Intervention de Philippe Gosselin

Réunion du jeudi 23 septembre 2021 à 8h30
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gosselin, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Je vais compléter les propos de Laurence Vichnievsky puisque nous avons effectivement travaillé en duo de façon agréable et sympathique, avec un vrai appétit intellectuel. Nous avons regroupé nos forces.

Je confirme l'intérêt de la commission des lois et de sa présidente pour la politique pénitentiaire et la situation des établissements pénitentiaires. Quelles que soient nos divergences sur les préconisations issues de nos travaux, il faut reconnaître que le sujet n'a absolument pas été laissé de côté.

Grâce à de très nombreuses visites sur le territoire métropolitain ainsi qu'en outre-mer – j'accompagnerai la semaine prochaine une délégation de la commission des lois en Guadeloupe et Martinique, mais j'ai eu l'occasion de me rendre aussi en Guyane, en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte, et en Polynésie –, je connais une grande diversité d'établissements : modernes, ultramarins, plus anciens, parfois même familiaux. Ce dernier qualificatif peut paraître étonnant, mais certains habitués y viennent presque naturellement, et les choses s'y passent bien – je pense à la maison d'arrêt de Coutances, dans ma circonscription.

Il faut avoir en tête cette grande diversité qui contredit les approximations et les propos péremptoires que l'on entend souvent sur la prison.

De mon expérience de plusieurs dizaines de visites d'établissements de toute nature – depuis 2007, je m'intéresse au sujet et j'y travaille au sein de la commission des lois –, j'ai tiré la conviction, si ce n'est la conclusion, que les établissements de petite ou de moyenne taille sont préférables. Entendons-nous, il n'est pas question de prisons de 40 détenus – cela n'aurait pas de sens –, mais entre les établissements comptant 150 ou 200 personnes et ceux de 800 ou 1 000, voire plus, qui existent désormais, sans même parler de la surpopulation carcérale, il est possible de faire bouger le curseur. Nous devons plutôt nous orienter vers des établissements de taille moyenne.

Les uns et les autres l'ont évoqué, la surpopulation est une évidence. Il y a eu une parenthèse à cause de la covid-19, au cours de laquelle les prisons se sont vidées de façon un peu artificielle. Le suivi des détenus pendant cette période a aussi posé question. Certes nous n'avons pas affaire à des enfants de chœur, mais il faut reconnaître que certains détenus ont été placés dans des conditions d'isolement – non pas au sens juridique du terme, mais au sens moral et psychologique – très dures : pas de visite, pas de parloir, etc.

La surpopulation, outre qu'elle favorise certains transferts d'informations, fait monter la pression et nuit finalement au bon déroulement des peines et donc à la réinsertion, conduit à un dévoiement de l'esprit initial de la formation et du travail en détention. Lorsque les détenus sont trop nombreux, il est compliqué d'organiser la formation et le travail. On leur trouve quelques occupations mais ce ne sont ni de la formation ni du travail véritable. Cela nuance en partie les présentations officielles. Cependant, je note une prise de conscience très forte : plusieurs modifications législatives ont été adoptées, le plus souvent à l'unanimité – c'est important –, elles vont évidemment dans le bon sens. Mais il faut continuer à insister sur la formation.

Lorsque la mission a commencé, il y a maintenant trois ans, nous avons été estomaqués de découvrir que les régions ignoraient que leur compétence en matière de formation s'étendait aux détenus. Régions de France a ainsi refusé d'être auditionnée au motif qu'elle n'était pas concernée – c'est assez révélateur. Je souligne deux exceptions notables à l'époque : la région Normandie – je le dis avec plaisir, c'est un plaidoyer pro domo – et la région Île-de-France.

Le besoin de formation, plus individualisée, est une évidence. C'est en bonne voie mais la question des moyens, des locaux, et de l'organisation reste posée. Une formation dans un centre fermé et surveillé n'est pas aussi fluide que dans un lycée professionnel ou un CFA – centre de formation des apprentis –, bien sûr. Des ajustements sont nécessaires, mais c'est possible. Là où ils sont faits, cela marche plutôt bien.

Quant au travail, les textes forment un ensemble plutôt satisfaisant, même si quelques ajustements pourraient être utiles. La difficulté tient plutôt à l'existence ou non d'un réseau ou d'un tissu local. Souvent les entreprises, pour la plupart des PME, méconnaissent le travail en milieu carcéral. Elles n'ont pas le réflexe d'y faire appel, quand elles ne s'inquiètent pas du qu'en-dira-t-on. Il faut davantage de confiance et de dialogue avec le réseau local – pas seulement le MEDEF mais l'U2P – l'Union des entreprises de proximité – ou la CPME – Confédération des petites et moyennes entreprises –, sans doute plus adaptées compte tenu de la taille des entreprises concernées à des échanges avec des établissements pénitentiaires locaux. Nouer des relations avec elles et assurer leur continuité dépend non pas nécessairement des textes mais du chef d'établissement et de ceux qui sont chargés de l'organisation du travail. Il existe en la matière une importante marge de progression pratique.

Pour le reste, l'état d'esprit a évolué. Sans tomber dans l'angélisme ou dans un humanisme à tous crins, de plus en plus de personnes comprennent l'importance de l'exécution de la peine. Je préfère une sanction qui pourrait paraître plus douce mais effective à une sanction qui pourrait paraître plus forte mais qui, pour de multiples raisons, ne serait pas exécutée. Un détenu qui travaille a de plus grandes chances de se réinsérer, les statistiques le montrent clairement. Ce n'est pas être gentil avec les détenus – certains s'offusquent parfois qu'ils gagnent de l'argent –, c'est protéger la société.

Je voudrais terminer par un point en marge du sujet qui m'avait été confié : les détenus radicalisés. J'attendais une occasion de vous parler – ce n'est pas simple – de rééducation et de dénazification. Cela n'a rien à voir avec les détenus d'aujourd'hui, mais peut-être y a-t-il matière à creuser. Une expérimentation a été menée pendant près de deux ans, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans la Manche dans un camp de prisonniers allemands, le plus grand de France : il comptait plusieurs dizaines de milliers de prisonniers, jusqu'à 100 000, et entre 22 000 et 25 000 jeunes anciens soldats, qui évidemment n'étaient pas tous nazis ; il a vu passer aussi 250 généraux.

Je ne fais pas un amalgame entre Seconde Guerre mondiale et terrorisme qui serait un peu spécieux. Toutefois, parmi les actions qui ont été entreprises pour dénazifier des hauts responsables et des jeunes qui avaient été embrigadés, la formation occupait une place importante. Cela peut sembler un discours de café du commerce, mais peut-être ne nous sommes-nous pas suffisamment inspirés de ce qui a été fait à grande échelle et avec succès de 1944 à 1946 – d'autres expériences ont été menées en France et en Europe – pour trouver des solutions complémentaires pour accompagner les détenus radicalisés et tenter de les déradicaliser. Je sais au fond de moi qu'il n'y a pas de formule miracle, hélas – cela se saurait ! En la matière, on recense quelques initiatives remarquables mais aussi quelques fiascos. L'expérimentation in concreto impliquant des dizaines de milliers de personnes à une époque particulière n'est sans doute pas totalement transposable, ce n'est pas mon propos. Néanmoins, j'insiste, il y a sans doute, pour aujourd'hui et pour demain malheureusement, des enseignements à en tirer, ce que nous n'avons pas fait suffisamment jusqu'à présent.

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