Bien qu'ayant une histoire très récente, notre service, cinq ans après sa création, jouit d'un fonctionnement extrêmement riche.
Le renseignement pénitentiaire est une pratique inhérente à l'administration pénitentiaire depuis la création de celle-ci. Les surveillants, et plus globalement les établissements pénitentiaires, perpétuent une culture de l'observation des détenus à des fins de sécurité. Il s'agit en effet de repérer des comportements et d'analyser des évolutions comportementales dans un but de protection. Le renseignement pénitentiaire existe donc depuis très longtemps, mais il a commencé à se structurer essentiellement en 2003 avec la création d'un bureau du renseignement pénitentiaire, qui n'était pas encore, à cette date, inséré dans un service de renseignement pénitentiaire au sens du code de la sécurité intérieure.
À la faveur de la prise de conscience du phénomène de radicalisation endogène sur le territoire national, notamment avec l'affaire Merah, en 2012, puis de la montée en puissance des individus qui se rendaient sur zone, rentraient en France et étaient incarcérés, ainsi que des attentats de 2015, un débat s'est instauré sur la nécessité de dépasser le stade de simple bureau du renseignement pénitentiaire. Il s'agissait de poser le SNRP en tant que service de renseignement intégré au sein d'une communauté française du renseignement qui serait plus à même de travailler avec des outils adaptés sur des individus de plus en plus nombreux en établissements pénitentiaires. C'est le cas des terroristes islamistes sunnites passés de 200 détenus en 2012 à 550 en 2016-2017. De même, en termes de radicalisation, dans les années 2015-2016, 1 700 individus radicalisés étaient repérés.
Dans un premier temps, le 1er février 2017, un bureau central du renseignement pénitentiaire a vu le jour à la direction de l'administration pénitentiaire – DAP –, ainsi que dix cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire – CIRP – dans chacune des directions interrégionales des services pénitentiaires. Des référents agents pénitentiaires ont été désignés dans les établissements. Ce service de renseignement pénitentiaire suivait une double ligne hiérarchique et fonctionnelle, chaque entité étant placée sous une autorité pénitentiaire, avec en revanche une autorité opérationnelle sur tous les agents du renseignement. Une telle structuration a permis au service de démarrer rapidement, mais s'est très vite révélée potentiellement inadaptée, car propice aux contradictions entre les instructions opérationnelles données par le bureau central du renseignement pénitentiaire à ses agents et les instructions de terrain données par les chefs d'établissement et les directeurs interrégionaux.
Le service a donc progressé pendant deux années dans ses missions, dans sa collecte et son analyse d'informations, puis il s'est mû en 2019 en un grand service à compétence nationale, ce qui lui a donné une légitimité supplémentaire et une visibilité beaucoup plus claire au sein de la communauté du renseignement. La conséquence majeure qui en a découlé a été l'unification de l'ensemble des moyens du service et la création d'une ligne hiérarchique unique du sommet du service du renseignement pénitentiaire jusqu'à ses agents. Le service a gagné en réactivité et en efficacité opérationnelle des agents, a amélioré son contrôle de l'activité ainsi que de ses capacités de rationalisation des outils et moyens. Il a par ailleurs pu mettre en œuvre une stratégie de pilotage du réseau beaucoup plus cohérente.
Les missions du service sont définies par le code de la sécurité intérieure. Une grande partie de nos activités se tourne vers la protection des intérêts fondamentaux de la nation, à travers la prévention du terrorisme, de la délinquance et de la criminalité organisée. Depuis 2019, nous nous intéressons également à la prévention des mouvances extrémistes – ultra-droite, ultra-gauche et ultra-jaune. Par ailleurs, l'une des priorités absolues de l'administration pénitentiaire est la prévention de la sécurité pénitentiaire, à travers la surveillance de l'ensemble des détenus susceptibles de s'évader ou de déstabiliser durablement la détention, soit par des velléités de mutinerie, soit par l'organisation de trafics internes de grande ampleur.
Nos objectifs de départ étaient principalement axés sur les détenus, mais, depuis 2019, les compétences du service se sont étendues à tous les intervenants en détention. Nous pouvons donc non seulement nous intéresser aux personnels pénitentiaires, mais également à toute personne intervenant en détention – éducateur, aumônier, médecin, etc. Toute personne susceptible d'avoir commis une infraction pénale ou présentant un profil de radicalisation préjudiciable entre dans le stock du renseignement pénitentiaire, ce qui constitue une grande nouveauté.
Notre schéma d'emploi est de plus de 330 personnes, réparties sur trois échelons : 80 personnes à l'échelon central ; plus de 160 personnes réparties dans les cellules interrégionales ; 90 délégués locaux au renseignement pénitentiaire – DLRP – implantés dans les établissements pénitentiaires les plus sensibles. Dans les établissements où nous ne disposons pas de délégués, nous avons néanmoins systématiquement et obligatoirement au moins un correspondant local du renseignement pénitentiaire – CLRP –, officier de l'établissement.
Nous bénéficions tous les ans, sur le programme 107, d'un budget de 5 millions à 6 millions d'euros dévolu à la sécurisation des locaux – nos contraintes à ce niveau étant très fortes –, à l'acquisition de techniques de renseignement ainsi qu'à des actions de formation dans la mesure où notre service est composé de plus en plus d'agents pluridisciplinaires : fonctionnaires de l'administration pénitentiaire, fonctionnaires du ministère de la justice, analystes veilleurs pour la recherche en sciences ouvertes, experts en investigation numérique pour la mise en œuvre des techniques, traducteurs arabophones. La plus grosse part du budget est consacrée au déploiement d'un réseau confidentiel défense, c'est-à-dire un réseau classifié visant à itérer avec les échelons les plus centrés de façon plus sécurisée.
Comme tous les autres services du renseignement, nous nous chargeons de la collecte, de la fiabilisation, du recoupement et de l'analyse des données à des fins d'externalisation aux autorités politiques, aux autorités opérationnelles pénitentiaires, aux autorités judiciaires et aux partenaires de la communauté. Le renseignement pénitentiaire ne pratique pas le renseignement pour lui-même, mais dans un but d'externalisation à destination des autorités qui en ont besoin.
Nous collectons les données en milieu carcéral de deux façons : soit les données viennent à nous grâce à la tradition extrêmement forte d'observation des détenus que j'évoquais précédemment, soit nous procédons à des techniques de recueil de renseignements – interceptions de sécurité lorsque nous récupérons des numéros de téléphone détenus illicitement, micros dans les cellules, dans les unités de vie familiale, dans les coursives, dans les salles de prêche ou encore recueil des données de connexion liées à l'utilisation de systèmes d'information, téléphones portables ou ordinateurs clandestinement reliés à internet.
Nous disposons également d'un système de collecte d'informations via des sources humaines immatriculées, à l'instar des autres services de renseignement. Nous bénéficions évidemment de très nombreuses informations émanant des services partenaires, ce qui représente d'ailleurs tout l'intérêt d'être devenu un service de renseignement. Cela implique un cercle de confiance dans un cadre légal et selon un langage commun qui nous permettent d'échanger de l'information, y compris classifiée. Nous effectuons également des recherches en sciences ouvertes, puisque nous avons développé un pont d'activité avec des analystes veilleurs. En effet, certains détenus détiennent des systèmes d'information de façon totalement illicite et se montrent extrêmement bavards sur les réseaux sociaux, laissant des empreintes numériques très intéressantes pour l'activité opérationnelle du service.
Il nous parvient un nombre extrêmement important d'informations en milieu pénitentiaire, notamment parce que les individus concernés se trouvent sous main de justice, ce qui rend possible une observation vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Paradoxalement, il est également difficile de travailler en milieu carcéral, dans la mesure où les détenus sont surveillés toute la journée, que tous les mouvements sont réguliers, et que l'enjeu de discrétion sans les établissements pénitentiaires est important.
Le renseignement pénitentiaire constitue l'un des maillons de la chaîne du renseignement. Notre rôle est d'assurer la continuité du renseignement entre l'intérieur et l'extérieur. Nous suivons donc, pendant leur temps d'incarcération, un très grand nombre d'individus qui, à l'issue, seront gérés par des services partenaires. L'enjeu de coordination avec les services partenaires est particulièrement fort. Certains individus sont par ailleurs condamnés à de très lourdes peines pour des faits de grand banditisme ou des activités terroristes. Ils doivent alors purger une peine de vingt ans, trente ans, voire une peine à perpétuité. Le service doit par conséquent prendre en compte une observation sur un temps particulièrement long, ce qui implique une réflexion sur les moyens et sur leur cadencement à long terme. Notre service ne dispose pas de cette capacité d'observation et de mise en œuvre de techniques en continu sur des périodes aussi longues. Tout l'enjeu est donc de savoir à quel moment il est nécessaire de densifier l'observation et à quel moment il est possible de la relâcher quelque peu, et de tenir dans la durée.
Actuellement, 600 détenus sont identifiés comme radicalisés et plus de 450 terroristes islamistes sont suivis par le service. Sur les mouvances extrêmes, nous recensons une centaine d'individus suivis en permanence. La criminalité organisée concerne quant à elle environ 550 détenus. Cela représente donc 1 700 objectifs à suivre en permanence.
Vous l'aurez compris, la majeure partie de notre activité se focalise sur la lutte contre l'islamisme radical sunnite. Pour ces objectifs particuliers, nous travaillons en coordination permanente avec la MLRV. C'est en premier lieu le cas pour le repérage, puisque, grâce à notre accès au FSPRT – fichiers de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste –, nous savons dès son incarcération si un individu était déjà suivi à l'extérieur pour des faits de radicalisation religieuse ou pour des risques terroristes. En effet, 75 % des individus radicalisés étaient déjà repérés par les services partenaires à l'extérieur avant leur incarcération. Seuls 25 % sont donc repérés en interne par l'administration pénitentiaire et par le service.
Le service de renseignement pénitentiaire se trouve donc parfaitement inséré dans le dispositif de lutte antiterroriste, que ce soit au moment de l'incarcération, pendant la durée de la peine ou dans le dispositif mis en place pour la sortie. Nous avons par exemple un système d'alerte automatique qui indique la sortie d'un individu, un système de notes de signalement en fin d'incarcération qui retrace l'intégralité du parcours carcéral ainsi que des instances au niveau des groupes d'évaluation départementaux – GED – et au niveau national.