Intervention de éric Dupond-Moretti

Réunion du jeudi 3 décembre 2020 à 18h00
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

D'abord, répétons-le, manifester sans autorisation constitue une infraction – je précise que ce n'est pas le ministère de la Justice qui délivre les autorisations. En disant cela, je réponds partiellement à votre question, monsieur Questel, mais aussi à l'une de celles qui m'ont été posées par M. Bernalicis.

Par ailleurs, rappelons une chose toute simple : il est facile de regarder une manif à la télé, sur une chaîne d'info en continu, peu importe laquelle, mais il est plus compliqué d'être sur place. Je ne cherche pas à défendre obstinément les forces de l'ordre : quand elles commettent des infractions, elles doivent être sanctionnées. C'est clair, net et précis : l'uniforme républicain, la police républicaine, cela a un sens.

En effet, il y a parfois des interpellations et des gardes à vue. Je fais d'ailleurs remarquer à M. Bernalicis que c'est la police qui décide de la garde à vue, pas le parquet. Les chiffres que je vous ai donnés tout à l'heure me paraissent tout à fait éloquents. La justice fait ensuite le tri, si vous me permettez cette expression : 1 327 classements sans suite sur 3 393 gardes à vue. Le pourcentage des classements sans suite est donc extrêmement important. Cela veut dire que l'autorité judiciaire fait son travail.

Je ne veux pas défendre à tout prix la police, disais-je, mais il faut quand même se dire un certain nombre de choses : il y a parfois de la lassitude, de la fatigue, de la peur aussi du côté de la police. Pour le comprendre, il n'est qu'à voir certaines images. Voilà quand même des gens qui sont là pour protéger notre paix, notre liberté de manifester, et qui se prennent des pavés dans la figure… Ce contexte-là, il faut l'avoir à l'esprit quand on analyse la situation et qu'on disserte à ce propos. C'est toute la différence entre ceux qui sont au charbon et ceux qui sont tranquillement installés dans leurs fauteuils – dont je fais partie.

Disons les choses clairement : dans la confusion, au milieu de la foule et dans les gaz lacrymogènes, sans parler du reste, il peut évidemment arriver d'interpeller quelqu'un qui ne mérite pas de l'être. C'est là où l'intervention judiciaire est essentielle – à partir du poste de commandement, mais surtout quand le parquet fait son travail, c'est-à-dire veille au respect des règles qui sont les nôtres et qui nous honorent. Oui, monsieur Bernalicis, j'ai parlé de lunettes de piscine. Si les choses sont faites dans les règles, vous ne risquez pas d'être placé en garde à vue quand vous ne faites que porter des lunettes de piscine ; mais si, en plus, vous avez en votre possession un poing américain ou une barre de fer – ce que je ne saurais imaginer un seul instant de votre part –, il ne me choquerait pas que vous alliez en garde à vue.

On peut disserter des heures sur ce qu'il aurait fallu faire, sur ce que l'on aurait pu faire : il est tellement facile de réécrire l'histoire. Moi, je me mets, ne serait-ce que deux secondes, à la place de ces hommes et de ces femmes qui, alors qu'ils assurent notre liberté de manifester, sont pris à partie, insultés. Nous avons tous entendu des gens qui, protégés par les policiers, leur disaient : « Suicidez-vous ! ». Mais, de la même façon, monsieur Bernalicis, je ne suis pas très heureux quand un Gilet jaune est blessé : cela me touche infiniment. Ce que je souhaite, c'est que, dans nos débats, nous évitions de tomber dans le manichéisme : essayons de faire dans la nuance, d'envisager les choses comme elles doivent l'être. Il n'y a aucune place, dans cette question, pour l'idéologie.

Vous me demandez si je compte prendre une nouvelle circulaire pénale. J'ai déjà égrené toutes celles qui ont déjà été prises. Mais, comme je l'ai dit le jour de mon arrivée à la chancellerie, ma porte est ouverte à tous ceux qui veulent discuter – mais pas en versant dans le nihilisme, dans l'idéologie ou dans l'excès. Si vous avez un certain nombre de choses à me proposer en vue d'améliorer la situation, je vous le dis très ouvertement, je suis preneur. Mais il faut aussi voir ce qui se passe quand on est au cœur de la manif, quand ça tape, ça insulte, ça casse. Et on me permettra aussi d'avoir une pensée pour tous ces commerçants qui rêvaient de rouvrir leur magasin, de retrouver la liberté de commercer – car c'est aussi une liberté – et qui n'ont pas pu le faire à cause de la violence des manifestations. Tout cela est donc infiniment compliqué. Encore une fois, il n'y a aucune place ici pour le dogme.

J'espère vous avoir répondu. En tout cas, je l'ai fait le plus sincèrement possible.

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