Commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en guyane

Réunion du mercredi 23 juin 2021 à 15h00

Résumé de la réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA LUTTE CONTRE L'ORPAILLAGE ILLÉGAL EN GUYANE

Mercredi 23 juin 2021

La séance est ouverte à quinze heures.

(Présidence de M. Lénaïck Adam, président de la commission d'enquête)

La commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane procède à l'audition conjointe de M. Antoine Masson, ingénieur général des Mines au ministère de l'économie, des finances et de la relance et M. Bernard Larrouturou, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts au ministère de la transition écologique.

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L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Antoine Masson et Bernard Larrouturou prêtent serment.)

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Antoine Masson, ingénieur général des Mines au ministère de l'économie, des finances et de la relance

M. Larrouturou appartient au conseil général de l'environnement et du développement durable du ministère de la transition écologique et moi-même, au conseil général de l'économie, du ministère de l'économie, des finances et de la relance. Les ministres de la transition écologique et des outre-mer, et la ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie, ont confié à nos conseils généraux respectifs une mission en vue du développement d'une filière aurifère responsable en Guyane.

Il s'agissait, en complément de la réforme du code minier en cours, de proposer des mesures d'accompagnement au développement du secteur minier aurifère légal en Guyane, dans le souci de répondre aux enjeux du développement économique du territoire, tout en maîtrisant l'empreinte écologique de ces activités.

Le secteur minier aurifère légal représente environ 550 emplois directs et produit un peu plus d'une tonne d'or par an, alors que l'orpaillage illégal emploie 8 000 à 10 000 travailleurs illégaux, pour une production estimée à 10 tonnes d'or par an.

Si notre mission ne porte pas directement sur la lutte contre l'orpaillage illégal, elle touche toutefois à l'objet de votre commission, puisqu'elle traitait de l'installation d'exploitants légaux sur des sites occupés, ou anciennement occupés, par des illégaux. Des expérimentations ont été conduites avec l'appui des forces Harpie entre 2013 et 2015 ainsi que, plus récemment, au second semestre 2019.

Nous allons vous en présenter le bilan en y ajoutant quelques éléments de réflexion, au cas où la décision de prolonger ces expérimentations serait prise .

Notre mission n'est pas terminée. Nous élaborons pour l'heure nos analyses assorties de propositions qui, conformément aux demandes des ministres, feront l'objet d'une concertation avec les parties prenantes, locales et nationales.

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Bernard Larrouturou, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts au ministère de la transition écologique

Je vous présenterai ici le bilan de la procédure accélérée, mise en place entre 2013 et 2015, pour favoriser l'implantation d'exploitants légaux sur des sites d'orpaillage illégal.

Cette idée, née en 2012, a fait l'objet d'une déclaration d'intention signée en février 2013 par l'État, le conseil régional, ancêtre de la collectivité territoriale de Guyane (CTG) et la fédération des opérateurs miniers de Guyane (FEDOMG). La démarche qui en a résulté a été pilotée conjointement par la préfecture et ses services, l'état-major Harpie, la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL), devenue depuis la direction générale des territoires et de la mer (DGTM), l'office national des forêts (ONF), la FEDOMG et le pôle technique minier de Guyane (PTMG). Cette petite équipe chargée d'apporter un appui technique à la filière est aujourd'hui rattachée à la CTG.

La mise en place d'une procédure accélérée s'est appuyée sur la conviction que le temps compte pour agir contre l'orpaillage illégal. Il semblait nécessaire d'installer des orpailleurs légaux dans des délais les plus réduits possible.

Les forces Harpie ont d'abord choisi onze zones d'implantation dans le département. Un appel à manifestation d'intérêt, en avril 2013, a ensuite tendu à présélectionner les entreprises volontaires. Vingt-trois y ont répondu. Deux d'entre elles n'ayant déposé qu'un dossier incomplet, vingt-et-une ont finalement passé cette étape de présélection.

Entre 2013 et 2014, nous avons lancé quatre appels à projets requérant une candidature plus concrète des sociétés présélectionnées, volontaires pour se lancer dans une phase d'exploration rapide des sites retenus, suivie de leur exploitation.

Chaque appel à projet incluait une cartographie détaillée et un état des lieux de l'orpaillage illégal dans la zone concernée. Une commission de sélection a retenu certaines entreprises, qui ont alors bénéficié d'une convention valant autorisation de recherche minière, c'est-à-dire une autorisation simplifiée, instruite par les services de l'État et l'ONF. S'y est ensuite ajoutée une autorisation d'exploitation (AEX) en bonne et due forme.

Les forces Harpie ont accompagné, autant qu'il le fallait, les entreprises sélectionnées lors de leur installation sur les sites et durant les phases d'exploration puis d'exploitation.

Dix-sept conventions valant autorisation de recherche minière ont été conclues. Une partie des recherches n'ayant pas porté leurs fruits, sept entreprises différentes ont finalement déposé en tout dix demandes d'AEX qui ont toutes été accordées.

La durée de ces dix exploitations, de douze mois environ, s'est avérée un peu plus courte que la moyenne en Guyane. Neuf d'entre elles ont extrait, au total, 260 kilogrammes d'or. La dernière ne nous a pas communiqué de chiffre. Une procédure relative à ce défaut de déclaration est en cours.

L'administration a su accélérer les délais, puisque, entre le dépôt d'une demande d'AEX et son attribution par arrêté préfectoral dans le cadre de la procédure accélérée, environ quatre-vingts jours se sont écoulés, contre le double d'ordinaire.

Il nous paraît nécessaire de dresser un bilan critique détaillé de cette expérimentation pour en tirer des enseignements en cas de nouvelle démarche de ce type.

Si les orpailleurs illégaux ont majoritairement quitté les sites exploités légalement, certains sont toutefois restés à proximité.

La collaboration entre l'ensemble des acteurs s'est raisonnablement bien passée.

Nous avons cherché à comprendre pourquoi seule une moitié des 20 sites, dont notre démarche visait l'exploitation, ont finalement accueilli des entreprises légales.

Une partie de la filière aurifère légale ne s'est pas intéressée à notre démarche. Les entreprises de taille moyenne déjà en activité ne se sont pas mobilisées. Certaines auraient dû créer de nouvelles équipes pour s'implanter sur un nouveau site. Elles y ont renoncé.

Parmi les zones choisies par les forces Harpie, certaines manquaient d'attractivité, notamment en raison de leur accès difficile. L'analyse des conditions d'accès aux sites, qui n'a pas toujours été anticipée, s'est révélée un obstacle infranchissable dans certains cas.

Les résultats mitigés s'expliquent aussi par un gisement aurifère inférieur aux attentes dans certaines zones. Sur les dix exploitations, plusieurs ont rencontré des problèmes de rentabilité. Chacune a extrait en moyenne 30 kilogrammes d'or, un chiffre sensiblement inférieur à la production habituelle des petites exploitations alluvionnaires disposant d'une AEX, puisque celle-ci oscille entre 50 et 60 kilogrammes.

En 2015, nous nous sommes entretenus avec un petit nombre de ceux qui avaient pris part à notre expérimentation, pour compléter leurs notes de bilan, parfois trop lacunaires à notre goût, par des éléments qualitatifs, mais il ne nous a pas toujours été possible d'étayer ces derniers.

Nous disposons toutefois de données précises sur la qualité de la réhabilitation des sites. La loi oblige les exploitants légaux à les revégétaliser et remettre en place les cours d'eau. La majorité des acteurs de la filière a progressé sur ces points, ces dernières années.

Six des dix sites exploités dans le cadre de la procédure accélérée ont été réhabilités. Cinq ont obtenu le quitus. Le sixième relevait de la responsabilité d'une entreprise depuis rachetée par une autre. Un tel bilan ne s'avère pas tout à fait satisfaisant.

Nous avons tenté de porter une appréciation sur la qualité des techniques déployées. L'objectif était d'épuiser les gisements pour éviter le retour des orpailleurs illégaux. Les entreprises disposant des meilleures capacités techniques et financières ne se sont pas portées volontaires. Seules deux entreprises sur les sept sélectionnées ont sollicité l'accompagnement technique du pôle technique minier de Guyane (PTMG).

Il nous a été rapporté que les entreprises n'avaient pas toujours observé un comportement exemplaire. Dans certains cas, des orpailleurs illégaux sont demeurés à proximité des sites légaux. Çà ou là, des questions ont surgi sur la manière de gérer ce voisinage. Nous entrons là dans une zone grise où il ne nous a pas été possible de trouver des éléments avérés.

La réhabilitation de six sites sur dix seulement a nui à l'image du secteur minier, dont le comportement n'a pas été à la hauteur des attentes. Les associations de protection de l'environnement l'ont retenu.

Nous ne sommes pas parvenus à déterminer si des orpailleurs illégaux sont revenus sur les sites à l'issue de leur exploitation légale. Personne n'a pu nous renseigner. Nous y voyons une carence dans le suivi de cette expérimentation.

Nous approuvons la décision de l'administration d'encadrer réglementairement la démarche des exploitants légaux. Certains, dans la filière aurifère, souhaiteraient, pour gagner du temps, entreprendre leur activité à la suite d'un simple arrêté de police, ce qui impliquerait de prendre des distances vis-à-vis du cadre légal, au risque de s'exposer à des recours. Aussi recommandons-nous de ne pas suivre cette voie.

Notre expérimentation a retenu l'AEX comme unique outil administratif d'exploitation, limité à une superficie d'un kilomètre carré. Nous avons entendu dire que, sur certains sites, il aurait été souhaitable d'exploiter une zone plus vaste pour mieux réduire les pillages par les orpailleurs clandestins et les risques qu'ils reviennent par la suite. La réforme du code minier en cours envisage de déconcentrer la procédure d'instruction des permis d'exploitation (PEX), portant sur une plus grande surface. Il semblerait intéressant d'y recourir dans le cadre d'une nouvelle expérimentation.

Le choix de mener rapidement la prospection sur les sites retenus s'est, a posteriori, révélé une erreur. Il ne faudrait pas sous-estimer l'importance d'évaluer la ressource et d'apprécier la rentabilité d'une exploitation. L'une d'elles s'est arrêtée au bout de trois mois.

Nous tirons en somme de notre expérimentation un bilan mitigé. Elle a pris fin sans qu'un bilan soit d'ailleurs publié. Aux problèmes déjà mentionnés s'est ajouté un conflit, ayant eu un certain retentissement, entre deux exploitants. L'un avait déposé une demande d'AEX selon la procédure normale, à laquelle s'est superposée une demande similaire, par une autre entreprise, dans le cadre de la procédure accélérée.

Cette procédure a finalement laissé une mauvaise image. Les associations de protection de l'environnement que nous avons rencontrées n'ont pas jugé l'expérimentation concluante en raison de son manque d'exemplarité.

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Antoine Masson, ingénieur général des Mines au ministère de l'économie, des finances et de la relance

En 2019 s'est déroulée une autre initiative du même type sur le site dit « PK48 », en référence au point kilométrique 48 de la route nationale (RN) 2 reliant Cayenne à Saint-Georges de l'Oyapock, à proximité de l'un des sites d'orpaillage illégal les plus proches de Cayenne.

L'installation des opérateurs clandestins y remonte à 2018, au lendemain de l'exploitation d'un site alluvionnaire par la compagnie minière Boulanger, une entreprise minière de taille moyenne du département. Les illégaux ont d'abord repris l'exploitation du site alluvionnaire avant de s'établir au sommet d'une colline où ils ont creusé des dizaines de puits et de galeries pour exploiter la roche primaire en profondeur.

Les forces Harpie y ont multiplié les opérations répressives fin 2018 et début 2019. Malgré des destructions de matériel et le comblement de puits, l'activité illégale a continué, favorisée par la proximité de la nationale.

La présence de clandestins a occasionné des problèmes de sécurité publique à la population des environs, jusqu'au village de Cacao.

La compagnie minière Boulanger, estimant que la sécurité de ses travailleurs n'était plus garantie, a décidé d'arrêter ses travaux de prospection dans la zone. À l'été 2019, préfet et procureur ont décidé d'un plan d'urgence. Un poste temporaire des forces Harpie a été créé pour qu'elles poursuivent leurs interventions répressives. La compagnie Boulanger a ainsi pu reprendre ses opérations sous la protection des forces Harpie.

Pendant près d'un an, cette société a réalisé des forages profonds de reconnaissance de gisement avec le concours d'une société canadienne spécialisée. Une fois ces travaux terminés, vers la mi-2020, la sécurisation du site s'est allégée. Très vite, les illégaux sont revenus. Les données recueillies lors de la campagne de forage sont en cours d'analyse. Nous attendons que la compagnie minière Boulanger et son partenaire prennent des décisions quant à la suite des opérations.

Les organisations non gouvernementales (ONG) que nous avons rencontrées ne jugent pas notre approche valide, parce que :

- aucun constat n'a permis d'établir que les illégaux aient été durablement éloignés des sites,

- les résultats des expérimentations s'avèrent peu probants,

- les illégaux, aux coûts d'exploitation bas, reviennent exploiter ce que les légaux n'ont pas exploité du fait de leurs coûts d'exploitation plus élevés, et enfin,

- notre expérimentation a entraîné des conséquences sur la sécurité des opérateurs légaux, du fait de leur proximité avec les acteurs de la lutte contre l'orpaillage illégal.

En réalité, les ONG contestent l'idée même de substituer de l'extraction minière légale à une exploitation illégale. L'existence d'une activité minière en tant que telle constitue à leurs yeux un problème.

Ces arguments doivent être entendus. Nous ne saurions considérer comme probants les résultats de l'expérimentation conduite de 2013 à 2015. La preuve de la possibilité d'exploiter légalement une zone de manière à éviter tout retour d'exploitants illégaux n'a pas établie.

Il nous semblerait toutefois intéressant de procéder à une nouvelle expérimentation, cette fois sur un très petit nombre de sites, afin de ne pas trop mobiliser les forces Harpie. L'objectif consisterait, cette fois, à prouver qu'installer une exploitation légale sur un ancien site clandestin peut y éviter le retour des illégaux. Il conviendrait de réunir les meilleures conditions pour que cette preuve soit établie, cette fois avec succès.

D'abord, à la différence de ce qui s'est passé entre 2013 et 2015, il faudrait associer les opérateurs au choix des sites pour s'assurer de l'intérêt que ceux-ci présentent pour les entreprises minières.

Ensuite, il conviendrait de procéder à une sélection plus stricte des opérateurs selon leur capacités techniques.

Enfin, nous préconisons la mise en place, dès le début, d'un dispositif de suivi aboutissant à l'évaluation des opérations.

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Compte tenu de l'étendue du territoire guyanais et de l'ampleur du problème que pose l'orpaillage illégal, il n'est pas évident d'obtenir des résultats significatifs à l'issue d'une première expérimentation de quelques mois.

Quelles mesures, autoritaires ou non, recommanderiez-vous pour enrayer la croissance de l'orpaillage illégal en Guyane ?

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Bernard Larrouturou, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts au ministère de la transition écologique

Nous devons clairement admettre que les opérateurs miniers légaux ne peuvent contribuer que de manière limitée à la réduction de l'orpaillage illégal. Il suffit de considérer les proportions prises par l'activité minière clandestine, dix fois plus importante à ce jour que l'exploitation légale de l'or.

Il faut aussi admettre que l'exploitation légale ne pourra jamais s'établir sur certains sites clandestins au cœur du parc amazonien ou à proximité d'habitations ou de captages d'eau potable.

Tout en comprenant les critiques des ONG qui n'estiment pas probante l'expérimentation réalisée de 2013 à 2015, nous estimons que la preuve n'a pas non plus été apportée de son échec. À condition d'en tirer les leçons, cette démarche peut rencontrer des succès qui vaillent la peine de la renouveler.

Il nous est difficile, en termes de recommandations, d'aller plus loin sous peine de sortir du cadre de notre lettre de mission. Nous ne nous sommes pas penchés sur les volets répressif ou diplomatique, qui s'attaquent à l'orpaillage illégal avec des moyens de plus grande ampleur que les nôtres.

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Précisément ! Ne vous semble-t-il pas qu'il faudrait en premier lieu agir sur le terrain de la diplomatie avec nos voisins du Suriname et du Brésil ?

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Bernard Larrouturou, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts au ministère de la transition écologique

Je serais embarrassé de vous répondre. Nous n'avons pas investigué ces sujets. D'après ce que nous avons pu entendre, agir sur le plan diplomatique s'avère indispensable, puisque les chaînes logistiques traversent les deux fleuves frontaliers.

L'accord conclu voici quelques mois avec le Suriname, délimitant notamment la frontière sur le Maroni, laisse espérer une meilleure coopération, mais nous n'avons pas d'éclairage particulier à vous apporter sur ce point.

La séance est levée à seize heures.