Intervention de Bernard Larrouturou

Réunion du mercredi 23 juin 2021 à 15h00
Commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en guyane

Bernard Larrouturou, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts au ministère de la transition écologique :

Je vous présenterai ici le bilan de la procédure accélérée, mise en place entre 2013 et 2015, pour favoriser l'implantation d'exploitants légaux sur des sites d'orpaillage illégal.

Cette idée, née en 2012, a fait l'objet d'une déclaration d'intention signée en février 2013 par l'État, le conseil régional, ancêtre de la collectivité territoriale de Guyane (CTG) et la fédération des opérateurs miniers de Guyane (FEDOMG). La démarche qui en a résulté a été pilotée conjointement par la préfecture et ses services, l'état-major Harpie, la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL), devenue depuis la direction générale des territoires et de la mer (DGTM), l'office national des forêts (ONF), la FEDOMG et le pôle technique minier de Guyane (PTMG). Cette petite équipe chargée d'apporter un appui technique à la filière est aujourd'hui rattachée à la CTG.

La mise en place d'une procédure accélérée s'est appuyée sur la conviction que le temps compte pour agir contre l'orpaillage illégal. Il semblait nécessaire d'installer des orpailleurs légaux dans des délais les plus réduits possible.

Les forces Harpie ont d'abord choisi onze zones d'implantation dans le département. Un appel à manifestation d'intérêt, en avril 2013, a ensuite tendu à présélectionner les entreprises volontaires. Vingt-trois y ont répondu. Deux d'entre elles n'ayant déposé qu'un dossier incomplet, vingt-et-une ont finalement passé cette étape de présélection.

Entre 2013 et 2014, nous avons lancé quatre appels à projets requérant une candidature plus concrète des sociétés présélectionnées, volontaires pour se lancer dans une phase d'exploration rapide des sites retenus, suivie de leur exploitation.

Chaque appel à projet incluait une cartographie détaillée et un état des lieux de l'orpaillage illégal dans la zone concernée. Une commission de sélection a retenu certaines entreprises, qui ont alors bénéficié d'une convention valant autorisation de recherche minière, c'est-à-dire une autorisation simplifiée, instruite par les services de l'État et l'ONF. S'y est ensuite ajoutée une autorisation d'exploitation (AEX) en bonne et due forme.

Les forces Harpie ont accompagné, autant qu'il le fallait, les entreprises sélectionnées lors de leur installation sur les sites et durant les phases d'exploration puis d'exploitation.

Dix-sept conventions valant autorisation de recherche minière ont été conclues. Une partie des recherches n'ayant pas porté leurs fruits, sept entreprises différentes ont finalement déposé en tout dix demandes d'AEX qui ont toutes été accordées.

La durée de ces dix exploitations, de douze mois environ, s'est avérée un peu plus courte que la moyenne en Guyane. Neuf d'entre elles ont extrait, au total, 260 kilogrammes d'or. La dernière ne nous a pas communiqué de chiffre. Une procédure relative à ce défaut de déclaration est en cours.

L'administration a su accélérer les délais, puisque, entre le dépôt d'une demande d'AEX et son attribution par arrêté préfectoral dans le cadre de la procédure accélérée, environ quatre-vingts jours se sont écoulés, contre le double d'ordinaire.

Il nous paraît nécessaire de dresser un bilan critique détaillé de cette expérimentation pour en tirer des enseignements en cas de nouvelle démarche de ce type.

Si les orpailleurs illégaux ont majoritairement quitté les sites exploités légalement, certains sont toutefois restés à proximité.

La collaboration entre l'ensemble des acteurs s'est raisonnablement bien passée.

Nous avons cherché à comprendre pourquoi seule une moitié des 20 sites, dont notre démarche visait l'exploitation, ont finalement accueilli des entreprises légales.

Une partie de la filière aurifère légale ne s'est pas intéressée à notre démarche. Les entreprises de taille moyenne déjà en activité ne se sont pas mobilisées. Certaines auraient dû créer de nouvelles équipes pour s'implanter sur un nouveau site. Elles y ont renoncé.

Parmi les zones choisies par les forces Harpie, certaines manquaient d'attractivité, notamment en raison de leur accès difficile. L'analyse des conditions d'accès aux sites, qui n'a pas toujours été anticipée, s'est révélée un obstacle infranchissable dans certains cas.

Les résultats mitigés s'expliquent aussi par un gisement aurifère inférieur aux attentes dans certaines zones. Sur les dix exploitations, plusieurs ont rencontré des problèmes de rentabilité. Chacune a extrait en moyenne 30 kilogrammes d'or, un chiffre sensiblement inférieur à la production habituelle des petites exploitations alluvionnaires disposant d'une AEX, puisque celle-ci oscille entre 50 et 60 kilogrammes.

En 2015, nous nous sommes entretenus avec un petit nombre de ceux qui avaient pris part à notre expérimentation, pour compléter leurs notes de bilan, parfois trop lacunaires à notre goût, par des éléments qualitatifs, mais il ne nous a pas toujours été possible d'étayer ces derniers.

Nous disposons toutefois de données précises sur la qualité de la réhabilitation des sites. La loi oblige les exploitants légaux à les revégétaliser et remettre en place les cours d'eau. La majorité des acteurs de la filière a progressé sur ces points, ces dernières années.

Six des dix sites exploités dans le cadre de la procédure accélérée ont été réhabilités. Cinq ont obtenu le quitus. Le sixième relevait de la responsabilité d'une entreprise depuis rachetée par une autre. Un tel bilan ne s'avère pas tout à fait satisfaisant.

Nous avons tenté de porter une appréciation sur la qualité des techniques déployées. L'objectif était d'épuiser les gisements pour éviter le retour des orpailleurs illégaux. Les entreprises disposant des meilleures capacités techniques et financières ne se sont pas portées volontaires. Seules deux entreprises sur les sept sélectionnées ont sollicité l'accompagnement technique du pôle technique minier de Guyane (PTMG).

Il nous a été rapporté que les entreprises n'avaient pas toujours observé un comportement exemplaire. Dans certains cas, des orpailleurs illégaux sont demeurés à proximité des sites légaux. Çà ou là, des questions ont surgi sur la manière de gérer ce voisinage. Nous entrons là dans une zone grise où il ne nous a pas été possible de trouver des éléments avérés.

La réhabilitation de six sites sur dix seulement a nui à l'image du secteur minier, dont le comportement n'a pas été à la hauteur des attentes. Les associations de protection de l'environnement l'ont retenu.

Nous ne sommes pas parvenus à déterminer si des orpailleurs illégaux sont revenus sur les sites à l'issue de leur exploitation légale. Personne n'a pu nous renseigner. Nous y voyons une carence dans le suivi de cette expérimentation.

Nous approuvons la décision de l'administration d'encadrer réglementairement la démarche des exploitants légaux. Certains, dans la filière aurifère, souhaiteraient, pour gagner du temps, entreprendre leur activité à la suite d'un simple arrêté de police, ce qui impliquerait de prendre des distances vis-à-vis du cadre légal, au risque de s'exposer à des recours. Aussi recommandons-nous de ne pas suivre cette voie.

Notre expérimentation a retenu l'AEX comme unique outil administratif d'exploitation, limité à une superficie d'un kilomètre carré. Nous avons entendu dire que, sur certains sites, il aurait été souhaitable d'exploiter une zone plus vaste pour mieux réduire les pillages par les orpailleurs clandestins et les risques qu'ils reviennent par la suite. La réforme du code minier en cours envisage de déconcentrer la procédure d'instruction des permis d'exploitation (PEX), portant sur une plus grande surface. Il semblerait intéressant d'y recourir dans le cadre d'une nouvelle expérimentation.

Le choix de mener rapidement la prospection sur les sites retenus s'est, a posteriori, révélé une erreur. Il ne faudrait pas sous-estimer l'importance d'évaluer la ressource et d'apprécier la rentabilité d'une exploitation. L'une d'elles s'est arrêtée au bout de trois mois.

Nous tirons en somme de notre expérimentation un bilan mitigé. Elle a pris fin sans qu'un bilan soit d'ailleurs publié. Aux problèmes déjà mentionnés s'est ajouté un conflit, ayant eu un certain retentissement, entre deux exploitants. L'un avait déposé une demande d'AEX selon la procédure normale, à laquelle s'est superposée une demande similaire, par une autre entreprise, dans le cadre de la procédure accélérée.

Cette procédure a finalement laissé une mauvaise image. Les associations de protection de l'environnement que nous avons rencontrées n'ont pas jugé l'expérimentation concluante en raison de son manque d'exemplarité.

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