Commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en guyane

Réunion du mercredi 19 mai 2021 à 15h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA LUTTE CONTRE L'ORPAILLAGE ILLÉGAL EN GUYANE

Mercredi 19 mai 2021

La séance est ouverte à quinze heures

(Présidence de M. Lénaïck Adam, président de la commission d'enquête)

La commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane procède à l'audition de MM. Pascal Vardon, directeur, Arnaud Anselin, directeur adjoint, et Denis Lenganey, responsable police et surveillance du territoire, du Parc amazonien de Guyane

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Bonjour à tous. Je vous remercie d'avoir accepté d'être auditionnés dans le cadre de notre commission d'enquête sur l'orpaillage illégal. Vous pourrez nous éclairer sur l'aspect clandestin de l'orpaillage dans le Parc amazonien de Guyane. Nous sommes preneurs de vos préconisations.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Vardon, Anselin et Lenganey prêtent serment.)

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Pascal Vardon, directeur du Parc amazonien de Guyane

Bonjour. Je suis le directeur du Parc amazonien de Guyane. À mes côtés, se trouvent Arnaud Anselin, le directeur adjoint et Denis Lenganey, le coordinateur police. Ce dernier suit plus particulièrement le côté opérationnel de la lutte contre l'orpaillage illégal, réalisée par les inspecteurs de l'environnement du Parc et l'Opération Harpie (gendarmes et forces armées de Guyane), la Préfecture et l'ONF.

L'orpaillage illégal était déjà un sujet majeur avant la création du Parc en 2007. Il était au cœur de la mission qui s'est déroulée de 1995 à 2006 pour la création du Parc.

Nous souhaitons vous exposer ce que représente la lutte contre l'orpaillage illégal pour le Parc amazonien et répondre à vos questions. Je salue l'ensemble des membres de la commission d'enquête parlementaire.

La première diapositive montre que le Parc amazonien est riche sur le plan de la biodiversité, mais également sur le plan humain à travers la culture locale (amérindienne, bushinengué et créole). La jeune génération est nombreuse ; elle est le symbole de l'avenir de ce territoire du sud de la Guyane.

A contrario, les manifestations de l'orpaillage illégal montrent une altération profonde des sols, une déforestation, une pollution des rivières (appelées ici des criques). Les travailleurs illégaux (pour la plupart originaires du Brésil) viennent chercher de l'or, le long des criques sous forme alluvionnaire, mais aussi dans des galeries (or primaire).

Le contraste entre les deux premières diapositives est un peu violent, mais volontaire.

Le Parc amazonien est un des plus récents parcs nationaux. Il a été créé en 2007 en même temps que le Parc de la Réunion. Il est aussi grand que tous les autres parcs nationaux réunis. Sa taille est celle de la région Nouvelle-Aquitaine. Il occupe 48 % du territoire guyanais. Le Parc comprend une zone de cœur, où la protection est forte, et une zone d'adhésion, périphérique à cette zone de cœur, où les implantations sont multiples. Ainsi, si le siège du Parc est situé à Rémire-Montjoly, des délégations territoriales et des antennes sont situées dans toute la zone d'adhésion. Les enjeux y sont différents : un fort accent est mis sur la préservation des modes de vie, la mise en valeur du patrimoine culturel et de sa transmission et le développement local.

Le Parc occupe 3,4 millions d'hectares ; sa superficie est de 44 000 km2. Il est contigu au parc national brésilien des montagnes du Tumucumaque. L'ensemble forme un continuum de forêt amazonienne et un espace remarquable en termes de biodiversité et de culture. Les populations y vivent depuis des siècles, voire des millénaires.

Cinq communes, les plus grandes de France, se situent en zone d'adhésion. Maripa-Soula est ainsi grande comme deux départements français. Les contraintes logistiques sont donc fortes.

Notre Parc est un établissement public à caractère administratif ; il compte 86 agents pérennes.

La population nous rappelle régulièrement la promesse formulée par le Président Jacques Chirac à l'occasion de la création du Parc. En janvier 2005, lors de la conférence de Paris sur la biodiversité, il avait en effet indiqué : « Dans le parc national de Guyane, l'orpaillage illégal sera éradiqué. » Ces termes sont gravés dans la mémoire des populations, notamment des chefs coutumiers qui structurent les communautés traditionnelles, le long du Maroni. Ces propos sont régulièrement répétés aux équipes du Parc et à ses partenaires. La promesse du Parc n'a pas été tenue.

L'orpaillage illégal induit des pratiques extrêmement destructives où les sols sont abimés. Les alluvions le long de criques sont liquéfiées ; elles deviennent une boue qui est ensuite traitée pour l'extraction des paillettes d'or. Les ouvriers utilisent des lances à haute pression. Ces boues, après usage, sont relarguées dans la nature.

La photographie de la confluence entre l'Inipi et la Camopi montre un contraste de couleur. La rivière Camopi est naturellement sombre. L'affluent, fortement touché par l'orpaillage illégal, est plus clair ; il relargue des boues contenant le mercure présent dans les sols, mais aussi le mercure utilisé dans le processus de séparation de l'or. Le mercure est transformé par des bactéries naturelles dans une forme assimilable dans la chaîne alimentaire. L'homme consomme ainsi des poissons imprégnés de mercure par bioaccumulation. Les concentrations augmentent au fur et à mesure de la chaîne alimentaire. Nous constatons une forte imprégnation au mercure dans les populations locales.

La photographie suivante montre, dans une zone située sur le Haut-Maroni, un cratère de 150 mètres de large et de 50 mètres de hauteur. Il s'agit d'un site majeur, traité de longue date, avec les forces Harpie, armées et gendarmes, qu'il est difficile de supprimer, compte tenu de sa proximité avec le Suriname et de la facilité de réapprovisionnement logistique.

La photographie suivante montre une autre sorte d'exploitation, l'exploitation d'or primaire avec des galeries souterraines. Les arbres ont été abattus. Un processus de concassage des cailloux de quartz qui sont sortis de ces galeries est mis en œuvre.

La photographie suivante montre le traitement des sédiments par quelques haies de végétaux. Tout part ensuite à la rivière puis au fleuve, provoquant la colère des habitants qui ne peuvent plus pêcher ou utiliser les ressources naturelles.

Nous avons eu l'occasion d'organiser différents ateliers en 2020, avec des chefs coutumiers et le sous-préfet aux communes de l'intérieur. Les ateliers ont permis aux populations de s'exprimer. Elles mettent en lumière la perspective longue entre la mission de création du parc et maintenant. Une affiche mentionne : « On se fout de nous ! L'État méprise les Amérindiens ! » Une autre indique : « L'orpaillage a changé nos modes de vie. On a peur pour notre sécurité. On ne peut plus pêcher, chasser tranquilles. » Toutes les composantes des forces Harpie étaient présentes pour entendre ces expressions, mais aussi pour expliquer les efforts mis en œuvre et les difficultés rencontrées.

Un comptage des sites illégaux actifs sur le territoire du Parc est réalisé depuis la création du Parc, deux à trois fois par an. Nous procédons par hélicoptère et nous utilisons toujours la même méthodologie de comptage pour que les données soient comparables.

À la création du Parc, une centaine de sites illégaux avait été comptée. En 2011 et 2012, l'État a mis en œuvre des moyens particuliers sur le sud de la Guyane. Le nombre de sites illégaux est ainsi tombé à 50, environ. Dès 2013, le nombre de sites a de nouveau augmenté. La forte pointe relevée en 2017 et 2018 s'explique par la forte mobilisation de la gendarmerie sur d'autres sujets. Nous comptons aujourd'hui environ 150 sites actifs, dont un tiers sont dans le cœur de Parc. Or, nous ne devrions compter aucune installation illégale en cœur de parc. Les sites illégaux situés dans la zone d'adhésion affectent les bassins versants qui dominent des zones de vie.

Nous constatons actuellement une forte augmentation des sites illégaux sur la façade ouest, en raison de la facilité de réapprovisionnement logistique à partir des comptoirs commerciaux placés au Suriname. Tout le matériel nécessaire à l'orpaillage illégal, y compris le mercure, pourtant interdit, se trouve dans ces comptoirs. La définition de l'orpaillage illégal n'est pas la même au Suriname. Ces comptoirs sont aussi des lieux de trafic d'armes et de prostitution.

La lutte contre l'orpaillage illégal est prépondérante pour le Parc amazonien, car elle conditionne la réussite de nos autres missions (développement local et maintien des cultures). Il existe donc une brigade nature, composée de 21 inspecteurs de l'environnement, dont une grande partie est originaire du territoire. Ces inspecteurs habitent sur le territoire ; ils connaissent bien les fleuves, la forêt et les pratiques des orpailleurs. Quelques inspecteurs sont d'origine métropolitaine, mais sont installés sur le territoire depuis longtemps. Quinze inspecteurs sont dotés d'une arme de poing depuis 2018. Un tournant s'est en effet produit en 2015. Auparavant, nous menions des missions de surveillance, de renseignement et de diagnostic du territoire. L'implication du Parc dans la lutte contre l'orpaillage s'est accrue en 2015 au travers d'un protocole d'accord conclu avec le parquet qui a étendu les prérogatives judiciaires des inspecteurs de l'environnement sur le code minier. Les inspecteurs peuvent désormais procéder à des saisies et à des destructions de matériels sur place, au même titre que les gendarmes lorsqu'ils sont présents. Les missions de lutte contre l'orpaillage se sont ainsi démultipliées.

En synthèse, nous considérons qu'à moyen ou long terme, les orpailleurs illégaux sont finalement peu impactés par la lutte contre l'orpaillage illégal, en dépit des bilans de destruction de matériels. Une logistique considérable continue de transiter. Le trafic concerne le carburant, le mercure, les moteurs et l'alimentation (riz). Ce trafic est crucial pour l'activité d'orpaillage illégale.

Les moyens disponibles ne permettent pas d'obtenir un effet durable. Il faut en effet pouvoir, simultanément et sur l'ensemble du territoire, bloquer les flux logistiques sur tous les axes (fluviaux et terrestres). Les autoroutes à quad alimentent les chantiers illégaux. Il faut en même temps assurer une présence forte et mobile sur les contournements. Les postes de contrôle (sur les criques et les fleuves, mais aussi sur les axes terrestres) sont en effet rapidement contournés. Il faudrait aussi pouvoir détruire les moyens de production pour stopper les rentes liées à l'or (le cours de l'or étant élevé à l'échelon mondial).

Selon nous, il serait judicieux de renforcer les moyens permettant de répondre à ces objectifs opérationnels simultanés. Sans moyens supplémentaires, le résultat restera toujours mitigé, car les orpailleurs illégaux se déplaceront.

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Je vous remercie de votre riche exposé. Les images permettent de mesurer les conséquences de l'orpaillage illégal en Guyane. Vous suggérez d'augmenter les moyens, car même si la lutte contre l'orpaillage illégal progresse, le problème se déplacera si aucun moyen supplémentaire n'est accordé. Nous avons appris, lors des précédentes auditions, que des réserves de pompes et de moteurs se trouvaient autour des sites. Le cours de l'or favorise cette structuration de la filière.

Au-delà des simples moyens, quelles sont vos recommandations pour aller plus loin dans la lutte contre l'orpaillage illégal ?

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Pascal Vardon, directeur du Parc amazonien de Guyane

Le Parc amazonien occupe une petite partie des forces Harpie. Nous saluons l'action forte de nos partenaires gendarmes et militaires, ainsi que de nos collègues de l'ONF. Nous devons néanmoins nous donner les moyens de mesurer les résultats de cette action. Des priorités stratégiques doivent être affichées.

Une réunion interministérielle du 14 février 2020 avait conclu que nous devions conserver un objectif de réduction de l'orpaillage illégal sur l'ensemble du territoire de la Guyane, mais que nous devions aussi fixer des priorités locales. Ce point est très important, car il nous donne des arguments pour discuter avec les populations. Des priorités locales doivent être fixées en cœur de parc, mais aussi dans les bassins de vie. Nous devons être en phase avec les populations locales pour lutter efficacement contre l'orpaillage illégal. La population est potentiellement une source de renseignements. La question du pilotage stratégique nous semble importante. Nous avons soumis des propositions sur des zones prioritaires pour les bassins de vie de Maripa-Soula, Papaïchton, la rivière Camopi et son bassin versant. Nous enregistrons des résultats satisfaisants dans un rayon de 20 km autour de Saül, permettant le développement d'une activité écotouristique.

Pour un meilleur pilotage de la stratégie, il faudrait renforcer la mise en œuvre de l'EMOPI (État-major contre l'Orpaillage et la Pêche Illicite). Cet État-major assure aujourd'hui des missions de conseil et d'évaluation. Il pilote notamment l'observatoire de l'activité minière. De notre point de vue, il pourrait davantage piloter la stratégie d'éradication. L'objectif d'éradication a été atteint autour du bourg de Saül. Nous pensons donc que cet objectif est réalisable à des échelles très locales.

L'éradication à moyen terme sur l'ensemble de la Guyane sera en revanche difficile à atteindre. Nous proposons donc de remettre en place un suivi de l'orpaillage à l'échelon local et à l'échelon national. La baisse significative du nombre de chantiers actifs entre 2010 et 2012 s'était expliquée par un pilotage national élyséen. La volonté politique d'atteindre des résultats était extrêmement forte. Tous les six mois, un rendez-vous était pris avec l'ensemble des partenaires. Il nous semble nécessaire de remettre en place un tel suivi en le complétant par un pilotage assuré par l'EMOPI.

Le suivi, la coordination de l'ensemble des moyens et la mesure de résultats sont importants. Nous publions a minima deux fois par an, à la demande des membres du conseil d'administration du Parc, les résultats observés sur le territoire. Ces résultats ne sont pas toujours satisfaisants, mais il est important de les connaître. Les chiffres sont territorialisés. Aussi, nous savons comment évolue la pression de l'orpaillage.

Selon nous, il convient de renforcer les moyens humains et matériels. Quand nous proposons d'agir simultanément à plusieurs endroits, il nous est souvent indiqué que ce n'est pas possible, car les équipes sont mobilisées ailleurs. Nous déplaçons donc les sujets au lieu d'appliquer une pression complémentaire.

Nous proposons également que des forces opérationnelles Harpie soient en place plus longtemps. Les équipes de gendarmes mobiles changent tous les trois mois. Les équipes de militaires restent également sur de courtes durées puis changent de territoire. Des cadres militaires ou gendarmes restent en revanche plusieurs années ; il serait pertinent d'augmenter cette population d'experts de la lutte contre l'orpaillage illégal.

Nous suggérons par ailleurs de faire de l'observatoire de l'activité minière un outil plus efficace au service de l'analyse stratégique.

Enfin, nous sommes en attente de réponses judiciaires plus sévères. Nous souhaitons que la coopération judiciaire se développe avec les pays voisins. D'une manière générale, la dimension diplomatique de la lutte contre l'orpaillage illégal est stratégique. Des avances semblent se concrétiser avec le Suriname depuis l'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement. La coopération est en revanche en panne avec le Brésil. Or, si nous pouvions supprimer les bases arrière situées au Brésil ou au Suriname, nos résultats seraient meilleurs sur le territoire français.

Enfin, nous devons travailler sur le long terme. À l'instar du travail réalisé sur les bois tropicaux, la traçabilité de l'or permettrait de mettre en place un commerce international de l'or plus vertueux. La certification de l'origine de l'or et l'absence de mercure dans son processus de production sont technologiquement possibles. S'il était obligatoire de justifier de l'origine vertueuse de l'or, le cours de l'or « propre » serait élevé. Les banques comptent sur la valeur refuge de l'or et elles y trouveraient donc leur intérêt. Une telle traçabilité permettrait par ailleurs de dévaloriser l'or « sale ». L'activité illégale d'orpaillage serait découragée. Cette piste nécessite un travail d'une vingtaine d'années, mais des initiatives ont déjà été lancées par des ONG.

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Je vous remercie de cet exposé très éclairant.

Les courbes de l'évolution du nombre de sites d'orpaillage et du cours de l'or se juxtaposent. Quand le cours de l'or redémarre, le nombre de sites augmente.

Nous avons auditionné un ancien responsable de site d'orpaillage légal. Il a côtoyé les gendarmes et les militaires dans leur lutte. Il nous expliquait que les gendarmes et militaires n'étaient pas bien équipés et que leurs cartes n'étaient pas suffisamment précises et à jour. Les militaires ne savaient qu'il existait un site légal à l'endroit où ce responsable travaillait. Les rotations des gendarmes sont également trop rapprochées. La période de trois mois est diminuée de la période d'adaptation et de formation. La transmission du savoir et de l'expérience est donc insuffisante pour être efficace sur le terrain. Pouvez-vous le confirmer ?

Un État-major plus fourni connaîtra mieux le terrain. Ne devrions-nous pas compter sur davantage de gendarmes et de militaires locaux pour gagner en expérience ?

Le commerce qui entoure l'orpaillage (travaux publics, quads…) étant très rentable, il est très difficile de lutter contre.

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Arnaud Anselin, directeur adjoint du Parc amazonien de Guyane

Nos outils nous permettent de savoir où se trouvent les chantiers. Des améliorations sont possibles, mais nous possédons une idée assez claire de l'emplacement des sites illégaux.

Nous sommes persuadés de la plus-value des agents locaux. Beaucoup de nos inspecteurs de l'environnement sont amérindiens, Bushinengué ou métropolitains habitant en Guyane depuis longtemps. La plus-value est claire. Le fonctionnement interne des forces armées et de la gendarmerie comprend en revanche des rotations fréquentes. Si davantage d'agents locaux étaient mobilisés sur ces questions, nous bénéficierions d'une plus-value sur la connaissance du territoire, mais aussi d'une implication accrue des jeunes du territoire. Une réserve opérationnelle amazonienne est d'ailleurs en train d'être mise en œuvre, sous le copilotage de la gendarmerie et de la préfecture. Elle comprendra des jeunes qui seront formés.

Nous voulons être en mesure d'offrir des perspectives réellement intéressantes aux jeunes qui intégreront le dispositif, tant sur le plan financier que sur le plan de la formation et des perspectives de carrière. Il serait pertinent de pouvoir compter sur des cadres opérationnels qui restent dans les territoires et qui contribuent à la passation de consignes.

Ceux qui vendent du matériel d'orpaillage travaillent sur un marché lucratif. Le blocage de la logistique est donc essentiel. La destruction du matériel sur les sites clandestins est insuffisante et elle alimente même la filière. Des entraves logistiques et le démantèlement réel des bases logistiques sont importants.

Le contexte actuel est favorable, car le nouveau gouvernement du Suriname est coopératif. La signature récente d'un accord sur la frontière est intéressante. Nous pourrions proposer un véritable partenariat de gestion du bassin du Maroni qui dépasserait la question de l'orpaillage. La question des déchets mériterait par exemple d'être discutée. Nous pourrions demander au Suriname d'être plus stricts au sujet des comptoirs logistiques en imposant de ne vendre du matériel qu'aux personnes titulaires d'une autorisation d'exploitation minière.

Au Brésil, la situation est paradoxale. Le fleuve Oyapock marque la frontière. Il est entouré de part et d'autre par un parc national. Or, sur la berge brésilienne, en plein parc national, le village d'Ilhabela est exclusivement destiné à l'approvisionnement logistique de l'orpaillage illégal. Nous devons absolument parvenir à obtenir le démantèlement de ce genre d'implantations.

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Je vous remercie de vos explications et de votre sincérité. Je suis très perplexe face à la situation. La véritable question ne réside-t-elle pas dans la redéfinition des objectifs assignés à Harpie ? Le Président Jacques Chirac avait promis que l'orpaillage illégal serait éradiqué dans le Parc amazonien. Nous constatons, quelques décennies plus tard, que la situation ne s'est guère améliorée.

La question de la préservation de l'intégrité et de la souveraineté du territoire se pose. La question de l'objectif assigné à la lutte contre l'orpaillage illégal se pose également. S'agit-il de contenir l'orpaillage illégal pour éviter qu'il continue sa progression ou l'objectif est-il de s'attaquer à son éradication définitive ? De cette réponse dépendront la qualité du rapport que nous rédigerons, mais aussi les moyens qui seront mis en œuvre sur le terrain. Je suis réduit à m'interroger sur le véritable objectif que l'État s'est assigné en la circonstance.

Comment notre Parc se classe-t-il par rapport aux autres parcs nationaux s'agissant du ratio entre le nombre d'agents et la superficie du parc ? La présence des orpailleurs illégaux devrait aboutir à une augmentation substantielle des agents déployés sur sa superficie.

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Pascal Vardon, directeur du Parc amazonien de Guyane

Les parcs nationaux comptent 50 à 90 agents. Je mets à part le Parc national de forêts, créé il y a deux ans, dont l'effectif est en cours de croissance. Si nous n'avions pas à lutter contre l'orpaillage illégal, notre effectif serait suffisant pour porter l'ensemble des missions prévues dans notre mandat (connaissance scientifique et valorisation, promotion et transmission des cultures et des modes de vie, développement local). Notre Parc s'investit particulièrement dans le développement local, compte tenu des enjeux qui existent dans le sud Guyane. Ainsi, nous nous investissons dans le soutien aux filières, dans le portage du Groupe d'action locale LEADER pour le sud Guyane, dans la promotion d'une coopérative d'activités et d'emplois pour aider les jeunes formés à commencer une activité d'entrepreneurs. Nos activités sont donc extrêmement diversifiées.

En termes de police (application des réglementations), 90 % de notre activité est orientée vers l'orpaillage illégal. Normalement, nous devrions développer beaucoup plus d'activités en faveur des réglementations liées au cœur de parc, aux espèces protégées et aux usages particuliers. Dans les faits, nous sommes très occupés par la lutte contre l'orpaillage illégal.

Notre effectif est donc comparable à celui des autres parcs les mieux dotés.

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Arnaud Anselin, directeur adjoint du Parc amazonien de Guyane

Nos effectifs sont supérieurs à ceux des autres parcs. Contrairement aux autres, nous avons réussi, jusqu'à présent, à éviter la diminution de nos effectifs. Nous sommes le parc le mieux doté en effectifs et en budget.

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Pascal Vardon, directeur du Parc amazonien de Guyane

Concernant la redéfinition des objectifs, éviter la progression de l'orpaillage illégal n'est pas satisfaisant. Atteindre l'éradication totale est par ailleurs difficilement réalisable, compte tenu du cours élevé de l'or. Il nous semble qu'un entre-deux est possible ; il nous permettrait d'atteindre nos autres objectifs (notamment de développement local).

Suite à la réunion interministérielle de février 2020, le Parc amazonien a défini, à la demande du préfet et de l'EMOPI, les zones sur lesquelles des objectifs d'éradication pourraient être fixés, permettant de renouer un lien de confiance avec les populations et d'améliorer durablement les conditions de vie.

Selon nous, des objectifs d'éradication peuvent être fixés pour des zones où les populations sont aujourd'hui en insécurité. Des vols de pirogues, de moteurs et de produits sont recensés. Les déplacements ne sont pas sûrs.

Il existe par ailleurs des zones dites d'éradication précoce où il faut aller détruire le chantier illégal dès qu'il apparaît pour décourager la progression des sites illégaux.

Des zones dites de maintien de la pression sont celles où le travail de lutte est déjà intense.

Une zone dite à éradication différée a aussi été fixée.

Enfin, une zone verte a été définie autour de Camopi pour maintenir l'absence de sites illégaux. Un réseau de sentinelles existe : dès que les forces sortent de leur base, elles sont rapidement détectées. Nous devons donc trouver des astuces pour surprendre nos adversaires. Même si nous ne cassons parfois aucune pompe, notre présence sur le territoire est essentielle. Nous y sommes parvenus dans un rayon de 20 km autour du bourg de Saül : aucun site n'y est plus actif, ce qui a permis le développement économique par l'écotourisme.

Nous souhaiterions pouvoir nous fixer des objectifs locaux et les partager avec l'ensemble des forces Harpie.

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Arnaud Anselin, directeur adjoint du Parc amazonien de Guyane

En l'absence des efforts considérables consentis par la gendarmerie et les militaires de l'opération Harpie, la situation sur le territoire guyanais serait catastrophique. L'état de la déforestation au Suriname et au Guyana nous indique ce à quoi ressemblerait la Guyane.

Une stratégie de reconquête territoriale implique des moyens. Dès que nous voulons intervenir sur un secteur, nous devons abandonner un autre axe.

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Denis Lenganey, coordinateur de la police du Parc amazonien de Guyane

En Guyane, la zone orpaillée est de 30 000 km2 (dont 9 000 km2 dans le Parc amazonien). Or, seuls 300 hommes sont mobilisés. À l'occasion du drame survenu dans le Gard, 350 forces de l'ordre ont été mobilisées sur 15 km2 pour retrouver une personne. 2500 membres des forces de l'ordre ont été mobilisés sur 15 km2 pour l'évacuation de Notre-Dames-des-Landes.

Tout un chacun s'arrange pour optimiser les moyens. La territorialisation présentée aujourd'hui est cependant impossible à conduire, car nous devrions prendre les moyens ailleurs.

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Nous cessons de répéter que nous avons besoin de moyens. Nous ne sommes pas toujours entendus.

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Je salue la présentation de la situation en Guyane. La vue des paysages massacrés est très parlante.

Une manifestation s'est tenue il y a quelques heures à Paris, en soutien à la police. Je souhaite vous adresser toute ma reconnaissance. Je vous remercie d'être là pour défendre nos libertés, nos personnes et nos biens. L'ensemble des parlementaires de l'Assemblée nationale vous remercie.

Les moyens manquent. En amont, un manque se fait-il sentir en matière de renseignements, notamment sur la logistique ? Quels sont vos contacts avec le Suriname ? Y existe-t-il un minimum d'attention sur la situation en Guyane ? Quelles sont vos relations ?

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Pascal Vardon, directeur du Parc amazonien de Guyane

Des réunions de renseignement, auxquelles participe Denis Lenganey, sont organisées tous les quinze jours. L'état des lieux de la situation y est partagé. L'observatoire de l'activité minière est renseigné en continu sur les chantiers actifs. Nous réalisons deux missions annuelles héliportées. Des missions régulières sont menées en forêt et des signalements alimentent la donnée de synthèse sur la position des chantiers.

La logistique est beaucoup plus volatile. Des itinéraires de contournement sont régulièrement inventés. L'activité se déroule essentiellement la nuit, à partir des frontières. Il est donc difficile de planifier des interventions sur la logistique.

Sur la façade est avec le Brésil, un centre de coopération policière est installé à Saint-Georges de l'Oyapock qui opère un lien entre l'opération Harpie et les différentes polices brésiliennes (police fédérale et police militaire). Nous souhaiterions obtenir davantage de renseignements. La maîtrise de la confidentialité de certains renseignements est parfois compliquée néanmoins. La diffusion de certaines informations est poreuse, au point de faire échouer des opérations le jour même de leur réalisation.

Du côté du Suriname, une action remarquable a été menée par l'ambassadeur Antoine Joly. Des actions ont pu être débloquées depuis le changement de gouvernement. Sur le plan opérationnel, nous n'en sommes pas encore au point d'échanger sur la logistique, mais la perspective existe. Nous avons travaillé avec la conseillère diplomatique du préfet, Madame Suard, en lien avec les ambassadeurs au Suriname, en Guyana et au Brésil.

Le mercure est interdit en France. En théorie, il l'est aussi au Suriname. Or, il circule dans les pirogues qui remontent le Maroni. Nous retrouvons aussi du mercure en vente dans les comptoirs au Suriname. Une action conjointe de la France et du Suriname sur le transport de mercure sur le fleuve Maroni pourrait donc être mise en œuvre. Les autres produits de logistique (carburant, pompes, riz) peuvent être utilisés légalement. Au Suriname, les orpailleurs, souvent brésiliens, sont souvent des sous-traitants de concessionnaires légaux.

Nous pourrions réaliser des prises de mercure. Il s'agirait de bons signaux pour un changement de pratique au Suriname et pour une gestion conjointe du bassin versant du fleuve Maroni. Un projet existe déjà sur l'échange de données scientifiques. Le Maroni est un fleuve transfrontalier. Nous pourrions imaginer de nombreuses autres actions, notamment sur la gestion des déchets.

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L'effectif des agents affectés au Parc amazonien de Guyane est comparable à celui des parcs nationaux les mieux dotés de France hexagonale. Le Parc amazonien compte toutefois 3,4 millions d'hectares. L'ensemble des parcs nationaux de France et d'outre-mer en compte 5,5 millions, sur terre et en mer. Le Parc amazonien de Guyane représente donc 70 % de la superficie totale des parcs nationaux. Ce paramètre devrait être pris en considération. Les effectifs du Parc sont de 86 agents, soit à peine 10 % des 800 agents affectés aux parcs nationaux de France et d'outre-mer.

Ne faudrait-il pas faire entendre à l'État que nous ne pouvons pas continuer avec un effectif aussi faible, compte tenu du volume de travail à accomplir ? 86 agents ne peuvent pas s'occuper des 30 000 km2 du Parc concernés par l'orpaillage illégal. Le Gouvernement devrait vous accorder des moyens beaucoup plus conséquents.

Comment cela se passe-t-il quand vous remontez à votre tutelle vos besoins en effectifs ? Vos demandes sont-elles suivies d'effet ?

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Pascal Vardon, directeur du Parc amazonien de Guyane

Le Parc amazonien a été épargné par la réduction des effectifs. Le Parc n'a pas perdu d'effectifs depuis 2007. La réduction d'un poste était envisagée en 2021, mais la mobilisation des parlementaires et des présidents des conseils d'administration a permis de maintenir les effectifs de l'ensemble des parcs.

Le problème de l'adéquation entre les effectifs et la taille du territoire se pose surtout pour la fonction de police, au regard de la lutte contre l'orpaillage illégal.

En matière de culture, d'éducation à l'environnement, de gestion des ressources naturelles et de développement local, nous obtenons des postes complémentaires via des financements extérieurs. Au-delà des 86 agents « sous plafond », des postes complémentaires sont ainsi financés, sur des durées courtes, par le FEADER (pour le GAL sud), le FEDER (pour la coopération inter-Amazonie sur les aires protégées du plateau des Guyane) et l'Union européenne (pour un projet de gestion des ressources naturelles).

Votre question vise à savoir si le nombre d'agents internes dédiés à la lutte contre l'orpaillage illégal doit augmenter. Sur 21 inspecteurs de l'environnement, quinze sont des agents armés. Ces derniers travaillent avec les forces armées de Guyane et la gendarmerie. À la création du Parc, il n'était pas prévu d'augmenter la brigade nature, mais de faire appel aux forces spécialisées (soldats entraînés) et aux gendarmes, rompus aux méthodes d'intervention et d'interpellation.

Augmenter les moyens en régie pour lutter contre l'orpaillage nous amènerait à nous désolidariser de l'Opération Harpie, alors que cette dernière nous apporte le soutien de l'armée et de la gendarmerie. Beaucoup de nos inspecteurs de l'environnement ont été recrutés, car ils connaissaient le fleuve et la forêt. Ils sont formés en continu, notamment en matière d'armement, aux compétences d'inspecteurs de l'environnement. Ces agents sont permanents. Ils étaient jeunes il y a 14 ans. Ils le sont un peu moins aujourd'hui. Or, les missions en forêt sont fatigantes, physiquement. Du point de vue qualitatif, nous serons donc confrontés à un sujet de renouvellement de nos forces. Du point de vue quantitatif, je ne suis pas certain que doubler les effectifs réglerait le problème. Il convient en revanche d'animer, de piloter, de fixer des objectifs et de les suivre au sein du dispositif Harpie.

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Je souhaite que nous n'opposions pas la question des effectifs et des moyens à celle du pilotage stratégique. L'étendue du territoire et la gravité de la situation nous incitent à augmenter les effectifs des forces armées et du Parc amazonien de Guyane d'une part et à organiser un meilleur pilotage stratégique d'autre part. Nous avons bien compris que nous sommes dans une véritable guerre. Un commandement militaire est nécessaire face à des adversaires qui déjouent nos plans, qui s'adaptent en permanence et qui disposent de moyens. À défaut d'actions sur les deux pans (effectifs et pilotage), je crains que nous nous retrouvions dans dix ans pour constater que nous avons réussi à temporiser le phénomène, sans l'éradiquer définitivement.

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Pascal Vardon, directeur du Parc amazonien de Guyane

Nous bénéficions d'une écoute très attentive de notre tutelle, mais aussi du ministère des outre-mer.

La situation sanitaire gêne les échanges. La commission d'enquête parlementaire aura-t-elle l'occasion de se rendre en Guyane pour rencontrer les inspecteurs de l'environnement, les chefs coutumiers et les élus locaux et ainsi, se rendre compte de la dimension sociale de cette lutte et de ces résultats insuffisants ? Nous nous tenons à votre disposition pour faciliter votre visite, sur le plan logistique.

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Nous en avons discuté. La commission souhaite se rendre sur place. Nous espérons que la situation sanitaire s'améliorera. Dans le cas contraire, le rapporteur et moi-même nous déplacerions seuls.

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Il est fondamental que nous puissions nous rendre sur le terrain pour rencontrer la population et les chefs coutumiers. Leurs préconisations doivent pouvoir être contenues dans le rapport. Il s'agit d'une question de principe et de respect. Nous espérons que la situation sanitaire de la Guyane évoluera rapidement dans la bonne direction pour nous y rendre une semaine.

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Pascal Vardon, directeur du Parc amazonien de Guyane

Nous restons à votre disposition.

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Nous vous remercions. Nous reprendrons contact avec vous.

La réunion se termine à seize heure trente.