Intervention de Albin Heuman

Réunion du mardi 12 octobre 2021 à 17h05
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Albin Heuman, directeur de l'Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice (ATIGIP) :

L'ATIGIP est un service à compétence nationale créé il y a trois ans, placé auprès du garde des sceaux et rattaché, pour sa gestion administrative et financière à la direction de l'administration pénitentiaire – DAP. Il est doté d'une vocation unique : créer les conditions d'une meilleure insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice dans un but assumé et affirmé de lutte contre la récidive. À ce titre, l'Agence se voit échoir trois missions principales : développer le travail d'intérêt général, dynamiser la formation professionnelle, renforcer le travail pénitentiaire et développer les dispositifs d'accompagnement vers l'emploi.

Le TIG fait consensus depuis sa création, en 1983. Il présente un certain nombre de vertus pédagogiques. En outre, il s'agit d'une peine qui permet de réparer – dans les cas de dégradations et de certaines formes de violence – tout en favorisant l'insertion. En effet, elle s'adresse à un public jeune dont la moyenne d'âge est de 23 ans et dont 52 % ont au plus 22 ans, de sorte que le TIG représente régulièrement leur première expérience à caractère professionnel. Cette peine implique directement la société civile dans l'œuvre de justice et tisse du lien social entre les auteurs d'infraction et la collectivité. Elle s'avère peu chère et efficace dans la lutte contre la récidive. Pour autant, depuis quarante ans, le recours au TIG stagne : il correspond à 3,5 % des peines prononcées et à 7 % des peines exécutées.

Deux axes ont été retenus pour encourager le recours à cette peine. En premier lieu, il s'agira d'accroître et de diversifier l'offre de postes, tout en diminuant le délai d'exécution. En effet, la trop grande distance entre la commission des faits et la mise en œuvre de la sanction entraîne une perte de sens de la peine. Elle peut également engendrer des effets contre-productifs quand l'auteur des infractions a, entre-temps, trouvé un emploi ou commencé une formation.

Les leviers de l'accroissement et de la diversification de l'offre de postes sont effectifs grâce à un réseau de professionnels. Il s'agit des référents territoriaux intégralement dédiés à la prospection des nouvelles structures d'accueil, à l'animation des partenaires, à la formation des tuteurs et au soutien de tous les acteurs du TIG. Ils sont compétents pour les publics mineurs et majeurs. Après une montée en charge progressive, ils sont désormais soixante-douze, ce qui représente un maillage territorial pertinent. En outre, nous avons mis en œuvre une politique de convention avec des acteurs puissants disposant d'une implantation nationale. Ainsi, trente-neuf conventions ont été signées depuis novembre 2019. De belles réussites détiennent un pouvoir d'exemplarité auprès de nouveaux partenaires potentiels. Cinq nouvelles conventions demeurent en cours de finalisation dont une avec la Fédération française de rugby et une autre avec Keolis, acteur majeur de la mobilité.

Le dernier levier pour accroître et diversifier l'offre de poste de TIG repose dans le développement d'une plateforme numérique. Elle propose d'ores et déjà une vision exhaustive et géolocalisée de l'offre de poste. Prochainement, elle garantira une gestion entièrement dématérialisée de la mesure du TIG, depuis le moment où nous cherchons à nous assurer qu'une peine peut être prononcée et exécutée dans un délai raisonnable jusqu'à la fin de son exécution et au classement de la mesure. Cette plateforme, TIG360°, contribuera à la réduction du délai d'exécution. L'effet en sera amplifié par la loi du 8 avril 2021, pour l'amélioration de la justice de proximité et de la réponse pénale et par son décret d'application qui sera prochainement publié. La loi et le décret inscrivent une déjudiciarisation des procédures d'habilitation des structures d'accueil, d'habilitation des postes et d'affectation des personnes condamnées. Ils portent également des simplifications administratives permettant d'aboutir à un délai moyen de huit mois contre quatorze mois actuellement. Nous en percevons les premiers résultats, notamment une augmentation de l'offre de postes de plus de 20 % en dépit de la crise sanitaire. Nous notons également une augmentation du prononcé du TIG ab initio, phénomène qui demande à être confirmé dans la durée.

La formation professionnelle demeure indispensable pour un public notoirement sous-qualifié. Les dernières enquêtes indiquent que près de 53 % des personnes détenues ne disposent d'aucun diplôme, que moins de 10 % ont un niveau baccalauréat ou supérieur et que 27 % échouent au bilan de lecture. Depuis la loi du 5 mars 2014, la formation professionnelle des personnes détenues est de la compétence des régions pour son financement et son organisation. Le transfert progressif de cette compétence s'est traduit, dans un premier temps, par une rupture pour le public sous main de justice.

Quand bien même l'exercice de 2020 n'est pas complètement significatif au regard de l'arrêt des activités en détention pour prévenir la propagation de la pandémie, nous comptabilisons 9 119 bénéficiaires de la formation professionnelle en détention, soit un millier de moins qu'en 2019. Il est frappant de constater l'hétérogénéité de l'effort consenti selon les territoires, allant de 5 % du public à peine à plus de 15 % pour les régions les plus allantes. Cette différence territoriale n'est pas négligeable.

Un travail a été engagé avec Régions de France et les exécutifs régionaux pour une meilleure prise en compte du public détenu. Le renouvellement de la convention qui lie Régions de France au ministère de la Justice est l'occasion de discussions pratiques et utiles qui permettent de garantir une meilleure adaptation de l'offre au public bénéficiaire et aux besoins des territoires et des entreprises. En effet, la formation que nous offrons doit pouvoir répondre aux besoins des territoires et des entreprises. Un comité national de la formation se réunira sous la présidence de Régions de France et du garde des sceaux au premier trimestre de 2022.

Par ailleurs, nous essayons de diversifier les modalités de la formation professionnelle par différentes expérimentations. Celle de l'apprentissage – dont le lancement a été compliqué par la crise sanitaire – représente une modalité adaptée à nos publics qui ont connu des ruptures dans leur parcours scolaire. Ce public renoue plus aisément avec des études par une alternance entre la théorie et le travail. Il s'agit d'un facteur de projection vers l'avenir dans un temps relativement long qui participe à la lutte contre la récidive en fixant un but atteignable au-delà de l'horizon de la détention. Nous expérimentons également les formations en e-learning qui offrent un potentiel important d'élargissement de la nature et des possibilités d'accès à la formation tout en favorisant l'autonomisation et la responsabilisation des personnes détenues.

Enfin, le travail en détention a connu un déclin en volume assez considérable. Ainsi, s'il concernait près de la moitié des personnes détenues soit 49,7 % au début des années 2000, il touche désormais moins de 30 % d'entre elles. Les acteurs de cette attrition sont connus : la surpopulation carcérale qui rend plus difficile la mise en œuvre d'activités à caractère professionnel en détention ; la crise économique qui à partir de 2008 a vu une baisse très importante du nombre de concessionnaires implantés en détention ; et également un public objectivement de plus en plus éloigné de l'emploi avec des personnes qui n'ont jamais travaillé et dont les parents voire les grands-parents n'ont jamais travaillé également.

Pour renforcer l'offre de travail en détention, nous avons retenu deux axes. Le premier consiste à diversifier les modalités d'accès au travail. Le second axe tend à une revalorisation du travail pénitentiaire. La diversification s'opère par l'implantation en détention à côté du service général et des ateliers du service de l'emploi pénitentiaire, et outre des concessionnaires présents en détention, de structures capables de prendre en charge les publics éloignés de l'emploi. Il s'agit des structures d'insertion par l'activité économique – SIAE –, dont nous avons engagé l'essaimage. Après une période d'expérimentation, au sortir de laquelle nous disposions de six structures, nous dénombrerons prochainement environ dix-huit SIAE, tandis qu'une vingtaine de projets demeurent en cours de travail. Qui plus est, nous engageons une phase pilote qui aboutira, d'ici la fin de l'année 2021, à la mise en œuvre de dix projets d'entreprises adaptées – EA –, facilitant l'accès au public handicapé dont nous savons, sans pouvoir le quantifier, qu'il est important en détention. Ces SIAE comme les entreprises adaptées, offrent un triptyque : formation, travail et accompagnement particulièrement adapté au public pris en charge. Par ailleurs, elles fournissent une continuité « dedans dehors » afin que les efforts engagés pendant la détention ne soient pas perdus.

La valorisation du travail pénitentiaire se traduit notamment par le label PEPs, soit produit en prison, le « s » signifiant selon des normes responsables et inclusives. Ce label a été lancé fin septembre 2020 par le garde des sceaux. Il distingue des entreprises qui produisent en prison dans le respect du salaire horaire et qui offrent un travail permettant l'acquisition de compétences valorisables à l'extérieur. Ces entreprises s'engagent pour l'insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice.

La revalorisation du travail en détention passe également par la réforme du travail pénitentiaire que porte le projet de loi sur la confiance dans l'institution judiciaire. En ce sens, nous poursuivons trois objectifs principaux : créer une relation de travail de nature contractuelle qui prépare mieux les personnes détenues aux relations de travail qu'elles connaîtront à l'extérieur ; ajouter des droits sociaux souvent mobilisables à la sortie de la détention dès lors qu'ils s'avèrent utiles à l'insertion du public qui nous est confié ; renforcer l'attractivité du travail pénitentiaire en offrant une juste place aux acteurs économiques.

Nous engageons un véritable changement de paradigme afin que le travail pénitentiaire devienne davantage qu'un outil de gestion de la détention. Nous souhaitons qu'il constitue un levier essentiel d'insertion et de lutte contre la récidive. À l'instar du TIG, au soutien de cette mission, nous développons une plateforme numérique qui offre d'ores et déjà une visibilité complète en temps réel des possibilités d'implantation pour les entreprises qui souhaiteraient avoir recours à la main-d'œuvre pénitentiaire. Cette plateforme propose également une visibilité de l'offre d'activité professionnelle – formation et travail. Elle garantira d'ici à la fin 2022 un pilotage de la formation et du travail tandis qu'elle fournira des outils d'orientation et d'accompagnement vers l'emploi.

Je vous ai transmis un questionnaire que j'espère complet. Nous demeurons à votre disposition pour l'enrichir au besoin.

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