Commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en guyane

Réunion du mercredi 12 mai 2021 à 15h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA LUTTE CONTRE L'ORPAILLAGE ILLÉGAL EN GUYANE

Mercredi 12 mai 2021

La séance est ouverte à quinze heures.

(Présidence de M. Bruno Duvergé, vice-président de la commission d'enquête)

La commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane procède à l'audition de M. Vincent Blanchard, géologue d'exploration – ingénieur géologue.

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L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Vincent Blanchard prête serment.)

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Vincent Blanchard, géologue d'exploration – ingénieur géologue

Né à Roanne en 1978, titulaire d'un Diplôme d'études supérieures spécialisées (DESS) en exploration et gestion des ressources minérales délivré par l'institut des sciences de la terre d'Orléans et l'Université du Québec à Montréal, j'ai d'abord assuré des prestations géophysiques pendant un an et demi au Maroc, à la recherche d'eau et de ressources minérales, avant de travailler, huit années durant, pour Areva, à l'exploration d'uranium naturel en Mongolie et au Gabon. La société des mines de Saint-Elie m'a recruté en septembre 2015 en vue de l'exploration de minerai d'or en Guyane, sur la concession de Saint-Elie et le permis exclusif de recherches (PER) Pedral. C'est à cette occasion que j'ai été confronté à l'orpaillage illégal et aux interventions des Forces armées de Guyane (FAG) lors des opérations Harpie.

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Notre commission souhaite bénéficier de votre éclairage sur la conduite des opérations Harpie sur le terrain. Les jugez-vous pertinentes, tant en ce qui concerne la forme qu'elles revêtent, que le matériel et les effectifs leur étant dévolus ? Les résultats obtenus par ces opérations Harpie nous inspirent un sentiment mitigé.

Depuis mon élection à l'Assemblée nationale en 2012, je n'ai eu de cesse d'interpeller le gouvernement sur la nécessité de s'organiser pour éradiquer l'orpaillage illégal, aux externalités négatives bien connues. Ce fléau détruit la forêt, la biodiversité, empoisonne les cours d'eau et la population qui vit aux abords des sites clandestins.

Nos précédentes auditions nous ont parfois laissés sur notre faim, nous livrant l'impression d'un combat inégal entre les forces de l'État et des garimpeiros extrêmement bien organisés. Nous nous interrogeons dès lors sur l'espoir de mettre un jour un terme à l'orpaillage illégal à l'aide des moyens actuellement engagés dans la lutte.

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Vincent Blanchard, géologue d'exploration – ingénieur géologue

Mes premiers contacts avec les FAG ont eu lieu par l'intermédiaire du chef de mine du site de Saint-Elie. Il les recevait régulièrement afin d'établir avec ces forces de bonnes relations et de montrer qu'en tant qu'acteurs miniers, nous étions réceptifs à leur présence, bénéfique pour nous, puisque leurs visites régulières de nos installations nous permettaient de montrer aux observateurs illégaux que nous n'étions pas seuls dans la forêt et que notre service de sécurité n'était donc pas le seul à nous protéger.

En échange, nous avons beaucoup aidé les FAG en les dépannant à l'occasion ou en leur transmettant des informations. Notre mission première ne consistait pas, bien sûr, en l'observation systématique de l'orpaillage illégal. Toutefois, nous avons pu renseigner les FAG sur la fréquence des passages constatés des clandestins ou des découvertes inopinées de dépôts de carburant en forêt.

Au fil de ces échanges, à mesure que je gagnais en expérience, j'ai personnellement transmis à des officiers de gendarmerie des cartes détaillées, indiquant des pistes pour engin lourd ou quad, afin de les aider à se repérer sur le terrain, tâche d'autant plus ardue qu'une végétation exubérante cache les moindres points de repère dans la forêt amazonienne. Les forces de l'ordre ne disposaient que de documents cartographiques inappropriés, à l'échelle inadéquate, comme si elles se repéraient sur une carte de la France entière pour visiter Paris. Il me paraît impératif de s'appuyer sur un document à l'échelle du millième ou du cinq-centième en Amazonie, or les FAG ne possédaient que des cartes à l'échelle du vingt-millième ou du dix-millième, sur lesquelles leurs objectifs se réduisaient à des pattes de mouche.

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À quelle période vous référez-vous exactement ? La situation a-t-elle évolué par la suite ou perdure-t-elle encore ?

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Vincent Blanchard, géologue d'exploration – ingénieur géologue

Je n'ai travaillé à Saint-Elie que de septembre 2015 à décembre 2017, soit un peu plus de deux ans, selon des rotations d'environ dix semaines sur place, suivies de trois semaines de repos en métropole. La durée de mon séjour en Guyane m'a amplement permis d'apprécier la situation. J'ai de fait passé plus de temps à Saint-Elie que les équipes de gendarmes, dont les rotations sur ce site s'enchaînaient toutes les deux à trois semaines.

J'ai transmis mes premières cartes en 2016, avant d'y renoncer sur les conseils de ma direction. Celle-ci craignait que le bruit de ma collaboration avec les FAG, au cas où il serait parvenu aux clandestins, ne mette ma sécurité en péril. De fait, un clandestin m'a un jour adressé des menaces claires, au cas où je « parlerais ». Je reconnais ne pas m'être montré très prudent. N'étant pas un professionnel du renseignement, je n'ai pas tout de suite mesuré la gravité de la situation. Il a fallu que ma direction m'alerte sur les dangers qu'encourait mon intégrité physique pour que je renonce à m'impliquer. Ma rémunération tenant à mon efficacité sur le terrain et, donc, à ma liberté de mouvement, j'ai résolu de mettre un terme à ma collaboration avec les forces de l'ordre, à mon grand regret. Après tout, je n'étais venu en Guyane que pour gagner ma vie et bien faire mon travail.

Les gendarmes en poste à Saint-Elie, pas toujours présents sur place du fait de la brève durée de leurs rotations, n'avaient pas pour mission particulière de protéger les personnels de la mine. Or je ne bénéficiais d'aucune protection spéciale lors de mes déplacements en forêt, à quelques dizaines de kilomètres de la mine, puisque son personnel de sécurité veillait avant tout sur la production aurifère, à savoir la fonte des lingots et leur expédition.

Je n'ai fourni en tout que cinq cartes aux FAG en 2016. En 2017, je me suis mis en retrait, laissant l'initiative à mon chef de mine, qui collaborait activement avec les FAG. Il leur assurait un appui logistique en leur prêtant la barge de la société des mines de Saint-Elie, au barrage du Petit Saut, et les dépannait au besoin sur la concession.

Dans le cadre du PER Pedral, titre minier pour l'exploration de l'or, j'ai mené, en 2017, une campagne d'exploration minière par tranchées. D'une profondeur de 3 à 4 mètres, celles-ci comportaient un palier de sécurité à moins d'un mètre à un mètre et demi du sol.

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Vos recherches se sont-elles déroulées sur le site de Saint-Elie ?

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Vincent Blanchard, géologue d'exploration – ingénieur géologue

Nous avons établi un camp provisoire baptisé « Pedral espoir », aux limites de la concession de Saint-Elie, sur un ancien site clandestin, à quarante minutes en quad de la base vie de la mine de Saint-Elie, où je me ravitaillais régulièrement. À l'échelle de la Guyane, ces sites se confondent.

Le bourg de Saint-Elie se situe à une petite centaine de kilomètres à l'ouest de Cayenne. La base vie de la mine, propriété de la société des mines de Saint-Elie, se trouve à un kilomètre et demi au sud de la commune. Notre camp provisoire, aujourd'hui démantelé, à dix kilomètres au nord-ouest, se réduisait à un carbet et des sanitaires.

Ma campagne d'exploration a duré quatre mois, assez longtemps pour aménager une piste forestière, après une déclaration « loi sur l'eau », une autre auprès de l'ONF, et une déclaration d'ouverture de travaux miniers, obligatoire avant des excavations d'un volume inférieur à 20 000 mètres cubes. Ayant respecté les procédures, je ne voyais aucune raison à ce que les administrations locales ne soient pas informées de notre activité en forêt.

Les FAG sont intervenues à deux reprises dans le périmètre de notre zone de travaux. La première fois, une dizaine d'hommes sont arrivés au petit matin sur un sentier. La tranchée que nous ouvrions alors ne l'avait pas encore coupé. Ils nous ont demandé si nous avions repéré des clandestins. Nous leur avons simplement répondu que ceux-ci s'implantaient en général à l'ouest de notre mine, ne voulant pas trop nous impliquer pour éviter tout problème de sécurité.

À leur retour en fin d'après-midi, notre tranchée avait coupé le sentier. Loin de songer à nous demander par où la contourner, les légionnaires armés, chargés de 20 à 30 kg d'équipement chacun, et emmenés par un gendarme, ont sauté un à un au-dessus de la tranchée large de 3 à 4 mètres. Leur conduite m'a interloqué et m'a paru d'autant plus dangereuse qu'un simple détour de 30 mètres leur aurait permis de passer sans risque. Si l'un d'eux était tombé, à qui en aurait incombé la responsabilité ? Je n'ai certes pas songé à les arrêter, mais je ne me trouvais pas en position de donner des ordres à ces hommes, qu'encadrait un gradé.

Le récit de cet incident m'évoque le drame qui s'est déroulé en 2018 sur le site de Saint-Jean Petit Abounami, où trois légionnaires sont morts asphyxiés par des gaz dans une galerie clandestine. L'article de presse qui relatait l'accident m'a interpellé. Je devais alors rédiger une demande de PER dans la zone. Je me suis rappelé les prises de risque inutiles dont j'avais été le témoin. J'ai moi-même toujours refusé de pénétrer dans des galeries ou puits clandestins. Plus jeune, en tant que spéléologue, j'ai reçu de nombreuses mises en garde contre d'éventuelles libérations de gaz dans des galeries inconnues. Une campagne de désobstruction à l'aide de petites charges explosives dans une grotte naturelle de l'Hérault m'a fait mesurer les risques que présentent les gaz libérés à la suite d'explosions. L'accident relaté par la presse m'a amené à la conclusion que les légionnaires n'avaient pas reçu de formation adéquate. Il m'a par ailleurs remis en mémoire les risques pris par les légionnaires croisés à Pedral, alors qu'ils se trouvaient à une demi-heure d'hélicoptère du moindre service d'urgence.

J'insiste sur ces prises de risques inutiles, car j'estimerais dommage qu'à l'avenir des accidents dramatiques touchent d'autres membres des FAG insuffisamment formés à leur mission. Dans mon environnement professionnel chez Areva, la sécurité passait avant tout. Il doit en aller de même pour les FAG, qui n'interviennent pas en Guyane sur un champ de guerre, malgré le danger que présentent certains orpailleurs clandestins violents. La plupart des opérations des FAG n'ont pas à se dérouler dans l'urgence.

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Votre exposé des risques inconsidérés pris par les militaires nous ramène à la question récurrente de leur formation. Préparent-ils au mieux leurs opérations ? Au sentiment qu'ils ne bénéficient pas d'une préparation adéquate s'ajoute l'impression d'une insuffisance de leur nombre face à un adversaire qui pullule dans la forêt.

Pourriez-vous en dire plus sur les relations qui existeraient entre les orpailleurs légaux et illégaux ? Avez-vous observé lors de votre séjour en Guyane une éventuelle solidarité des uns avec les autres, de nature à perturber la qualité du travail des FAG ? Certains clandestins, avertis de l'imminence d'opérations Harpie dans leur secteur, se préparent en effet à l'arrivée des militaires, ce qui nuit à l'efficacité de ces derniers.

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Vincent Blanchard, géologue d'exploration – ingénieur géologue

Je vous relaterai, si vous le permettez, une deuxième intervention des FAG dans la zone de Pedral.

D'abord, concernant la supposée connivence entre orpailleurs légaux et illégaux, ma direction m'a toujours strictement interdit la moindre collaboration, de toute manière illégale et déraisonnable, avec des clandestins, sous peine de nous attirer des ennuis en mettant le pied dans un engrenage dramatique. Apporter un soutien aux clandestins m'apparaît donc hors de question, tant du point de vue du respect de la loi que de notre stratégie locale.

Par ailleurs, des chercheurs d'or clandestins nous volent régulièrement du carburant. En tant que géologue d'exploration, je n'ai pas de permis de port d'arme et ne suis pas formé à la sécurité contre le banditisme. Il s'avère extrêmement désagréable au passionné de géologie que je suis, amoureux de la nature, d'évoluer dans un environnement marqué par la présence constante d'armes, qui me mettent mal à l'aise. La société qui m'emploie est obligée d'engager des professionnels armés pour défendre le site de Saint-Elie. Il m'est difficile de me sentir tranquille en forêt quand j'y croise des garimpeiros munis ne serait-ce que d'un fusil de chasse.

Un jour que j'attendais un véhicule au lac de Petit Saut, une pirogue de clandestins a déposé à terre une dame mal en point. Des orpailleurs brésiliens en règle, qui se trouvaient là, ont commencé à discuter en portugais avec elle. Une balle lui avait à moitié arraché le talon. Les opérateurs miniers légaux, craignant la remise en cause de leur titre de séjour sur le territoire français s'ils s'impliquaient dans des affaires de clandestins, ne voulaient pas appeler les secours. Ils m'ont prêté le téléphone satellite de leur chef pour que je m'en charge, ce que j'ai finalement fait après une communication avec la direction d'Auplata, un concurrent de la société qui m'employait, avec lequel nous entretenions de bonnes relations. L'incident illustre que toute tentative d'aide aux clandestins, de la part d'acteurs légaux, implique de mettre le pied dans un engrenage dangereux, autant pour la notoriété de notre profession que pour la légalité de nos opérations, sans même parler des risques pour notre sécurité individuelle.

En résumé, je n'ai noté aucune collaboration entre orpailleurs clandestins et légaux sur le site de Saint-Elie. Avant de creuser des tranchées dans les environs de Pedral, j'ai dû baliser des chemins. J'ai indiqué aux clandestins que j'ai croisés qu'ils devaient évacuer la zone avant le passage des engins de chantier. Ils ont arraché mes fanions de balisage, que j'ai dû replanter tous les 10 à 50 mètres sur une longueur de 5 kilomètres.

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Les propos de M. Blanchard à propos du respect de la loi m'évoquent la conviction exprimée devant nous par M. Lecornu que la lutte contre l'orpaillage illégal doit se heurter à une limite : le respect de l'Etat de droit. J'ai signalé au ministre que les Brésiliens étaient parvenus à « nettoyer » le Nordeste des chercheurs d'or clandestins. M. Lecornu estimait inimaginable, au vu des conditions de traitement de ces hommes, que la France mette en place des opérations du même acabit, bafouant certains droits élémentaires.

Loin de moi la volonté de passer outre le respect des droits humains. Ne pensez-vous toutefois pas, M. Blanchard, qu'il faudrait renforcer notre cadre répressif, juridique et pénal, nonobstant les amendements de la loi climat et résilience durcissant les relations avec les orpailleurs illégaux ? Notre République ne doit pas leur donner une impression de laxisme et de permissivité. Souvent, les images qui nous parviennent des opérations Harpie montrent des destructions de matériel sous les yeux de garimpeiros sachant pertinemment qu'ils reprendront leur activité en moins de quarante-huit heures, grâce à des caches de matériel en forêt.

N'avez-vous pas le sentiment que nous pédalons dans le vide, faute de nous donner les moyens de mettre hors d'état de nuire ces garimpeiros ? Quel regard portez-vous sur le niveau de répression des opérations Harpie ?

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Vincent Blanchard, géologue d'exploration – ingénieur géologue

N'étant pas un professionnel de la loi, je ne saurais anticiper les conséquences de son éventuel durcissement. Les opérations de destruction de matériel et de vivres, dont certains gendarmes m'ont montré des photos en 2016, m'ont paru d'une extrême dureté. Peut-être suis-je trop gentil. En tout cas, les forces armées n'épargnent rien. Elles vont jusqu'à défoncer des casseroles et brûler des denrées alimentaires, laissant des groupes de personnes, certes en situation illégale et qui polluent l'environnement, en pleine forêt sans aucun moyen d'approvisionnement, vu l'éloignement de Saint-Elie par rapport aux principaux fleuves.

Le manque d'efficacité des FAG s'explique par leur manque de formation et d'outils adéquats. Comment veut-on qu'un gendarme dirige des légionnaires s'il ne demeure qu'une quinzaine de jours à son poste dans une forêt labyrinthique, véritable enfer vert où règne un climat extrême ? Comment un gendarme qui ne revient en Guyane que tous les trois ans imposerait-il le respect à sa troupe de légionnaires, en admettant que ceux-ci aient reçu une formation adéquate ? Comment dirigera-t-il ses hommes dans une forêt qu'il ne connaît pas, puisqu'il ne reste pas deux années de suite posté sur le même site ? Un véritable problème de stratégie se pose.

Je préconise de déployer les hommes pendant un an, voire deux, sur des postes fixes, le temps pour eux d'acquérir une bonne connaissance du terrain. Il faudrait en outre leur donner les moyens de se pourvoir en cartes adaptées à leurs besoins. En forêt, avant même de chercher le moindre grain d'or, je dois établir un état des lieux de ma zone de prospection, en y repérant les moindres sentiers, pistes, sommets et collines, les anciens puits et chantiers clandestins. Cette première phase de cartographie topographique et stratégique me prend au moins un mois. Il est impossible à un militaire d'y parvenir en quinze jours. Il m'a fallu plus d'un an pour établir une carte du secteur de Pedral, qui ne couvre pourtant que dix kilomètres carrés.

Les clandestins utilisent des caches de matériel très simples, à quelques dizaines de mètres après la bifurcation d'un sentier. Ils les dissimulent par des branches coupées, que seule permet de remarquer une bonne connaissance du secteur, due à sa fréquentation régulière.

Saint-Elie est à n'en pas douter un foyer de ravitaillement des orpailleurs clandestins. J'y ai surpris des fêtes avec des prostituées dansant en plein air. Le bourg de Saint-Elie ne devrait pas être une zone de non-droit. La société des mines de Saint-Elie a déposé, en décembre ou janvier dernier, une plainte, appuyée par des photos montrant des caches de matériel et des sentiers menant, à travers la forêt, du bourg aux sites d'orpaillage clandestins. La situation est connue depuis longtemps.

Malgré une affaire des plus graves en 2008, la connivence entre les habitants du bourg et les clandestins n'a jamais cessé. Ma direction m'a d'ailleurs toujours défendu de m'y rendre, bien qu'un kilomètre et demi seulement le sépare de la base vie de la mine, sous peine que je m'y retrouve mêlé aux clandestins. Je ne m'y suis de fait risqué que pour réaliser des repérages en vue de l'exploitation de la crique en bas du village. Ce bourg de Saint-Elie sert de base opérationnelle logistique aux clandestins. Pourquoi les gendarmes n'y stationnent-ils plus depuis 2017 ? Il serait plus simple d'en laisser 3 à Saint-Elie que d'envoyer 30 légionnaires en forêt.

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Vous semble-t-il concrètement possible d'établir à Saint-Elie une base permanente de gendarmes ?

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Vincent Blanchard, géologue d'exploration – ingénieur géologue

En 2016, le village accueillait un poste de gendarmerie. Il me semble que trois gendarmes équipés de quads y stationnaient en permanence. Un jour qu'ils étaient en service, ils m'ont d'ailleurs invité à partager avec eux un verre d'Orangina. Je pense que c'est à cause de cela que les clandestins m'ont menacé par la suite.

Pourquoi la moitié des interventions des FAG dans la zone de Pedral ne donnent-elles aucun résultat ? À l'évidence, parce que quelqu'un, à Saint-Elie, en avertit les clandestins par téléphone satellite. M. Yannick Manet, un prestataire qui travaille depuis longtemps en Guyane, avec la société Protection Sûreté Fédéral, affirme que, chaque fois qu'il arrive de Saint-Elie à Pedral, l'essentiel du matériel, sur les sites clandestins, est déjà démonté ou, du moins, emballé et prêt à partir.

Je ne m'estime pas compétent pour évaluer les effets d'un éventuel durcissement de la loi. En revanche, il faut absolument former les équipes envoyées sur place et leur donner les moyens cartographiques d'assurer au mieux leur mission. Les garimpeiros se montrent particulièrement réactifs. Nous devons suivre leur exemple.

Je reconnais que former des gendarmes à l'art de dresser des cartes suppose un coût. Je rappelle toutefois qu'un logiciel de cartographie performant, open source, libre et gratuit, QGIS, dont je me sers moi-même, permet de mettre à jour une carte en deux heures. Il suffit d'une mise à jour hebdomadaire pour guider une équipe chargée d'explorer des sites où une nouvelle activité minière a été détectée.

Une bonne carte permet en outre de mieux organiser les déplacements en forêt, particulièrement éprouvants à pied quand il faut porter un paquetage. Un gain de temps de trajet représente un gain d'énergie, essentielle pour attraper les clandestins.

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Les explications de M. Blanchard confortent mes doutes et mes craintes quant à l'absence d'une réelle volonté politique de consacrer les moyens nécessaires à l'éradication de l'orpaillage illégal. Les pistes évoquées par M. Blanchard, simples et relevant du pur bon sens, n'impliquent pas de dépenser des millions.

De toute évidence, avant de se lancer à la chasse aux garimpeiros, il faut connaître le terrain, disposer de cartes valables et d'hommes formés à la vie en forêt. L'acclimatation à cet espace hostile n'est manifestement pas possible en deux ou trois semaines à peine. Nous l'avions d'ailleurs signalé à la ministre des armées Florence Parly lors de sa venue en Guyane. Les FAG lui ont à cette occasion expliqué qu'ils passaient un tiers de leur séjour en Guyane, de trois mois seulement parfois, à s'adapter au terrain.

Nous avons soulevé la possibilité que des militaires restent plus longtemps en poste dans le département, voire que certains constituent un corps spécialement dédié à la lutte contre les garimpeiros dans la forêt, où ils stationneraient plus longuement. Sans doute faudrait-il aussi déployer plus d'hommes sur les 80 000 kilomètres carrés du territoire guyanais, où se disséminent 10 000 à 12 000 chercheurs d'or. Au nombre de 300 à peine au quotidien, les militaires des FAG ne peuvent mener qu'un combat inégal contre les orpailleurs clandestins, sans grandes chances de parvenir à leur éradication.

Je remercie M. Blanchard pour sa franchise. Nous avons bien senti combien le constat que l'État ne consacre pas les moyens nécessaires à la lutte contre l'orpaillage illégal lui serre le cœur. Notre commission s'est donné pour objectif de faire admettre au gouvernement la nécessité d'un changement de paradigme pour que celui-ci adopte des solutions valables sur le terrain.

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Vincent Blanchard, géologue d'exploration – ingénieur géologue

J'aimerais évoquer ma deuxième confrontation avec les FAG sur le site de Pedral en 2017, lors de notre campagne de tranchées. Un soir que nous rentrions à notre camp provisoire, « Pedral espoir », après une journée de travail, une trentaine de légionnaires sont arrivés. Ils ont demandé à profiter de notre site pour y passer la nuit, ce que j'ai volontiers accepté, content d'aider ces hommes dont je salue le combat, et de bénéficier de leur présence à la fois sympathique et sécurisante. Trois gendarmes encadraient la troupe, dont une femme, qui la dirigeait.

J'ai découvert avec étonnement, en discutant avec eux, qu'ils marchaient depuis deux jours sans rien trouver. Plus surprenant encore, la cheffe de troupe ne semblait pas au courant de notre présence en forêt, malgré les déclarations « loi sur l'eau » et d'ouverture de travaux miniers déposées auprès des administrations compétentes. Rappelons que le chef de la mine de Saint-Elie collaborait régulièrement avec les FAG.

Les légionnaires, à leur arrivée dans notre camp, ignorant qui nous étions et ce qui nous amenait en forêt, ne savaient pas si nous allions les aider ou non. La cheffe de troupe a paru me soupçonner, dans un premier temps, d'être un clandestin. Bien que je me sois ensuite présenté à elle comme le responsable du camp, elle a poursuivi la discussion avec mon stagiaire géologue afin de lui soutirer le plus d'informations possible. Je l'ai perçu comme un manque de respect, à l'origine d'un problème de communication. Comment établir une confiance mutuelle dans ces conditions ?

La cheffe a ensuite demandé si la troupe pouvait se doucher à notre camp. Nous avons donné notre accord, mais avant dix-sept heures, puisque nous devions nous-mêmes nous doucher ensuite. La troupe a largement dépassé l'horaire indiqué, au mépris de ses engagements. Mon équipe et moi-même travaillions au camp dans des conditions très pénibles et tenions beaucoup à pouvoir nous laver.

En plus de ce manque de respect, la cheffe de troupe est venue prendre sa douche à côté de moi, me demandant si j'accepterais de lui vendre un quad. Elle a ainsi porté le comble à son manque de respect, par une tentative de corruption d'un employé légal s'efforçant d'effectuer son travail honnêtement. La troupe manquait d'informations, alors qu'il lui aurait été facile d'en obtenir. Le prix de son déplacement en pleine forêt, deux jours durant, correspond à un gaspillage des ressources.

Les légionnaires nous ont demandé où nous pensions que se cachaient les clandestins. Nous leur avons répondu à l'ouest, le secteur est ayant déjà été ratissé par les FAG. Ils sont malgré tout repartis vers l'est. Le lendemain soir, je les ai croisés à la base vie de Saint-Elie en allant m'y ravitailler. Ils m'ont informé qu'ils n'avaient rien trouvé.

Le bilan de leur opération, d'une nullité stratégique absolue, m'a fait perdre toute confiance en les FAG. J'ai récemment dialogué avec un collègue employé par Reunion Gold sur le site de Boulanger, qui m'a rapporté une confrontation du même ordre. Les FAG sont arrivées sur son chantier, à l'ouverture pourtant signalée à l'administration, en croyant avoir affaire à des clandestins.

Si les légionnaires que j'ai croisés à Pedral s'étaient adressés à ma direction, nous leur aurions signalé l'existence de la piste que nous venions d'ouvrir, leur évitant ainsi une marche pénible en forêt. Avant de modifier les lois, il faudrait établir une meilleure collaboration entre les FAG et les acteurs miniers légaux, pleins de bonne volonté. La présence des FAG auprès de nos sites les sécurise et confirme notre légitimité à pratiquer une activité minière.

J'espère que les travaux de votre commission porteront leurs fruits et contribueront à la préservation du magnifique environnement que constitue la forêt amazonienne.

La réunion se termine à seize heures dix.