N'étant pas un professionnel de la loi, je ne saurais anticiper les conséquences de son éventuel durcissement. Les opérations de destruction de matériel et de vivres, dont certains gendarmes m'ont montré des photos en 2016, m'ont paru d'une extrême dureté. Peut-être suis-je trop gentil. En tout cas, les forces armées n'épargnent rien. Elles vont jusqu'à défoncer des casseroles et brûler des denrées alimentaires, laissant des groupes de personnes, certes en situation illégale et qui polluent l'environnement, en pleine forêt sans aucun moyen d'approvisionnement, vu l'éloignement de Saint-Elie par rapport aux principaux fleuves.
Le manque d'efficacité des FAG s'explique par leur manque de formation et d'outils adéquats. Comment veut-on qu'un gendarme dirige des légionnaires s'il ne demeure qu'une quinzaine de jours à son poste dans une forêt labyrinthique, véritable enfer vert où règne un climat extrême ? Comment un gendarme qui ne revient en Guyane que tous les trois ans imposerait-il le respect à sa troupe de légionnaires, en admettant que ceux-ci aient reçu une formation adéquate ? Comment dirigera-t-il ses hommes dans une forêt qu'il ne connaît pas, puisqu'il ne reste pas deux années de suite posté sur le même site ? Un véritable problème de stratégie se pose.
Je préconise de déployer les hommes pendant un an, voire deux, sur des postes fixes, le temps pour eux d'acquérir une bonne connaissance du terrain. Il faudrait en outre leur donner les moyens de se pourvoir en cartes adaptées à leurs besoins. En forêt, avant même de chercher le moindre grain d'or, je dois établir un état des lieux de ma zone de prospection, en y repérant les moindres sentiers, pistes, sommets et collines, les anciens puits et chantiers clandestins. Cette première phase de cartographie topographique et stratégique me prend au moins un mois. Il est impossible à un militaire d'y parvenir en quinze jours. Il m'a fallu plus d'un an pour établir une carte du secteur de Pedral, qui ne couvre pourtant que dix kilomètres carrés.
Les clandestins utilisent des caches de matériel très simples, à quelques dizaines de mètres après la bifurcation d'un sentier. Ils les dissimulent par des branches coupées, que seule permet de remarquer une bonne connaissance du secteur, due à sa fréquentation régulière.
Saint-Elie est à n'en pas douter un foyer de ravitaillement des orpailleurs clandestins. J'y ai surpris des fêtes avec des prostituées dansant en plein air. Le bourg de Saint-Elie ne devrait pas être une zone de non-droit. La société des mines de Saint-Elie a déposé, en décembre ou janvier dernier, une plainte, appuyée par des photos montrant des caches de matériel et des sentiers menant, à travers la forêt, du bourg aux sites d'orpaillage clandestins. La situation est connue depuis longtemps.
Malgré une affaire des plus graves en 2008, la connivence entre les habitants du bourg et les clandestins n'a jamais cessé. Ma direction m'a d'ailleurs toujours défendu de m'y rendre, bien qu'un kilomètre et demi seulement le sépare de la base vie de la mine, sous peine que je m'y retrouve mêlé aux clandestins. Je ne m'y suis de fait risqué que pour réaliser des repérages en vue de l'exploitation de la crique en bas du village. Ce bourg de Saint-Elie sert de base opérationnelle logistique aux clandestins. Pourquoi les gendarmes n'y stationnent-ils plus depuis 2017 ? Il serait plus simple d'en laisser 3 à Saint-Elie que d'envoyer 30 légionnaires en forêt.