Il faut en effet adapter la doctrine d'intervention des forces de l'ordre, mais dans le respect rigoureux de l'équilibre que nous évoquons depuis le début de cette audition, qui est l'équilibre de la République. On ne peut pas rompre avec le principe de proportionnalité dans l'usage de la force, ni perturber, en s'inspirant de ce qui existe dans tel ou tel pays, l'équilibre entre le maintien ou le rétablissement de l'ordre et le respect de la liberté de manifestation – ces deux principes sont d'ailleurs étroitement liés.
Comme je l'ai déjà dit tout à l'heure, le maintien de l'ordre est d'autant plus facile que le dialogue avec les organisateurs des manifestations se passe bien. Il faut donc créer, en amont des manifestations, les conditions d'un dialogue étroit avec leurs organisateurs, dans un climat de confiance et de responsabilité partagée, même si chacun doit rester dans son rôle – ce n'est pas aux organisateurs des manifestations de prendre la responsabilité du maintien de l'ordre.
Il faut prévoir une capacité d'intervention pour rétablir l'ordre lorsque les choses dégénèrent, par exemple à cause de la présence de black blocs. Aussi le schéma national du maintien de l'ordre, qui apparaît comme un approfondissement des décisions prises en 2014 et 2015, va-t-il dans la bonne direction. Il faut maintenant veiller à ce que le dispositif français, qui consiste à assurer la mobilité des forces de l'ordre, leur capacité d'interpellation et l'engagement de poursuites judiciaires, fonctionne correctement. La sévérité doit s'imposer lorsque des casseurs empêchent les manifestations de se dérouler normalement, remettant ainsi en cause la liberté de manifester sereinement et pacifiquement. Le maintien de l'ordre à la française doit évoluer, s'adapter, dans le respect de la tradition de notre pays.
S'agissant des actes de terrorisme, j'ai conçu le schéma national d'intervention de sorte que l'une des trois forces d'intervention spécialisée puisse intervenir en tout point du territoire national en moins de vingt minutes. Cela montre la capacité de l'État à faire face à des actes d'une extrême violence ; là encore, c'est la condition de la confiance entre l'État et les citoyens et de l'efficacité des actions conduites par le ministère de l'Intérieur.
La proposition d'une direction métier dédiée au maintien de l'ordre mérite d'être examinée de près. La police nationale dispose d'une direction de la formation, tandis que la gendarmerie a ses propres dispositifs et ses propres écoles. Pour ma part, je suis très favorable à la création de lieux d'échanges d'expériences et à l'organisation de formations conjointes sur les sujets les plus sensibles.
M. le président Fauvergue a également proposé la déconnexion des inspections générales des directeurs généraux du ministère de l'Intérieur. Je ne suis pas du tout opposé à des évolutions quant au rattachement de telle ou telle structure à telle ou telle direction. Nous l'avons d'ailleurs déjà fait en matière de renseignement : ainsi, la direction générale de la sécurité intérieure a été rattachée directement au ministre de l'Intérieur lorsque la menace terroriste a augmenté, car il nous semblait nécessaire d'instaurer un lien opérationnel plus direct avec le ministre. En revanche, je serais très hostile à ce que les inspections générales sortent du champ du ministère de l'Intérieur, du fait du double rôle de ces structures, qui accomplissent déjà leurs missions en toute indépendance. Certes, on peut encore améliorer cette indépendance et renforcer les dispositifs de sanction en cas de manquement. Les prises de position du Défenseur des droits sont toujours susceptibles de crisper les ministres de l'Intérieur, mais j'ai été très sensible aux propos tenus par Mme Hédon dans La Croix. Ses propositions méritent d'être entendues et soumises au débat – chacun donnera sa vérité et nous réussirons à trouver un certain équilibre.
Je n'ai pas encore eu l'occasion de m'exprimer à propos des événements survenus place de la République, qui ont suscité débats et polémiques. Si l'on veut que ces opérations se passent dans de bonnes conditions et ne creusent pas le fossé entre les citoyens et l'État, il faut respecter quelques éléments de méthode. Lorsque nous avons procédé, à l'automne 2016, à l'évacuation en plusieurs jours de près de 12 000 personnes à Calais, les forces de l'ordre étaient présentes mais n'ont pas eu à intervenir. En effet, pendant des mois, en liaison avec les maires et les préfets, nous avons ouvert 675 stands d'accueil et d'orientation à travers le pays pour mettre les migrants à l'abri ; malgré quelques conflits, nous avons travaillé avec la Cimade, le Secours populaire et le Secours catholique pour que cette mise à l'abri se passe dans des conditions humaines conformes à l'idée que je me faisais de l'action du ministère de l'Intérieur. Cette préparation était très difficile et a pris beaucoup de temps, mais elle a permis de conduire l'opération de façon plus apaisée. Le dispositif de la place de la République était certes différent, du fait de la présence de migrants très vulnérables, de certaines organisations et sans doute aussi d'une part de manipulation, mais les images que nous avons vues ne sont pas conformes à l'idée que nous nous faisons d'une intervention du ministère de l'Intérieur. En préparant l'opération, en assurant le relogement des personnes évacuées, en expliquant dans les médias le but de l'intervention quelques heures avant celle-ci et en la conduisant de façon méthodique et sincère, les autorités auront moins d'ennuis que si elles agissent sous la pression.