Intervention de Sègla Blaise Gangbazo

Réunion du jeudi 23 septembre 2021 à 10h10
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Sègla Blaise Gangbazo, président du Syndicat libre justice CFTC (SLJ CFTC) :

Notre organisation syndicale est heureuse de participer à cette commission d'enquête concernant les dysfonctionnements de la politique pénitentiaire française et vous remercie de nous avoir conviés. Les sujets sont vastes, et nous vous enverrons à l'issue de notre audition le rapport concernant cette enquête.

En préambule, nous rappelons la lettre de l'ancien garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas, qui est toujours d'actualité. Il n'est plus temps d'ajouter des mots aux maux, le constat est désormais unanimement partagé. Nos tribunaux n'ont pas les moyens nécessaires à leur bon fonctionnement au regard du retard accumulé comme de l'état de vétusté constaté de notre patrimoine carcéral. Les efforts doivent être significatifs.

Concernant le recrutement, nous avons alerté à plusieurs reprises l'administration pénitentiaire pour, d'une part, mettre en place tous les moyens de recrutement afin d'aller à la rencontre des lycéens et des étudiants, et dans le but d'avoir des effectifs de qualité quand on constate des démissions massives pendant et après le recrutement et de faire passer les surveillants dans le corps d'encadrement et d'application, en catégorie B, les officiers en catégorie A, les DPIP – directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation – en catégorie A +, sans oublier les CPIP – conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation –, qui sont en A, mais pour lesquels nous voulons une vraie catégorie A.

Malheureusement, très souvent, nos agents changent d'administration ou de métier. La règle 79-1 des règles pénitentiaires européennes – RPE – prévoyait déjà : « La rémunération doit être suffisante pour permettre de recruter et de conserver un personnel compétent. »

S'agissant des formations, nous constatons que, dans beaucoup d'établissements, les formations des agents ne se font pas correctement, par manque d'effectifs. C'est ainsi que l'on constate, dans les établissements, des agents qui manquent de formation pour rester performants, ce qui est tout à fait contraire à la règle 81-2 des RPE : « L'administration doit faire en sorte que, tout au long de sa carrière, le personnel entretienne et améliore ses connaissances et ses compétences professionnelles en suivant des cours de formation continue et de perfectionnement organisés à des intervalles appropriés. »

Les heures supplémentaires sont plafonnées à 108 heures par trimestre. Malheureusement, beaucoup de collègues en font davantage : celles au-delà du plafond sont alors reportées au trimestre suivant mais, comme ils font encore des heures supplémentaires, ils ne sont jamais rémunérés totalement.

La surpopulation et la promiscuité dans les cellules sont vecteurs d'agressions physiques et verbales. C'est ainsi que nous demandons la stricte application de la loi du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention et de l'article 30 de la convention européenne des droits de l'homme.

En prenant l'exemple du centre pénitentiaire de Perpignan, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a rendu un rapport de 167 pages concernant la période du 10 au 21 mars 2014. Il y est indiqué que la surface des cellules en maison d'arrêt est de 8,25 mètres carrés. Or on constate que 2,25 mètres carrés par détenu valent trois personnes à l'intérieur, dont une dormant sur un matelas au sol. À cela s'ajoute le fait que certains détenus se voient refuser le droit de travailler, compte tenu de leur situation pénale.

La Cour européenne des droits de l'homme, au titre de l'article 3 de la convention européenne, a condamné la France dans son arrêt du 30 janvier 2020, car nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Ce droit est absolu, de sorte qu'il ne peut supporter d'exception. La Cour de cassation, dans un arrêt récent, datant du 8 juillet 2020, tranche une question de principe concernant l'obligation de mettre un terme, lorsque sont constatées, aux atteintes à la dignité des personnes placées en détention provisoire. L'arrêt du 15 décembre 2020 de la Cour de cassation précise la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme au regard de l'article 3 de la convention, qui interdit les peines ou traitements inhumains dégradants : en cas de surpopulation carcérale, chaque détenu placé en cellule collective doit bénéficier d'une surface minimum de 3 mètres carrés hors sanitaires.

Il faut être clair : plus on améliore les conditions de détention des détenus, plus on améliore les conditions de travail des agents. À cela s'ajoute le fait que l'article 12 du règlement intérieur du centre pénitentiaire de Perpignan – je prends toujours cet exemple – indique que chaque personne détenue doit disposer d'un lit individuel et d'une literie appropriée et entretenue convenablement et renouvelée quand c'est nécessaire. Or la situation est contraire à l'article 3 du code de déontologie du 30 décembre 2010, qui dit clairement que l'administration pénitentiaire s'acquitte de ses missions dans le respect de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de la Constitution, des conventions internationales, notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et des lois réglementaires, dont l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme.

Il ne faut pas oublier la situation pénitentiaire de l'outre-mer, parce qu'on y constate que la surpopulation carcérale est un fléau endémique. Il y manque des structures comme en métropole et, à ce titre, la France a été condamnée par l'Union européenne, car la plupart des établissements ont un taux d'occupation élevé. À cela s'ajoutent le climat, la pandémie et les agressions. Certaines cellules prévues pour quatre personnes sont occupées par neuf personnes et le droit au travail et à la formation professionnelle est pratiquement dénié, alors que la peine privative de prison a aussi pour objectif la réinsertion sociale de la personne condamnée et la resocialisation. Il est urgent que l'État réforme le droit du travail en prison et que le travail et la formation professionnelle deviennent enfin un axe central de la politique pénitentiaire outre-mer. La CHCDH – Commission nationale consultative des droits de l'homme – a préconisé la création d'une agence nationale chargée de l'emploi pénitentiaire auprès de délégations régionales et que les régions, y compris les structures ultramarines, assurent sans tarder les compétences nouvelles en matière de formation.

On ne peut qu'espérer – la CFTC formule ce vœu depuis des années – que, outre-mer, soient mis en place des ERIS, équipes régionales d'intervention et de sécurité, des équipes cynotechniques, des PREJ, pôles de rattachement des extractions judiciaires, des UHSA, unités hospitalières spécialement aménagées, des EPM, établissement pour mineurs, sans oublier des UHSI, unités hospitalières sécurisées.

Pour finir, nous souhaitons vivement, comme cela se fait en milieu ouvert, que soient créés des pôles SPIP – services pénitentiaires d'insertion et de probation. C'est primordial pour le bon fonctionnement et la bonne prise en charge des détenus.

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