Intervention de Christophe Millescamps

Réunion du jeudi 16 septembre 2021 à 8h40
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Christophe Millescamps, directeur de l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP) :

J'assure la direction de l'ENAP depuis le 4 février 2019. Cette dernière prend la forme d'un établissement public administratif et s'appuie sur un conseil d'administration. Celui-ci, dirigé par M. Jacques Launay, ancien amiral et conseiller d'État en mission extraordinaire, accueille également des personnalités qualifiées, comme, par exemple, Mme Hélène Cazaux-Charles, magistrate de formation, conseillère d'État en mission extraordinaire. De fait, le conseil d'administration de l'ENAP se compose de personnes en mesure d'apporter un éclairage professionnel et scientifique sur les professions liées à la sécurité notamment.

L'ENAP est l'unique école de formation des fonctionnaires rattachés à l'administration pénitentiaire, toutes catégories confondues. Bien évidemment, elle ne délivre pas de formations techniques à la maintenance : un directeur technique spécialisé dans ce domaine ne sera pas formé à la technique, mais bénéficiera de cours lui permettant d'évoluer dans le milieu pénitentiaire.

Ainsi, toute personne travaillant pour l'administration pénitentiaire passe, à un moment donné, par l'ENAP, dans le cadre d'une formation initiale, d'une formation d'adaptation à l'emploi ou d'une formation d'adaptation à la prise de fonction.

L'ENAP jouit d'une dimension nationale, ce qui lui permet de rayonner sur l'ensemble du territoire, y compris ultramarin. Ainsi, de 25 à 33 % des surveillants sont originaires d'outre-mer.

L'École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, l'ENPJJ, basée à Roubaix, est relayée par des pôles territoriaux dans chacune des directions interrégionales. Tel n'est pas le cas de l'ENAP : basée à Agen, celle-ci s'appuie sur des unités régionales de formation et de qualification, qui travaillent uniquement sur la formation continue et qui sont dédiées à un socle commun. Leur rôle est donc d'actualiser les compétences de base des personnels pénitentiaires, et plus particulièrement des surveillants. Malheureusement, l'administration ne parvient pas à entretenir les connaissances de ces derniers, par le truchement de la formation continue. Le directeur de l'administration pénitentiaire a donc souhaité que l'ENAP conduise des réflexions sur la formation au sens large, dans le cadre des états généraux de la justice.

La durée de la formation à l'ENAP oscille entre six mois pour les élèves surveillants et deux ans pour les directeurs des services pénitentiaires, les directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation et les conseillers d'insertion et de probation.

La question de la socialisation professionnelle constitue un enjeu extrêmement important. Il est donc indispensable de déployer des formations sur le terrain, notamment pour les surveillants. On constate parfois une dichotomie entre la théorie et la pratique : pour lever cette difficulté, il convient de porter le dossier de la formation continue.

L'articulation entre la formation initiale et la formation continue constitue un enjeu central. L'ENAP doit collaborer avec le terrain autour d'un programme de formation professionnelle tout au long de la vie. Il s'agit d'un axe d'autant plus important que la carrière pénitentiaire des surveillants s'est beaucoup diversifiée : elle recouvre le métier de base des surveillants, l'extraction judiciaire, les équipes régionales d'intervention et de sécurité ou les équipes locales de sécurité pénitentiaire, par exemple.

En parallèle, les écoles du service public réinvestissent la question du socle républicain. Ainsi, les valeurs de la République constituent la priorité du schéma directeur de la formation 2022, tel que présenté par la DGAFP – la direction générale de l'administration et de la fonction publique. Elles sous-tendent les formations en lien avec la laïcité, la prévention de la radicalisation ou le renseignement. Dans la période politique actuelle, les services régaliens sont intrinsèquement liés à la question des valeurs républicaines, avec l'idée de ne pas céder aux sirènes de la terreur en abandonnant ce que nous sommes.

S'agissant de l'évolution des métiers pénitentiaires, trois axes majeurs ont été identifiés. En avril 2021, le garde des sceaux a ratifié la « Charte du surveillant pénitentiaire, acteur incontournable d'une détention sécurisée ». Ce document revient sur la participation des surveillants pénitentiaires à l'observation et à l'évaluation des personnes relevant de la justice. Par essence, l'administration pénitentiaire exerce une double mission de réinsertion et de sécurité. Elle doit s'intéresser à la manière dont les détenus réintègrent la société. Cela pose la question de la participation de la prison à la prévention de la récidive.

En complément, il est indispensable de continuer à déployer les pratiques opérationnelles liées à la méthodologie de prise en charge des personnes placées sous la justice. Avant toute chose, cette démarche repose sur la capacité d'évaluation. Pour assurer une prise en charge de qualité ainsi, il est indispensable de savoir à qui l'on s'adresse. L'idée est donc de faire de la criminologie l'une des pratiques professionnelles des services pénitentiaires d'insertion et de formation.

La troisième évolution notable concerne le corps des directeurs des services pénitentiaires : elle renvoie à la création d'un tronc commun les concernant, lequel entrera en vigueur à la prochaine rentrée. Ce dernier, qui a pour rôle de mettre l'inter-ministérialité au cœur de l'action publique, recouvre cinq grandes thématiques, à savoir : les valeurs de la République, sur lesquelles l'ENAP a beaucoup travaillé avec l'ENA et l'ENSP – l'École nationale d'administration et l'École nationale supérieure de la police – ; la transition écologique ; la transformation numérique ; les inégalités et la pauvreté ; le rapport à la science.

Ce dernier axe ne manque pas d'intérêt, dans un contexte où les administrations sont parfois confrontées à des administrés ayant des conceptions dépassées de la cosmologie. Le rapport à la science vise à adosser l'action publique à une démarche pédagogique.

La question de l'empreinte territoriale de l'ENAP constitue un sujet complexe. En 2019, l'administration centrale pénitentiaire s'est réorganisée. Dans ce cadre, la problématique liée au maillage territorial de la formation initiale avait été soulevée. In fine, la décision avait été prise de développer une logique fondée sur des contrats de service, en construisant, avec les URFQ –unités régionales de formation et de qualification –, des outils pédagogiques dédiés à des thématiques spécifiques. À titre d'exemple, des travaux ont été menés avec la direction interrégionale des services pénitentiaires de Rennes, concernant la prévention du risque collectif. La DAP – la direction de l'administration pénitentiaire – nous avait également sollicités concernant le traitement des détenus violents : dans ce cadre, une mallette pédagogique dédiée a été créée ; elle est en cours de déploiement.

En parallèle, de nombreux travaux sont en lien avec la transformation numérique. Du fait de la crise sanitaire, ils sont allés plus vite que prévu. Ainsi, les formations sont désormais presque toutes accessibles à distance. L'idée plus globale est de renforcer les formations à distance, pour être au plus près des agents, au nom de l'égalité d'accès à la formation. Dans ce cadre, il s'agit notamment de renforcer la formation au sein des territoires ultramarins. L'idée est de donner à nos collègues des outils leur permettant d'adapter leurs pratiques professionnelles, mais également d'échanger.

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