Intervention de Pascal Vardon

Réunion du mercredi 19 mai 2021 à 15h00
Commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en guyane

Pascal Vardon, directeur du Parc amazonien de Guyane :

Bonjour. Je suis le directeur du Parc amazonien de Guyane. À mes côtés, se trouvent Arnaud Anselin, le directeur adjoint et Denis Lenganey, le coordinateur police. Ce dernier suit plus particulièrement le côté opérationnel de la lutte contre l'orpaillage illégal, réalisée par les inspecteurs de l'environnement du Parc et l'Opération Harpie (gendarmes et forces armées de Guyane), la Préfecture et l'ONF.

L'orpaillage illégal était déjà un sujet majeur avant la création du Parc en 2007. Il était au cœur de la mission qui s'est déroulée de 1995 à 2006 pour la création du Parc.

Nous souhaitons vous exposer ce que représente la lutte contre l'orpaillage illégal pour le Parc amazonien et répondre à vos questions. Je salue l'ensemble des membres de la commission d'enquête parlementaire.

La première diapositive montre que le Parc amazonien est riche sur le plan de la biodiversité, mais également sur le plan humain à travers la culture locale (amérindienne, bushinengué et créole). La jeune génération est nombreuse ; elle est le symbole de l'avenir de ce territoire du sud de la Guyane.

A contrario, les manifestations de l'orpaillage illégal montrent une altération profonde des sols, une déforestation, une pollution des rivières (appelées ici des criques). Les travailleurs illégaux (pour la plupart originaires du Brésil) viennent chercher de l'or, le long des criques sous forme alluvionnaire, mais aussi dans des galeries (or primaire).

Le contraste entre les deux premières diapositives est un peu violent, mais volontaire.

Le Parc amazonien est un des plus récents parcs nationaux. Il a été créé en 2007 en même temps que le Parc de la Réunion. Il est aussi grand que tous les autres parcs nationaux réunis. Sa taille est celle de la région Nouvelle-Aquitaine. Il occupe 48 % du territoire guyanais. Le Parc comprend une zone de cœur, où la protection est forte, et une zone d'adhésion, périphérique à cette zone de cœur, où les implantations sont multiples. Ainsi, si le siège du Parc est situé à Rémire-Montjoly, des délégations territoriales et des antennes sont situées dans toute la zone d'adhésion. Les enjeux y sont différents : un fort accent est mis sur la préservation des modes de vie, la mise en valeur du patrimoine culturel et de sa transmission et le développement local.

Le Parc occupe 3,4 millions d'hectares ; sa superficie est de 44 000 km2. Il est contigu au parc national brésilien des montagnes du Tumucumaque. L'ensemble forme un continuum de forêt amazonienne et un espace remarquable en termes de biodiversité et de culture. Les populations y vivent depuis des siècles, voire des millénaires.

Cinq communes, les plus grandes de France, se situent en zone d'adhésion. Maripa-Soula est ainsi grande comme deux départements français. Les contraintes logistiques sont donc fortes.

Notre Parc est un établissement public à caractère administratif ; il compte 86 agents pérennes.

La population nous rappelle régulièrement la promesse formulée par le Président Jacques Chirac à l'occasion de la création du Parc. En janvier 2005, lors de la conférence de Paris sur la biodiversité, il avait en effet indiqué : « Dans le parc national de Guyane, l'orpaillage illégal sera éradiqué. » Ces termes sont gravés dans la mémoire des populations, notamment des chefs coutumiers qui structurent les communautés traditionnelles, le long du Maroni. Ces propos sont régulièrement répétés aux équipes du Parc et à ses partenaires. La promesse du Parc n'a pas été tenue.

L'orpaillage illégal induit des pratiques extrêmement destructives où les sols sont abimés. Les alluvions le long de criques sont liquéfiées ; elles deviennent une boue qui est ensuite traitée pour l'extraction des paillettes d'or. Les ouvriers utilisent des lances à haute pression. Ces boues, après usage, sont relarguées dans la nature.

La photographie de la confluence entre l'Inipi et la Camopi montre un contraste de couleur. La rivière Camopi est naturellement sombre. L'affluent, fortement touché par l'orpaillage illégal, est plus clair ; il relargue des boues contenant le mercure présent dans les sols, mais aussi le mercure utilisé dans le processus de séparation de l'or. Le mercure est transformé par des bactéries naturelles dans une forme assimilable dans la chaîne alimentaire. L'homme consomme ainsi des poissons imprégnés de mercure par bioaccumulation. Les concentrations augmentent au fur et à mesure de la chaîne alimentaire. Nous constatons une forte imprégnation au mercure dans les populations locales.

La photographie suivante montre, dans une zone située sur le Haut-Maroni, un cratère de 150 mètres de large et de 50 mètres de hauteur. Il s'agit d'un site majeur, traité de longue date, avec les forces Harpie, armées et gendarmes, qu'il est difficile de supprimer, compte tenu de sa proximité avec le Suriname et de la facilité de réapprovisionnement logistique.

La photographie suivante montre une autre sorte d'exploitation, l'exploitation d'or primaire avec des galeries souterraines. Les arbres ont été abattus. Un processus de concassage des cailloux de quartz qui sont sortis de ces galeries est mis en œuvre.

La photographie suivante montre le traitement des sédiments par quelques haies de végétaux. Tout part ensuite à la rivière puis au fleuve, provoquant la colère des habitants qui ne peuvent plus pêcher ou utiliser les ressources naturelles.

Nous avons eu l'occasion d'organiser différents ateliers en 2020, avec des chefs coutumiers et le sous-préfet aux communes de l'intérieur. Les ateliers ont permis aux populations de s'exprimer. Elles mettent en lumière la perspective longue entre la mission de création du parc et maintenant. Une affiche mentionne : « On se fout de nous ! L'État méprise les Amérindiens ! » Une autre indique : « L'orpaillage a changé nos modes de vie. On a peur pour notre sécurité. On ne peut plus pêcher, chasser tranquilles. » Toutes les composantes des forces Harpie étaient présentes pour entendre ces expressions, mais aussi pour expliquer les efforts mis en œuvre et les difficultés rencontrées.

Un comptage des sites illégaux actifs sur le territoire du Parc est réalisé depuis la création du Parc, deux à trois fois par an. Nous procédons par hélicoptère et nous utilisons toujours la même méthodologie de comptage pour que les données soient comparables.

À la création du Parc, une centaine de sites illégaux avait été comptée. En 2011 et 2012, l'État a mis en œuvre des moyens particuliers sur le sud de la Guyane. Le nombre de sites illégaux est ainsi tombé à 50, environ. Dès 2013, le nombre de sites a de nouveau augmenté. La forte pointe relevée en 2017 et 2018 s'explique par la forte mobilisation de la gendarmerie sur d'autres sujets. Nous comptons aujourd'hui environ 150 sites actifs, dont un tiers sont dans le cœur de Parc. Or, nous ne devrions compter aucune installation illégale en cœur de parc. Les sites illégaux situés dans la zone d'adhésion affectent les bassins versants qui dominent des zones de vie.

Nous constatons actuellement une forte augmentation des sites illégaux sur la façade ouest, en raison de la facilité de réapprovisionnement logistique à partir des comptoirs commerciaux placés au Suriname. Tout le matériel nécessaire à l'orpaillage illégal, y compris le mercure, pourtant interdit, se trouve dans ces comptoirs. La définition de l'orpaillage illégal n'est pas la même au Suriname. Ces comptoirs sont aussi des lieux de trafic d'armes et de prostitution.

La lutte contre l'orpaillage illégal est prépondérante pour le Parc amazonien, car elle conditionne la réussite de nos autres missions (développement local et maintien des cultures). Il existe donc une brigade nature, composée de 21 inspecteurs de l'environnement, dont une grande partie est originaire du territoire. Ces inspecteurs habitent sur le territoire ; ils connaissent bien les fleuves, la forêt et les pratiques des orpailleurs. Quelques inspecteurs sont d'origine métropolitaine, mais sont installés sur le territoire depuis longtemps. Quinze inspecteurs sont dotés d'une arme de poing depuis 2018. Un tournant s'est en effet produit en 2015. Auparavant, nous menions des missions de surveillance, de renseignement et de diagnostic du territoire. L'implication du Parc dans la lutte contre l'orpaillage s'est accrue en 2015 au travers d'un protocole d'accord conclu avec le parquet qui a étendu les prérogatives judiciaires des inspecteurs de l'environnement sur le code minier. Les inspecteurs peuvent désormais procéder à des saisies et à des destructions de matériels sur place, au même titre que les gendarmes lorsqu'ils sont présents. Les missions de lutte contre l'orpaillage se sont ainsi démultipliées.

En synthèse, nous considérons qu'à moyen ou long terme, les orpailleurs illégaux sont finalement peu impactés par la lutte contre l'orpaillage illégal, en dépit des bilans de destruction de matériels. Une logistique considérable continue de transiter. Le trafic concerne le carburant, le mercure, les moteurs et l'alimentation (riz). Ce trafic est crucial pour l'activité d'orpaillage illégale.

Les moyens disponibles ne permettent pas d'obtenir un effet durable. Il faut en effet pouvoir, simultanément et sur l'ensemble du territoire, bloquer les flux logistiques sur tous les axes (fluviaux et terrestres). Les autoroutes à quad alimentent les chantiers illégaux. Il faut en même temps assurer une présence forte et mobile sur les contournements. Les postes de contrôle (sur les criques et les fleuves, mais aussi sur les axes terrestres) sont en effet rapidement contournés. Il faudrait aussi pouvoir détruire les moyens de production pour stopper les rentes liées à l'or (le cours de l'or étant élevé à l'échelon mondial).

Selon nous, il serait judicieux de renforcer les moyens permettant de répondre à ces objectifs opérationnels simultanés. Sans moyens supplémentaires, le résultat restera toujours mitigé, car les orpailleurs illégaux se déplaceront.

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