Intervention de Jean-François Beynel

Réunion du jeudi 16 septembre 2021 à 10h40
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice (IGJ) :

Il s'agit d'une question extrêmement importante. Je ne relativise absolument pas la dimension très particulière du djihadisme et les difficultés que rencontre la République pour le gérer.

Cela étant, cette problématique a toujours existé. La fin du XIXe siècle avait ainsi été traversée par une vague d'attentats. Déjà en 1911, l'Assemblée nationale débattait de la gestion des terroristes de l'époque ; certains d'entre eux étaient d'ailleurs condamnés à mort, d'autres placés en détention. Je rappelle que leurs attentats avaient alors, coûté la vie à un Président de la République, à un ministre de l'intérieur ou encore à un ministre des affaires étrangères.

Lorsque j'occupais des responsabilités au sein de l'administration pénitentiaire, dans les années 2005 et 2006, le terrorisme djihadiste n'était pas un sujet de préoccupation majeur, même s'il commençait à percer. À l'époque, l'attention était focalisée sur les responsables d'attentats terroristes en Corse, notamment sur l'assassinat du préfet Érignac.

De fait, les spécificités liées à la dangerosité et au degré de criminalité de certains détenus sont parfaitement intégrées par l'administration pénitentiaire. Celle-ci fait montre d'une capacité d'adaptation considérable, ne cessant de conduire des expérimentations et de développer de nouvelles idées. Ainsi, à Fresnes, il y a quelques années, des expériences avaient été conduites concernant la prise en charge des détenus évoqués. Dans ce cadre, certaines questions se posent invariablement : doivent-ils être placés dans un quartier isolé ? Au contraire, doivent-ils être détenus dans un quartier normal ? N'étant pas un spécialiste de ce sujet, je n'aurai pas l'outrecuidance de vouloir trancher ce débat.

Encore une fois, la capacité d'adaptation de l'administration pénitentiaire est très forte. Elle est sans cesse à la recherche de solutions adaptées aux problèmes auxquels elle est confrontée. Il n'en demeure pas moins qu'elle ne doit pas être la seule à s'emparer de ce débat, lequel la dépasse largement. La commission d'enquête constitue d'ailleurs un formidable lieu pour le porter.

À titre d'exemple, Salah Abdeslam est aujourd'hui détenu à Fleury-Merogis. Ses conditions de détention font l'objet de débats. Doit-il être, ou pas, isolé ? L'administration pénitentiaire se doit, le concernant, de formuler des propositions. Néanmoins, elle ne doit pas être seule à porter cette responsabilité. Il est indispensable, au contraire, de lancer un débat citoyen et politique.

En Europe, deux pays ont travaillé sur le sujet de manière beaucoup plus transversale de la France : la Norvège, qui a dû gérer le responsable de l'attentat d'Utoya ; la Suède, qui a dû faire face à un certain nombre d'attentats.

Entre 2006 et 2010, j'ai eu l'occasion d'aller visiter des prisons suédoises, où des expérimentations très intéressantes étaient conduites. En France, l'infraction pénale et la peine encourue déterminent le lieu d'exécution de la peine ; la Suède, au contraire, a fait le choix de ne pas tenir compte de l'infraction pénale, mais de se concentrer sur la dangerosité des individus.

En France, l'auteur d'un délit est, jusqu'à une peine d'emprisonnement donnée, placé en maison d'arrêt. En cas de délit plus important, il est placé en centre de détention. S'il commet un crime s'assortissant de peines très longues, il est placé en maison centrale. M. Jean-Louis Daumas s'est rendu à Bourges, dans le cadre d'une inspection faisant suite à une évasion de la maison d'arrêt de Bourges : celle-ci, de petite taille, offre un niveau de sécurité relativement bas. Elle accueillait pourtant des détenus très dangereux, qui avaient été condamnés à des peines de sept ans, après l'avoir été par le passé, pour des cambriolages et des vols de voiture en bande organisée.

À l'inverse, supposons que l'un d'entre nous tue son conjoint : il écopera d'une peine de vingt à vingt-cinq ans qu'il devra aller purger dans une maison centrale, alors qu'il présente un niveau de dangerosité nul. La durée de la peine et la qualification pénale ne doivent pas être des critères d'affectation. L'idée doit être d'affecter les condamnés à des établissements en fonction de leur niveau de dangerosité et de les accompagner dans leur réinsertion.

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