Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Jeudi 23 septembre 2021
La séance est ouverte à dix heures dix.
(Présidence de M. Philippe Benassaya, président de la commission)
Je souhaite la bienvenue à tous. Nous avons privilégié la visioconférence afin que le plus grand nombre possible de syndicats puissent participer à votre table ronde.
Je rappelle que cette commission d'enquête a été créée à la demande du groupe Les Républicains en vue d'identifier les dysfonctionnements et les manquements de la politique pénitentiaire française, constatés de longue date mais que les pouvoirs publics peinent parfois à corriger. Nous nous sommes fixé un vaste cadre d'investigation, que la rapporteure précisera. Nous avons déjà auditionné en particulier le directeur de l'administration pénitentiaire, le directeur de l'École nationale d'administration pénitentiaire – ENAP – ainsi que les principaux organismes publics français et européens de contrôle et d'inspection.
La diversité des modalités d'organisation entre les différentes centrales syndicales et le fait que toutes ne soient pas représentées dans les instances paritaires nous ont conduits, par souci d'efficacité, à réunir autour d'une même table ronde virtuelle les représentants de trois catégories de personnel : les surveillants ; les spécialistes de l'insertion et de la probation ; ceux chargés des fonctions administratives et techniques.
Nous devrons par conséquent trouver dans nos échanges un équilibre afin de répondre aux deux attentes de la commission d'enquête, que je rappelle : recueillir le diagnostic général de chacun d'entre vous sur le fonctionnement des prisons, les conditions de travail des personnels et les relations entre ces derniers et les détenus ; identifier les revendications spécifiques des différentes catégories de personnel.
Enfin, sachez que nous profiterons de nos visites dans plusieurs centres pénitentiaires, en commençant dès la semaine prochaine par la Santé et les Baumettes, pour demander systématiquement à nous entretenir en direct avec les différentes catégories de personnel pénitentiaire.
Au terme de la prise de parole de la rapporteure et des prestations de serment, j'inviterai chaque organisation syndicale à s'exprimer pour un propos liminaire avant de nourrir un échange clair, équilibré et approfondi.
Je vous remercie d'avoir accepté cette invitation. Nous sommes réunis dans le cadre d'une commission d'enquête demandée par nos collègues Les Républicains. Après m'être entretenue avec certains de mes contacts qui travaillent dans l'administration pénitentiaire, je sais que le titre a pu parfois choquer. N'en prenez pas grief : ce n'est pas l'administration pénitentiaire qui est ici visée, mais bien les grandes décisions du gouvernement qui affectent les services pénitentiaires. Nous sommes ici dans un esprit totalement constructif. Nous savons que vous remplissez cette mission indispensable avec beaucoup de cœur et d'engagement. Notre objectif est, au contraire, d'essayer de trouver des leviers d'action qui vous permettraient de réaliser cette mission dans de meilleures conditions. Nous pouvons toujours faire mieux dans tous les domaines, y compris celui de la pénitentiaire, ce qui ne nous empêchera pas de faire un focus sur l'évolution de l'administration pénitentiaire.
Le cadre de cette commission d'enquête vous a été précisé. Nous nous interrogeons d'abord sur les facteurs de cette surpopulation, qui est chronique depuis plusieurs décennies et ne va pas forcément en s'améliorant, et sur son impact sur le traitement, par exemple, des détenus radicalisés et sur la réponse pénale. L'insuffisance de places en prison a-t-elle un impact négatif sur la réponse pénale ? Nos interrogations concernent également les dispositifs de réinsertion, qui constituent en fait le cœur du sujet. La prison suit une vocation prioritaire, selon moi : réinsérer les détenus. Nos collègues Les Républicains s'interrogent enfin sur le traitement carcéral des délinquants mineurs.
Ces axes de discussion peuvent nous amener à évoquer de nombreux sujets, comme le parc immobilier, les ressources humaines, le recrutement, les conditions de travail, l'attractivité des carrières, la formation, le logement, les prestations sociales, les conditions de détention, souvent liées aux conditions de travail. Nous pouvons en parler, cela va sans dire, avec l'accès aux activités professionnelles, éducatives, sociales, ainsi qu'aux soins en détention.
Nous ne nous interdisons pas de nous interroger sur la question de l'encellulement individuel, qui, visiblement, représente un Graal depuis de nombreuses années, sans qu'il ne soit toujours atteint, en tout cas pas partout.
Dans cette commission d'enquête, qui rassemble de nombreux sujets, nous avions l'intention de donner la parole au personnel pénitentiaire, au cœur de nos préoccupations. J'ai rencontré pour ma part des représentants du personnel pénitentiaire de la maison d'arrêt de Bois-d'Arcy puisque j'en ai été le maire pendant des années. Le sujet se veut très central.
Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Éric Faleyeux, M. Frédéric Belhabib, Mme Marion Bonneaud, Mme Flore Dionisio, M. Samuel Gauthier, M. Sègla Blaise Gangbazo, M. Armand Minet, Mme Élise Labbé, M. François Jean, M. Philippe Kuhn et M. Joseph Paoli prêtent successivement serment.)
Notre organisation syndicale est heureuse de participer à cette commission d'enquête concernant les dysfonctionnements de la politique pénitentiaire française et vous remercie de nous avoir conviés. Les sujets sont vastes, et nous vous enverrons à l'issue de notre audition le rapport concernant cette enquête.
En préambule, nous rappelons la lettre de l'ancien garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas, qui est toujours d'actualité. Il n'est plus temps d'ajouter des mots aux maux, le constat est désormais unanimement partagé. Nos tribunaux n'ont pas les moyens nécessaires à leur bon fonctionnement au regard du retard accumulé comme de l'état de vétusté constaté de notre patrimoine carcéral. Les efforts doivent être significatifs.
Concernant le recrutement, nous avons alerté à plusieurs reprises l'administration pénitentiaire pour, d'une part, mettre en place tous les moyens de recrutement afin d'aller à la rencontre des lycéens et des étudiants, et dans le but d'avoir des effectifs de qualité quand on constate des démissions massives pendant et après le recrutement et de faire passer les surveillants dans le corps d'encadrement et d'application, en catégorie B, les officiers en catégorie A, les DPIP – directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation – en catégorie A +, sans oublier les CPIP – conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation –, qui sont en A, mais pour lesquels nous voulons une vraie catégorie A.
Malheureusement, très souvent, nos agents changent d'administration ou de métier. La règle 79-1 des règles pénitentiaires européennes – RPE – prévoyait déjà : « La rémunération doit être suffisante pour permettre de recruter et de conserver un personnel compétent. »
S'agissant des formations, nous constatons que, dans beaucoup d'établissements, les formations des agents ne se font pas correctement, par manque d'effectifs. C'est ainsi que l'on constate, dans les établissements, des agents qui manquent de formation pour rester performants, ce qui est tout à fait contraire à la règle 81-2 des RPE : « L'administration doit faire en sorte que, tout au long de sa carrière, le personnel entretienne et améliore ses connaissances et ses compétences professionnelles en suivant des cours de formation continue et de perfectionnement organisés à des intervalles appropriés. »
Les heures supplémentaires sont plafonnées à 108 heures par trimestre. Malheureusement, beaucoup de collègues en font davantage : celles au-delà du plafond sont alors reportées au trimestre suivant mais, comme ils font encore des heures supplémentaires, ils ne sont jamais rémunérés totalement.
La surpopulation et la promiscuité dans les cellules sont vecteurs d'agressions physiques et verbales. C'est ainsi que nous demandons la stricte application de la loi du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention et de l'article 30 de la convention européenne des droits de l'homme.
En prenant l'exemple du centre pénitentiaire de Perpignan, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a rendu un rapport de 167 pages concernant la période du 10 au 21 mars 2014. Il y est indiqué que la surface des cellules en maison d'arrêt est de 8,25 mètres carrés. Or on constate que 2,25 mètres carrés par détenu valent trois personnes à l'intérieur, dont une dormant sur un matelas au sol. À cela s'ajoute le fait que certains détenus se voient refuser le droit de travailler, compte tenu de leur situation pénale.
La Cour européenne des droits de l'homme, au titre de l'article 3 de la convention européenne, a condamné la France dans son arrêt du 30 janvier 2020, car nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Ce droit est absolu, de sorte qu'il ne peut supporter d'exception. La Cour de cassation, dans un arrêt récent, datant du 8 juillet 2020, tranche une question de principe concernant l'obligation de mettre un terme, lorsque sont constatées, aux atteintes à la dignité des personnes placées en détention provisoire. L'arrêt du 15 décembre 2020 de la Cour de cassation précise la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme au regard de l'article 3 de la convention, qui interdit les peines ou traitements inhumains dégradants : en cas de surpopulation carcérale, chaque détenu placé en cellule collective doit bénéficier d'une surface minimum de 3 mètres carrés hors sanitaires.
Il faut être clair : plus on améliore les conditions de détention des détenus, plus on améliore les conditions de travail des agents. À cela s'ajoute le fait que l'article 12 du règlement intérieur du centre pénitentiaire de Perpignan – je prends toujours cet exemple – indique que chaque personne détenue doit disposer d'un lit individuel et d'une literie appropriée et entretenue convenablement et renouvelée quand c'est nécessaire. Or la situation est contraire à l'article 3 du code de déontologie du 30 décembre 2010, qui dit clairement que l'administration pénitentiaire s'acquitte de ses missions dans le respect de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de la Constitution, des conventions internationales, notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et des lois réglementaires, dont l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme.
Il ne faut pas oublier la situation pénitentiaire de l'outre-mer, parce qu'on y constate que la surpopulation carcérale est un fléau endémique. Il y manque des structures comme en métropole et, à ce titre, la France a été condamnée par l'Union européenne, car la plupart des établissements ont un taux d'occupation élevé. À cela s'ajoutent le climat, la pandémie et les agressions. Certaines cellules prévues pour quatre personnes sont occupées par neuf personnes et le droit au travail et à la formation professionnelle est pratiquement dénié, alors que la peine privative de prison a aussi pour objectif la réinsertion sociale de la personne condamnée et la resocialisation. Il est urgent que l'État réforme le droit du travail en prison et que le travail et la formation professionnelle deviennent enfin un axe central de la politique pénitentiaire outre-mer. La CHCDH – Commission nationale consultative des droits de l'homme – a préconisé la création d'une agence nationale chargée de l'emploi pénitentiaire auprès de délégations régionales et que les régions, y compris les structures ultramarines, assurent sans tarder les compétences nouvelles en matière de formation.
On ne peut qu'espérer – la CFTC formule ce vœu depuis des années – que, outre-mer, soient mis en place des ERIS, équipes régionales d'intervention et de sécurité, des équipes cynotechniques, des PREJ, pôles de rattachement des extractions judiciaires, des UHSA, unités hospitalières spécialement aménagées, des EPM, établissement pour mineurs, sans oublier des UHSI, unités hospitalières sécurisées.
Pour finir, nous souhaitons vivement, comme cela se fait en milieu ouvert, que soient créés des pôles SPIP – services pénitentiaires d'insertion et de probation. C'est primordial pour le bon fonctionnement et la bonne prise en charge des détenus.
J'aimerais faire un rappel succinct de la politique pénitentiaire, de son fonctionnement et des constatations que nous pouvons en tirer.
À la date du 1er juillet 2016, le nombre de détenus atteignait le triste record de 69 375 personnes incarcérées pour 58 311 places, dépassant le record d'avril 2014, qui était de 68 851 personnes. La densité carcérale s'est établie à 142 % en maisons d'arrêt et la surpopulation carcérale a atteint en moyenne 130 % dans les maisons d'arrêt, avec des taux supérieurs à 200 % dans certaines, à l'instar des établissements de La-Roche-sur-Yon et Tarbes, où l'on dénombre plus de 900 matelas au sol.
La Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France en janvier 2020 en raison des conditions de détention dans les prisons surpeuplées, recommandant au passage de prendre des mesures face à ce problème structurel.
L'épidémie de coronavirus a contribué à la chute de la population carcérale, avec moins d'entrées, mais surtout en raison des libérations anticipées, soit environ 13 000 détenus entre les mois de mars et de mai 2020. Le taux d'occupation moyen des prisons est passé sous le seuil des 100 %.
La crise sanitaire aura réussi à accomplir ce qu'aucune politique pénale n'était parvenue à faire ces quinze dernières années, c'est-à-dire désengorger les prisons françaises, insalubres et surpeuplées, où les détenus partagent parfois à trois une cellule de 9 mètres carrés.
Aujourd'hui, le taux d'occupation global se situe à 98 %, contre 119 % le 16 mars dernier, et à 110 % en maison d'arrêt, contre 140 % auparavant. Cependant, depuis le 1er octobre 2020, la reprise de l'activité judiciaire a contribué à l'augmentation du nombre de détenus.
À la date du 1er juillet 2021, le nombre de personnes incarcérées s'élevait à 67 971 pour environ 60 790 places opérationnelles, réparties dans 187 établissements pénitentiaires, ce qui correspond à 22 000 détenus dans les établissements, dont le taux d'occupation excède donc 120 %.
Je souhaite revenir à quelques dates relatives à l'évolution de la politique pénitentiaire et à la problématique de surpopulation afin de mieux appréhender la situation.
Le 8 août 2016, le Premier ministre, en présence du garde des sceaux, a annoncé un plan en faveur des prisons, à l'automne, destiné à faire face à la surpopulation carcérale. Le 20 septembre 2016, le garde des sceaux a présenté au Parlement un rapport intitulé « En finir avec la surpopulation carcérale ». Ce rapport envisageait notamment de construire, d'ici à 2025, principalement dans les maisons d'arrêt, près de 16 000 cellules, dont 90 % individuelles, le sujet de l'encellulement individuel n'étant toujours pas réglé.
Le 6 octobre 2016, à la suite du rapport du garde des sceaux sur l'encellulement individuel, le Premier ministre a annoncé un nouveau programme immobilier pénitentiaire. Ce programme prévoyait trente-trois établissements et 16 000 cellules. Le 23 novembre 2016, le rapport est présenté au Conseil des ministres par le garde des sceaux. La communication s'attache à la politique pénitentiaire, incluant notamment l'amélioration de l'image, l'encellulement individuel et la prévention des récidives.
En janvier 2018, les surveillants pénitentiaires lancent un vaste mouvement social. Le 12 septembre 2018, la garde des sceaux présente au conseil des ministres une communication portant sur la politique pénitentiaire : projet de loi, programmation 2018-2022 et réforme de la justice, etc. Le 18 octobre 2018, la ministre de la justice dévoile un nouveau plan pénitentiaire qui prévoit, d'ici à 2022, la livraison de 7 000 places de prison ainsi que des projets permettant la construction, d'ici à 2027, de 8 000 autres places. Enfin, le 23 mars 2019, la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice est promulguée.
En conclusion, seules 2 000 places de détention ont été mises en service depuis 2017. En 2019, 826 places ont été créées grâce à la réouverture de la maison d'arrêt de Paris-la Santé et du quartier de sécurité de Nanterre. En 2020, aucune nouvelle livraison n'est intervenue. Ces chiffres apparaissent éloignés des 15 000 places annoncées par le Gouvernement d'ici à la fin du quinquennat. De même, la surpopulation carcérale a poussé le Gouvernement, pendant le premier confinement, à libérer près de 10 000 détenus en un mois. Il n'est pas utile de revenir aux coquilles relatives à ces libérations, s'agissant notamment des fichés S.
Pour rappel, le 25 janvier 2017, le SPS a eu l'honneur de participer à l'élaboration du fameux livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire. À la suite du rapport, la commission du livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire a rendu un document au ministre de la justice. Parmi les remarques préliminaires, le rapport indique que « pour juguler l'inflation carcérale, le programme immobilier doit être accompagné d'une politique pénale ambitieuse ». Le Livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire, daté du 4 avril 2017, a été envisagé pour s'inscrire dans la durée, en fixant les enjeux pénitentiaires de la France dans les vingt prochaines années. Le SPS pose la question : à quoi sert ce Libre blanc et où en sont les projets de construction des prisons ?
Le SNEPAP FSU se félicite que soient consultées les organisations syndicales de notre administration.
La surpopulation carcérale, les conditions de détention indécentes, les conditions de travail peu propices à une intervention quantitative pour l'ensemble des personnels pénitentiaires ne permettent pas un travail de qualité sur la prévention de la récidive. La surpopulation entraîne de facto la dégradation des conditions de détention : promiscuité, offres de travail, de formation, d'activité déjà sous-dimensionnées par la capacité théorique de l'établissement. Les personnels pénitentiaires, dans l'encadrement au quotidien des détenus et dans l'accompagnement et la préparation à la sortie, sont dans l'impossibilité numérique et temporelle de répondre à toutes les demandes.
Cette dégradation, au-delà de l'impact sur l'efficacité des prises en charge proposées, peut nourrir chez certaines personnes détenues et leur famille un sentiment d'incompréhension, voire de colère vis-à-vis du système carcéral, judiciaire et de la société dans son ensemble. Ce sentiment est le terreau propice à tout phénomène de radicalisation violente.
Pour cela, les solutions existent, comme le respect de l'encellulement individuel. Nous dénonçons les moratoires sans cesse renouvelés pour détourner le principe de l'encellulement individuel. Nous nous opposons à la remise en cause de l'encellulement individuel par l'utilisation faussée d'exemples étrangers. L'Espagne a mis en place un régime Respecto éprouvé et généralisé qui fait effectivement que les détenus utilisent leur cellule pour dormir. Ce n'est absolument pas le cas en France, où les régimes Respect sont encore à l'état de projet, absolument pas généralisés à l'ensemble des quartiers des établissements. L'encellulement individuel est inscrit dans la loi et elle est le pendant du respect de la dignité des personnes détenues. Il est grand temps de donner les moyens à l'administration pénitentiaire de le respecter.
Dans un premier temps, il convient de développer des aménagements ab initio, des sursis probatoires renforcés ou non et des libérations sous contrainte. Malgré des dispositions historiques de régulation mises en place dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire et l'application de la LPJ – la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice –, les taux d'occupation des maisons d'arrêt ont de nouveau largement dépassé les 100 %.
Il convient de créer de nouvelles places pour remplacer des établissements vétustes à proximité des voies de communication, des lieux habituels de résidence des PPSMJ – personnes placées sous main de justice –, des bassins d'emplois pour favoriser les liens avec l'extérieur, le travail, la formation, les activités, l'intervention du droit commun.
Il convient de développer des établissements adaptés à l'accompagnement des personnes détenues à la préparation à la sortie, orientés vers l'extérieur et proches des bassins d'emplois.
Concernant la surpopulation carcérale et la réponse pénale, le SNEPAP FSU est contre le cycle infernal de créations de places supplémentaires comme réponse unique à l'inflation carcérale. Pour cela, d'autres solutions existent : l'application du numerus clausus pour chaque établissement, à l'instar des établissements pour peines, où chaque nouvelle incarcération ne devrait être rendue possible que par la sortie d'une personne détenue ; l'automaticité des aménagements de peine, toute peine d'emprisonnement devant donner lieu à une libération anticipée d'office dans un système global de refonte et de système des peines ; la suppression des crédits de réduction de peine, pour rendre son terme fixe et permettre la réappropriation du temps de la peine par les condamnés ; la révision de l'échelle et des quantums de peines en conséquence.
Concernant la révision de l'échelle des peines, le SNEPAP FSU dénonce la tendance des dernières années à la « surpénalisation ». Il milite pour une justice équitable et non discriminatoire. En conséquence, il revendique une réflexion et un travail rigoureux sur la dépénalisation de certains délits et/ou de certaines procédures et demande la révision de l'échelle des peines. En effet, l'encombrement des services judiciaires sert régulièrement de prétexte pour justifier le recours à de nouvelles procédures ou de nouvelles dispositions, sans qu'aucune réflexion n'ait été menée sur l'évolution de la société, sur ce qui devrait relever du judiciaire et du pénal. Le SNEPAP FSU pose comme principe que l'incarcération ne doit pas être la sanction de référence, mais l'ultime recours, et revendique qu'une réflexion soit menée afin que la peine d'emprisonnement soit exclue pour un certain nombre d'infractions. Le renforcement des mesures restrictives de liberté et la création d'une peine autonome de probation et la recherche.
Je serai plus concis que mes collègues, pour faire un constat d'échec, même si vous nous accordez deux heures pour contribuer à une amélioration de la politique pénitentiaire. Il ne semble pas que ces deux heures suffiront.
Au fil des gouvernements successifs, quelle que soit leur couleur politique, nous voyons bien la difficulté d'améliorer la condition pénitentiaire, en particulier pour ce qui est de la mise en place, tant bien que mal, l'encellulement individuel. On cherche à créer des places de prison pour permettre cet encellulement individuel, sans pour autant y parvenir. À force de construire des prisons, on facilite plutôt l'incarcération, et nous voyons bien le nombre de réponses pénales apportées : ce sont surtout des peines d'emprisonnement, même si des aménagements et des alternatives ont certes été apportés, ce qui accroît la charge de travail des uns et des autres.
La situation des maisons d'arrêt implique de mauvaises conditions de travail pour les personnels. Vous demandiez ce que nous pouvions faire pour endiguer la récidive. Nous avons du mal à mettre en œuvre les solutions car, en tant que personnel de surveillance, nous rencontrons de plus en plus de difficultés pour aborder les sujets comme l'observation et la prise en charge du détenu, au même titre que la prise en charge et le suivi effectués par les personnels des SPIP, avec lesquels nous constatons un ratio nombre de personnes détenues sur nombre de personnes suivies en augmentation.
On voit bien que la réponse par la création d'établissements pénitentiaires entraîne des incarcérations. Certains établissements, prévus pour 500 places, accueillent 800 personnes. Nous n'atteignons pas l'encellulement individuel parce que la pratique d'accueil consiste à placer un lit supplémentaire dans la cellule. La situation n'apparaît pas du tout satisfaisante aujourd'hui. Comme l'ont dit les uns et les autres, l'incarcération massive se poursuit.
Il convient de s'approprier à bras-le-corps cette volonté, cette politique pénale. Nous avons déjà été auditionnés à plusieurs reprises ces dernières années. Les gouvernements successifs déclarent qu'ils souhaitent s'emparer du problème afin de l'améliorer, mais ce n'est pas le cas. Les conditions de travail des personnels manquent d'attractivité, au regard des charges de travail. L'administration pénitentiaire n'attire pas, force est de constater qu'il s'agit d'un problème d'attractivité et de reconnaissance de nos métiers. Tout métier à risque et difficile justifie une reconnaissance indemnitaire et statutaire, par le biais du passage en catégorie B en ce qui nous concerne. Le souhait est d'attirer des professionnels administratifs et techniques en leur permettant d'exercer dans de bonnes conditions, sans subir la surcharge due aux tâches quotidiennes.
Nous devons parvenir à endiguer le principe de machine à incarcérer que sont les établissements pénitentiaires.
Je retiens deux éléments de votre intervention qui nous touchent. Vous avez évoqué l'encellulement individuel et l'attractivité des métiers pénitentiaires, questions souvent soulevées dans le cadre de mes activités d'élu local, lorsque je visite les maisons d'arrêt.
Les questions que vous balayez sont assez larges. Nous sommes les représentants des personnels de l'insertion et la probation et nous souhaitons insister sur le milieu ouvert, qui est souvent le grand oublié de la politique pénitentiaire.
Je rappelle que deux tiers des condamnés sont suivis en milieu ouvert et que les services pénitentiaires d'insertion et de probation sont les seuls à suivre les personnes du pré-sentenciel au post-sentenciel. À nos yeux, la politique publique pénitentiaire doit aussi s'occuper de cette réalité et, pour cela, s'appuyer sur une politique pénale forte qui lutte contre l'extension du filet pénal et réaffirme la prison comme exception et la nécessité d'une peine de probation autonome, comme l'a souligné le représentant de la FSU.
La démarche a été amorcée en 2014 à travers la contrainte pénale, passée avec pertes et fracas avec la LPJ. C'est toujours une revendication forte de nos professions, puisqu'il s'agit du seul moyen de déconnecter la peine de la référence à la prison. Il nous paraît essentiel que les travaux des législateurs intègrent cette question. Pour nous, la LPJ s'apparente à un véritable fiasco. Elle ne fonctionne pas. De fait, les lois sont empilées, après la loi confiance et la loi dignité. Nous constatons que la loi confiance remet en question les remises de peine, ce qui contribuera à accroître la population pénale enfermée. Selon nous, ce n'est pas la bonne direction à suivre.
Nous espérons également que la commission d'enquête se saisira du rapport du CESE – le Conseil économique, social et environnemental – commandé par le Premier ministre précédent, sur la mission de réinsertion de l'administration pénitentiaire, qui reste la grande oubliée. Elle suit deux missions : la garde et la réinsertion. Des travaux préalables, réalisés par le CESE, qui a alors souhaité également nous entendre, constituent selon nous une très bonne base de travail.
La mission de réinsertion, qui entre dans les prérogatives de nos métiers, suppose de disposer d'un personnel suffisant. Dans les services pénitentiaires d'insertion et de probation, nous rencontrons le même sous-effectif qu'au sein des personnels pénitentiaires en établissement. L'administration pénitentiaire ne parvient pas à remplir son objectif de constituer des organigrammes également pour les SPIP, ce qui permettrait aux personnels d'atteindre un ratio de suivi à même d'accompagner les personnes dans de bonnes conditions et surtout d'adopter une approche globale de ces personnes, dans le respect de ce qui nous est demandé. À cette fin, nous rappelons la règle européenne 29, qui dispose que les effectifs doivent être suffisants, ce qui n'est absolument pas le cas pour l'ensemble des personnels pénitentiaires.
N'oublions pas le sort des personnels administratifs, que ce soit en SPIP ou en établissement, qui constituent la cheville ouvrière de tous nos services. Ils sont pourtant maltraités, puisque leur indice indemnitaire est deux fois moins élevé que dans les autres services de la justice.
Nous espérons que vous vous saisirez des travaux du CESE, qui avaient été demandés par le Premier ministre Édouard Philippe, du respect des règles européennes et de l'accompagnement des personnes au sens large.
La CFDT est heureuse de participer à cette commission et vous remercie de l'avoir invitée. Nous sommes à l'écoute du terrain et les revendications sont nombreuses. Il est à tout fait louable de votre part de vous intéresser à l'administration pénitentiaire et de pouvoir entendre ses revendications émanant directement du terrain par l'intermédiaire des organisations professionnelles.
J'espère que cette commission aura à cœur de mettre en place concrètement et rapidement des mesures pour améliorer les conditions de détention, qui sont aussi les conditions de travail des personnels. Nous nous montrons assez dubitatifs, car nous sommes régulièrement consultés sur ces questions sans forcément voir se réaliser nos revendications. Au fil des débats, la CFDT aura à cœur d'évoquer deux sujets qui nous semblent importants.
C'est tout d'abord la sécurité, mais pas seulement celles des établissements pénitentiaires. La sécurité des SPIP est mise à mal, mon collègue Frédéric Belhabib pourra vous en parler. J'interviendrai également sur les phénomènes de radicalisation au sein des établissements pénitentiaires. Le renseignement pénitentiaire est à la peine, j'argumenterai sur ce sujet.
Nous évoquerons, au fil des débats, la surpopulation carcérale, la formation du personnel, l'attractivité des métiers. Je le répète, les conditions de détention des détenus correspondent aux conditions de travail des personnels. Le sujet nous semble important à la CFDT.
Je suis surveillant en SPIP, chargé des détenus sous bracelets de surveillance électronique. La sécurité relative aux SPIP laisse vraiment à désirer. Il y a trois ans, un détenu équipé d'un bracelet électronique a été tué en sortant du SPIP, victime d'un guet-apens. Nous avons frôlé le drame, puisqu'une collègue est passée au même moment, à une seconde près.
Mes collègues ont déjà abordé le problème de l'attractivité. Je discutais hier avec ma cheffe d'antenne, la directrice pénitentiaire d'insertion et de probation, qui se plaignait de sa rémunération. Une DPIP qui entre en service reçoit un salaire qui mérite d'être révisé. La même constatation vaut pour les surveillants pénitentiaires. Nous constatons de nombreuses démissions chez les DPIP et les surveillants à cause du manque d'attractivité du métier, liée surtout à la rémunération et au manque de reconnaissance.
Il faudrait aussi encourager une meilleure communication entre les services, notamment entre les services judiciaires de l'intérieur et les SPIP. Cet été, le meurtre de personnes dotées d'un bracelet suivi par le SPIP n'a fait l'objet d'aucune communication entre les services.
En vous écoutant, j'ai perçu beaucoup de fierté au sujet de la mission que vous accomplissez. Le directeur de la pénitentiaire nous disait la semaine dernière que des efforts ont été consentis dans l'administration, qui a su beaucoup évoluer pour s'adapter à ses nouvelles contraintes, au regard d'une pression carcérale qui n'a jamais baissé, sauf lors des épisodes de confinement. Les dispositifs d'alternatives à la détention et de remises de peine ont pu être utilisés de manière importante afin de baisser la pression carcérale. Il est dommage que nous ne soyons pas parvenus à conserver le même état d'esprit en sortant des périodes de confinement. La question mérite d'être posée. Comment mobiliser les acteurs judiciaires et pénitentiaires pour arriver à ralentir cette pression carcérale ?
La semaine dernière, nous avons entendu parler de régulation carcérale, notée dans la LPJ. Elle fonctionne, notamment en région grenobloise, à la maison d'arrêt de Varces, permettant la mise en place d'une communication entre la justice et la pénitentiaire pour faire en sorte que les matelas au sol soient évités et que la surpopulation ne dépasse pas un seuil tolérable. J'aimerais savoir ce que vous pensez d'un tel dispositif de régulation carcérale.
Lorsque nous disons que l'administration pénitentiaire s'est beaucoup adaptée, vous avez listé certains éléments, que j'ai notés dans vos propos liminaires. Nous identifions les ERIS, le renseignement territorial, les extractions judiciaires. Vous avez adopté de nouvelles compétences, et il serait intéressant d'en dresser un état des lieux. Il me semble important de voir que l'administration pénitentiaire a évolué et sait s'adapter aux contraintes, sans rester statique. Vous disiez que le renseignement territorial était à la peine ; je souhaiterais que nous développions cet aspect. Il me semble que cette initiative a été lancée récemment et nous pouvons l'améliorer ; je suis très intéressée de savoir dans quelle mesure nous pouvons le faire.
Monsieur Jean, vous avez proposé de dépénaliser quelques délits. À quoi pensez-vous précisément ? Quels sont les délits pour lesquels la prison n'a aucune utilité, selon vous ?
Après plusieurs années qui laissaient penser que le renseignement pénitentiaire avait les moyens de ses ambitions, nous déchantons. Les acteurs du renseignement pénitentiaire, dont je fais partie, sont déçus et démotivés. Comme le rappelait Mme la rapporteure, le renseignement pénitentiaire est un service récent, créé en 2015, mais le premier constat est celui du manque de moyens humains. À l'exception des contractuels, qui conservent leur poste le temps de trouver un emploi plus stable, le service manque cruellement d'effectifs. À la cellule interrégionale du renseignement pénitentiaire de Strasbourg, un seul officier se charge de la sécurité pénitentiaire des vingt-trois établissements que compte la région Grand Est. Nous savons que le renseignement pénitentiaire, et plus généralement la sécurité pénitentiaire, couvre un certain nombre de domaines, comme les trafics en détention, les phénomènes de bandes, la criminalité organisée, les évasions, les détenus dangereux. En région Grand Est, à la CIRP de Strasbourg, un seul officier se consacre à la sécurité pénitentiaire ; lorsqu'il est en congé, le secrétariat assure le relais pour traiter les urgences.
Par ailleurs, l'administration a ouvert des postes de délégués locaux au renseignement pénitentiaire dans les établissements. Il s'agit essentiellement d'officiers, recrutés à temps plein pour s'impliquer dans le renseignement pénitentiaire dans l'établissement où ils sont affectés. Cependant, on constate que ces délégués locaux ne se concentrent pas seulement sur le renseignement pénitentiaire dès lors que l'autorité locale leur confie d'autres missions, comme la gestion des quartiers des arrivants, disciplinaires, d'isolement ou encore la gestion des extractions ou de la prévention du suicide. Ils ont pourtant été nommés en commission administrative paritaire sur des postes entièrement dédiés au renseignement. Lorsqu'ils arrivent dans les établissements, ce n'est pas plus le cas.
Nous observons donc une différence entre la volonté politique, consistant à créer des postes à temps complet, et la volonté administrative locale et territoriale, qui utilise ces personnels à d'autres fonctions.
Le constat suivant est celui du manque de moyens techniques. Sans dévoiler de secrets, le renseignement pénitentiaire se trouve dans l'impossibilité d'exploiter certains téléphones. Nous ne disposons pas de logiciels nous permettant d'exploiter les téléphones de dernière génération, vendus à des prix assez élevés sur le marché et très fréquents parmi la population pénale. Le logiciel a été commandé mais nous l'attendons depuis deux ans. En revanche, les services du premier cercle du renseignement en sont dotés depuis longtemps, ce qui n'est pas le cas du renseignement pénitentiaire.
Nous pouvons donc encore progresser sur le volet des moyens techniques. Les licences d'exploitation liées aux logiciels n'ont pas encore été validées, ce qui nous empêche de réaliser un travail de qualité.
Mes constats sur le renseignement pénitentiaire concernent donc le manque de moyens humains et techniques.
Nous sommes tous d'accord ici pour dire que nous souffrons d'un manque cruel de moyens et de ressources humaines. M. Ridel a dû vous parler de la multiplicité des nouvelles missions lancées dans l'administration pénitentiaire. L'extraction judiciaire ou d'autres démarches ont été difficiles à mettre en place et se sont entourées de polémiques en raison du manque de moyens et d'agents. Ces missions ont été sous-évaluées, par exemple la bascule entre la gendarmerie et la police vis-à-vis de la pénitentiaire s'est accompagnée d'effectifs moindres par rapport aux besoins et au maillage pénitentiaire.
Ce sont les agents en charge de la détention qui ont été choisis pour compléter les effectifs dédiés aux missions extérieures, au détriment de la gestion de la détention. Nous trouvons toujours des postes vacants dans le domaine de la détention et dans les établissements pénitentiaires. Il en ressort une difficulté majeure puisque les agents ne suivent pas un rythme de travail régulier et subissent un rappel incessant des heures supplémentaires, qui ne cessent d'augmenter. Ces situations contribuent aux mauvaises conditions des personnels, notamment dans leur vie familiale. Il s'ensuit des démissions ou des situations d'agents en position administrative délicate dès lors qu'ils ne supportent plus ces problèmes.
La présentation du budget, assurée ce matin, prévoit des créations d'emplois, mais elles restent toujours en deçà des espérances et des améliorations pour les personnels, quel que soit le corps ou le grade. Nous avons vraiment besoin de ressources pour mener à bien nos missions de service public. C'est un aspect important à nos yeux. Le souhait est de donner une autre image de l'administration pénitentiaire, toujours un peu ternie. Elle doit pour cela profiter de nouveaux moyens humains et techniques dans ses différents domaines, qu'il s'agisse de la sécurité, de la prise en charge de la population pénale ou du renseignement pénitentiaire.
Comme l'indiquait mon collègue, le renseignement pénitentiaire correspond à une nouvelle mission, et je pense qu'elle ne s'est pas accompagnée des moyens suffisants, à la hauteur des enjeux, surtout après la vague des attentats qui a secoué notre pays. Nous sommes un peu la cinquième roue du carrosse par rapport aux moyens alloués au ministère de l'intérieur.
Par ailleurs, il n'existe pas forcément un consensus entre l'administration pénitentiaire et les services de police ou de gendarmerie. Bien souvent, l'administration pénitentiaire est reléguée au dernier plan en matière d'informations. La radicalisation existe dans la société, mais aussi entre nos murs, et nous devons pouvoir l'endiguer, en tout cas la maîtriser, et bénéficier d'un maximum de renseignements afin de mieux appréhender ces situations.
Les moyens constituent le nerf de la guerre. Les surveillants ne peuvent plus être seuls face à soixante, quatre-vingt ou même cent détenus sur une coursive. C'est surhumain, nous ne sommes pas des robots. Je parle aussi de la charge de travail qui revient au personnel administratif, d'insertion et de probation, sans oublier le corps des directeurs. Ces derniers s'impliquent davantage dans les tâches administratives plutôt que dans la gestion de la détention.
S'agissant de la régulation carcérale, notre revendication principale consiste à déconnecter la politique pénale de l'emprisonnement. Il faut faire en sorte que l'emprisonnement ne soit plus considéré comme la peine de référence. Pour la régulation carcérale, nous prenons le problème à l'envers, en réfléchissant seulement selon une gestion de flux, sans nous interroger sur l'utilité de l'emprisonnement. Quelle est la plus-value d'emprisonner certaines personnes ou pas ? Quelle serait la plus-value de mettre en œuvre d'autres mesures alternatives ou de probation ?
L'autre questionnement portait sur les délits pour lesquels l'emprisonnement ne suscite aucun impact ou aucune utilité. Le principal exemple est celui des délits en lien avec les addictions, comme la conduite sous l'emprise d'un état alcoolique ou la consommation de stupéfiants. Les prises en charge en milieu ouvert apparaissent beaucoup plus adaptées puisque la problématique principale relève de l'accès aux soins, du traitement de l'addiction. En détention, l'objectif poursuivi n'est pas le même. Nous pouvons mettre cet élément en perspective avec la notion d'accès aux soins en détention, qui n'est pas toujours bien développé et ne reste pas accessible de la même manière d'un établissement à un autre.
Je remercie l'ensemble des syndicats pénitentiaires, que j'ai déjà auditionnés dans le cadre de la mission sur la radicalisation dans les services publics ou de la commission d'enquête sur les attaques à la préfecture de police de Paris.
Il existe une problématique de la mission des écoles, compte tenu du manque d'attractivité du métier de surveillant. Les recrutements s'effectuaient à un niveau très faible. La direction de l'administration pénitentiaire s'en était offusquée. Quelle est la situation aujourd'hui ?
La formation sur les sujets de radicalisation s'est-elle développée ? C'était le souhait de la ministre Nicole Belloubet.
Vous avez parlé des sorties liées au covid et des FSPRT, les fichiers de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste. Je serais intéressé par davantage d'informations sur ces sujets.
Le point suivant s'attache à la problématique des téléphones mobiles. Un ami surveillant de prison me disait que l'on trouvait aux Baumettes autant de téléphones que de détenus. Quel est le niveau de déploiement des brouilleurs et des cabines téléphoniques ?
Après la triste affaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe, où en sommes-nous dans la fouille des visiteurs et dans l'implantation des portails à ondes millimétriques ?
Je souhaite répondre à la première question, relative au recrutement. On constate une déperdition importante, au point que la pénitentiaire recrute à 3 de moyenne. Notre syndicat dénonce cette situation. Il faudra savoir redonner confiance aux candidats pour les inciter à postuler, en sachant que le métier est compliqué. Nous manquons de plus en plus de personnels.
Comment expliquer que de nombreux surveillants, à peine titulaires, préfèrent rejoindre la police municipale ? D'autres choisissent un autre métier. Comment expliquer qu'un surveillant en début de carrière perçoive 1 500 € et soit affecté, dans 80 % des cas, en région parisienne ? Comment vivre avec un tel salaire ? La ministre a mentionné le salaire de 2 100 euros nets s'agissant des agents, mais j'ignore quelle est sa source d'information, à moins de travailler 70 heures par semaine. La question consiste à savoir de quelle manière il est possible de se loger en région parisienne. Nous faisons face à ce problème de logement.
Je parle aussi de l'insécurité qui entoure le travail dans les coursives. Nous évoquions les équipes locales de sécurité pénitentiaire – ELSP. Nous travaillons avec les moyens disponibles. Comment assurer une sécurité périmétrique dans un établissement dès lors qu'il n'est procédé à aucun recrutement ambitieux ? Nous devons nous contenter de nos moyens.
Comment expliquer qu'il y ait beaucoup de réformes pour les officiers mais une absence de réforme statutaire en faveur du personnel de surveillance, s'agissant du passage à la catégorie B ? Notre syndicat ne cesse d'interpeler à ce sujet. Nous menons des missions sur le terrain qui relèvent de la sécurité publique, nous avons les PREJ, les ERIS, les UHSA. Nous appelons au recrutement d'une police pénitentiaire. Le souhait est de ne plus dépendre du ministère de la justice, mais du ministère de l'intérieur. Nos missions de sécurité publique ont tendance à être oubliées. La garde des détenus reste notre mission principale.
Comment expliquer enfin que, dans les détentions, il n'y ait plus de premiers surveillants ? La dernière promotion de premiers surveillants recrutés s'élevait à 326 personnes, alors que nous proposons 400 postes. De quelle manière déployer des postes dans l'ensemble des établissements ? Il nous manque des premiers surveillants dédiés aux détentions en région parisienne, où se trouvent les principaux établissements, alors on met des surveillants sur ces postes, payés comme des surveillants. J'aimerais savoir quelles solutions seront apportées.
Je constate que, s'agissant du renseignement pénitentiaire, le développement du projet Respecto n'est pas mené à son terme. Nous avons tous des propositions à émettre auprès de cette commission, mais nous revenons quand même à un élément fondamental : celui du budget du ministère de la justice par rapport aux autres pays développés.
Le Gouvernement et les députés devraient consentir un effort sur cette situation. Dans un pays comme le nôtre, le pourcentage du budget national qui revient au ministère de la justice est-il suffisant ? Si vous prenez l'Allemagne, et même d'autres pays d'Europe de l'Est, les investissements en faveur du ministère de la justice apparaissent plus élevés. Il s'agit quand même d'un ministère régalien, avec des conséquences en termes de sécurité et de réinsertion. Nous avons donc besoin d'un budget qui correspond à un pays développé, en augmentation.
Pour répondre à la question posée par Mme Abadie, en complément des propos tenus par la CGT insertion et probation, nous mettons en lumière l'absence d'outils statistiques précis et de recherche sur l'action et l'efficacité des politiques pénales et pénitentiaires. Notre proposition vise surtout à poser le sujet et à l'étudier, à l'appui de conclusions et de recherches qu'il reste à mener. Nous souhaitons ici alerter sur la succession des dispositions légales afin de résoudre un problème que l'on n'a jamais essayé de comprendre.
Nous regrettons que l'observatoire de la récidive et de la désistance n'ait jamais reçu mes moyens nécessaires à son fonctionnement. L'organisme, créé en 2014, a produit seulement un rapport, rendu en 2017. Ce rapport, assez encourageant sur les perspectives et le travail à mener, a fixé des objectifs ambitieux. L'observatoire a été supprimé par la loi sur la simplification de l'action publique. Pour nous, cette décision a été une erreur et un retour en arrière. Si l'État souhaite véritablement régler cette question, il doit s'en donner les moyens, les moyens en établissements de qualité, en personnel, en formation et aussi des moyens en recherche et en réflexion.
Si cette audition doit nous permettre de lever de nouveaux sujets, il convient de savoir ce qui fonctionne ou pas en France.
C'est bien l'objet de cette commission d'enquête. J'entendais un intervenant dire qu'il s'agissait d'une énième commission d'enquête, mais on nous reprocherait aussi de ne pas en initier. Ces commissions permettent d'assurer un suivi régulier et d'émettre des propositions en faveur de l'univers pénitentiaire.
J'ai bien écouté les différentes interventions, et nous revenons toujours aux mêmes problématiques : la formation et les effectifs de personnels. Il y a quelque temps, j'ai visité la prison de Dunkerque, qui date de 1830 – c'est l'une des plus vieilles de France. Elle peut recevoir 115 détenus, mais j'en ai trouvé 128. Certaines cellules sont occupées par six personnes, d'autre part trois détenus, pour une surface de 9 mètres carrés, avec des matelas au sol. C'est la réalité.
Cette commission d'enquête doit aussi permettre de regarder les démarches susceptibles d'être menées en amont. Que faisons-nous pour abaisser le nombre de délits ou de petits délits ? Ne faudrait-il pas mettre en place une politique éducative ? Nous rencontrons un problème sociétal. Nous parlions ici de la punition, mais nous avons une responsabilité politique, consistant à déployer les moyens nécessaires en termes d'éducation dans les quartiers, avec la présence d'animateurs, de policiers de proximité et d'îlotiers. Nous avons abandonné ces initiatives pour nous concentrer sur la répression plutôt que sur la prévention.
Lorsqu'une prison est construite, quel est son cahier des charges ? Quelle est sa capacité d'accueil ? Les prisons hébergent un nombre énorme de détenus. Est-il préférable de concevoir de petites prisons à taille humaine ou bien des établissements plus importants ?
Je rappelle que, selon le directeur de l'administration pénitentiaire, 1 300 matelas au sol ont été référencés dans établissements.
En outre, d'après ce que l'on a pu me dire, l'objectif serait la construction de prisons à taille humaine, de 400 places.
Je souhaitais revenir au renseignement pénitentiaire, qui est un échec total, voire un gâchis. Ces cellules de renseignement ont été créées après les attentats de 2015. Le souhait a été d'apporter une réponse rapide après avoir constaté que les auteurs de ces faits avaient séjourné en prison. On a donc jeté un dispositif, à l'instar de tous les autres, à travers ces cellules de renseignement.
Les surveillants faisaient remonter régulièrement, par le biais de cahiers électroniques d'observation, des renseignements concernant ces personnes radicalisées, mais la démarche n'a jamais été prise sérieusement en compte. Nous n'avons pas cette culture du renseignement, malgré le déploiement d'officiers en charge des détentions. Il convient donc de revoir le système.
En juillet 2018, trois ans après les attentats, l'évasion de Rédoine Faïd est apparue comme une véritable catastrophe. Elle a montré que nous étions tout simplement mauvais en matière de renseignements.
Je parle aussi de tous les autres fléaux, comme la présence des téléphones portables et des stupéfiants. Nous avons les solutions, mais il ne s'agit pas d'une politique pénitentiaire, plutôt d'une politique générale. Il faut savoir ce que nous voulons faire et nous donner les moyens adéquats.
Notre syndicat a rédigé plusieurs rapports sur le renseignement, nous avons apporté des propositions pour gagner en efficacité à travers du personnel, formé et motivé, susceptible de fournir des renseignements en matière de radicalisation. S'agissant d'ailleurs de cette radicalisation, nous ne profitons toujours pas de structures adaptées. Il faudra prévoir des structures plus hermétiques afin de placer des détenus à des endroits spécifiques. Nous ne disposons pas de moyens humains et structurels. La volonté doit aussi être politique. Écoutez les personnes sur le terrain et ne gérez pas tout derrière vos bureaux.
Je sais que M. Falorni est membre de cette commission. Je le salue au passage, car c'est l'un des rares députés à venir nous voir. Il connaît bien l'univers des prisons et la politique pénitentiaire.
Nous avons bien entendu vos propos relatifs au renseignement pénitentiaire. Je peux vous dire que nous sommes constamment sur le terrain à visiter les établissements et à rencontrer le personnel. J'ai été le maire de la ville de Bois-d'Arcy, où se trouve une maison d'arrêt. Je cite aussi la prison de femmes de Versailles ou de Poissy. Nous faisons le tour de France, qu'il s'agisse des établissements de Mont-de-Marsan ou de Draguignan.
Je suis d'accord avec vous, rien ne peut se faire uniquement derrière un bureau. Les actions sont menées au contact du terrain. Je tenais à préciser cet aspect, car nous ne sommes pas tombés de la dernière pluie.
Je souhaitais revenir à l'attractivité des métiers pénitentiaires en parlant des DPIP. Les travaux ont commencé pour le deuxième corps des directeurs de l'administration pénitentiaire, mais rien n'aurait pu être fait sans l'insistance des organisations syndicales. C'est un élément important pour l'attractivité des métiers pénitentiaires, en particulier dans le secteur de l'insertion et de la probation. Il est anormal que les DPIP ne disposent pas d'un statut en correspondance avec l'expertise acquise et le niveau de responsabilité exercé.
S'agissant du recrutement, le niveau est resté assez bas à un moment donné, à cause des problèmes de campagnes d'information et de communication auprès du public. Il aurait fallu viser un panel plus large pour toucher un nombre de candidats suffisant correspondant aux attentes et aux besoins. Le manque d'informations sur le concours de surveillant a contribué au fait que nous sommes passés de 30 000 candidatures à 17 000, pour 7 000 personnes admises au final, ratio assez bas. L'administration semble avoir pris à bras-le-corps l'importance de ces campagnes afin d'inciter un maximum de personnes à passer le concours. Il ne faut cependant pas oublier les questions d'attractivité et de salaire, essentielles pour attirer les jeunes professionnels dans l'univers pénitentiaire.
En matière de radicalisation, des formations sont dispensées aux agents à l'École nationale d'administration pénitentiaire et dans le cadre d'une formation continue. Le souhait est de repérer et d'endiguer les phénomènes et assurer ensuite la prise en charge des détenus, même si la démarche a du mal à se mettre en place à travers les quartiers dédiés à l'évaluation de la radicalisation que sont les QER.
Nous constatons une multiplication des téléphones portables en détention, en espérant que les ELSP permettront d'endiguer le fléau que représentent les colis jetés par-dessus les murs, renfermant notamment des téléphones portables. Cette question est en lien avec les brouilleurs, mis en place dans quelques établissements. C'est aussi en lien avec l'installation de la téléphonie en cellule, qui se fait de manière progressive. Nous ne pouvons pas installer de brouilleurs si nous n'encourageons pas la téléphonie en cellule. C'est un peu le schéma souhaité par l'administration.
À la prison d'Alençon-Condé-sur-Sarthe, ont été mis en place des portiques à ondes millimétriques, ou POM. Leur développement a été demandé pour faciliter le travail du personnel et éviter d'effectuer des fouilles à corps systématiques, comme l'impose la loi. Les POM permettent d'accompagner ces gestes professionnels sans procéder à fouilles à corps des détenus et des familles. Condé est le seul établissement où l'on procède à une fouille des visiteurs à l'aide de raquettes, selon un régime dérogatoire.
La CGT revendique des établissements à taille humaine, c'est-à-dire entre 250 et 300 places au maximum, afin de permettre une meilleure prise en charge des personnes détenues. Or la tendance semble privilégier des établissements plus importants. M. Ridel a évoqué 400 places, mais nous nous situons autour des 550 à 700 places, justement pour optimiser la configuration et le coût que représente un établissement pénitentiaire.
Les partenariats public-privé se révèlent être des gouffres financiers en matière de constructions de prisons et nous revenons à des projets plus simples, avec l'État à l'initiative de la construction. Une meilleure prise en charge des détenus et de meilleures conditions de détention et de conditions de travail s'entendent pour des établissements qui ne dépassent pas les 300 places. Ce sont avant tout des choix politiques, des organisations territoriales selon le maillage attendu. Les prisons sont plutôt édifiées à proximité des villes accueillant une cour d'assises.
Nous ne sommes pas favorables à la construction de prisons dans une optique d'incarcération. Même si nous ouvrons un établissement de 300 places, chacun sait très bien qu'il recevra rapidement 500 personnes. Notre message au sein de cette commission consiste à dire qu'il faut arrêter d'incarcérer et de dépasser les effectifs théoriques.
Pour nous, la lutte contre les dysfonctionnements passe par la sécurité et le statutaire.
Concernant la sécurité, je prends l'exemple des SPIP. En milieu ouvert, il faut envisager la création d'une SAS – structure d'accompagnement vers la sortie – au regard des dérives constatées et des agressions à l'encontre du personnel.
Concernant le volet statutaire, il convient de revaloriser les DPIP en les faisant passer en catégorie A+. Quant au personnel administratif, il réalise un travail exceptionnel, sans aucune reconnaissance de l'administration.
Nous attendons de bonnes conditions s'agissant de la détention et du parcours d'exécution des peines ainsi que des structures adaptées et des locaux permettant une prise en charge au sens européen de la probation.
Il faut rappeler que, concernant le PEP – parcours d'exécution des peines –, on est allé à rebours de ce qui aurait dû être fait, en ce qui concerne le corps d'encadrement et d'application. On a commencé par le haut, en oubliant les surveillants. Or revaloriser ces agents permettra une meilleure prise en charge des détenus. En faisant passer le corps d'encadrement et d'application en catégorie B, nous pourrions résoudre de nombreux problèmes. Et les CPIP devraient bénéficier d'une vraie catégorie A, à hauteur du travail qu'ils font sur le terrain.
Effectivement, monsieur Diard, la formation au renseignement pénitentiaire s'est développée à l'ENAP grâce à la création récente d'un département qui intervient auprès de l'ensemble des promotions d'élèves, toutes catégories confondues, en formation initiale, mais aussi dans le cadre de la formation continue à destination des personnels membres du réseau du renseignement pénitentiaire. Précisons que le département se révèle très dynamique et entretient de bonnes relations à l'international et avec nos partenaires de la police et de la gendarmerie pour des formations communes. Je tenais à souligner ici l'excellent travail accompli. J'ajoute simplement que seules cinq personnes animent ce département pour organiser et réguler les formations relatives au renseignement pénitentiaire sur l'ensemble du territoire.
Pour être tout à fait complet dans ma réponse, il convient de distinguer la théorie et la pratique. Si les personnels en formation à l'ENAP se montrent motivés et impliqués, avec le souhait de réaliser un bon travail de renseignement pénitentiaire, ils sont souvent déçus lorsqu'ils arrivent dans les établissements, comme je l'expliquais précédemment. À titre d'exemple, un délégué interrégional au renseignement pénitentiaire comme moi gère de cinquante à soixante dossiers. En comparaison, nos collègues policiers du renseignement territorial gèrent entre dix et douze dossiers chacun.
Enfin, nous assistons chaque semaine à une réunion en préfecture, intitulée « GED » – groupe d'évaluation départemental –, au cours de laquelle nous discutons de radicalisation. Depuis l'assassinat de Samuel Paty, les GED sont programmés de manière hebdomadaire par les préfectures. Pour ma part, je couvre cinq départements de la région Grand Est, ce qui signifie que j'assiste à cinq réunions par semaine en préfecture. Comment puis-je faire pour assurer le reste de mon travail ? Je disais dernièrement à l'un de mes collègues que nous étions devenus des auxiliaires de préfecture : l'essentiel de notre travail est consacré aux préfectures, nous poussant à délaisser le suivi et la prise de hauteur que nécessite pourtant le renseignement pénitentiaire.
Pour réagir à certains propos tenus précédemment, nous souhaitons rester rattachés au ministère de la justice. À ce titre, le mandat judiciaire nous paraît très important, puisque ce sont les magistrats qui nous confient la prise en charge du public. Ce premier acte fonde la rencontre avec les personnes suivies. Il est hors de question d'y revenir.
Un effort certain a été consenti pour sécuriser les SPIP. Nous ne voulons pas la moindre transformation en annexe de la détention. La prise en charge spécifique s'appuie sur l'accueil du public, d'ailleurs réaffirmé dans nos méthodologies. Certes, il convient de mettre en place des services sécurisés. Les SAS existent, nous avons tiré quelques enseignements de notre environnement pénitentiaire, mais il nous semble important de préserver une juste mesure. L'accueil du public doit être organisé différemment. Il s'agit d'un autre métier, en dehors ; ce n'est pas la prison.
Nous sommes très attachés au champ du travail social dès lors que nous prenons en charge les personnes dans leur globalité. Le code rappelle cet aspect. Lorsque nous examinons une situation, nous devons aussi rappeler la situation sociale, familiale et matérielle de la personne.
Pour répondre aux questions posées, lorsque nous prenons ces personnes en charge, nous intervenons en fin de cycle. Nous constatons une vraie faillite des politiques d'éducation et de prévention. C'est un choix de société : tout miser sur le répressif empêche la mise à disposition de moyens en amont. Les politiques pénales menées depuis vingt ans démontrent cette situation. L'administration pénitentiaire intervient elle aussi en bout de course. Nous faisons, par exemple, de plus en plus face au manque de moyens de la psychiatrie, le public concerné arrive chez nous.
Par rapport au cahier des charges des prisons, nous estimons que les projets de construction n'apportent pas la bonne solution. Il convient de penser aux politiques pénales dès le départ. En revanche, nous soulignons que la LPJ a essayé de créer les SAS. La sortie représente une étape difficile à préparer. La mise en place des SAS, en remplacement des anciens QPA – quartiers pour peines aménagées – et en complément des centres de semi-liberté, permet de penser la sortie de prison en créant des endroits appropriés, tournés vers la préparation et la réinsertion. Pour nous, c'est important.
Nous comprenons que le sujet de la radicalisation préoccupe les députés au regard de la sécurité publique. Cependant, quel est le pourcentage des détenus radicalisés par rapport à la globalité du public que nous prenons en charge ? Et qui constitue ce public radicalisé ? Nous avons face à nous des jeunes gens, qui n'ont plus de place dans la société française et pour lesquels nous n'avons pas trouvé de solutions en amont sur des temps de jeunesse. Effectivement, certains passages à l'acte se révèlent très graves et il convient de les condamner. La prison joue parfois ce rôle indispensable, mais ces personnes sont perdues, sans place dans la société.
Même si les personnes radicalisées représentent une minorité, la radicalisation constitue un sujet. On compte 456 détenus radicalisés, ce qui est peu, mais beaucoup sur le plan de la gestion.
Par ailleurs, vous évoquiez le sujet de la psychiatrie, que nous abordons souvent dans nos auditions.
Je rebondis sur l'aspect budgétaire. Nous ne pourrons jamais dire ici que nous nous contentons du budget de la justice, même si je suis de ceux qui affirment qu'il a été largement accru. J'entends néanmoins que le rattrapage n'est pas complet, ce qui oblige parfois à des choix. Vous disiez que nous avons trop privilégié la sécurité au détriment de la prévention.
Je vais vous poser une question volontairement provocatrice, puisque vous êtes nombreux à dire que vous êtes très attachés à l'encellulement individuel. Je n'ai pas d' a priori sur la question, mais j'ai à cœur de challenger l'idée. À budget constant, les moyens déployés en faveur de l'encellulement individuel ne seraient-ils pas mieux utilisés, comme dans d'autres pays, à l'accompagnement, au travail en prison, à la formation ? Faut-il consacrer davantage d'argent à la détention individuelle ou bien à l'accompagnement ?
Une deuxième question me vient à l'esprit en vous écoutant parler de la réalité autour des renseignements pénitentiaires. Vous avez relevé la différence entre ce que les députés ont voté en 2014 et en 2018, et la réalité concrète de la charge de travail. Je retiens ce que vous avez dit sur le nombre de dossiers traités par agent du service de renseignement, qui fournit un très bon indicateur. Toutefois, on ne pourra jamais chiffrer les tâches supplémentaires d'un agent du renseignement pénitentiaire, qui polluent sa mission. Hiérarchiquement, à qui répond l'agent en charge du renseignement pénitentiaire ?
L'encellulement individuel doit être la règle.
Oui. Si un établissement est conçu pour 500 places, il ne faut pas en prévoir 501. C'est un signe fort que nous souhaitons voir se concrétiser, sans arriver à des absurdités par rapport à la surpopulation. L'accroissement du nombre de détenus à charge complique nos conditions de travail.
S'agissant du repérage de la radicalisation, il est incontournable d'adopter une meilleure approche auprès de la population pénale, dans le cadre de ses nombreuses missions de sécurité et de réinsertion. Le but de la pénitentiaire est bien sûr la garde, mais aussi la réinsertion pour éviter la récidive. Or nous avons l'impression de gérer surtout des flux, ce qui n'est pas cohérent.
Nous parlions aussi de panels. Des démarches sont initiées, comme les aménagements de peine. Sont-elles suffisantes ? Des moyens sont-ils alloués ? Nous parlons du bracelet et de la DDSE – détention à domicile sous surveillance électronique. Ces dispositifs peuvent éviter une incarcération sèche en attendant la réponse pénale, mais le questionnement perdure autour des moyens.
La situation des primodélinquants qui arrivent en établissement pénitentiaire n'est pas évidente. Ils y côtoient une multitude de délinquants, et cela s'avère parfois l'école de la délinquance. SI l'on pouvait mettre en place une peine alternative évitant l'incarcération, on s'y retrouverait.
Les différents dispositifs envisagés s'entendent avec les moyens nécessaires, c'est important.
Madame Abadie, le budget ne sert pas à l'encellulement individuel. Plus le budget se consacrera à la formation, à l'accompagnement, au travail et à la préparation à la sortie, meilleure sera la situation. Ce budget, aujourd'hui, sert en partie à la construction de nouveaux établissements et à l'ouverture de places de prison supplémentaires aussitôt utilisées.
Nous en revenons à la réflexion sur le prononcé des peines. Quelle peine pour qui ? La réflexion doit être globale. Quelles infractions doivent conduire en prison ? Toutes les infractions justifient-elles la prison ? Dans quel cas la peine de prison se révèle-t-elle indispensable ? Je ne parle pas d'efficacité, car il faudra peut-être mener des recherches pour savoir si la peine de prison est véritablement efficace. Dans certains cas, la réponse pénale de la société pour les infractions les plus graves doit être la prison. S'agissant d'autres infractions, cette réponse pénale peut être différente.
Nous disposons de dispositifs qui permettent cette alternative, mais il conviendrait d'envisager la création d'une peine de probation et de mettre davantage en avant les peines restrictives de liberté, les peines en milieu ouvert, que la peine d'emprisonnement. C'est un préalable indispensable pour faire en sorte de réduire la population carcérale et donc de permettre l'encellulement individuel et un meilleur accompagnement assuré par les personnels, avec de meilleures conditions de travail. Je pense aux personnels d'insertion et de probation, mais aussi aux personnels de surveillance, les premiers confrontés à la population pénale, sans profiter de conditions de travail satisfaisantes. Nous parlions de l'attractivité des métiers, mais le fait de se retrouver dans une coursive avec un nombre élevé de personnes empêche les personnels de surveillance d'exercer leur travail correctement, et réduit celui-ci à ouvrir et fermer une porte, alors que leurs missions sont bien plus riches.
Parmi les moyens susceptibles de désengorger les prisons, je peux citer le bracelet électronique ou la DDSE. Actuellement, 16 000 personnes sont en DDSE, dont 2 000 en région PACA et un millier, sur ces 2 000, dans les Bouches-du-Rhône. S'il y a des moyens à mettre, c'est surtout sur ce point-là. Comme vous devez le savoir, le matériel a essuyé une importance défaillance de mars-avril à fin août, avec des pannes à répétition et des problèmes de logistique. Il y a donc quelque chose à faire au niveau du matériel et ça permettrait de désengorger les prisons.
La sécurité de certains SPIP est peut-être effective, mais pas dans tous. Des SPIP sont équipés de portiques, et d'autres pas. La même constatation vaut pour les SAS. Ces sujets méritent d'être étudiés.
Nous avons parlé du renseignement pénitentiaire, de la sécurité et de la radicalité, mais j'aimerais que nous revenions à l'attractivité des métiers, évoquée par monsieur Gauthier. Je m'interroge souvent sur la différence de statut entre les gardiens de la paix et les surveillants pénitentiaires. Les gardiens de la paix suivent une formation de douze mois, alors que celle des surveillants dure six mois. Les gardiens de la paix sont passés de la catégorie C à la catégorie B, mais pas les surveillants. Comment appréhendez-vous ces situations et de quelle manière observer cette dichotomie entre gardiens de la paix et surveillants ?
Vous me tendez la perche, puisque la CGT pénitentiaire revendique ce passage à la catégorie B.
Je comprends. On nous compare souvent à la police, qui suit ses propres missions ; nous avons les nôtres. Notre métier, comme je l'ai dit en préambule, est difficile et exige certaines compétences. Nous demandons cette reconnaissance, par rapport justement à nos difficultés. La catégorie B que nous revendiquons va même au-delà de la catégorie B de la police, car nous nous situons déjà en catégorie C « surindiciée ».
Nous souhaitons une progression de la catégorie pour attirer les jeunes recrues. Lorsqu'un candidat passe les concours de la fonction publique, la grille indiciaire revêt toute son importance. Il a donc tendance à s'orienter vers la police nationale ou municipale et la gendarmerie. La sous-évaluation indemnitaire de nos métiers ne permet pas d'engranger les futures recrues en leur proposant un salaire correspondant à leur juste valeur. On nous dit que le passage à la catégorie B ne contribuera pas à attirer davantage de personnes et qu'il faut surtout pouvoir encourager les candidats qui ne sont pas titulaires du baccalauréat à rejoindre l'administration pénitentiaire. Sauf qu'il y a de plus en plus de bacheliers et que cette question des non-titulaires du bac se pose donc moins, d'autant que des dispositifs peuvent être mis en place.
Seulement, l'administration et le ministère de la justice ne le souhaitent pas. Les organisations professionnelles demandent toutes la catégorie B pour l'ensemble des personnels de surveillance.
Nous rejoignons cette idée de la catégorie B depuis longtemps. Le maintien en catégorie C est d'autant plus incompréhensible que le métier de surveillant se révèle différent et un peu plus compliqué que celui de policiers. Lors des mouvements apparus il y a deux ou trois ans, les policiers disaient eux-mêmes qu'ils ne comprenaient pas de quelle manière nous étions capables de tenir un étage, après qu'ils avaient été appelés en renfort dans les établissements.
Notre métier est polyvalent, loin de l'image du porte-clés. Nous faisons de la psychologie, nous prévenons les suicides, nous renseignons les détenus sur les recours possibles. On nous pose beaucoup de questions. La population pénale n'est plus celle d'hier. Il est donc incompréhensible que nous ne soyons pas en catégorie B, d'autant que la réforme signée récemment ne va pas dans ce sens.
Le corps du personnel de surveillance a été découpé, avec une partie des officiers qui accèdent à la catégorie A, celle qui reste en catégorie B, et le reste du corps d'encadrement et d'application, maintenu en catégorie C. C'est un non-sens, car il faut responsabiliser et rendre plus autonome la profession de surveillant à l'étage. Nous souhaiterions que le chantier de la catégorie soit rouvert. Les organisations syndicales se montrent quasi unanimes pour revendiquer cette catégorie B pour le corps d'encadrement et d'application.
Je suis d'accord avec vous. La gestion d'un étage représente un métier difficile. Mme la rapporteure peut le constater dans sa circonscription, à Varces, et moi-même à Bois-d'Arcy. Les situations sont d'une difficulté incommensurable. Nous sommes au cœur d'un sujet sensible au sein de cette commission d'enquête.
Je profite de mon intervention pour lancer un appel au directeur de l'administration pénitentiaire et au ministère de la justice puisque, l'année prochaine, sera opérée la fusion des grades de surveillants et de surveillants brigadiers.
Notre syndicat demande depuis plusieurs années la catégorie B afin d'accorder une véritable reconnaissance au métier, d'autant qu'on nous considère comme la troisième force de sécurité publique. Nous rencontrons de grosses difficultés de recrutement et sommes obligés de recruter à 3 sur 20.
Il faudrait réviser cette grille indiciaire, à la hauteur, en effet, de nos nouvelles missions à l'extérieur. Nous avons remplacé les policiers et les gendarmes pour assurer les extractions judiciaires. Nous avons les ERIS, nous accomplissons de plus en plus de missions extérieures. Les ELSP agissent dans le domaine pénitentiaire et en extérieur. Au regard de ces nouvelles missions, il est primordial et nécessaire d'atteindre la catégorie B. Je lance un appel au Gouvernement et à notre directeur de l'administration pénitentiaire, qui travaille justement sur la fusion des grades de surveillants.
Quelles seraient les conséquences prévisibles de la fusion envisagée des grades de surveillants et de surveillants brigadiers ?
Nous suivons deux grilles indiciaires : celle des surveillants et celle des surveillants brigadiers, qui appartiennent au même corps. Il faut être surveillant principal pendant un certain nombre d'années avant de pouvoir accéder à la grille indiciaire supérieure de surveillant brigadier, selon deux conditions : détenir les unités de valeur ou dépendre du choix de l'administration, qui identifie les personnels pénitentiaires anciens ne disposant pas de ces unités de valeur. Chaque année, un quota est établi, dans lequel le ministère puise. Autant dire que c'est une machine un peu compliquée et dépourvue de transparence. La fusion des grilles permettrait de ne plus dépendre de ces unités de valeur ou des choix. Le processus sera automatique. À ce niveau, le dispositif ne nous convainc pas en l'absence de progression réelle au niveau indiciaire. Notre syndicat a donc proposé deux grilles afin de permettre une évolution de carrière, ce qui ne nous empêche pas de revendiquer la catégorie B.
Pour compléter les propos de monsieur Paoli, la différence entre surveillants et surveillants brigadiers constitue une ineptie, dans la mesure où ils exercent les mêmes missions dans les coursives. Il n'y a aucun intérêt, et c'est même un gouffre financier de faire passer des unités de valeur pour accéder à la grille de brigadier pour, au final, accomplir le même travail que celui de surveillant. La création de ces grades en 2006 est dénoncée par les uns et les autres. La même constatation vaut pour les premiers surveillants et les majors. Nous nous rendons compte que ces postes ont basculé vers des postes de lieutenants et capitaines. La fusion des grades de premier surveillant et de major apparaît inéluctable.
Vous avez raison de préciser ce point. Je vous remercie, car vos propos se sont révélés très intéressants, avec des propositions que nous retiendrions probablement. Vous avez évoqué une grande diversité des thématiques, comme l'avancement des carrières, l'attractivité des métiers, la sécurité, le renseignement pénitentiaire. Nous avons beaucoup avancé au cours de cette table ronde. Si vous souhaitez transmettre des documents complémentaires, des propositions ou des revendications, n'hésitez pas à nous les adresser.
Nous avons posé de très nombreuses questions et, compte tenu du nombre d'intervenants, je ne suis pas sûre que nous ayons pu détailler tous les sujets. N'hésitez donc pas à nous transmettre ces documents. Je vous remercie tous pour l'esprit constructif qui a présidé à cette audition. Nous pouvons ainsi construire nos futures propositions. N'oubliez pas que notre commission d'enquête suit la vocation d'aider l'administration pénitentiaire dans son travail. C'est la raison pour laquelle il faudra trier un peu tout ce que nous pourrons proposer en ce sens.
Je vous remercie pour votre travail quotidien au service de la nation, en surveillant nos lieux de détention. Il me semblait important de le redire.
Je partage ces propos : le personnel pénitentiaire accomplit un travail compliqué, courageux, parfois peu reconnu. Le métier mérite d'être revalorisé, et, grâce à vous, nous avons quelques pistes.
La réunion se termine à douze heures quinze.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Françoise Ballet-Blu, M. Philippe Benassaya, M. Alain Bruneel, M. Éric Diard, M. Dimitri Houbron, M. Jacques Krabal
Excusé. - M. Alain David