Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Mercredi 15 septembre 2021
La séance est ouverte à seize heures dix.
(Présidence de M. Philippe Benassaya, président de la commission)
Nous poursuivons notre première journée d'auditions. Cette commission d'enquête a été créée à la demande du groupe Les Républicains, dont je suis membre, en vue d'identifier les dysfonctionnements et les manquements de la politique pénitentiaire française. Ces dysfonctionnements ont été constatés de longue date, mais les pouvoirs publics peinent à les corriger. Il s'agit d'un sujet vaste, difficile et délicat.
Nous nous sommes fixé un vaste cadre d'investigation, que vous rappellera Mme la rapporteure. Après avoir auditionné le directeur de l'administration pénitentiaire, nous vous auditionnons vous, deux dirigeants de deux autorités administratives indépendantes. Puis, nous procéderons à l'audition de la défenseure des droits.
Je vous informe que nous effectuerons également plusieurs déplacements dans des établissements pénitentiaires. Nous commencerons par la visite de l'établissement de la Santé, puis nous nous rendrons aux Baumettes.
Il vous est demandé de commencer par prononcer un exposé d'une quinzaine de minutes afin d'apporter de premiers éclaircissements sur une série de questions qui vous ont été préalablement adressées. Ce questionnaire étant très fourni, il ne vous sera probablement pas possible d'y répondre de manière exhaustive en une heure et demie. Vous serez donc invités à nous communiquer par écrit les informations complémentaires.
Je vous souhaite la bienvenue à l'Assemblée nationale. Nous vous rencontrons régulièrement, car le sujet de la détention tient particulièrement à cœur au Parlement. Nous nous retrouvons ce jour dans le cadre d'une commission d'enquête constituée à la demande du groupe Les Républicains, qui a posé un certain nombre de questions dont je me fais le porte-voix. Le vocabulaire choisi, notamment les termes « dysfonctionnements » et de « manquements », a pu heurter le personnel pénitentiaire.
Nous avons fixé un cadre que je me permets de vous rappeler. Nous vous avons adressé des questions sur la problématique de la surpopulation carcérale ainsi que sur la dégradation des conditions de détention. Une question portait sur le lien entre les conditions de détention et le phénomène de radicalisation religieuse des personnes détenues. Une troisième question portait sur l'évaluation de l'impact de l'insuffisance du nombre de places sur la réponse pénale. Une quatrième question portait sur les dispositifs de réinsertion. Enfin, il était question d'aborder la problématique du traitement carcéral des délinquants mineurs.
La réponse à ces questions peut se trouver dans l'entretien du parc immobilier et la construction de nouvelles places de prison, la gestion des ressources humaines ou les conditions de détentions et services associés.
Lors de l'audition du directeur de l'administration pénitentiaire, nous avons également abordé le thème de l'encellulement individuel et du traitement des détenus selon leur régime d'incarcération. Enfin, nous pourrons aborder la question des violences en prison, de sécurisation des détentions et du respect de la laïcité en prison.
Bien que le sujet soit assez vaste, vous n'êtes pas obligés d'être exhaustifs pour autant. Nous vous laissons, dans un propos liminaire, nous présenter votre vision de la politique pénitentiaire française, puis nous vous adresserons des questions.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Dominique Simonnot et M. André Ferragne prêtent successivement serment.)
Il y a deux cents ans, le député d'Haussonville dénonçait le triste état de nos prisons. En l'an 2000, députés et sénateurs se sont à leur tour lancés dans des commissions d'enquête, desquelles il est ressorti deux rapports, dont l'un s'intitulait Prisons : une humiliation pour la République.
Lors de ma première visite dans une prison, j'ai éprouvé le choc carcéral. J'ai alors compris ce que représentait la situation de trois personnes encellulées dans 4,3 mètres carrés, compte tenu de la place prise par les équipements. J'ai entendu des hommes nous raconter que quand l'un allait aux toilettes, ses codétenus devaient augmenter le volume de la télévision. Un autre nous racontait attendre que ses codétenus se rendent en balade pour aller aux toilettes. À la prison de Seysses, occupée à 180 %, les détenus faisaient leurs besoins dans des seaux en raison de l'indisponibilité des toilettes. Nous recevons des lettres de détenus qui se disent terrorisés en raison des importantes infestations de cafards dans les cellules. Certains détenus dormant sur le sol nous racontent qu'ils se calfeutrent la nuit dans leurs draps et se bouchent leurs oreilles avec du papier hygiénique pour se protéger des cafards. Il existe de nombreux exemples en la matière.
En 2003, à la prison de Seysses, il était prévu qu'un surveillant ait la charge de 53 détenus. Or, à l'heure actuelle, un surveillant est chargé de la surveillance de 150 détenus. Quel être humain pourrait supporter l'accroissement de trois fois sa charge de travail ? Il s'agit d'un traitement inhumain. Pensez-vous par ailleurs que les détenus sortiront meilleurs à l'issue de telles conditions d'incarcération ?
La surpopulation carcérale accroît la violence entre les détenus et à l'égard des surveillants. De même, la surpopulation restreint l'accès aux douches, au travail, à l'enseignement, etc. En outre, en période de crise du covid, l'accès à l'ensemble des services est retreint par les mesures sanitaires. Par exemple, l'accès aux parloirs est limité : les détenus ne peuvent avoir de contact physique avec leur famille, laquelle doit arriver une heure à l'avance sous peine de ne pouvoir accéder au parloir.
La réponse à la surpopulation pourrait être la construction de places de prisons. Cependant, ce n'est pas notre avis. Il y a environ dix ans, la CNCDH – la Commission nationale consultative des droits de l'homme – et le CGLPL ont rendu un avis commun sur ce point : il pointait le fait que la construction de places de prison supplémentaires était contre-productive en l'absence d'entretien du parc immobilier existant. De plus, cette politique encourage le législateur et la magistrature à ne pas étudier la question des aménagements de peine et des alternatives à l'incarcération. Enfin, les nouveaux établissements sont construits loin des villes et privilégient le sécuritaire au détriment de la vie en commun.
De récentes réformes, comme la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice de Nicole Belloubet, esquissaient un semblant de régulation carcéral à travers différentes mesures. Or nous avons constaté sur le terrain que cette loi n'est pas appliquée dans beaucoup de lieux. Il existe de grandes différences de traitement en fonction des magistrats qui prononcent les peines. Nous constatons qu'il est plus facile de décider de l'incarcération d'une personne plutôt que de l'aménagement de sa peine.
Il est dommage que l'on ne se serve pas du souffle d'air apporté par les ordonnances de Nicole Belloubet prises pendant la crise sanitaire, pour redémarrer sur des bases plus saines. Ces ordonnances avaient permis de ramener le nombre de détenus à 58 000, contre 72 000 en janvier 2020. Actuellement, le nombre est de nouveau monté à 70 000 détenus, à raison de 1 000 nouvelles entrées par mois.
Par ailleurs, il est cynique, de la part du garde des sceaux, d'avoir inséré dans le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, la suppression des crédits automatiques de réduction de peine. Ceux-ci n'étaient pas automatiques puisqu'ils pouvaient être retirés en cas d'incident. Ces crédits ont été remplacés par les efforts réalisés par les détenus. Or seuls 20 % d'entre eux ont accès au travail. De plus, ils doivent souvent patienter six mois afin de consulter un psychiatre et un an afin de consulter un dentiste. L'effort demandé est impossible à atteindre.
Nous aurions pu réfléchir à une inflexion des comparutions immédiates qui remplissent 40 % des cellules et sont particulièrement discriminatoires. Nous y rencontrons beaucoup d'anciens de l'aide sociale à l'enfance – l'ASE – et de personnes souffrantes d'addictions ou défavorisées. Il est dommage que le garde des sceaux n'ait pas agi réaliser de proposition sur ce point.
En 2018, le Président de la République avait pourtant prononcé un discours à l'École nationale d'administration pénitentiaire. Il souhaitait, à l'époque, expérimenter la régulation carcérale. Or je n'en vois pas de trace dans l'actuel projet de loi.
Heureusement, l'exemple vient du terrain. À la prison de Grenoble, une entente a été scellée entre la direction de la prison, le procureur, le président du tribunal et les services pénitentiaires d'insertion et de probation. En vertu de cet accord, dès que la prison dépasse un taux d'occupation de 130 %, se déclenche un mécanisme de régulation carcérale. L'application de ce dispositif a permis la création de meilleures conditions de détention ainsi que des conditions de travail plus sereines pour le personnel.
Je voudrais également aborder la problématique des personnes qui ne devraient pas se trouver en prison, dont les fous, qui représentent près de 30 % des détenus, obligeant les surveillants de prison à se muer en infirmiers psychiatriques et entraînant une grande souffrance pour ces personnes ainsi que pour leurs codétenus.
Il y a peu, l'équipe du CGLPL a visité la prison de Bedenac. Dans l'unité de soutien et d'autonomie, dix-sept détenus atteints de graves maladies – très vieux, impotents, obèses –étaient laissés à l'abandon, baignant dans leurs déjections, parce que l'infirmière ne venait que deux fois par semaine. Le médecin de l'établissement, qui appelait au secours les autorités depuis quatre ans, était sur le point de démissionner au moment de la visite.
L'une de vos questions portait sur les conditions d'incarcération des jeunes. Je vous remercie de ne pas avoir utilisé le mot « mineurs », très péjoratif. Dans les procédures de comparutions immédiates, l'on retrouve beaucoup de personnes issues de l'ASE. Or, il n'existe aucune étude longitudinale permettant de connaître le parcours de ces personnes entre le moment où ils quittent l'ASE et le moment où ils sont incarcérés. Une telle étude nous permettrait de mettre en lumière les échecs liés au parcours de vie. Dans les centres éducatifs fermés, les éducateurs soulignent l'absence de suivi sur le long terme de ces jeunes. Il est regrettable qu'autant d'argent public et qu'autant d'énergie soient dépensés pour aboutir à de tels échecs. Il serait souhaitable de réaliser une étude sérieuse sur le parcours de ces enfants, leur prise en charge et leur devenir.
Dans une prison, j'ai rencontré un enfant atteint de trisomie 18 ayant été incarcéré. Cet enfant a vécu dix jours pendant lesquels il était replié sur lui-même et baignant dans ses propres déjections, sans avoir de contact avec d'autres personnes. Il était terrorisé.
Enfin, je voudrais citer l'historienne Michelle Perrot, selon laquelle il sera difficile de réformer la prison, mais qui encourage à ne jamais perdre espoir et assure que nous y arriverons. Il ne faut pas renoncer. Nous sommes tous responsables de cet état de fait. Comment avons-nous réussi à nous considérer comme normale, la situation de trois personnes enfermées presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans une cellule ? Cela interroge notre société, qui gagnerait sur tous les plans à améliorer cette situation.
Je vous remercie pour cet état des lieux. Je tiens à corriger un élément : 30 % des détenus souffrent de troubles du comportement, le mot « fous » est exagéré.
Je souhaiterais connaître plus précisément votre champ d'intervention et vos méthodes d'action dans le milieu carcéral.
J'exerce mes responsabilités avec beaucoup de sincérité. Avec mon équipe, nous avons la possibilité de visiter l'ensemble des établissements pénitentiaires, quand nous le souhaitons. Nous pouvons visiter l'ensemble de l'établissement, parler à l'ensemble des personnes qui s'y trouvent et nous faire remettre les documents que nous demandons. Ainsi, nous interrogeons aussi bien les détenus que les surveillants ou les directeurs. Nous réalisons des visites inopinées qui peuvent durer plusieurs journées, voire plusieurs semaines. À l'issue de chaque journée de visite, nous faisons le point au sein de notre équipe. À l'issue de la visite, nous réalisons une restitution en présence de l'ensemble du personnel de l'établissement pénitentiaire.
Les visites sont réalisées par des équipes pluridisciplinaires composées de personnes charge de la sécurité, d'un juriste et d'une personne issue des professions de santé. Ces équipes effectuent leurs constats au regard de l'objectif assigné par la loi au CGLPL. Cet objectif est celui de s'assurer du respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Nous avons transcrit concrètement cet objectif dans un document servant de référence à l'ensemble de nos contrôles : Recommandations minimales du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Il est disponible sur notre site Internet.
À l'issue de chaque visite, nous établissons un rapport et l'adressons dans un premier temps au directeur de l'établissement pour le contradictoire, puis dans un second temps aux ministres de la justice et de la santé. Ce rapport contient des observations que nous distinguons entre bonnes pratiques et recommandations. Après trois ans, nous procédons à un suivi de ces recommandations en interrogeant le ministre destinataire. Ce suivi donne lieu à une annexe de notre rapport annuel qui est présenté chaque année en commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Nos recommandations, directement issues de nos constats, portent sur la situation de l'établissement. Par ailleurs, nous avons la possibilité d'adresser au Gouvernement des recommandations de portée plus générale ; elles prennent la forme d'avis quand la question est théorique, ou de recommandations en urgence quand il s'agit d'atteintes graves que nous constatons. Ces textes sont publiés au Journal officiel et font également l'objet d'un suivi au bout de trois années. Dans le cas des recommandations en urgence, nous retournons visiter l'établissement au bout de trois ans.
Je vous remercie d'avoir souligné l'initiative réalisée à Grenoble et félicite les acteurs qui en sont à l'origine.
Je rebondis sur votre remarque portant sur la construction des nouvelles prisons loin des villes. La construction de nouveaux établissements soulève la difficulté à trouver du foncier. Sans les collectivités territoriales partenaires, toute initiative serait rendue plus difficile. Comment envisagez-vous cette question ? Comment faire des collectivités territoriales de meilleurs partenaires ?
C'est une excellente question. Quand je travaillais au Canard enchaîné, je recevais d'ailleurs un nombre important de recours de personnes qui ne souhaitaient pas l'implantation de prisons à proximité de chez elles.
Chaque fois que l'on détruit une prison implantée en ville, elle est reconstruite en dehors de la ville, c'est malheureux. La prison fait partie de la société et ne doit pas être cachée. En outre, cela complique la vie des familles qui se rendent au parloir ou la vie des détenus semi-libres qui se rendent au travail. Nous pourrions tenter de convaincre les collectivités territoriales en insistant sur le gain sur le plan économique que représente l'implantation d'une prison.
Par ailleurs, il faut souligner que les établissements installés hors des villes sont gigantesques et ont souvent plusieurs vocations. Traditionnellement, le CGLPL demande que les établissements nouvellement construits n'excèdent pas 400 places et surtout que ne soient pas construits des établissements « multivocationnels ». Ces établissements partagent les installations collectives entre différents régimes de détention. Or la cohabitation se passe généralement mal.
La maison d'arrêt de Nantes constitue un exemple de gigantisme. Il est possible de traverser l'ensemble de cet établissement sans rencontrer quiconque, le personnel pénitentiaire y pâtit d'isolement et s'en plaint.
Nous sommes aussi en train de rédiger un rapport sur le centre de détention de Villenauxe-la-Grande. Il s'agit d'un centre de détention de 600 places, mais qui n'accueille actuellement que 280 détenus. En effet, l'établissement manque de personnel en raison de sa localisation géographique.
Les établissements de Draguignan et de Mont-de-Marsan ne dépassent pas 400 places, à ma connaissance, et semblent suivre un mode de fonctionnement plus moderne et plus ouvert. Je voudrais que vous précisiez vos propos au sujet du personnel pénitentiaire qui se sent isolé. Je n'ai pas eu ce sentiment au regard des deux établissements précités.
L'établissement de Mont-de-Marsan expérimente le régime Respect. Il ne gère pas un régime de détention traditionnel. Les plaintes pour isolement des personnels pénitentiaires concernent, quant à elles, le manque de contact informel entre collègues. À Nantes, un jeune officier se plaignait de ne pouvoir poser de questions à caractère informel à ses collègues de travail. Les centres de détention très éloignés auxquels je faisais particulièrement référence sont les établissements de Joux-la-Ville, Varennes-le-Grand et Villenauxe-la-Grande.
Les établissements multivocationnels présentent de nombreuses difficultés. En particulier, il est difficile de partager les installations sportives entre des personnes vivant sous un régime de libre circulation et des détenus placés en maison d'arrêt. Tous ces éléments posent des problèmes de cohabitation et des difficultés d'accès aux différents services.
Mme Simonnot, vous indiquiez que les délais d'attente des détenus pour l'accès au soin sont exorbitants. Il est logique que les cas les plus aigus vous parviennent et ils sont condamnables. Pouvez-vous néanmoins quantifier la durée d'attente moyenne pour un rendez-vous médical en prison selon les établissements ? Pour notre part, nous recevons également des réclamations des détenus. Cependant, vos outils d'investigation doivent permettre de mesurer ce phénomène de manière plus précise. Ils pourraient éventuellement permettre de relativiser ces cas extrêmes.
Il n'est pas tellement possible de relativiser. Cependant, je conviens que ce sont principalement les cas les plus aigus qui nous parviennent. J'ai rencontré des détenus qui attendaient depuis des mois certaines opérations. J'approuve votre idée de tracer de façon plus précise ces retards. C'est en notre pouvoir.
De manière générale, ce n'est pas l'accès à la médecine de proximité qui pose un problème. La difficulté principale réside dans l'accès aux soins de spécialité et à l'accompagnement paramédical. Toute la population française souffre d'un problème de démographie médicale. En prison, cette difficulté d'accès aux soins est accentuée car les spécialistes sont confrontés aux difficultés d'accès aux établissements pénitentiaires.
Les soins pour lesquels il y a une plus grande difficulté d'accès sont la dentisterie, l'optique et la kinésithérapie. Puis, se pose la difficulté de l'accès aux spécialistes nécessitant un transfert à l'hôpital. Cette manœuvre est compliquée à conduire pour l'administration pénitentiaire. Nous prônons le recours à la télémédecine, bien que ce ne soit pas toujours possible. À l'établissement de Seysses par exemple, il n'y a qu'un seul véhicule permettant de transférer les détenus à l'hôpital, ce qui n'est pas suffisant.
Les difficultés d'accès aux soins psychiatriques sont également importantes. Les détenus reçoivent souvent la promesse d'accès aux soins lorsqu'ils seront incarcérés. Or cela ne se retrouve pas dans la réalité.
J'ai eu l'occasion de travailler sur ces dossiers il y a une quinzaine d'années, alors que j'étais rapporteure pour avis du budget de l'administration pénitentiaire et de la PJJ – la protection judiciaire de la jeunesse. Malheureusement, les situations ont évolué très lentement, voire se sont dégradées. En outre, elles diffèrent grandement selon les établissements. Certains, installés en centre-ville sont dans un état catastrophique. Nous avons des prisons terriblement vieillissantes présentent des problèmes de sécurité pour les gardiens. D'autres établissements, en revanche, sont plus modernes, mais présentant de vraies difficultés pour les visites des familles. Votre constat douloureux est partagé. Humainement, certaines situations sont inacceptables.
Néanmoins, je partage moins votre analyse à propos de la construction de nouvelles places. Je souhaite que les prisonniers soient traités avec dignité. Cependant, je souhaite également que la justice puisse être rendue et qu'elle puisse décider de l'incarcération, entre autres mesures.
En revanche, je partage votre analyse sur le mélange des populations. Il est dramatique de mélanger des personnes non jugées avec des personnes condamnées pour des périodes très longues. La problématique de la radicalisation est également importante.
J'aimerais mieux comprendre le fonctionnement de votre administration. Combien de personnes constituent vos équipes ? Comment se décide l'organisation des visites ? Est-ce pour donner suite à des dénonciations ou organisez-vous à l'avance ces visites ? Prévenez-vous les établissements pénitentiaires ? À la suite de vos visites, vous établissez des recommandations qui font l'objet d'un suivi au bout de trois ans. Cependant, les gouvernements changent, ce qui peut entraîner un manque de suivi des dossiers. Disposez-vous d'une instance permettant d'échanger avec les équipes ministérielles et celles de l'administration pénitentiaires, et de réaliser avec elles un suivi ?
Concernant nos moyens humains, l'institution dispose de trente-trois ou trente-quatre emplois permanents. Quinze d'entre eux sont consacrés à la fonction de chef de mission de contrôle. Huit travaillent dans une direction des affaires juridiques qui comprend une directrice, une directrice adjointe et six rédacteurs chargés de répondre aux quelque 4 000 courriers annuels. Les autres postes correspondent à des emplois de structure : la contrôleure générale et moi-même, une chargée de communication, une responsable des relations internationales, une chargée de mission pour les études et la recherche, ainsi que quatre emplois de soutien et de logistique pour l'organisation des missions.
Les missions sont décidées sur la base de plusieurs critères. Le principal est l'ancienneté de la précédente visite. Le premier contrôleur général avait décidé de visiter toutes les prisons au cours de son mandat. Mme Adeline Hazan avait quant à elle choisi de visiter tous les établissements spécialisés en santé mentale. Dans les deux cas, ces objectifs ont été atteints. Notre système actuel de programmation des visites repose sur l'ancienneté de la visite précédente. Certains établissements, à l'image des établissements pour mineurs, qui ont reçu trois visites chacun, font l'objet d'un suivi plus attentif. Les seuls établissements que nous n'avons pour l'heure pas visités de manière exhaustive sont les services de psychiatrie installés dans les hôpitaux généraux.
Cet ordre est susceptible d'inversion sur la base des courriers que nous recevons, notamment si nous en recevons beaucoup concernant un même établissement. C'est ainsi que nous sommes rendus à Beauvais et à Seysses. Les signalements peuvent être de toute provenance. Il est arrivé à deux reprises que des députés nous signalent des établissements qui mériteraient une visite.
Nous réalisons chaque mois cinq missions comprenant trois visites chacune. Ces visites sont en principe inopinées, ce qui constitue une nouveauté du mandat de Mme Dominique Simonnot. Nous prévenons l'établissement pénitentiaire environ deux heures à l'avance. Cependant, cette arrivée inopinée est plus difficile à mettre en œuvre dans les établissements hospitaliers.
Nous entretenons avec les administrations, notamment l'administration pénitentiaire, des échanges quotidiens. Nous disposons de deux séries d'interlocuteurs à l'administration pénitentiaire : le cabinet du directeur de l'administration pénitentiaire afin d'échanger sur les courriers ; la mission de contrôle interne de l'administration pénitentiaire en vue d'échanger sur les rapports et le suivi des visites. Cette dernière a récemment pris le parti d'intégrer l'ensemble de nos recommandations à ses propres critères de contrôle. C'est également cette équipe qui est chargée du suivi de nos recommandations à trois ans.
Quels liens entretenez-vous avec le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, d'une part, et le défenseur des droits, d'autre part ?
Nous avons des échanges très réguliers avec ces deux institutions.
Récemment, nous avons beaucoup échangé sur les thèmes de la prison et de la psychiatrie.
Notre dernier échange avec la défenseure des droits portait sur l'enfance. Il serait souhaitable que l'ensemble des institutions liées à l'enfance fassent l'objet d'un suivi et d'un contrôle en raison des trop nombreux échecs liés au parcours des enfants.
Avec le défenseur des droits, nous avons des échanges au sujet des courriers individuels. En effet, le défenseur des droits est chargé de l'ensemble de la médiation ainsi que de la déontologie, tandis que notre mission porte sur la prévention des atteintes aux droits. Il est assez régulier que nous échangions sur les courriers que nous recevons. Dès lors qu'une question de déontologie est en cause, nous la transmettons au défenseur des droits. De même, l'ensemble des informations reçues par le défenseur des droits nous est utile afin de mieux connaître l'état général de la prison.
Recevez-vous beaucoup de courriers concernant la situation des personnes transgenres ?
Pouvez-vous nous citer des établissements qui feraient figure de modèle en matière de réinsertion et de prévention de la radicalisation ?
Je citerai l'établissement pénitentiaire de Grenoble.
Nous venons de rendre un avis sur la question des personnes transgenres. Je peux vous adresser cet avis par mail. Il est très intéressant et nous oblige à nous remettre en question.
La réunion se termine à dix-sept heures vingt-cinq
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Philippe Benassaya, M. Éric Diard, M. Jacques Krabal, Mme Michèle Tabarot
Excusés. - Mme Françoise Ballet-Blu, M. Alain David, M. Stéphane Trompille