Intervention de Dominique Simonnot

Réunion du mercredi 15 septembre 2021 à 16h00
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) :

Il y a deux cents ans, le député d'Haussonville dénonçait le triste état de nos prisons. En l'an 2000, députés et sénateurs se sont à leur tour lancés dans des commissions d'enquête, desquelles il est ressorti deux rapports, dont l'un s'intitulait Prisons : une humiliation pour la République.

Lors de ma première visite dans une prison, j'ai éprouvé le choc carcéral. J'ai alors compris ce que représentait la situation de trois personnes encellulées dans 4,3 mètres carrés, compte tenu de la place prise par les équipements. J'ai entendu des hommes nous raconter que quand l'un allait aux toilettes, ses codétenus devaient augmenter le volume de la télévision. Un autre nous racontait attendre que ses codétenus se rendent en balade pour aller aux toilettes. À la prison de Seysses, occupée à 180 %, les détenus faisaient leurs besoins dans des seaux en raison de l'indisponibilité des toilettes. Nous recevons des lettres de détenus qui se disent terrorisés en raison des importantes infestations de cafards dans les cellules. Certains détenus dormant sur le sol nous racontent qu'ils se calfeutrent la nuit dans leurs draps et se bouchent leurs oreilles avec du papier hygiénique pour se protéger des cafards. Il existe de nombreux exemples en la matière.

En 2003, à la prison de Seysses, il était prévu qu'un surveillant ait la charge de 53 détenus. Or, à l'heure actuelle, un surveillant est chargé de la surveillance de 150 détenus. Quel être humain pourrait supporter l'accroissement de trois fois sa charge de travail ? Il s'agit d'un traitement inhumain. Pensez-vous par ailleurs que les détenus sortiront meilleurs à l'issue de telles conditions d'incarcération ?

La surpopulation carcérale accroît la violence entre les détenus et à l'égard des surveillants. De même, la surpopulation restreint l'accès aux douches, au travail, à l'enseignement, etc. En outre, en période de crise du covid, l'accès à l'ensemble des services est retreint par les mesures sanitaires. Par exemple, l'accès aux parloirs est limité : les détenus ne peuvent avoir de contact physique avec leur famille, laquelle doit arriver une heure à l'avance sous peine de ne pouvoir accéder au parloir.

La réponse à la surpopulation pourrait être la construction de places de prisons. Cependant, ce n'est pas notre avis. Il y a environ dix ans, la CNCDH – la Commission nationale consultative des droits de l'homme – et le CGLPL ont rendu un avis commun sur ce point : il pointait le fait que la construction de places de prison supplémentaires était contre-productive en l'absence d'entretien du parc immobilier existant. De plus, cette politique encourage le législateur et la magistrature à ne pas étudier la question des aménagements de peine et des alternatives à l'incarcération. Enfin, les nouveaux établissements sont construits loin des villes et privilégient le sécuritaire au détriment de la vie en commun.

De récentes réformes, comme la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice de Nicole Belloubet, esquissaient un semblant de régulation carcéral à travers différentes mesures. Or nous avons constaté sur le terrain que cette loi n'est pas appliquée dans beaucoup de lieux. Il existe de grandes différences de traitement en fonction des magistrats qui prononcent les peines. Nous constatons qu'il est plus facile de décider de l'incarcération d'une personne plutôt que de l'aménagement de sa peine.

Il est dommage que l'on ne se serve pas du souffle d'air apporté par les ordonnances de Nicole Belloubet prises pendant la crise sanitaire, pour redémarrer sur des bases plus saines. Ces ordonnances avaient permis de ramener le nombre de détenus à 58 000, contre 72 000 en janvier 2020. Actuellement, le nombre est de nouveau monté à 70 000 détenus, à raison de 1 000 nouvelles entrées par mois.

Par ailleurs, il est cynique, de la part du garde des sceaux, d'avoir inséré dans le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, la suppression des crédits automatiques de réduction de peine. Ceux-ci n'étaient pas automatiques puisqu'ils pouvaient être retirés en cas d'incident. Ces crédits ont été remplacés par les efforts réalisés par les détenus. Or seuls 20 % d'entre eux ont accès au travail. De plus, ils doivent souvent patienter six mois afin de consulter un psychiatre et un an afin de consulter un dentiste. L'effort demandé est impossible à atteindre.

Nous aurions pu réfléchir à une inflexion des comparutions immédiates qui remplissent 40 % des cellules et sont particulièrement discriminatoires. Nous y rencontrons beaucoup d'anciens de l'aide sociale à l'enfance – l'ASE – et de personnes souffrantes d'addictions ou défavorisées. Il est dommage que le garde des sceaux n'ait pas agi réaliser de proposition sur ce point.

En 2018, le Président de la République avait pourtant prononcé un discours à l'École nationale d'administration pénitentiaire. Il souhaitait, à l'époque, expérimenter la régulation carcérale. Or je n'en vois pas de trace dans l'actuel projet de loi.

Heureusement, l'exemple vient du terrain. À la prison de Grenoble, une entente a été scellée entre la direction de la prison, le procureur, le président du tribunal et les services pénitentiaires d'insertion et de probation. En vertu de cet accord, dès que la prison dépasse un taux d'occupation de 130 %, se déclenche un mécanisme de régulation carcérale. L'application de ce dispositif a permis la création de meilleures conditions de détention ainsi que des conditions de travail plus sereines pour le personnel.

Je voudrais également aborder la problématique des personnes qui ne devraient pas se trouver en prison, dont les fous, qui représentent près de 30 % des détenus, obligeant les surveillants de prison à se muer en infirmiers psychiatriques et entraînant une grande souffrance pour ces personnes ainsi que pour leurs codétenus.

Il y a peu, l'équipe du CGLPL a visité la prison de Bedenac. Dans l'unité de soutien et d'autonomie, dix-sept détenus atteints de graves maladies – très vieux, impotents, obèses –étaient laissés à l'abandon, baignant dans leurs déjections, parce que l'infirmière ne venait que deux fois par semaine. Le médecin de l'établissement, qui appelait au secours les autorités depuis quatre ans, était sur le point de démissionner au moment de la visite.

L'une de vos questions portait sur les conditions d'incarcération des jeunes. Je vous remercie de ne pas avoir utilisé le mot « mineurs », très péjoratif. Dans les procédures de comparutions immédiates, l'on retrouve beaucoup de personnes issues de l'ASE. Or, il n'existe aucune étude longitudinale permettant de connaître le parcours de ces personnes entre le moment où ils quittent l'ASE et le moment où ils sont incarcérés. Une telle étude nous permettrait de mettre en lumière les échecs liés au parcours de vie. Dans les centres éducatifs fermés, les éducateurs soulignent l'absence de suivi sur le long terme de ces jeunes. Il est regrettable qu'autant d'argent public et qu'autant d'énergie soient dépensés pour aboutir à de tels échecs. Il serait souhaitable de réaliser une étude sérieuse sur le parcours de ces enfants, leur prise en charge et leur devenir.

Dans une prison, j'ai rencontré un enfant atteint de trisomie 18 ayant été incarcéré. Cet enfant a vécu dix jours pendant lesquels il était replié sur lui-même et baignant dans ses propres déjections, sans avoir de contact avec d'autres personnes. Il était terrorisé.

Enfin, je voudrais citer l'historienne Michelle Perrot, selon laquelle il sera difficile de réformer la prison, mais qui encourage à ne jamais perdre espoir et assure que nous y arriverons. Il ne faut pas renoncer. Nous sommes tous responsables de cet état de fait. Comment avons-nous réussi à nous considérer comme normale, la situation de trois personnes enfermées presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans une cellule ? Cela interroge notre société, qui gagnerait sur tous les plans à améliorer cette situation.

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