Intervention de Manuel Valls

Réunion du mercredi 2 décembre 2020 à 16h30
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaManuel Valls, ancien ministre de l'Intérieur, ancien Premier ministre :

Lorsque je suis arrivé au ministère de l'Intérieur, j'avais un programme, un projet, qui était le fruit d'une réflexion menée depuis plusieurs années, essentiellement au sein de ma formation politique, par des spécialistes des sujets de sécurité – je pense à Daniel Vaillant, qui avait été ministre de l'Intérieur dans le gouvernement de Lionel Jospin, ainsi qu'à Bruno Le Roux, Julien Dray et Jean-Jacques Urvoas, avec lesquels j'avais beaucoup débattu pendant les dix années où étions dans l'opposition.

Nos deux idées principales étaient d'augmenter de nouveau les moyens de la police et de la gendarmerie, qui avaient été diminués durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, et de créer des zones de sécurité prioritaires. C'est ce que nous avons fait en 2012 et 2013, au terme d'une large concertation et malgré quelques tensions avec les syndicats de policiers et les représentants des gendarmes. Nous voulions fluidifier le plus possible la coopération avec le ministère de la Justice, puisque ces zones de sécurité prioritaires étaient sous la responsabilité conjointe des préfets et des procureurs de la République. Au fond, il s'agissait de concentrer les moyens là où ils étaient les plus nécessaires, en nous basant sur les statistiques et la réalité vécue par les habitants, en associant les élus, et de combattre toutes les formes de délinquance – on observait alors, notamment en zone de gendarmerie, une augmentation très sensible du nombre de cambriolages, souvent liés à des réseaux qui opéraient partout en France mais en particulier dans l'Ouest.

Notre projet comportait également un rappel des règles de déontologie, qui concernent les rapports entre les forces de l'ordre et les citoyens, et une réflexion sur les contrôles d'identité, alors inachevée.

J'ai considéré que le code de déontologie, commun à la police et à la gendarmerie, devait être rénové – il ne l'avait pas été depuis Pierre Joxe. Il est le fruit d'un travail de bonne qualité, approuvé par l'ensemble des forces, à l'exception d'un syndicat ; en tout cas, cela n'a pas donné lieu à des divergences. L'élément qui a provoqué le plus de débats était l'apposition, à mes yeux indispensable, du numéro de matricule sur chaque uniforme, y compris pour les agents de police intervenant en civil, afin de faciliter la reconnaissance des agents par ceux qui sont contrôlés.

J'ai toujours dit, même si ce point fait débat, que le ministre de l'Intérieur était le premier flic de France. Clemenceau, le premier grand ministre de l'Intérieur, moderne, au début du XXe siècle, était confronté à des violences incroyables – il ne s'agissait pas de maintien de l'ordre mais de répression contre les fameux Apaches et les criminels détroussant des personnes –, qui ont donné lieu à la création des « brigades du Tigre », que nous connaissons tous grâce à une belle série télévisée.

Le ministre de l'Intérieur doit tout faire pour protéger les policiers face aux violences – raison pour laquelle il est le premier flic de France – et les soutenir. Mais cet engagement de la part des responsables politiques va de pair avec un rappel très clair de la règle. Tout policier ou gendarme qui ne respecte pas la loi, la déontologie ou les valeurs de la République doit être sanctionné. C'est le rôle de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) et de la justice. Comme mes prédécesseurs ou mes successeurs, je n'ai pas hésité à sanctionner : ainsi, quand nous avons découvert que la brigade anti-criminalité BAC Nord de Marseille se livrait à toute une série de trafics, elle a été dissoute et des sanctions administratives ou judiciaires ont suivi.

Très honnêtement, je ne me souviens pas de ce programme de recherche de l'Union européenne. Pour ma part, et même si François Hollande s'était prononcé plutôt positivement sur ce point pendant la campagne, je n'étais pas favorable à la remise d'un document par chaque agent, policier ou gendarme, à celui qu'il interpelle. Je ne l'ai pas acceptée, non pas parce que les syndicats n'y étaient pas favorables, mais parce que je ne voyais pas quelle pouvait être l'efficacité d'une telle mesure. Cela posait en effet des problèmes soulevés par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), et des problèmes de mise en œuvre du côté de la justice. C'est peut-être pour cela que nous n'avons pas participé à ce programme.

Dans les débats que j'ai eus sur ce sujet avec Dominique Baudis, alors Défenseur des droits, j'ai insisté sur le code de déontologie, sur le numéro de matricule, sur la nécessité d'équiper les forces de caméras-piétons. Je reconnais que nous sommes très loin de ce que nous devrions avoir mis en œuvre, notamment concernant les fameuses caméras-piétons – j'ai sans doute été l'un des premiers à les évoquer : elles me paraissent très importantes, tant pour protéger les forces de sécurité que pour faire toute la transparence quand cela est nécessaire. Toutefois, nous avons sans aucun doute atteint une limite dans le débat d'une très grande complexité sur l'apaisement du rapport avec les citoyens. C'est l'ancien maire d'Évry qui parle, mais aussi l'ancien ministre de l'Intérieur : j'ai constaté les tensions permanentes avec les policiers, les BAC et les CRS dans certains quartiers où régnait une forme de guérilla, qui rendaient l'intervention des forces de l'ordre particulièrement difficile. Ce n'était pas une question d'apaisement ni un problème de police de proximité : les forces de l'ordre dérangeaient des trafics de drogue, intervenaient contre l'occupation des halls d'immeubles et la mise en mise en coupe réglée d'un certain nombre de quartiers.

Nous avons réformé l'Inspection générale de la police nationale. Nous aurions peut-être pu aller plus loin. Je sais bien qu'il y a un débat sur l'indépendance de l'IGPN ; c'est un débat qui me gêne parce que nous avons des inspections générales dans tous les corps d'administration. La police et la gendarmerie doivent être encore plus vertueuses que toutes les autres administrations, compte tenu du rôle qui est le leur dans la société, mais ceux qui ont assumé la direction de l'inspection générale de la police ou la gendarmerie sont des femmes et des hommes d'une très grande qualité professionnelle et dont l'indépendance ne peut pas être mise en cause.

Il n'en demeure pas moins une forme de péché originel, qui nécessite soit une réflexion sur une structure beaucoup plus indépendante – je n'y suis pas favorable –, soit l'intervention d'autres acteurs, comme le Défenseur des droits, en cas de contestation entre les forces de l'ordre et un ou des citoyens. Au stade des procédures administratives – les procédures judiciaires donnant lieu à d'autres formes d'interventions –, un représentant du Défenseur des droits pourrait intervenir aux côtés des citoyens, aux côtés des policiers, pour permettre la manifestation de la vérité.

Concernant le schéma national du maintien de l'ordre, je ne l'ai pas analysé dans le détail mais les grandes lignes présentées par le ministre de l'Intérieur me paraissent aller dans le bon sens.

S'agissant de la formation, je ne vois pas véritablement de différences entre ce qui est proposé et ce qui existe déjà. Il faut être extrêmement attentif à ces sujets. Bernard Cazeneuve a eu raison de rappeler les améliorations qu'il avait lui-même apportées à cette formation, dont la qualité doit être une préoccupation du ministre de l'Intérieur et de la hiérarchie.

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