Intervention de Jean-François Beynel

Réunion du jeudi 16 septembre 2021 à 10h40
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice (IGJ) :

J'ai, de longue date, une affectation toute particulière pour l'administration pénitentiaire. J'occupe actuellement la fonction de chef de l'inspection générale de la justice ; j'y reviendrai, car vos questions, pour l'essentiel, portent sur l'articulation entre la pénitentiaire et l'IGJ. Durant très longtemps, j'ai été conseiller ministériel en charge de l'administration pénitentiaire, tout comme mon collègue. J'ai également été directeur adjoint de l'administration pénitentiaire pendant trois ans et demi.

L'administration pénitentiaire ne peut pas se traiter autrement que par l'affectif. Elle s'entend du service public auquel la République confie, chaque jour, ceux de nos concitoyens qui sont le plus en difficultés dans la société. Par ces mots, je n'entends pas faire de la sociologie ou prôner quelque laxisme que ce soit : en effet, je suis plutôt considéré comme un magistrat qui assume ses responsabilités. Il n'en demeure pas moins que l'administration pénitentiaire est celle qui accueille les personnes qui ont échoué dans leur parcours professionnel ou dans leur parcours personnel, que leur échec soit dû à des problématiques de positionnement social ou d'insertion, voire à d'autres difficultés, qui peuvent être médicales, psychiatriques ou psychologiques. Les détenus sont, pour l'essentiel, des personnes ayant une difficulté majeure avec la vie.

L'administration pénitentiaire se doit de les remettre en liberté après avoir tout mis en œuvre pour assurer leur réinsertion. Je ne connais aucun autre service public ayant une telle obligation de résultat.

En France, la prison n'est pas, pour des raisons culturelles, admise dans la République à la hauteur de ce qu'elle devrait être. Je ne reviendrai pas sur l'ouvrage de M. Robert Badinter concernant La prison républicaine. Le regard social, politique et culturel que nous portons sur la prison est extrêmement différent en France de ce qu'il est dans les autres pays européens : dans les pays du nord de l'Europe, mais également en Espagne ou en Italie, le regard porté sur les prisons est très différent.

En France, l'administration pénitentiaire n'est pas appréciée comme une institution républicaine à la fois nécessaire et utile. Bien souvent, elle est traitée, non pas par le mépris, mais par un discours d'isolement ou de non-intégration. Dans les années qui viennent, il me semble primordial que la nation opère une révolution culturelle, en admettant l'administration pénitentiaire comme une institution de la République.

La prise en charge des personnes détenues en France est exceptionnelle : notre pays est ainsi l'un des rares du monde à prendre en charge des personnes difficiles, sans arme, grâce à des techniques et pratiques professionnelles. L'autorité s'y exerce sans recourir à la violence, ce qui est tout à l'honneur de la France et des personnels pénitentiaires.

L'administration pénitentiaire est rattachée au ministère de la justice depuis 1911. Cette spécificité française est extrêmement importante puisqu'elle permet à l'administration pénitentiaire d'être clairement inscrite dans le mandat judiciaire. Cela étant, il reste un travail énorme à accomplir pour que les magistrats le comprennent. De surcroît, cette dimension n'est pas suffisamment prise en compte par l'opinion publique. Elle n'en demeure pas moins une spécificité extrêmement riche, j'y reviendrai si vous le souhaitez. En effet, je suis en contact avec les autres chefs inspecteurs de l'Union européenne, qui ne s'occupent pas de l'administration pénitentiaire, laquelle est généralement rattachée au ministère de l'intérieur.

Enfin, le titre de votre mission d'enquête me gêne. Certes, l'administration pénitentiaire rencontre des difficultés ; l'exercice de la contrainte physique sur des individus est difficile et la surpopulation carcérale est problématique. Ces éléments, cela étant, relèvent-ils de dysfonctionnements pénitentiaires ? Je ne le crois pas. À mon sens en effet, le service public de l'administration pénitentiaire les subit avant tout.

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