Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Réunion du jeudi 16 septembre 2021 à 8h40

Résumé de la réunion

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  • ENAP
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  • pénitentiaire
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  • surveillant
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La réunion

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Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Jeudi 16 septembre 2021

La séance est ouverte à huit heures quarante.

(Présidence de M. Philippe Benassaya, président de la commission)

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Nous recevons, pour ouvrir cette deuxième journée d'audition, M. Christophe Millescamps, directeur de l'École nationale d'administration pénitentiaire, l'ENAP.

Pour rappel, la présente commission d'enquête a été créée à la demande du groupe Les Républicains, auquel j'appartiens, aux fins d'identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française. Alors qu'ils sont constatés de longue date, les pouvoirs publics peinent souvent à les traiter. Le cadre d'investigation est vaste.

Lors de l'audition du directeur de l'administration pénitentiaire d'hier, il a été question de l'ENAP : celle-ci joue en effet un rôle structurant dans le système carcéral. Il nous semblait donc utile d'en mesurer les modalités de fonctionnement.

Il vous est demandé, pour commencer, de prononcer un petit exposé d'une dizaine de minutes, afin de nous apporter de premiers éclairages. Le questionnaire sera ensuite balayé. Si besoin, je vous invite à nous transmettre, par écrit, des compléments d'information. Sans plus attendre enfin, je cède la parole à Mme Caroline Abadie.

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J'observe que vous avez pris vos fonctions à l'ENAP en 2019. J'avais eu l'occasion de la visiter avec M. Joaquim Pueyo, qui était alors président du groupe d'études prison. Cette visite avait été très instructive, nous permettant de voir comment l'ENAP apprenait aux jeunes recrues un métier à la fois passionnant et difficile.

Le cadre de l'enquête qui nous occupe aujourd'hui est vaste et mérite d'être précisé. Le choix a été fait de faire référence aux dysfonctionnements et aux manquements de la politique pénitentiaire française : bien évidemment, ces termes ne ciblent pas personnellement les personnels. Ils concernent les pouvoirs publics. L'idée est d'identifier des moyens et leviers d'action permettant à l'administration pénitentiaire de remplir au mieux sa mission.

La commission d'enquête a pour objectifs : d'évaluer et d'identifier les facteurs ayant abouti à une surpopulation carcérale et à une dégradation progressive des conditions de détention ; d'identifier un éventuel lien de causalité entre ces dernières et les phénomènes de radicalisation ; de se pencher sur l'éventuelle dégradation de la réponse pénale, du fait de la surpopulation observée ; d'examiner les dispositifs de réinsertion ; d'aborder la question du traitement carcéral des délinquants mineurs.

Les auditions de la matinée seront probablement l'occasion de revenir sur le parc immobilier, ainsi que sur les conditions de détention, les régimes d'incarcération, la violence en prison, la sécurisation de la détention, la laïcité et les ressources humaines, qui devraient être au cœur de votre audition.

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L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Christophe Millescamps prête serment.)

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Christophe Millescamps, directeur de l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP)

J'assure la direction de l'ENAP depuis le 4 février 2019. Cette dernière prend la forme d'un établissement public administratif et s'appuie sur un conseil d'administration. Celui-ci, dirigé par M. Jacques Launay, ancien amiral et conseiller d'État en mission extraordinaire, accueille également des personnalités qualifiées, comme, par exemple, Mme Hélène Cazaux-Charles, magistrate de formation, conseillère d'État en mission extraordinaire. De fait, le conseil d'administration de l'ENAP se compose de personnes en mesure d'apporter un éclairage professionnel et scientifique sur les professions liées à la sécurité notamment.

L'ENAP est l'unique école de formation des fonctionnaires rattachés à l'administration pénitentiaire, toutes catégories confondues. Bien évidemment, elle ne délivre pas de formations techniques à la maintenance : un directeur technique spécialisé dans ce domaine ne sera pas formé à la technique, mais bénéficiera de cours lui permettant d'évoluer dans le milieu pénitentiaire.

Ainsi, toute personne travaillant pour l'administration pénitentiaire passe, à un moment donné, par l'ENAP, dans le cadre d'une formation initiale, d'une formation d'adaptation à l'emploi ou d'une formation d'adaptation à la prise de fonction.

L'ENAP jouit d'une dimension nationale, ce qui lui permet de rayonner sur l'ensemble du territoire, y compris ultramarin. Ainsi, de 25 à 33 % des surveillants sont originaires d'outre-mer.

L'École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, l'ENPJJ, basée à Roubaix, est relayée par des pôles territoriaux dans chacune des directions interrégionales. Tel n'est pas le cas de l'ENAP : basée à Agen, celle-ci s'appuie sur des unités régionales de formation et de qualification, qui travaillent uniquement sur la formation continue et qui sont dédiées à un socle commun. Leur rôle est donc d'actualiser les compétences de base des personnels pénitentiaires, et plus particulièrement des surveillants. Malheureusement, l'administration ne parvient pas à entretenir les connaissances de ces derniers, par le truchement de la formation continue. Le directeur de l'administration pénitentiaire a donc souhaité que l'ENAP conduise des réflexions sur la formation au sens large, dans le cadre des états généraux de la justice.

La durée de la formation à l'ENAP oscille entre six mois pour les élèves surveillants et deux ans pour les directeurs des services pénitentiaires, les directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation et les conseillers d'insertion et de probation.

La question de la socialisation professionnelle constitue un enjeu extrêmement important. Il est donc indispensable de déployer des formations sur le terrain, notamment pour les surveillants. On constate parfois une dichotomie entre la théorie et la pratique : pour lever cette difficulté, il convient de porter le dossier de la formation continue.

L'articulation entre la formation initiale et la formation continue constitue un enjeu central. L'ENAP doit collaborer avec le terrain autour d'un programme de formation professionnelle tout au long de la vie. Il s'agit d'un axe d'autant plus important que la carrière pénitentiaire des surveillants s'est beaucoup diversifiée : elle recouvre le métier de base des surveillants, l'extraction judiciaire, les équipes régionales d'intervention et de sécurité ou les équipes locales de sécurité pénitentiaire, par exemple.

En parallèle, les écoles du service public réinvestissent la question du socle républicain. Ainsi, les valeurs de la République constituent la priorité du schéma directeur de la formation 2022, tel que présenté par la DGAFP – la direction générale de l'administration et de la fonction publique. Elles sous-tendent les formations en lien avec la laïcité, la prévention de la radicalisation ou le renseignement. Dans la période politique actuelle, les services régaliens sont intrinsèquement liés à la question des valeurs républicaines, avec l'idée de ne pas céder aux sirènes de la terreur en abandonnant ce que nous sommes.

S'agissant de l'évolution des métiers pénitentiaires, trois axes majeurs ont été identifiés. En avril 2021, le garde des sceaux a ratifié la « Charte du surveillant pénitentiaire, acteur incontournable d'une détention sécurisée ». Ce document revient sur la participation des surveillants pénitentiaires à l'observation et à l'évaluation des personnes relevant de la justice. Par essence, l'administration pénitentiaire exerce une double mission de réinsertion et de sécurité. Elle doit s'intéresser à la manière dont les détenus réintègrent la société. Cela pose la question de la participation de la prison à la prévention de la récidive.

En complément, il est indispensable de continuer à déployer les pratiques opérationnelles liées à la méthodologie de prise en charge des personnes placées sous la justice. Avant toute chose, cette démarche repose sur la capacité d'évaluation. Pour assurer une prise en charge de qualité ainsi, il est indispensable de savoir à qui l'on s'adresse. L'idée est donc de faire de la criminologie l'une des pratiques professionnelles des services pénitentiaires d'insertion et de formation.

La troisième évolution notable concerne le corps des directeurs des services pénitentiaires : elle renvoie à la création d'un tronc commun les concernant, lequel entrera en vigueur à la prochaine rentrée. Ce dernier, qui a pour rôle de mettre l'inter-ministérialité au cœur de l'action publique, recouvre cinq grandes thématiques, à savoir : les valeurs de la République, sur lesquelles l'ENAP a beaucoup travaillé avec l'ENA et l'ENSP – l'École nationale d'administration et l'École nationale supérieure de la police – ; la transition écologique ; la transformation numérique ; les inégalités et la pauvreté ; le rapport à la science.

Ce dernier axe ne manque pas d'intérêt, dans un contexte où les administrations sont parfois confrontées à des administrés ayant des conceptions dépassées de la cosmologie. Le rapport à la science vise à adosser l'action publique à une démarche pédagogique.

La question de l'empreinte territoriale de l'ENAP constitue un sujet complexe. En 2019, l'administration centrale pénitentiaire s'est réorganisée. Dans ce cadre, la problématique liée au maillage territorial de la formation initiale avait été soulevée. In fine, la décision avait été prise de développer une logique fondée sur des contrats de service, en construisant, avec les URFQ –unités régionales de formation et de qualification –, des outils pédagogiques dédiés à des thématiques spécifiques. À titre d'exemple, des travaux ont été menés avec la direction interrégionale des services pénitentiaires de Rennes, concernant la prévention du risque collectif. La DAP – la direction de l'administration pénitentiaire – nous avait également sollicités concernant le traitement des détenus violents : dans ce cadre, une mallette pédagogique dédiée a été créée ; elle est en cours de déploiement.

En parallèle, de nombreux travaux sont en lien avec la transformation numérique. Du fait de la crise sanitaire, ils sont allés plus vite que prévu. Ainsi, les formations sont désormais presque toutes accessibles à distance. L'idée plus globale est de renforcer les formations à distance, pour être au plus près des agents, au nom de l'égalité d'accès à la formation. Dans ce cadre, il s'agit notamment de renforcer la formation au sein des territoires ultramarins. L'idée est de donner à nos collègues des outils leur permettant d'adapter leurs pratiques professionnelles, mais également d'échanger.

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À travers votre intervention, vous avez répondu à un certain nombre d'interrogations qui figuraient dans notre questionnaire.

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Les dysfonctionnements observés ne sont pas de votre ressort : ils sont directement liés à la politique pénitentiaire. À titre d'exemple, l'ancien directeur de l'administration pénitentiaire avait fait le choix d'évaluer les détenus TIS – terroristes islamistes – avant les détenus DCSR – de droit commun susceptibles de radicalisation. Aussi avons-nous perdu deux ans. Ainsi, les TIS affichent une dangerosité avérée. L'évaluation des DCSR, pour sa part, se poursuit.

Par ailleurs, l'ENAP a-t-elle tiré des enseignements de l'accident d'Alençon-Condé-sur-Sarthe ?

En complément, j'ai commis, avec M. Éric Poulliat, un rapport relatif à la radicalisation dans les services publics. Dans ce cadre, notre onzième proposition visait à renforcer la formation des surveillants pénitentiaires, en l'enrichissant notamment d'un module dédié à la prévention et à la détection de la radicalisation. En effet, les organisations syndicales regrettaient alors que la durée de la formation ait été ramenée de huit à six mois. Elles déploraient également le caractère sommaire de la formation dédiée à la radicalisation islamiste. Mme Nicole Belloubet nous avait alors affirmé que la formation allait être modifiée. Qu'en est-il ?

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Christophe Millescamps, directeur de l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP)

Au préalable, je signale que je me sens totalement concerné par les dysfonctionnements relevés.

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Vous n'en êtes toutefois pas responsable.

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Christophe Millescamps, directeur de l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP)

Certes. Aujourd'hui, toutes les formations dispensées par l'ENAP sont alimentées par les grands sujets de société – transition écologique, discrimination, égalité, etc. Il est indispensable, en tout premier lieu, de s'emparer de la prévention de la radicalisation et de la lutte contre le terrorisme islamiste. Néanmoins, le prisme couvert ne se limite pas à cela, couvrant également la radicalité sous toutes ses formes. Enfin, tous les publics – y compris les surveillants – reçoivent une formation dédiée à la prévention de la radicalisation.

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En la matière, les choses ont-elles évolué depuis un ou deux ans ?

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Christophe Millescamps, directeur de l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP)

Oui. Les élèves surveillants bénéficient désormais d'une sensibilisation au renseignement pénitentiaire d'une heure trente. La formation initiale comprend : eux heures de formation au principe de laïcité ; trois heures de formation aux religions ; deux heures de formation à la pratique des cultes.

S'y ajoutent des travaux dirigés de deux heures par groupe, portant sur l'utilisation de l'outil de repérage des signes de radicalisation violente. L'idée est de renforcer la participation des surveillants aux observations. Dans ce contexte, une grille dédiée au repérage des signes de radicalisation a été élaborée.

Depuis le début de l'année 2019, l'ENAP dispose d'un département de formation au renseignement pénitentiaire. La dernière formation dispensée était une formation d'officier traitant. Ainsi, le renseignement pénitentiaire est désormais assuré par un service à compétences nationales. Indépendant de la chaîne hiérarchique, il appartient au deuxième cercle de la communauté du renseignement et s'appuie sur une organisation propre, qui repose sur : le CNAPR, Centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation ; des cellules interrégionales dédiées au renseignement pénitentiaire ; des délégués locaux au renseignement pénitentiaire présents dans chaque établissement ; des officiers traitants, chargés de rechercher des sources de renseignement.

Bien évidemment, il reste encore beaucoup de travail à accomplir. Il n'en demeure pas moins que des progrès importants ont été réalisés. Ainsi, nous travaillons beaucoup avec le renseignement intérieur et les services de gendarmerie, qui nous font profiter de leur savoir-faire, dans la formation des officiers traitants notamment.

En complément, il est indispensable de penser en permanence au deuxième volet de la mission. La population carcérale n'est pas, dans sa majorité, concernée par des problèmes de radicalisation. Elle se compose pour l'essentiel de personnes appelées à réintégrer la société. À ce titre, il est nécessaire de s'occuper du sujet de la récidive.

En pratique, l'administration parvient à traiter correctement la question de la radicalisation, dès lors qu'elle se met en capacité de produire un contre-discours. Lorsqu'un détenu s'engage dans la voie de la radicalisation, il est primordial qu'il puisse être confronté à quelqu'un qui l'en dissuade.

La surpopulation carcérale constitue, sur ce plan, un risque, puisqu'elle nous empêche d'être maîtres du contre-discours et de l'acculturation qui peut intervenir. Les stratégies de radicalisation en prison, de plus, ne sont pas nécessairement liées à une adhésion religieuse : elles peuvent obéir à une logique de protection, mais également à une logique dite « d'affaires ». Aux États-Unis ainsi, les prisons sont organisées par ethnies ou identités religieuses, dans une logique de protection, d'organisation et de contre-pouvoir. Les prisons françaises n'en sont pas encore là mais, si les problèmes de surpopulation perduraient toutefois, cela pourrait, à terme, constituer une vraie menace.

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Il serait utile que vous nous apportiez des précisions sur l'état des formations dispensées par l'ENAP il y a trois ou quatre ans ; cela nous permettrait en effet de mesurer l'étendue des progrès réalisés. Compte tenu de l'accroissement des effectifs rattachés à l'administration pénitentiaire, l'ENAP forme de plus en plus d'élèves. Quid du nombre de nouveaux élèves formés ? Les efforts mis en œuvre par la DAP pour renforcer l'attractivité de métiers proposés par l'administration pénitentiaire sont-ils, selon vous, suffisants ? L'ENAP dispose-t-elle des moyens pour faire face à la hausse des besoins observés ?

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Christophe Millescamps, directeur de l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP)

La problématique relative à l'attractivité concerne essentiellement le personnel dédié à la surveillance. Ainsi, il n'y a pas, concernant les autres corps de métier, de problèmes de recrutement. Aujourd'hui, l'ENAP, qui fonctionne douze mois sur douze, reçoit quatre promotions d'élèves surveillants par an. Elles se composent de 350 à 450 élèves, sachant que le contrat passé avec l'administration de tutelle porte sur la formation de quatre promotions de 600 élèves chaque année. Certes, les besoins sont très forts. Il n'en demeure pas moins nécessaire de limiter les promotions, aux fins que la formation conserve un sens et puisse se dérouler dans de bonnes conditions.

À mon sens par ailleurs, la question de l'attractivité doit être analysée sous le prisme de la concurrence. J'ai transmis à l'Assemblée nationale une synthèse des études sociographiques réalisées par l'observatoire de la formation entre 2010 et 2019. Il apparaît que certaines régions – Grand Est et Hauts-de-France –, autrefois pourvoyeuses d'effectifs nombreux, nous en apportent désormais beaucoup moins. Elles ont en effet bénéficié, à un moment donné, d'une forme de reprise économique qui a élargi les opportunités d'emploi.

La question centrale est celle de la manière dont le métier de surveillant pénitentiaire est présenté. Les états généraux de la justice permettront, à mon sens, de retravailler sur le métier précité. Un référentiel est-il disponible ? En la matière, force est de constater un véritable manque de clarté. La charte que je citais précédemment a permis de réinvestir le métier originel du personnel de surveillance originel. Peut-être serait-il utile de la compléter par un travail de référencement, qui aboutirait à un véritable référentiel métier, adossé à un référentiel de compétences et qui porterait une vision assise sur la formation plus que sur les ressources humaines.

Il nous faut, j'en suis persuadé, rendre plus visible le métier débattu, présenter les évolutions professionnelles associées, en mettant en évidence les opportunités de progression sociale et mettre en évidence la stratégie d'accompagnement mise en œuvre.

La lecture de certains tracts syndicaux ou la consultation du site actupenit.com, qui recense les agressions, peuvent créer un certain nombre de freins. La formation doit aider à créer une véritable identité professionnelle. Aujourd'hui, cette dernière, extrêmement fragilisée, intègre notamment l'idée de menace : ainsi, le surveillant pénitentiaire est souvent présenté comme celui qui subit de la violence, ce qui n'est pas très attractif. Si ce constat n'est pas nécessairement faux, il est également beaucoup trop restrictif. Le directeur de l'administration pénitentiaire évalue ainsi à 15 % la baisse des violences recensées en milieu pénitentiaire.

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Au préalable, je précise que je ne connais ni le cursus de formation des surveillants ni la structuration de votre école. L'image du métier de surveillant n'est pas très positive puisqu'elle renvoie à la violence et à la surveillance. Il me semble qu'il serait plus positif de mettre en avant la notion de rééducation, comme cela se pratique au sein du centre pénitentiaire de Château-Thierry, que je connais bien. Comment la rééducation, qu'elle soit sociale, professionnelle, culturelle, républicaine ou citoyenne, peut-elle être mise en avant et mise en œuvre ? Quel est le temps consacré à ces problématiques durant le cursus de formation ?

Par ailleurs, vous avez évoqué la question du lien entre la mise en œuvre sur le terrain et la surpopulation. Des expérimentations pédagogiques ont-elles été conduites au sein de milieux marqués par une forte surpopulation, mais également de l'encellulement individuel ?

Le 15 septembre enfin, le DAP a évoqué l'existence d'une prime de fidélisation réservée à certains territoires. Comment la percevez-vous ? Selon vous, est-elle un handicap ou un avantage ?

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Christophe Millescamps, directeur de l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP)

Je vous rejoins totalement, s'agissant de l'image du métier de surveillant pénitentiaire. L'exemple de Château-Thierry, que vous avez cité, est très intéressant. Il s'agit toutefois d'une maison centrale, avec une très forte prise en charge sanitaire : elle s'appuie sur des personnels expérimentés, ayant suivi des formations à la sécurité dynamique, ou relationnelle.

Pour rappel, il existe trois types de sécurité : la sécurité passive, qui est apportée par les murs ou les caméras ; la sécurité procédurale, qui s'appuie sur la mise en œuvre des pratiques professionnelles ; la sécurité dynamique, qui s'intéresse à la relation. Cette dernière part du principe qu'il est profitable d'entretenir de bonnes relations avec les individus ; elle est fondée sur un concept développé par l'ONU – l'Organisation des Nations unies –, en relation avec le renseignement pénitentiaire. En pratique, tous les personnels y sont sensibilisés.

L'ENAP a pour ambition de faire de la sécurité l'un de ses enseignements majeurs. Sur le terrain, ce concept ne prend malheureusement pas aujourd'hui. En effet, il est difficile – et cela ne découle pas d'une mauvaise volonté – de faire évoluer les pratiques professionnelles, du fait de l'hégémonie des problématiques sécuritaires, en lien avec la surpopulation et la violence.

Les modules de respect ont été développés par l'Espagne. Ils consistent à mettre en place des régimes de détention qui reposent sur la responsabilisation : l'idée est de permettre de faire évoluer le curseur de la contrainte vers la responsabilité. À titre d'exemple, un détenu peut sortir librement de sa cellule et se rendre sur son lieu de travail. En d'autres termes, il s'agit de lui proposer un mode de fonctionnement ressemblant à ce qu'il rencontrera à l'extérieur. Dans ce cadre, il doit faire montre de respect vis-à-vis du personnel, travailler ou s'inscrire dans un programme de soin : l'idée est qu'il donne des signes tangibles de sa volonté de se réinsérer.

Le nouvel établissement de Lutterbach a créé un bâtiment entièrement réservé à la mise en œuvre du module dit de respect. En France, le déploiement de ce type d'initiative se heurte à des problèmes d'architecture : ainsi, l'architecture carcérale française n'a pas été pensée pour la sociabilisation, mais pour le contrôle, la sectorisation et l'accompagnement des mouvements. Pour avoir visité Lutterbach, il m'est apparu extrêmement intéressant qu'y soit décliné au plan architectural le module de respect.

La prime de fidélisation constitue un facteur d'attractivité intéressant : elle fait suite à l'obtention d'un concours à affectation locale. Les lauréats de ce dernier s'engagent à rester à leur poste durant un certain temps. En effet, certains sites se caractérisent par un turnover élevé. Il en va ainsi de certains établissements parisiens, où il est possible d'avoir jusqu'à six stagiaires pour dix titulaires.

Derrière la question de la prime de fidélisation, se pose la question de la mobilité. Au regard des rémunérations servies, est-il pertinent de manifester des exigences de mobilité ? Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. Quoi qu'il en soit, les affectations se font à partir du classement obtenu. Force est de constater que le nombre de demandes d'affectations dérogatoires va croissant : lesdites affectations, dans ce cadre, ne sont pas assises sur le classement, mais découlent de critères sociaux.

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Pourriez-vous revenir plus précisément sur le processus d'affectation au sortir de l'ENAP ? Un élève peut-il refuser une affectation ? Celle-ci est-elle assise sur des critères géographiques ? Existe-t-il un système de choix ?

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Christophe Millescamps, directeur de l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP)

Lorsqu'un élève surveillant arrive au terme de sa scolarité, il est invité à participer à un amphithéâtre d'affectation. Au préalable, il a été destinataire de la liste des postes ouverts et doit compléter une fiche de vœux, laquelle peut comporter plus d'une trentaine de souhaits. En pratique, deux amphithéâtres d'affectation sont organisés, le premier à destination des hommes, le second à destination des femmes. L'élève est ensuite appelé et amené à choisir un poste en fonction de son classement.

Pour information, une commission d'aptitude professionnelle étudie les situations des élèves quelque peu borderline sur le plan du positionnement professionnel. Dans ce cadre, des propositions de licenciement peuvent par exemple leur être faites. Si tous les candidats étaient reçus, cela poserait un problème de crédibilité.

Enfin, un élève surveillant qui refuse son affectation doit démissionner, sauf à arguer de considérations sociales retenues par l'unité de formation et l'administration centrale. En pratique, les affectations dérogatoires peuvent être acceptées en cas de dégradation de la situation personnelle durant la formation : en effet, il s'agit alors d'un aléa imprévu.

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Je tenais à vous remercier pour la clarté de vos explications.

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Christophe Millescamps, directeur de l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP)

N'hésitez pas à me solliciter si vous avez besoin de documents complémentaires.

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Pourriez-vous revenir sur les travaux d'extension qu'il est prévu de mettre en œuvre ?

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Christophe Millescamps, directeur de l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP)

Oui. De mémoire, ils représentent un budget de près de 60 millions d'euros et ont vocation à étendre les capacités pédagogiques de l'ENAP, aux fins de répondre aux besoins de l'administration pénitentiaire en matière de formation. Ladite extension intègre un accroissement des capacités d'hébergement, au début de l'année 2022. Car l'ENAP héberge ses élèves, qui viennent de l'ensemble de la France.

Lorsque les locaux pédagogiques auront été finalisés, les structures modulaires qui avaient été mises en place pour accueillir des élèves en surnombre seront supprimées. Un deuxième stand de tir a été bâti. Le restaurant sera également restructuré. En outre, il est prévu d'étendre le bâtiment de simulation, dédié aux mises en situation.

Enfin, il est prévu de construire et d'installer, en dehors de l'enceinte de l'ENAP, un pôle de criminologie, qui sera hébergé par le pôle universitaire d'Agen. Il sera en interaction avec l'université de Bordeaux et le conseil régional, aux fins notamment d'articuler nos pratiques de formation avec la recherche. Le développement de la criminologie devrait nous permettre d'éclairer les citoyens sur la manière dont l'administration pénitentiaire prend en charge les personnes qui lui sont confiées.

La réunion se termine à neuf heures quarante

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Françoise Ballet-Blu, M. Philippe Benassaya, M. Éric Diard, M. Jacques Krabal

Excusés. - M. Alain David, M. Stéphane Trompille