'une évaluation notée, portant sur un exercice d'ampleur regroupant tout le spectre d'intervention des opérations de maintien de l'ordre. Cette évaluation permet d'adapter la formation de l'unité, en prenant en compte ses forces mais aussi, éventuellement, les points à améliorer.

Ces moments de formation, importants pour la vie des unités, sont aussi un temps de rappel des règles déontologiques et juridiques.

La formation, évolutive, est d'autant plus importante que les modalités de contestation ont profondément changé au cours des dernières années. Des groupes très violents infiltrent les cortèges dans le seul but de s'en prendre aux forces de l'ordre. Les jets d'engins incendiaires et de projectiles dangereux deviennent un procédé courant de la contestation et d'affrontement sur la voie publique. Les groupes de délinquants profitent des manifestations pour dégrader des biens, piller des commerces ou, parfois, tout simplement se défouler en commettant un maximum d'exactions.

Face à ces violences, il a fallu adapter nos équipements et nos tactiques pour gagner en mobilité, l'objectif étant de permettre à nos concitoyens d'exercer leur liberté de manifester, et de protéger les manifestants en écartant ceux qui veulent être violents.

Un autre objectif me tient particulièrement à cœur : la sécurité des hommes et des femmes des compagnies, qui est un impératif tout autant que leur efficacité. L'engagement exceptionnel des compagnies républicaines de sécurité pour maintenir l'ordre public a un coût humain puisque nous déplorons chaque année plusieurs centaines de blessés lors de manifestations : 353 en 2018, 413 en 2019, auxquels il faut ajouter les très nombreux « contusionnés », c'est-à-dire les collègues qui poursuivent leur mission malgré leurs blessures légères – plus de 1 500 en 2019.

La nécessaire professionnalisation du maintien de l'ordre a été rappelée dans le schéma national du maintien de l'ordre (SNMO) mis en œuvre depuis septembre dernier. Nous avons été associés à l'élaboration de cette doctrine, ce qui va nous inciter à poursuivre notre réflexion pour plus de mobilité et de réactivité, afin de préserver la liberté de manifester de nos concitoyens.

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Jean-Marie Salanova, directeur central de la sécurité publique (DCSP)

Comme vous m'y avez autorisé, je suis accompagné de M. Jean-Cyrille Reymond, contrôleur général, sous-directeur des missions de sécurité, responsable au sein de notre direction centrale de l'opérationnel de la sécurité publique.

La DCSP est pleinement concernée et engagée dans le maintien de l'ordre. Sous-direction de la direction générale de la police nationale (DGPN), elle constitue le maillage de base des services de police des quatre-vingt-seize départements français, hors Paris et la petite couronne. Elle emploie 68 000 policiers et agents pour assurer la sécurité de 27 millions d'habitants, au sein de 297 circonscriptions de police, dont 96 correspondent à des préfectures, particulièrement exposées en termes d'ordre public.

Qui dit maillage de base, dit capacité à intervenir sur tous les sujets, y compris en matière d'ordre public. Nous sommes régulièrement primo-intervenants, dans l'attente de l'arrivée des services spécialisés tels que les CRS. Ainsi, lors des tristement célèbres attaque et incendie partiel de la préfecture du Puy-en-Velay, les policiers de la sécurité publique de la circonscription ont dû attendre un certain temps, compte tenu de l'éloignement de tout grand centre urbain, avant de recevoir du soutien. Nous intervenons aussi éventuellement en complément d'unités spécialisées programmées lors de grands événements ou d'importantes opérations de maintien de l'ordre. Enfin, au quotidien, il nous arrive d'intervenir de manière autonome pour toute une kyrielle d'événements d'ordre public, faute de disponibilité de moyens spécialisés.

Entre 2018 et 2019, 60 % à 70 % des heures des fonctionnaires de la sécurité publique en maintien de l'ordre ont été effectuées sans forces de renfort ; selon les années, 40 % à 50 % le sont avec forces de renfort. Ces chiffres se veulent l'illustration du fait que la sécurité publique doit être organisée pour répondre dès que nécessaire.

En tant que responsables territoriaux, ce sont les directeurs départementaux de la sécurité publique (DDSP) qui organisent et pilotent le dispositif d'ordre public – une organisation miroir de celle de la gendarmerie, avec les commandants de groupement. C'est logique puisqu'ils connaissent les territoires, les populations, les responsables des groupes et associations représentatifs et organisateurs de manifestations. Ils répondent donc de la sécurité du territoire, sous l'autorité du préfet.

Le DDSP, assisté des chefs de circonscription, dispose de divers moyens pour assurer cette mission : il suit l'actualité du service par le biais des données et notes d'information du service départemental du renseignement territorial ; il professionnalise ses moyens humains par la formation et l'entraînement ; il les équipe ; il dirige les opérations sur le terrain, y compris en « multimoyens », c'est-à-dire avec des forces de renfort spécialisées dans le maintien de l'ordre ; enfin, il assure le contrôle, la déontologie et, le cas échéant, le suivi des affaires judiciaires si des policiers ont été auteurs d'infractions pénales dans le cadre d'opérations de maintien de l'ordre.

Au total, le spectre des compétences de la sécurité publique est particulièrement large, l'ordre public recouvrant des questions de renseignement, de stratégie, de gestion de moyens et de tactique. C'est en animateur de l'ensemble de ce spectre que je me présente devant vous et que je répondrai bien volontiers à vos questions.

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Jérôme Foucaud, directeur de l'ordre public et de la circulation (DOPC) à la préfecture de police

La direction de l'ordre public et de la circulation est assez jeune : sa création date de 1999. Elle a trois domaines de compétence : l'ordre public, bien sûr, la circulation, mais aussi la protection des institutions. Elle est compétente sur Paris et les départements de la petite couronne, et sur ceux de la grande couronne pour ce qui est de la coordination de la circulation.

En 2019, la DOPC a géré 7 000 événements qui ont rassemblé 11 millions de personnes sur la voie publique, soit un peu moins d'une vingtaine par jour en moyenne ; 80 % constituaient des manifestations revendicatives. Par rapport aux 4 500 événements gérés en 2007, cela représente une hausse de 54 % en douze ans. Cette évolution nous a conduits à faire des efforts de rationalisation de l'emploi des forces.

Particularité de la capitale, nous intervenons lors de nombreux événements à retentissement international – la COP21 en 2015, l'Euro de football en 2016 – et national. Citons, pour ces derniers, les manifestations récurrentes sur les Champs-Élysées telles que l'arrivée du Tour de France et la Saint-Sylvestre – 400 000 personnes cette année, qui n'était pas la plus fréquentée –, et autres défilés du 8 mai, du 14 juillet et du 11 novembre. En matière de maintien de l'ordre public, nous avons, comme les services de mes deux collègues, deux ans de manifestations de Gilets jaunes derrière nous, et d'autres manifestations d'ampleur comme celles du 1er mai chaque année et, plus récemment, celles contre la loi travail. Enfin, nous gérons les abords du Stade de France et du Parc des Princes lors des matchs. La préparation de la Coupe du monde de rugby, en 2023, et surtout des Jeux olympiques et paralympiques, en 2024, nous occupe déjà beaucoup.

Pour exécuter ses différentes missions, la DOPC s'appuie sur son état-major et sur l'expertise qu'elle sollicite en interne ou en externe. L'état-major compte 230 hommes et femmes, qui préparent quotidiennement les dispositifs et les pilotent – c'est notre spécificité. L'expertise est remarquable en ce que nos personnels ont une parfaite maîtrise de la topographie parisienne et que les forces opérationnelles ont une capacité de mobilité et de projection importante. Nous nous signalons aussi par l'intéropérabilité de nos dispositifs au sein de la DOPC mais aussi avec les CRS et les gendarmes. Ainsi, pendant les manifestations de Gilets jaunes, avec les CRS, nous avons mis en place des groupes d'appui projetés (GAP), constitués de deux compagnies de CRS et d'une de nos sections d'intervention civile, qui ont bien fonctionné. Avec la gendarmerie, nous avons constitué des brigades de répression des actions violentes motorisées (BRAV-M), brigades mobiles constituées de binômes à moto, avec des personnels de la DOPC et de la Garde républicaine.

Pour assurer notre travail au quotidien, nous disposons de trente commissaires de police, experts en maintien de l'ordre – je le dis avec beaucoup de fierté – ainsi que de six compagnies d'intervention de jour et d'une septième la nuit, chacune composée de 200 policiers et 20 officiers. Bien sûr, ces moyens sont sans commune mesure avec ceux de Pascale Regnault-Dubois. Ces compagnies interviennent suivant deux schémas : le schéma traditionnel qui ressemble un peu à ce que font les unités de forces mobiles ; des schémas plus innovants, avec de nouveaux modes de fonctionnement, comme les BRAV-M motos et les BRAV quatre roues, qui répondent à l'évolution des manifestations et des manifestants.

Une deuxième entité spécifique et très particulière est constituée par les brigades d'information de la voie publique (BIVP), composées de 140 personnels en civil qui assurent la préparation opérationnelle des manifestations, puis la liaison constante avec les organisateurs de manifestations et les manifestants. Le schéma national de maintien de l'ordre a consacré cette méthode en lui donnant une autre appellation, mais l'idée est la même.

La sous-direction de la circulation est une troisième entité. C'est une grosse machine qui concourt au maintien de l'ordre lors des manifestations en assurant la régulation de la circulation et des flux routiers autour de ces événements. Sur certaines grosses manifestations, nous engageons 350 à 400 fonctionnaires de police ; c'est énorme.

D'autres unités sont encore plus spécialisées : le groupe d'intervention et de protection (GIP), qui répond à de nouvelles formes de manifestations spectaculaires, assure des missions de désentravement et d'escalade pour récupérer drapeaux, bannières ou toute chose à décrocher ; la brigade fluviale vient en soutien lorsque les manifestants sont proches des ponts de la Seine ; l'unité des moyens aériens intervient avec des drones ; le service de soutien opérationnel, unité peu connue mais très importante, gère des équipements utiles au maintien de l'ordre – barrières, tracteurs anti-barricades, engins lanceurs d'eau, etc.

Je fais également appel à des « experts extérieurs » : la direction du renseignement de la préfecture de police, dont j'utilise l'évaluation quotidienne des risques et des menaces ainsi que les prévisions d'affluence pour chaque événement pour dimensionner mes dispositifs ; la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), qui assure le traitement judiciaire des interpellés – 2 444 en 2019 ; la brigade des sapeurs-pompiers, qui intervient avec des dispositifs autonomes ou intégrés dans nos unités ou celles des CRS et gendarmes pour répondre à des besoins immédiats d'extinction de feu ou de secours à personne ; les CRS et gendarmes mobiles, auxquels nous faisons régulièrement appel. La DOPC est capable de traiter 70 % des événements en autonomie, mais pour certains événements quotidiens ou pour les grosses manifestations, nous faisons appel aux unités de défense nationale. Ainsi, il y a deux ans pour le 1er mai, soixante-cinq unités de forces mobiles ont été engagées.

En 2019, année particulière, un peu supérieure à la moyenne habituelle, nous avons bénéficié de 3 900 unités de forces mobiles pour assurer le maintien de l'ordre. Cela suppose une certaine expertise en salle de commandement, car tout le monde n'est pas capable de gérer trente ou quarante unités de forces mobiles.

Quelques mots sur le contexte particulier de la capitale, même si on constate certains phénomènes identiques ailleurs sur le territoire français. La portée des événements que nous gérons est amplifiée depuis quelques années par l'usage très intensif des réseaux sociaux. En outre, chacun des événements est hypermédiatisé du fait de la présence des chaînes d'information continue. Nous avons la chance et le privilège que leur siège social se situe à Paris : il leur est donc facile d'arriver rapidement sur les événements. Cela a vraiment changé notre façon de faire et de réagir.

On constate un changement de nature des manifestations, dont un certain nombre, et certains manifestants en leur sein, ne respectent plus les règles juridiques classiques en la matière. En 2019, on a ainsi dénombré 17 % de manifestations non déclarées, ce qui était très supérieur à la moyenne. En outre, les services d'ordre ont quasiment disparu, notamment lors des manifestations de grandes centrales syndicales. Il y a trente ans, lorsque j'ai commencé à m'occuper de maintien de l'ordre à la préfecture de police, nous avions face à nous des organisations syndicales très structurées, dotées de gros services d'ordre ; aujourd'hui, les services d'ordre regroupent au maximum 150 à 200 personnes, ce qui ne permet pas la même régulation.

Un autre élément nouveau, qui date de ces dernières années, est la formation, devant les manifestations, de « pré-cortèges » non contrôlés par les organisateurs et plus ou moins agités ou infiltrés par des individus radicaux, donc plus ou moins difficiles à gérer. C'est ce que nous appelons dans notre jargon la nébuleuse, qui présente une difficulté supplémentaire pour nous.

Dans certaines manifestations, et pas seulement celles qui ne sont pas déclarées, nous avons également du mal à trouver des interlocuteurs.

Enfin, les réseaux sociaux permettent aux manifestants de se mobiliser, que le rassemblement soit déclaré ou non, et de le faire de manière instantanée, ce qui nous empêche d'anticiper.

En ce qui concerne la contestation, un élément important est la radicalisation de certaines manifestations, sous l'effet de deux facteurs : la présence accrue de néo-manifestants, notamment depuis le mouvement des Gilets jaunes ; la haine anti-flics, illustrée par l'exemple parlant des manifestants criant « Suicidez-vous ! » aux policiers qui étaient devant eux, place de la République.

Ces éléments tout à fait nouveaux nous ont conduits à changer notre façon de faire. La mutation n'est pas achevée, mais elle est bien amorcée. En mars 2019, dans un discours resté célèbre dans nos rangs, le Premier ministre nous avait donné plusieurs pistes de travail. Concernant la préfecture de police et la DOPC, on nous a demandé un commandement unifié – c'est chose faite – et plus de mobilité et de réactivité, raison pour laquelle nous nous sommes efforcés de développer les moyens que j'ai cités. Le Premier ministre voulait également modifier la manœuvre judiciaire postérieure à la manifestation, car nous avions été confrontés à des difficultés liées au traitement en masse des interpellés et l'efficacité de notre réponse judiciaire était en jeu.

Nous avons créé deux nouvelles structures : les BRAV et les BRAV-M, à moto. J'ai été amené – sous plafond d'emplois – à renforcer les effectifs des compagnies d'intervention, qui atteignent désormais 200 policiers par compagnie, soit 120 personnels opérationnels sur le terrain. Cela me permet de faire face au souci quotidien des nombreuses petites manifestations que je dois gérer seul, parce que l'on ne me donnera pas suffisamment d'unités de forces mobiles pour cela. En contrepartie de cette hausse des effectifs, les jours de basse intensité, les personnels concernés participent à la sécurisation à la manière des compagnies de CRS au profit de la direction de la sécurité de proximité.

Je terminerai par quelques remarques.

Dans le nouveau schéma national du maintien de l'ordre, on retrouve plusieurs éléments et pratiques qui ont commencé à être mis en œuvre à la préfecture de police, notamment en matière de communication, ce qui est plutôt une bonne chose pour nous.

Avec le préfet de police, nous avons décidé de poursuivre notre réforme des compagnies en en créant une huitième, toujours sous plafond d'emplois. En outre, alors que nous avions au sein de l'état-major un embryon d'unité destiné aux petits RETEX après les manifestations, j'ai décidé d'en faire un service de la stratégie travaillant notamment à la planification et aux RETEX, essentiels à la pratique quotidienne du maintien de l'ordre.

La nécessité du dialogue et de la communication avec les manifestants est également soulignée dans le schéma national du maintien de l'ordre. Nous nous efforçons donc de faire évoluer nos pratiques en la matière, par exemple par l'acquisition de porte-voix numériques ou la création, préconisée par le SNMO, d'un dispositif de panneaux à message variable.

Concernant la formation, nous essayons de faire à peu près la même chose que ce qu'a décrit Pascale Regnault-Dubois, à ceci près que nous ne bénéficions pas d'un module initial – mais nous nous rattrapons sur ce point grâce à la sous-direction de la formation de la préfecture de police.

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Vous représentez tous des services spécialisés de maintien de l'ordre ou en avez sous votre autorité. Dans la police tout au moins, existe-t-il des formations communes à ces différents services ? De même, partagez-vous les fameux RETEX, et si oui, est-ce de manière formalisée, par l'intermédiaire d'organes dédiés, et officielle ?

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Pascale Regnault-Dubois, directrice centrale des compagnies républicaines de sécurité (DCCRS)

Tout policier suit une première formation commune à tous, à l'école de police, avant de rejoindre les directions spécialisées ou la direction la plus généraliste, celle de la sécurité publique. La direction centrale des compagnies républicaines de sécurité dispense une formation spécifique après cette formation initiale.

La politique de formation commune est un axe de réflexion. Le SNMO met ainsi l'accent sur les entraînements communs, et la DCCRS y est très favorable, comme je le suis à titre personnel. Ils existaient déjà, au gré des événements, notamment avec la sécurité publique dans l'ensemble du territoire. Mais nous avons l'intention de formaliser cette pratique sous l'égide de la DGPN, que les entraînements se fassent avec la sécurité publique ou avec la DOPC, voire les gendarmes. Mieux se connaître pour mieux travailler ensemble, telle est la philosophie que nous devons adopter et dont nous allons poursuivre et développer la mise en œuvre dans le cadre du SNMO.

Concernant les RETEX, ils participent d'une politique très ancienne au sein de la maison CRS. Nous avons ainsi, au sein de la direction centrale, un bureau de la prospective et de la réflexion tactique, et chaque opération de maintien de l'ordre donne évidemment lieu à un RETEX. Sauf événement très particulier, ils se déroulent d'abord entre nous et sont l'occasion d'adapter nos tactiques à ce à quoi nos collègues ont été confrontés sur le terrain. Depuis quelque temps, notamment depuis la crise des Gilets jaunes, nous avons entrepris de partager les RETEX avec les autres directions. C'est important, d'autant que, dans ce domaine comme pour les entraînements communs, nous avons encore une marge de progression ; en tout cas, cette politique de RETEX a officiellement été mise en œuvre au sein de la DGPN et fait régulièrement l'objet de réunions entre différentes directions engagées dans un même service d'ordre.

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Jean-Marie Salanova, directeur central de la sécurité publique (DCSP)

Chaque chef de service, sous l'autorité de son directeur départemental, organise des formations propres à chaque unité spécialisée. La direction centrale de la sécurité publique compte 67 compagnies départementales d'intervention (CDI) réunissant 2 300 policiers très spécialisés. Nous organisons des formations et des entraînements communs pour les unités de départements et de circonscriptions proches, ainsi qu'avec les CRS, comme vient de le dire ma collègue, mais aussi avec les gendarmes. Dans ces cas, ils sont de bien moindre ampleur puisqu'ils concernent les unités généralistes des petites directions départementales de la sécurité publique.

Pour revenir à l'exemple du Puy-en-Velay, il ne peut y exister d'unité spécialisée en matière de maintien de l'ordre compte tenu de la taille de la circonscription et du nombre de policiers qui y sont affectés. Nous y faisons des entraînements avec nos camarades gendarmes, que ce travail transversal intéresse comme nous.

De manière institutionnalisée, le SNMO nous demande de développer les entraînements, spécialement multiforces. Nous sommes donc en train de monter, avec Pascale Regnault-Dubois et nos équipes respectives, des plans d'entraînement commun.

Concernant les RETEX, chaque directeur départemental, conformément aux instructions, organise des débriefings locaux en présence des responsables, du plus grand nombre possible d'agents étant intervenus lors des événements les plus significatifs et des formateurs du département, afin que le centre de formation identifie les points forts et les points faibles et adapte la formation en conséquence.

À la DCSP, nous procédons également à des débriefings au niveau national pour les grands événements tels que le G7 de Biarritz, pilotés en temps réel sur place par le directeur central et son sous-directeur. Ces débriefings peuvent se traduire par de nouvelles notes de service ou de préconisations afin d'améliorer en permanence notre maîtrise technique et notre professionnalisme.

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Jérôme Foucaud, directeur de l'ordre public et de la circulation (DOPC) à la préfecture de police

Outre les modules de formation initiale assurés par la sous-direction de la formation de la préfecture de police, les membres des compagnies d'intervention de la DOPC bénéficient d'environ 19 000 à 20 000 heures de formation par an.

En 2019, nos modalités de fonctionnement à cet égard ont été perturbées par la pression que nous avons subie en matière de maintien de l'ordre. Nous avons ainsi dû annuler plusieurs des exercices que nous envisagions, notamment ceux en commun avec les CRS et les gendarmes. Mais nous en avions déjà fait et nous en avons programmé d'autres, avec la DCCRS, pour le début de l'année prochaine. À Paris, le problème se pose du lieu d'entraînement.

Quant aux RETEX, nous avons la chance de bénéficier d'un dispositif particulier incluant la présence permanente d'un représentant des gendarmes, conseiller technique du préfet de police mais qui assure essentiellement la mission de liaison en matière d'ordre public, ainsi que de l'apport du chef de délégation CRS. Celui-ci passe beaucoup de temps au sein de ma direction du fait qu'il participe soit aux réunions d'état-major de préparation que nous avons quotidiennement avec CRS et gendarmes, soit à l'organisation en salle de commandement où chaque entité a ses représentants.

Il y a quelques mois, je l'ai dit, nous avons créé un service de la stratégie au sein de l'état-major. Dans ce cadre, nous nous sommes efforcés d'institutionnaliser et de systématiser nos RETEX. Jusqu'à présent, ces derniers étaient plutôt internes à la préfecture de police et destinés aux commissaires de police responsables des forces mises à ma disposition, mais rien ne s'oppose à une démarche plus générale et systématique. En tout cas, les deux correspondants que je viens d'évoquer sont bien associés à nos débriefings.

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Si nous avons voulu cette commission d'enquête, c'est parce que vous n'avez pas manqué de travail ces dernières années et que cela a pu créer certaines difficultés, que vous et vos homologues nous ont confirmées. À nous de les analyser pour en tirer et en diffuser les leçons.

Parmi ces difficultés figure l'évolution de certains manifestants – je ne mets pas tout le monde dans le même panier. Il y a toujours eu de la violence dans les manifestations, mais des degrés ont été franchis dans ce que vous avez appelé la haine anti-flics et son expression – vous avez cité le terrible « Suicidez-vous ! ». Vous, dont les unités, au contact des manifestants, entendent tout cela, que pensez-vous de ces discours, au-delà de leur ignominie ? À quoi tient cette nouvelle violence physique et verbale ? Les manifestants sont-ils les mêmes qu'auparavant ? Les hommes et femmes placés sous votre commandement vivent forcément mal ce phénomène. Quelles réponses pouvez-vous leur apporter ?

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Pascale Regnault-Dubois, directrice centrale des compagnies républicaines de sécurité (DCCRS)

Le niveau élevé de violence constaté ces dernières années n'est pas un phénomène inédit. Par le passé, il caractérisait déjà les manifestations de marins-pêcheurs, par exemple. Mais l'évolution récente est particulièrement difficile pour les CRS comme pour l'ensemble des policiers qui interviennent sur la voie publique et œuvrent au quotidien pour la sécurité de leurs concitoyens. Cela vient de la surmédiatisation des violences : à la nécessité de les gérer pendant la manifestation s'ajoute ensuite le passage en boucle de leurs images sur certaines chaînes d'information.

Quant à la violence elle-même, elle n'est pas facile à expliquer, mais résulte sans doute en partie des réseaux sociaux, sur lesquels tout est possible, sans plus de barrières, de sorte que l'on s'emballe ensuite en manifestant, et que même des personnes qui ne sont pas violentes se radicalisent ponctuellement lors de certains regroupements. À ces cas s'ajoutent les groupes organisés désormais bien connus, dont les black blocs et d'autres venus semer le désordre et s'en prendre aux institutions, représentées à leurs yeux par les policiers.

C'est difficile à vivre pour les policiers, mais il nous appartient de nous adapter en permanence à de telles évolutions. Il s'agit d'un combat quotidien au sein de la DCCRS : tous les jours, le bureau de la prospective et de la réflexion tactique dont j'ai parlé réfléchit à notre adaptabilité et à notre réactivité, les deux maîtres mots de la maison CRS face à ce niveau de violence. Comment équiper les policiers, par exemple ? Rappelons-nous les images montrant des policiers en feu, voire en flammes, lors de manifestations. Nous avons le devoir de les protéger. Il nous faut également adapter notre mode de fonctionnement et nos techniques afin d'être efficaces, c'est-à-dire de mettre très rapidement hors d'état de nuire ceux qui viennent dans les manifestations pour casser ou pour s'en prendre aux forces de l'ordre.

Ces réflexions tactiques, nous les menons en permanence et nous les adaptons au contexte ; elles débouchent sur des doctrines qui sont enseignées lors de la formation dont je vous ai parlé dans mon propos liminaire. En effet, les CRS bâtissent leur doctrine à mesure que la société évolue. Cette doctrine a donc déjà été modifiée et va l'être encore pour se conformer à ce qui nous est demandé dans le cadre du SNMO.

Le rôle de la hiérarchie est de soutenir les policiers sur le terrain quand ils sont en difficulté ou blessés. Au sein de la DCCRS, nous nous sommes organisés pour cela. J'ai cité le nombre annuel de blessés dans nos rangs ; un blessé est toujours un blessé de trop, qu'il s'agisse d'un policier ou d'un manifestant.

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Jean-Marie Salanova, directeur central de la sécurité publique (DCSP)

Réactivité et adaptabilité, c'est effectivement ce que recherchent au quotidien tous les services de police, leurs chefs et leurs hommes.

Les policiers chargés de la sécurité publique que j'ai l'honneur de diriger sont confrontés à la violence lors d'un très grand nombre de leurs interventions : non seulement dans les manifestations, mais au quotidien, parce que l'équipage, retenu par une autre intervention, est arrivé en retard, parce qu'il interdit à quelqu'un de passer dans une rue, pour son bien la plupart du temps, à cause d'une fuite de gaz par exemple. Cette violence est verbale et physique, voire psychologique.

À l'heure actuelle, la société, et sans doute pas la seule société française, rencontre un problème en matière de respect de l'autorité, qui alimente la tension dans les relations avec les représentants des forces de l'ordre.

La violence peut être le fait de manifestants qui « dévissent », mais ce sont les cas les moins nombreux. Elle résulte le plus souvent du noyautage des manifestations par des groupes ultras ou extrêmes. Ceux-ci se noient dans la masse, s'en extraient subitement pour commettre des exactions contre les policiers et la population, s'en prendre aux vitrines des magasins en bordure de cortège ou au mobilier urbain, puis reviennent au milieu des manifestants. C'est l'une des grandes problématiques que nous avons à traiter aujourd'hui. L'influence des réseaux sociaux est également forte, soit qu'ils appellent à la violence, soit que leurs membres s'auto-échauffent, soit qu'ils sont échauffés par des individus appartenant à des groupuscules dans le but de faire dégénérer les manifestations.

Pour que cette violence soit mieux gérée par les policiers, il faut, bien évidemment, s'appuyer sur la formation et l'adaptation des techniques, mais également sur l'encadrement – son existence, sa formation, sa présence et sa force.

En matière d'équipements, outre ceux dédiés à la protection, la vidéo est devenue indispensable en ce qu'elle permet de recueillir des données susceptibles d'être présentées à la justice si des exactions sont commises, mais également de montrer le contexte dans lequel les policiers sont intervenus. La communication est d'ailleurs un autre outil de gestion de la violence. Pour rassurer les policiers, pour les conforter, la hiérarchie policière doit expliquer aux médias et à la population ce qui est fait en matière de gestion de l'ordre public, comment et pourquoi. Il s'agit d'ailleurs d'un élément important du SNMO.

Enfin, après avoir été au cœur de l'action, les policiers doivent pouvoir prendre du recul dans le cadre de leur vie personnelle afin de retrouver la sérénité nécessaire aux prochaines opérations de maintien de l'ordre, si difficiles. Ce rétablissement psychologique est tout à fait indispensable. Là encore, la hiérarchie a un rôle d'accompagnement à jouer.

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Je suppose que les petits groupes qui noyautent certaines manifestations, s'ils sont organisés, sont identifiés et connus. « Que fait la police ? », ai-je envie de dire. Il doit bien y avoir moyen de prévenir et, éventuellement, de poursuivre. On n'a pas toujours le sentiment que ce sont leurs membres qui sont présentés devant la justice. On voit un maçon ou des gens somme toute ordinaires, qui peut-être ont couru moins vite que les professionnels du désordre. Ne disposez-vous pas de moyens, en amont comme en aval, pour empêcher ces groupes de sévir ?

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Jean-Marie Salanova, directeur central de la sécurité publique (DCSP)

Nous avons des moyens, en amont et en aval ; nous les utilisons et ils portent leurs fruits, même si ce n'est certainement pas assez. Ces résultats sont insuffisamment médiatisés, ce qui pourrait laisser croire que l'on se satisfait du quotidien.

Des groupes qui viennent perturber les manifestations, nous en connaissons certains ; parfois nous les suivons, parfois même nous intervenons avant qu'ils passent à l'action. Nous avons ainsi eu deux affaires, l'une à Bordeaux, l'autre à Orléans, dans lesquelles nous avons interpellé des groupes le matin, alors qu'ils étaient en train d'organiser les exactions qu'ils projetaient de commettre lors d'une manifestation de Gilets jaunes l'après-midi. À Bordeaux, sur un seul samedi, il a été procédé à dix-sept interpellations et présentations à la justice de personnes qui préparaient, entre autres munitions, des bouchons de liège plantés de clous destinés à être envoyés avec des frondes à la figure des policiers, des boulons, des morceaux de fer… À Orléans, l'intervention préalable a permis de mettre hors d'état de nuire et de poursuivre devant la justice un groupe de six à huit personnes.

Nous pouvons voir à la manière dont se déroule une manifestation si des groupes s'y sont infiltrés. Dans ce cas, c'est un long travail de reconstitution judiciaire qui sera conduit, les équipes judiciaires enquêtant pour identifier, notamment sur des images de vidéo-protection, les auteurs d'exactions, afin de les livrer à la justice.

Dans les grandes villes de province, notamment Nantes, Bordeaux, Montpellier, Toulouse, Marseille et Lyon, au moment des manifestations successives de Gilets jaunes, nous avons créé des équipes judiciaires chargées du traitement des violences commises, qui ont permis de procéder à un nombre significatif d'interpellations. Les personnes qui courent moins vite que les autres, qui sont médiatisées par les journalistes, représentent effectivement une part de notre activité, mais une part seulement.

J'espère avoir expliqué clairement le travail de fond et au long cours que nous menons dans ce domaine.

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Jérôme Foucaud, directeur de l'ordre public et de la circulation (DOPC) à la préfecture de police

J'ai souvenir de manifestations, notamment d'agriculteurs, particulièrement violentes, mais plusieurs choses ont changé. D'abord, la raison de la violence, qui n'est plus toujours liée au désespoir. Ces dernières années, on a vu apparaître des gens se joignant aux manifestations dans le seul espoir de les faire dégénérer et se montrant parmi les plus violents. Ensuite, cette violence s'exprime parfois de façon exacerbée, ce qui peut aller, même si ce n'est pas tout à fait nouveau, jusqu'à des jets de cocktails Molotov sur les fonctionnaires. Enfin, et surtout, il y a le rôle de la communication. Les réseaux sociaux ont libéré la parole : on peut y dire n'importe quoi. Dans cette masse de propos extrêmement violents et haineux, il est utopique de penser que la justice pourrait poursuivre leurs auteurs – un Gilet jaune qui veut éventrer le Président de la République, des groupes radicalisés qui appellent à venir déborder une manifestation de soignants. Toutes ces choses nouvelles, qui n'existaient pas il y a vingt ans, nous ont forcés à nous adapter, même s'il reste du chemin à faire, parce que l'imagination est sans limite.

Pour lutter efficacement contre la violence des groupes organisés, il faut disposer d'une évaluation de la menace et d'informations. La tâche est difficile s'agissant des néo-manifestants et elle est encore compliquée par la vitesse de la communication – les téléphones portables n'existaient pas il y a vingt ans. Notre stratégie repose sur l'information fournie par la direction du renseignement ainsi que par différents services, dont la précision conditionne notre anticipation.

Par ailleurs, intervenir avant les manifestations nécessite qu'un délit ait été commis – les interpellations préventives n'existent pas dans notre pays. Savoir que certains individus identifiés, par exemple comme faisant partie de l'ultragauche, vont y participer, ne justifie pas de les interpeller.

S'agissant des modes d'action, la spécialisation de certaines de nos unités dans le maintien de l'ordre public se justifie précisément, comme nous nous en sommes rendu compte au cours de l'épisode des Gilets jaunes, par la nécessité de travailler sur ces manifestants d'un nouveau genre. Il faut pouvoir faire preuve de résilience, ce que l'on ne peut pas demander à un fonctionnaire lambda, de même que l'on ne peut pas demander à un policier de base de faire un travail d'intervention comme celui du RAID (Recherche, assistance, intervention, dissuasion) ou du GIGN (Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale). Un CRS a l'habitude d'être confronté aux insultes ou aux jets de projectiles : c'est parce qu'il est difficile de travailler dans de telles conditions que le maintien de l'ordre est un métier.

Ces deux dernières années, nous avons été confrontés à un phénomène très spontané, très rapide et très violent, qui nous a dépassés. Nous avons réagi comme nous avons pu, en utilisant l'ensemble de nos forces. Le retour à une période plus normale nous impose d'affirmer avec plus de force encore que ce sont des policiers spécialisés qui doivent répondre à cette violence et à cette menace.

Enfin, la difficulté, dans le maintien de l'ordre, c'est d'arriver, dans une configuration où des exactions sont commises, à intercepter les délinquants et à les amener devant un magistrat dans de bonnes conditions, c'est-à-dire en étant en mesure de caractériser la commission du délit. Ce n'est pas toujours facile lorsque, face à une foule hostile, il faut choisir entre interpeller un individu qui vient de commettre une exaction et maintenir le dispositif de maintien de l'ordre. Ce sujet est d'ailleurs abordé par le SNMO et un groupe de travail sur le travail judiciaire post-maintien de l'ordre a été constitué.

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Vous êtes unanimes à considérer que le maintien de l'ordre implique une professionnalisation et qu'il doit être assuré par des unités spécialisées, dont chacun de vous dispose. Néanmoins, en matière de sécurité publique, cette possibilité de riposte immédiate n'existe pas à certains endroits. Est-on capable d'aller vers plus de professionnalisation et plus d'interventions confiées à des policiers spécialisés ? Le directeur central de la sécurité publique peut-il garantir, là où cela s'avère nécessaire, la mobilisation immédiate de services spécialisés, qui auraient, par exemple, pu intervenir au Puy-en-Velay ?

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Bien souvent, ce sont des unités non spécialisées, comme les brigades anti-criminalité (BAC), qui interviennent dans des opérations de maintien de l'ordre, sans doute en raison du manque de moyens. Au cours de nos auditions, on nous a indiqué que, lorsque des difficultés comportementales survenaient, elles étaient souvent le fait de ces fonctionnaires, mal préparés ou formés à d'autres types d'intervention. Comment vivez-vous le mélange sur le terrain des uns et des autres ? N'est-il-pas, selon vous, source de certaines difficultés ?

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Jean-Marie Salanova, directeur central de la sécurité publique (DCSP)

Si j'étais militaire, s'agissant de la sécurité publique, je parlerais de la donnée de commandement ; comme je suis civil et directeur d'administration centrale, je parle de contexte de la problématique, à savoir des territoires nombreux, disposés de manière dispersée et non cohérente sur le territoire. Contrairement à Paris et la petite couronne où une zone d'urbanisation unique couvrant trois départements est placée sous une responsabilité unique, nos zones de concentration urbaine sont espacées les unes des autres, en fonction de l'occupation du territoire. Par conséquent, l'organisation de la sécurité publique est la conjugaison de l'ensemble des moyens propres à ma direction et de ceux dont je peux bénéficier en renfort.

Pour les manifestations dont les informations laissent penser qu'elles vont être à la fois d'un grand volume et d'une grande intensité, nous bénéficions de l'apport de forces extérieures professionnalisées que sont les CRS et les gardes mobiles. Pour les manifestations du quotidien de moindre ampleur, qui représentent cinquante à quatre-vingt-dix rassemblements par jour, nous avons créé des unités spécialisées dans l'ordre public dans 67 villes sur 290, les 2 300 policiers les composant ayant été spécifiquement distraits de l'effectif global.

Compte tenu de la taille des unités territoriales – de petite, comme le Puy-en-Velay, à moyenne, comme Limoges, Brive ou Montauban – et du nombre réduit d'événements d'ordre public, l'individualisation de forces spécialisée et entraînées à une activité qu'elles exerceront très peu présente peu d'intérêt. L'option a donc été prise, depuis deux ans, de former des policiers du quotidien au maintien de l'ordre public, en transversalité et de manière commune avec leurs camarades gendarmes locaux. Ce dispositif a également été mis en place dans le cadre du schéma national d'intervention en matière de lutte contre les faits de terrorisme, de sorte que, depuis le mois de mai 2019, nous organisons des entraînements spécifiques et fournissons des équipements spéciaux aux policiers.

Nous irons encore plus loin puisque le ministre de l'Intérieur a souhaité que l'on crée des directeurs zonaux de la sécurité publique, qui fédéreront plusieurs départements et seront situés entre le niveau central et les circonscriptions de police. Leur mission consistera à participer à la formation au maintien de l'ordre et à l'équipement des policiers ainsi qu'au contrôle de leur action individuelle et collective. Le but est de disposer d'une structuration intermédiaire technique pour mettre en place et renforcer un travail de professionnalisation, d'encadrement et de contrôle, que notre organisation actuelle, avec une administration centrale microcéphale comptant 160 agents pour 68 000 policiers, soit la moitié des policiers de France, ne permet pas d'accomplir suffisamment.

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Je vous remercie beaucoup d'avoir complété notre information. Nous aurons sans doute l'occasion de reparler du sujet à l'occasion de la sortie prochaine du livre blanc, qui devrait annoncer une départementalisation.

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Jean-Marie Salanova, directeur central de la sécurité publique (DCSP)

Elle est lancée !

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Oui, en particulier dans les outre-mer. Il y aura trois sites d'expérimentation, dont les Pyrénées-Orientales, me semble-t-il.

La séance est levée à 16 heures.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, M. Jérôme Lambert, Mme Laurence Vanceunebrock