Pour répondre à votre question, permettez-moi de vous raconter une anecdote, qui date de 2006 ou 2007. J'étais, à cette époque, directeur adjoint de l'administration pénitentiaire. Je m'étais rendu à l'ENM – l'École nationale de la magistrature – de Bordeaux, pour préciser cette dernière à 250 auditeurs de justice réunis dans un amphithéâtre. Ils avaient déjà été en stage durant cinq à six mois. À l'issue de mon intervention, l'un d'eux m'avait indiqué être auditeur de justice au parquet du Puy-en-Velay et déplorer les conditions de détention y étant proposées. Après avoir insisté sur la nécessité de proposer de bonnes conditions de détention aux détenus, je lui avais rappelé que ces derniers avaient été envoyés en prison par des magistrats du Puy-en-Velay. J'avais ajouté que l'administration pénitentiaire ne pouvait pas porter, seule, une obligation de résultat. Aussi lui avais-je retourné sa question, en l'interrogeant sur : la politique pénale du parquet du Puy-en-Velay ; les efforts engagés avec le milieu ouvert pour trouver des alternatives ; la traduction de la politique pénale du parquet en matière d'incarcération. Je lui avais également demandé si le parquet avait adapté sa politique pénale aux capacités de prise en charge de l'administration pénitentiaire. À défaut en effet, seule cette dernière peut apparaître responsable des conditions de détention. Or la situation n'est pas aussi simple que cela.
Quoi qu'il en soit, je crois beaucoup au lien entre l'administration pénitentiaire, qui joue le rôle de maître d'ouvrage, et la justice, qui joue celui de maître d'œuvre. L'administration pénitentiaire, bien évidemment, doit assumer un certain nombre de responsabilités ; néanmoins, elle n'a qu'un rôle de maîtrise d'ouvrage.
Par ailleurs, la France n'a pas su, depuis une vingtaine d'années, se donner les moyens de contrôler les établissements pénitentiaires. En 1999, je travaillais pour le cabinet de la ministre de la justice de l'époque. La loi relative à la présomption de l'innocence avait alors été votée. Pour la première fois, un amendement parlementaire prévoyait la possibilité, pour tout parlementaire, de se rendre à tout moment dans un établissement pénitentiaire pour le visiter. La réforme de 1999 a été, pour l'administration pénitentiaire, une véritable révolution culturelle.
Au fil du temps, les dispositifs de contrôle ont été renforcés, avec la création du contrôle général des privations de liberté, le rôle du défenseur des droits, le rôle de la Commission européenne, le renforcement du contrôle interne de l'administration, la mise en œuvre, en 2005, des règles pénitentiaires européennes au sein de nos établissements. Ces différents dispositifs nous ont permis de rejoindre le standard européen, alors que nous étions, jusqu'alors, très en retard.
Il est fondamental que le ministre puisse s'appuyer sur un corps de contrôle en mesure de diligenter, à tout moment, des contrôles de fonctionnement, des inspections consécutives à des dysfonctionnements ou des évaluations politiques publiques. Jusqu'en 2016 ou 2017, il y avait une inspection des services pénitentiaires, qui dépendait du directeur de l'administration pénitentiaire. Le grand apport de la réforme de 2017 a été de détacher l'inspection précitée de ce dernier, pour la rattacher à une grande inspection générale. La même démarche a prévalu pour la protection judiciaire de la jeunesse. Désormais ainsi, le ministère de la justice s'appuie sur l'inspection générale de la justice, compétente pour s'occuper de l'ensemble des services judiciaires, dont la pénitentiaire.
L'inspection générale de la justice s'appuie sur des personnels administratifs, ainsi que sur quatre-vingt-cinq personnes en charge des inspections à proprement parler. Celles-ci se répartissent comme suit : 33 % d'individus issus de la magistrature ; 33 % de personnes issues des corps spécifiques du ministère de la justice – directeurs de service pénitentiaire, directeurs de la protection judiciaire de la jeunesse et directeurs de greffe des juridictions – ; 33 % de personnes détachées – administrateurs civils, attachés, universitaires, conseillers des tribunaux administratifs, conseillers de chambres régionales des comptes, etc.
La force de l'inspection est de s'appuyer sur une véritable pluralité, qui permet de porter des regards différents sur certaines situations. Ainsi, une même mission peut s'appuyer sur des personnes issues de la pénitentiaire, mais également de la magistrature ou de l'université. L'objectif est de réaliser des contrôles en faisant appel à des personnes polyvalentes, ayant des cultures différentes. En effet, il est absolument primordial, et plus particulièrement pour l'administration pénitentiaire, de s'appuyer sur différents regards, à la fois ouverts et diversifiés.
Le décret de décembre 2016 est venu créer l'IGJ. Les membres de cette dernière sont indépendants et ne s'autosaisissent pas. Ils sont saisis par le garde des sceaux ou peuvent intervenir dans le cadre d'un programme de contrôle interne : après leur saisine, le garde des sceaux ne peut plus intervenir. De fait, les inspecteurs sont indépendants de l'exécutif, mais aussi des autres organes de contrôle – contrôle général, défenseur des droits, etc. –, même si des réunions sont régulièrement organisées avec ces derniers, pour définir les programmes des contrôles. Ainsi, je rencontre régulièrement la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, ne serait-ce que pour éviter qu'une maison d'arrêt soit soumise, une même année, à des contrôles des différents organes. À plusieurs reprises, le ministre nous a demandé d'aller vérifier les évolutions positives ou négatives observées au sein d'établissements ayant fait l'objet d'un avis du contrôle général.
Quoi qu'il en soit, l'inspection est indépendante, efficace de par sa diversité et commune à l'ensemble du ministère. De fait, l'état des prisons est l'affaire de l'ensemble du ministère de la justice, et pas uniquement de l'administration pénitentiaire.