Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du jeudi 17 décembre 2020 à 17h00
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Gérald Darmanin, ministre :

La question de la formation se pose pour tous les policiers nationaux et les gendarmes.

Pour le maintien de l'ordre, le plus important est l'entraînement, notamment avec les autres. À Paris, trois forces interviennent : les agents de la préfecture de police, les CRS et les gendarmes mobiles. Chacun a un responsable, une manière de faire et parfois du matériel différent. La coordination doit être parfaite, et l'action en commun exige beaucoup de répétitions. Or les terrains font défaut. Ainsi, les agents de la préfecture de police doivent sortir de la zone de la préfecture pour s'entraîner. Il se pose donc des problèmes de matériel, d'encadrants et de formateurs, et de temps pour se former.

À la formation que nous devons aux professionnels du maintien de l'ordre, il faut ajouter celle des policiers de voie publique, qui sont engagés pour le maintien de l'ordre de façon occasionnelle. Je rappelle que lors du mouvement des Gilets jaunes, nous avons connu 52 000 manifestations. C'était tous les samedis, parfois en semaine. Il fallait cependant continuer de garantir la liberté publique. Parfois, ce sont des policiers municipaux qui ont participé à ces opérations en province, alors que ce n'est pas du tout leur rôle. Les policiers nationaux ou les gendarmes de voie publique doivent donc également être formés ; nous devons y travailler.

La question de l'encadrement intermédiaire concerne l'ensemble de la police nationale et de la gendarmerie nationale, pas uniquement les unités chargées du maintien de l'ordre. De manière générale, lors des opérations de maintien de l'ordre, l'encadrement intermédiaire est sur le terrain, avec les sections de CRS et de gardes mobiles. Le problème de l'encadrement ne se pose donc pas vraiment pour eux. En revanche, la supervision est un enjeu. Il faut qu'il y ait toujours une personne pour contrôler et conseiller les autres, à l'image de ce qui a été mis en place pour les LBD. Ce n'est pas simplement par crainte qu'une personne utilise à mauvais escient une arme qui peut être létale, mais parce que, face à la peur causée par un manque d'expérience ou la violence extrême d'un groupe très proche, le réflexe humain peut conduire à utiliser cette arme. C'est le cas avec les LBD, qui ne sont pas toujours utilisés à la distance pour laquelle ils ont été conçus, ni conformément à la stratégie mise en place pour la manifestation. Le superviseur ne doit pas nécessairement être physiquement proche, les moyens techniques permettant de superviser les choses à distance, avec des images, du recul.

En matière d'encadrement, de manière générale, je pense qu'il devrait y avoir plus d'officiers ou de sous-officiers sur la voie publique, au milieu des femmes et des hommes qui servent la République sur le terrain.

Il faut aussi former les chefs. Commander implique des responsabilités particulières. Les hommes et les femmes du rang ne sont pas les seuls à devoir être formés. Le général de Gaulle disait que la culture générale était la meilleure formation pour être chef, mais il peut aussi être utile de comprendre les enjeux, les mouvements de foule, les casseurs ou les typologies de terrain, de savoir comment gérer la peur des hommes et les difficultés d'une situation donnée. L'encadrement doit donc être utilisé tous azimuts, mais le maintien de l'ordre est sans doute le domaine dans lequel il doit être le plus proche du terrain.

Concernant l'IGPN et l'IGGN, je répète que les inspections doivent rester à la main des administrations. Si nous détachions ces inspections de l'administration, il faudrait le faire dans tous les ministères. Pourquoi ne s'intéresser qu'aux inspections du ministère de l'Intérieur ? Il y a aussi des inspections à Bercy, au ministère de la Justice… Il est normal que le ministre et les directeurs généraux aient à leur main une inspection dans le cadre de procédures administratives.

L'IGPN travaille parfois pour l'autorité judiciaire. Ainsi, elle officie en tant que service d'enquête pour le procureur de la République de Paris dans l'affaire Zecler, et je peux assurer sous serment que je n'ai aucune information sur l'enquête en cours, qui a pourtant conduit à placer des policiers sous mandat de dépôt. Ce n'est pas parce qu'il nomme le chef de l'inspection que toutes les informations remontent au ministre. Le fait d'être organiquement rattaché à quelqu'un n'interdit pas l'indépendance dans l'action.

Pour autant, je partage l'idée qu'il faut améliorer le fonctionnement de l'IGPN. Lorsque l'IGPN fait des remarques, y compris dans des procédures administratives, elles ne sont pas contraignantes. Nous pourrions prévoir que l'administration soit tenue de répondre sous trois mois lorsque l'IGPN propose des sanctions. Nous pourrions aussi rendre ces propositions contraignantes ; aujourd'hui, un directeur général de la police nationale ou de la gendarmerie peut décider de ne pas appliquer la proposition de l'inspection. Peut-être cette décision devrait-elle être motivée. Nous pouvons également envisager de ne pas placer des policiers ou des gendarmes à la tête de ces inspections. Peut-être faut-il prévoir de rendre public leurs rapports ? C'est ce que j'ai fait chaque fois que j'ai eu à connaître d'inspections sur des sujets qui étaient publiquement débattus.

En tout cas, je pense qu'on peut maintenir l'IGPN et l'IGGN, sans créer des autorités administratives indépendantes, qui réduisent le pouvoir du politique et atténuent la responsabilité du ministre de l'Intérieur devant le Parlement, tout en améliorant nettement leur fonctionnement.

S'agissant du « Beauvau de la sécurité », je compte bien associer le Parlement au grand débat public sur la sécurité. Il complétera les réflexions prospectives du Livre blanc pour la sécurité Intérieure que j'ai fait publier.

Le président Fauvergue a noté que mon intervention sur les « sept péchés capitaux » avait fait florès – il est vrai que les péchés intéressent tout le monde. (Sourires.) Cela recouvre la formation initiale et continue, l'encadrement, les contrôles internes – donc l'IGPN et l'IGGN –, les moyens mis à disposition, la captation des interventions – nous avons longuement débattu de la question de l'image pendant l'examen de la proposition de loi sur la sécurité globale – le maintien de l'ordre, qui n'a pas toujours bénéficié des moyens nécessaires pour qu'il se fasse dans de bonnes conditions pour les policiers et les gendarmes, et le lien avec la population.

Je souhaite, après ma rencontre avec les syndicats de police demain et les représentants de la gendarmerie lundi prochain, que nous puissions lancer fin janvier les « Beauvau de la sécurité ». J'utilise le pluriel à dessein, car ce processus sera très décentralisé. J'entreprendrai un tour de France pour discuter directement avec les policiers et les gendarmes, leur encadrement, mais aussi le personnel administratif, les élus locaux, les associations et tous ceux qui s'intéressent aux questions de sécurité. Le tout, en lien parfait avec les parlementaires, permettra de créer les conditions de la loi de programmation qu'attend depuis longtemps le ministère de l'Intérieur, la fameuse LOPPSI.

Depuis le rattachement de la Gendarmerie nationale au ministère de l'Intérieur, alors que Nicolas Sarkozy était ministre de l'Intérieur, il n'y a pas eu de grande réflexion stratégique. Il a fallu gérer le terrorisme et d'importants problèmes d'ordre public, comme le mouvement des Gilets jaunes. Je suis très satisfait d'être le ministre de l'Intérieur qui mettra en place ce grand débat, en lien avec les élus.

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