Intervention de Jean-François Beynel

Réunion du jeudi 16 septembre 2021 à 10h40
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice (IGJ) :

Je forme de vraies inquiétudes sur le niveau de recrutement des agents pénitentiaires, qui fait l'objet d'efforts budgétaires considérables depuis des années. De surcroît, il est extrêmement difficile de fidéliser les surveillants pénitentiaires.

À mon sens, il est indispensable de renforcer la durée de la formation des surveillants. Bien évidemment, il est difficile de le faire, puisque nos établissements ont besoin de personnels de terrain. En poursuivant sans rien faire, on favorise la dévalorisation des métiers pénitentiaires et on en dégrade l'attractivité.

La durée de la formation des policiers est très nettement supérieure à celle du personnel pénitentiaire. À cette aune, j'ai été ravi d'entendre le Président de la République, lors de la clôture du Beauvau de la sécurité à Roubaix, indiquer qu'il avait pour objectif d'accroître la durée de la formation des policiers : il a, sur ce plan, totalement raison. Pour les mêmes raisons, il doit en aller de même de la durée de formation du personnel pénitentiaire.

Il convient d'offrir aux agents qui rejoignent l'administration pénitentiaire des opportunités de mobilité interne, entre milieu ouvert et milieu fermé. En la matière, de très belles choses ont été faites autour du bracelet électronique, déployé en 2005 ou 2006. En parallèle, je plaide pour que les surveillants, s'ils le souhaitent au fil de leur carrière, aient la possibilité d'accéder à des mobilités, comme CPIP ou DPIP – conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation ou directeur pénitentiaire d'insertion et de probation.

Il s'agit également de favoriser les mobilités au sein du ministère de la justice. À titre d'exemple, des éducateurs de la PJJ doivent pouvoir, s'ils le souhaitent, prendre des emplois de premier surveillant ou d'officier en détention, et inversement. En effet, tous ces individus exercent des mandats de justice.

De manière triviale, comment voulez-vous faire accepter à un jeune de 18 ans la perspective de jouer le rôle de porte-clés durant trente ans ? Il faut lui proposer des perspectives d'évolution sociale et de progression dans un métier qui fait sens, avec des passerelles vers le milieu ouvert et la PJJ. À un moment donné néanmoins, tout le monde doit assumer la transition. Pour allonger la durée de la formation ainsi, il est nécessaire d'observer un temps de pause. En d'autres termes, il s'agit d'être prêt à assumer, de manière collective et temporaire, une tension forte pesant sur les effectifs.

Par ailleurs, l'administration pénitentiaire héberge des enfants de quelques mois, dans des crèches, ainsi que des personnes en fin de vie. À mon sens, il serait utile de laisser aux juges d'application des peines la possibilité de mettre fin à certaines peines. Ainsi, le centre de Bedenac héberge des personnes ayant écopé de lourdes condamnations, pour avoir commis des crimes horribles. Toutefois, à 85 ans, celles-ci ne constituent plus un danger pour la société, laquelle doit peut-être leur permettre de finir leur vie dans un EHPAD – établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes – ou une structure de gériatrie.

Enfin, lorsque j'ai rencontré M. Jean-Louis Daumas pour la première fois de ma vie, il était directeur de la maison d'arrêt de Loos, dans le Nord. Pour ma part, j'étais alors conseiller technique de la ministre de l'époque, que j'accompagnais en visite. M. Jean-Louis Daumas tenait, dans ses mains, deux choses : de la cocaïne qu'il avait trouvée lors d'une visite de cellule ; un préservatif. Il tenait, à mon sens, à montrer à la ministre que la vie sexuelle ne s'arrêtait pas en prison. Ainsi, d'aucuns, bien qu'hétérosexuels à l'extérieur, ont une sexualité homosexuelle en détention. D'autres, homosexuels en prison, continuent à avoir une vie sexuelle. À ce titre, il était nécessaire que l'administration pénitentiaire distribue des préservatifs aux détenus.

Nous essayons de créer un quartier dédié aux transsexuels dans l'établissement de Fleury-Mérogis. En tout état de cause, il est impossible, dans le cadre d'une détention ordinaire, d'assumer sa transsexualité, l'administration pénitentiaire se doit de répondre à cette problématique. Néanmoins, elle ne peut pas le faire seule : il convient de proposer des réponses interministérielles.

Depuis les années 90, l'administration pénitentiaire a connu une évolution de fond : désormais, elle considère qu'un détenu, bien que privé de sa liberté, ne doit pas être privé de sa condition de citoyen. Les acteurs de la société doivent impérativement s'investir dans la prison, comme ils le sont dans les autres champs.

Cette philosophie a permis de mettre fin, en 1994, à la santé pénitentiaire : désormais, les détenus ont accès au même service public de soins que n'importe quel autre citoyen. L'administration pénitentiaire a ouvert, dans les années quatre-vingt-dix, un partenariat avec le ministère de la culture : en effet, la culture constitue un droit. Tous ces éléments doivent contribuer à l'acceptation, par la société, du rôle d'institution républicaine de la prison.

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