Si l'on réfléchit de façon globale à la problématique du maintien de l'ordre, on s'aperçoit que les troubles à l'ordre public qui justifient une intervention pour maintenir ou rétablir l'ordre découlent de phénomènes différents.
Ces dernières années, les manifestations ont été accompagnées de violences et ont donné lieu à des polémiques sur la relation entre les forces de l'ordre et les manifestants. L'incompréhension va grandissant, les tensions augmentent ; cela ne peut que poser un problème de respiration démocratique. Aucun vrai républicain, soucieux de la liberté de manifester et du nécessaire respect entre citoyens et forces de l'ordre, ne peut accepter de voir ces violences prospérer. Avec les zones à défendre, on a assisté à une nouvelle forme de contestation, dont on a vu qu'elle posait des problèmes de maintien de l'ordre – j'en ai fait l'expérience dans des conditions difficiles et parfois tragiques. Enfin, on a vu se produire des phénomènes d'émeutes urbaines, qui ont conduit, en 2005, au déclenchement de l'état d'urgence et à des opérations de rétablissement de l'ordre.
De par votre expérience personnelle, monsieur le président, vous savez que ce ne sont pas les mêmes techniques et les mêmes unités qui sont utilisées. On ne traite pas de la même manière le maintien ou le rétablissement de l'ordre dans une manifestation et face à des violences urbaines. Dans le premier cas, la compétence du maintien de l'ordre est entre les mains d'unités spécialisées, les unités de force mobile de la police et de la gendarmerie : ce sont les compagnies républicaines de sécurité (CRS), pour la police, et les unités de force mobile, pour la gendarmerie, dont vous avez souligné l'utilité. Face à des violences urbaines, même s'il peut arriver de faire intervenir ces unités, ce sont plutôt les BAC ou les PSIG qui se trouvent en première ligne.
Les modalités et les techniques d'intervention sont très différentes dans les deux cas et il est très important que chacun reste dans son couloir de nage, avec sa formation, ses compétences et ses techniques. Ce qui a créé des difficultés – et on ne peut en blâmer aucun responsable de l'État –, c'est l'obligation dans laquelle on s'est parfois trouvé, parce que le nombre d'unités de force mobile n'était pas suffisant pour couvrir l'ensemble des manifestations sur le territoire national, de mobiliser des unités plus classiques, qui ne sont pas spécifiquement formées au maintien de l'ordre. À cet égard, la décision qui a été prise de donner à toutes les unités de police un minimum de formation au maintien de l'ordre est pertinente.
Il est vrai que les moyens ne font pas tout, monsieur le président, je suis absolument d'accord avec vous sur ce point. Mais sans moyens, on ne fait plus rien. Si j'ai parlé de persévérance, c'est parce que, dans un contexte de montée des violences, la relation entre la police et la population doit être approfondie et préservée. Il faut absolument poursuivre les efforts de formation et d'équipement de la police. Vous connaissez parfaitement ces sujets et, si ce que je dis ne correspond pas à la réalité, vous pourrez me contredire, mais les crédits de la police et de la gendarmerie, hors titre 2, ont connu une stagnation au cours des trois dernières années, alors qu'ils avaient bénéficié, entre 2013 et 2017, d'une augmentation de l'ordre de 17 %. Vous me direz que cela est compensé par le plan de relance et il faut reconnaître qu'il donne, pour les crédits hors titre 2, des moyens au ministère de l'Intérieur. Je ne prétends pas donner des conseils à qui que ce soit, car je n'ai aucune légitimité à le faire, mais une grande confiance n'exclut jamais une petite méfiance et il faudra veiller à ce que les crédits alloués soient bien dépensés. Or nombre d'entre eux doivent l'être dans le cadre d'appels à projets : il faudra s'assurer que le ministère de l'Intérieur mobilise effectivement ces crédits, pour que les annonces soient bien suivies d'effets.
Vous me demandez ce que l'on peut faire, au-delà de la question des moyens, pour améliorer la relation de la population avec la police. L'actuel gouvernement a adopté un schéma national du maintien de l'ordre, dont l'inspiration me paraît bonne et qui s'inscrit dans la continuité des mesures que j'avais été amené à prendre, comme ministre de l'Intérieur, avec mon prédécesseur au poste de Premier ministre, M. Manuel Valls. M. Laurent Nuñez en a rappelé les grands principes devant votre commission la semaine dernière : réactivité, mobilité, interpellations et judiciarisation. Le schéma prévoit également un approfondissement des relations entre les forces de l'ordre et les manifestants en amont des manifestations : je serais très mal inspiré de contester cette orientation, qui s'inscrit également dans la continuité des décisions que j'ai moi-même pu prendre par le passé. Dans un contexte de montée des violences, je ne peux que souscrire à ces orientations, que je trouve bonnes.
Vous m'interrogez, enfin, au sujet des black blocs. Ce terme ne désigne pas une association secrète, mais une modalité de comportement dans les manifestations : des individus se détachent et, dissimulant leur visage, commencent à casser. Il y a plusieurs façons de traiter ce sujet et il convient, dans la mesure du possible, de le faire en amont, par la voie du renseignement. On ne peut vouloir la liberté de manifestation et d'expression, l'apaisement dans la relation entre les forces de l'ordre et les manifestants et la restauration de la confiance – autant de valeurs et de principes républicains intangibles auxquels on ne peut déroger – et, en même temps, ne pas souhaiter que tous ceux qui s'attaquent à ces valeurs et à ces principes en rendant les manifestations impossibles ne soient pas, dès l'amont, empêchés de s'y rendre. Je suis donc très favorable au développement du renseignement. Les grands principes du schéma national du maintien de l'ordre, que nous avons déjà été amenés à mettre en œuvre lorsque nous étions en responsabilité – réactivité, mobilité, interpellations, judiciarisation –, me semblent garantir une bonne politique du maintien de l'ordre. Mais je reconnais que tout cela est extrêmement difficile à faire de manière opérationnelle.
D'ailleurs, à aucun moment, depuis que j'ai quitté la place Beauvau, je n'ai mis en cause un ministre de l'Intérieur ou un préfet de police, car je sais la difficulté de ces fonctions. Ce n'est pas parce qu'on a cessé d'exercer des responsabilités qu'il faut se mettre à faire des commentaires sur tout, comme si on n'avait pas soi-même éprouvé des difficultés au moment où on était en responsabilité. Ce serait totalement irresponsable que de procéder ainsi : ne comptez pas sur moi pour faire des déclarations sur telle ou telle décision, car je sais la difficulté de la tâche. Je trouve que les orientations définies, sur ces questions, vont globalement dans la bonne direction.