Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du mercredi 9 décembre 2020 à 16h30
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre, ancien ministre de l'Intérieur :

Le travail d'objectivation de la gravité des faits de violence en vue de leur sanction relève de l'IGPN et de l'IGGN, qui jouent un double rôle.

Tout d'abord, à l'instar de l'Inspection générale de l'administration du ministère de l'Intérieur, elles conseillent le ministre, qui peut solliciter leur avis dans le cadre de réflexions prospectives, y compris sur les questions relatives au maintien de l'ordre. Ainsi, lorsque j'ai constaté que des grenades de désencerclement avaient occasionné des blessures importantes sur un individu lors d'une manifestation contre la « loi travail », j'ai demandé que l'on contrôle tous les stocks de grenades et que l'on me fasse des propositions sur les conditions d'utilisation de ces matériels. Sur ce sujet comme sur d'autres, tels la formation ou l'équipement des forces de l'ordre, les inspections générales peuvent jouer un rôle déterminant de conseil, qui n'est pas un rôle de sanction.

Ces inspections générales sont également amenées à intervenir après que des manquements sérieux et graves ont été constatés au sein des forces de l'ordre. Elles le font généralement en collaboration très étroite avec l'autorité judiciaire, qui est indépendante et qui les sollicite pour accomplir, aux côtés des magistrats, un travail d'investigation permettant de déterminer si les faits sont établis. Je tiens à rappeler ce cadre car je sais que la performance des inspections générales, leur capacité à sanctionner et leur indépendance font débat.

On peut sans doute aller plus loin en faisant intervenir le Défenseur des droits, même si j'ai parfois eu avec lui des débats difficiles et des rapports conflictuels, notamment lorsqu'il a tenu des propos injustes à l'égard de mon administration alors que j'avais engagé une opération de relocalisation et de protection des migrants à Calais. Mais j'ai toujours reconnu qu'il fallait que « par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir », pour reprendre l'expression de Montesquieu, et que le Défenseur des droits pouvait représenter un contre-pouvoir et exercer un contrôle utile dans une démocratie, même lorsqu'il exprime une indignation injuste. Il devrait inscrire son action dans le cadre d'un dialogue plus étroit avec les inspections générales.

On a évoqué la possibilité de nommer à la tête des inspections générales de très hauts fonctionnaires, pour une durée non renouvelable, de manière à renforcer leur indépendance. Je n'y suis pas défavorable – de même que je ne suis pas défavorable à la présence d'un représentant du Défenseur des droits au sein des inspections générales. En revanche, je souhaite que ces dernières ne voient pas leurs relations avec le ministre coupées, car elles jouent un rôle très important de conseil du Gouvernement.

Pour améliorer la perception des choses par l'opinion, le contrôle parlementaire comme celui qu'exerce votre commission d'enquête est déterminant. Je serais d'ailleurs très favorable à ce que l'action des forces de sécurité fasse l'objet d'une commission d'enquête permanente. La publication régulière de rapports, à l'instar de ce qui se fait déjà en matière de renseignement, permettrait d'assurer une certaine transparence sur le rôle des forces de l'ordre. Ainsi, le Parlement exercerait pleinement ses prérogatives de contrôle de l'exécutif sur des sujets où la question de l'exercice des libertés publiques fondamentales est constamment posée.

Enfin, il est très important de renforcer la relation du ministère de l'Intérieur avec l'université et le monde de la recherche. Les crédits en faveur de la recherche sur ce sujet avaient été complètement coupés, avant d'être rétablis à un niveau modeste, de l'ordre de 500 000 ou 600 000 euros, la dernière année où j'étais ministre de l'Intérieur, avec la volonté de les augmenter encore à l'avenir. On a eu grand tort de supprimer l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), créé à l'époque de Pierre Joxe, car on a besoin de lieux où universitaires, associations, ONG et administrations se rencontrent pour confronter leurs points de vue sur les sujets de sécurité. Le ministère de l'Intérieur ne peut rester recroquevillé sur lui-même, arc-bouté sur le seul objectif d'assurer la sécurité des Français, même si c'est sa mission régalienne ; il doit être capable de s'ouvrir, de rendre compte de son action et de parler avec l'ensemble des acteurs de la société. Moderniser ce ministère pour apaiser la relation avec la population, c'est aussi accepter de s'engager durablement et avec persévérance dans cette voie.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.