Intervention de Fernand Gontier

Réunion du mercredi 2 juin 2021 à 16h30
Commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en guyane

Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières (DCPAF) :

Les moyens humains pèsent d'un poids fondamental dans la lutte. Nous souhaiterions une augmentation de l'effectif présent à Saint-Georges-de-l'Oyapock et à Saint-Laurent-du-Maroni, qui ne nous semble pas à la hauteur des enjeux. Cet effectif a diminué depuis quelques années, pour la simple raison que les policiers ne souhaitent pas s'installer dans ces zones. Il faudrait remédier à ce défaut d'attractivité pour que plus de volontaires viennent en Guyane. Les agents de la PAF doivent se loger sur place avec leur famille. Leurs conjoints ont besoin de trouver un travail.

Nous devrions en outre exercer sur ces secteurs une surveillance continue, y compris la nuit, ce que ne nous permet pas notre effectif actuel.

L'affectation des agents en Guyane devrait tenir compte de leur profil pour s'assurer qu'ils s'adapteront aux spécificités de ce territoire, à nul autre pareil en France. Une partie de nos effectifs manque de préparation aux conditions de travail et de vie qui les attendent dans le département.

Le dispositif de lutte contre l'orpaillage illégal devrait, selon moi, davantage mettre l'accent sur la surveillance de la frontière, pour l'heure insuffisante.

La lutte contre la forte criminalité présente en Guyane requiert un droit positif adapté aux enjeux d'une violence sans pareille sur le territoire national et liée à l'orpaillage. La création d'un crime d'écocide relève à mon sens d'une bonne idée. De même, l'existence d'un délit aggravé, facile à constater et à caractériser par des éléments matériels, moraux et juridiques, simplifierait le travail de la police et de la gendarmerie. Un tel délit permettrait d'interpeller tous ceux qui contribuent directement ou indirectement à l'orpaillage illégal, comme les guetteurs, ou ceux qui fournissent du matériel ou des produits aux mineurs.

S'attaquer, sur le plan juridique, aux moyens de transport, permettrait de mieux repérer les passages des clandestins à la frontière. Il suffirait d'imposer l'immatriculation systématique des pirogues, soit en France, soit dans le cadre d'un système binational coordonné avec les pays voisins, puis de saisir les pirogues non identifiées, généralement utilisées par des orpailleurs pour le transit de personnes ou de matériel.

Il me semble en outre important de punir les personnes qui traversent les fleuves frontaliers sans les permis requis. En somme, nous appelons de nos vœux des mesures concrètes. N'oublions pas non plus les contrôles d'identité. Même si le procureur de la République délivre assez aisément des réquisitions aux fins de contrôle d'identité, des facilités à en mener, comme sur d'autres parties du territoire français, dont les zones frontalières, nous simplifieraient la tâche.

La procédure française d'éloignement s'avère pour l'heure lourde et complexe à mettre en œuvre. Il faudrait peut-être envisager un éloignement d'office sous l'autorité du procureur et du préfet, permettant à la PAF d'intervenir plus rapidement. Enfin, il conviendrait de tenir compte des délais du transport, le cas échéant jusqu'à Cayenne, des personnes interpellées, et ce afin de différer la notification de leurs droits. Notre État de droit impose en effet de respecter les droits des étrangers.

Une meilleure identification des étrangers, souvent démunis de documents officiels, pourrait passer par le recours à la biométrie. Certes, il existe un système biométrique national de l'Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF), mais il faudrait qu'il soit utilisable lors de déplacements sur les terrains d'opération, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Actuellement, il faut amener les étrangers dans les locaux de la PAF pour prendre leurs mesures biométriques.

Enfin, il me semblerait bon que les condamnés pour des faits d'orpaillage exécutent leur peine dans leur pays d'origine, en vertu de conventions entre les administrations pénitentiaires.

Les Vénézuéliens ne représentent qu'une part marginale des flux migratoires. La Guyane a davantage été affectée par l'arrivée d'Haïtiens. Nous devons d'autant plus rester vigilants qu'ils se contentent de transiter par la Guyane sur le chemin des Antilles ou de la métropole. Cette « technique du rebond » est utilisée ailleurs outre-mer, en particulier à Mayotte. Reconnaissons que les pays voisins, et surtout le Brésil, se montrent assez bienveillants vis-à-vis de ces flux migratoires à destination de la Guyane. Il y a tout lieu de s'en inquiéter, au vu du risque qu'ils augmentent.

Le démantèlement des filières d'immigration clandestine me paraît fondamental. S'il n'est pas négligeable de s'attaquer aux individus en situation irrégulière, il faut aussi viser, à un échelon supérieur, les trafiquants eux-mêmes. La PAF doit concentrer ses efforts sur tous ceux qui assistent et transportent des migrants. Nous interpellons de 250 à 300 trafiquants chaque année. Ils se livrent à une forme d'esclavage moderne. La lutte dans ce domaine passe par l'investigation judiciaire, qui relève de l'autorité judiciaire.

Nos efforts mériteraient de porter aussi sur le renseignement, pour que nous disposions dans les meilleurs délais d'informations sur les nouveaux flux et sites miniers. La véritable guerre que nous menons contre le fléau de l'orpaillage justifie le recours à des techniques de renseignement plus modernes, comme celles mises en œuvre dans la lutte contre le terrorisme ou le grand banditisme. Le renseignement, indispensable à l'efficacité de la police, constitue la base de son action.

Depuis 2018, et même 2014 sous une autre forme, un état-major départemental, sous l'autorité du préfet, organise à un rythme hebdomadaire la coordination, en vue de la lutte contre l'orpaillage illégal, des différents services, de toute manière complémentaires et non concurrents ou redondants. Le représentant de l'État veille à ce que chacun saisisse bien sa mission. Il revient à la PAF de s'attaquer aux flux migratoires, d'interpeller les orpailleurs en situation irrégulière et de les reconduire à la frontière. L'action de la douane porte sur les marchandises prohibées. Le dispositif de coordination, assez bien structuré, est parvenu à une forme de maturité, même s'il doit évoluer en permanence en fonction de la configuration du terrain et des nouveaux modes opératoires des adversaires. Sur d'autres parties du territoire également, les trafiquants s'adaptent sans cesse aux mesures prises à leur encontre.

La protection du patrimoine naturel revêt une dimension essentielle, bien que la PAF ne s'en occupe pas directement. Nous nous intéressons avant tout aux individus et à leur statut ainsi qu'à leur dangerosité.

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