Je veux bien vous concéder que la présence de lunettes de piscine dans un sac n'est peut-être pas un élément suffisant – d'où l'intérêt de l'intervention d'un magistrat. Le procureur analyse toujours les faits, à charge et à décharge : vous portez de temps en temps des lunettes de piscine parce que vous avez les yeux fragiles, mais vous n'avez pas en même temps un marteau scotché sur la poitrine, une barre de fer ou un poing américain… On a découvert des tonnes de ferraille dans le cadre des contrôles préventifs !
Vous me parlez d'améliorer le traitement. Je ne vous apprendrai rien en vous rappelant que je ne suis pas ministre de l'Intérieur, mais les contrôles préventifs, qui conduisent à l'interpellation de ces individus porteurs de tout un attirail – passons sur les lunettes de piscine –, améliorent singulièrement le traitement de l'événement, puisqu'ils n'iront pas casser au cours de la manif… L'idée centrale, c'est bien de préserver la liberté absolue de manifester tranquillement et de s'exprimer pacifiquement, ce qui est l'objectif de 99,99 % des manifestants. Et puis vous avez le reste, autrement dit les casseurs. Et ceux-là, il faut absolument qu'on les arrête.
Pour commencer, ce sont eux, d'une certaine façon, qui entravent les manifestants et mettent leur sécurité en danger. Extraordinaire paradoxe : il arrive que les manifestants manifestent contre la police, ce qui est leur droit de citoyens, pendant que les malheureux policiers sont obligés, c'est normal et c'est leur devoir, de protéger ceux qui viennent jusqu'à leur demander de se suicider ! Et on vient me dire que les libertés sont menacées dans ce pays ? Il y a peu de pays où on peut manifester ainsi et dire des choses pareilles aux policiers…
Bien sûr, il y a aussi des violences policières, qui ont été judiciarisées, et c'est normal. J'essaie d'être un homme nuancé et de bons sens. Je n'aime pas le manichéisme : ce n'est pas tout blanc ou tout noir. Il y a évidemment chez certains policiers des comportements qui ne sont pas républicains, mais cela ne permet pas de jeter l'anathème et l'opprobre sur toute la police, je pense que nous en serons d'accord.
Lorsque des exactions sont commises, le contrôle et le traitement préventifs ont tout leur intérêt. Les chiffres sont éloquents : à l'occasion des manifestations des Gilets jaunes, 3 393 gardes à vue ont été prononcées, pour 555 comparutions immédiates, 187 convocations par officier de police judiciaire (COPJ), 44 comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), 942 rappels à la loi par délégué du procureur, 79 enquêtes préliminaires, 36 informations judiciaires, 1 327 classements sans suite. À eux seuls, ces chiffres démontrent que le parquet analyse bien tous les éléments à charge et à décharge ; il est probable que, parmi les mille trois cent vingt-sept classements sans suite, il y a probablement quelqu'un qui se promenait avec des lunettes, qui n'avait pas le profil d'un casseur, mais juste les yeux fragiles… Mais cela, c'est le travail du parquet et c'est son honneur de le faire.
Vous m'interrogez sur une note interne qui a soulevé beaucoup de discussions. Le garde des Sceaux, vous le savez, ne peut rien demander aux procureurs, si ce n'est par voie de circulaire ; comme il s'agit d'une note interne, vous demanderez au procureur de la République, si vous souhaitez l'auditionner, en quoi elle consiste et pourquoi il l'a prise. C'est lui qui en est le responsable, pas le garde des Sceaux. Ce disant, je ne me mets pas à distance du procureur de la République : c'est à vous d'interroger les gens sur ce qu'ils ont pu faire et qui peut les engager. Cette note interne a été signée par le procureur de la République ; cela ne vient pas de la chancellerie.