Je suis spécialiste des phénomènes de violence politique depuis près d'une trentaine d'années. J'ai beaucoup travaillé sur les mouvements ethnonationalistes, notamment basques et corses, puis sur les mouvements sociaux contestataires. Depuis une petite dizaine d'années, mes recherches portent sur les mouvements islamo-djihadistes. Bien que n'étant pas du tout islamologue, je considère que les outils utilisés dans le cadre de la sociologie de l'action collective et de l'action collective violente sont tout à fait pertinents pour traiter de l'islamo-djihadisme.
D'un point de vue plus empirique, je suis membre du Conseil scientifique de prévention de la radicalisation, le COSPRAD, rattaché au Premier ministre. Dans ce contexte, j'ai eu l'occasion de rencontrer l'ancien patron de la mission contre la radicalisation violente – MLRV – de la direction de l'administration pénitentiaire.
Je viens d'achever, avec le soutien de la MLRV, la construction d'une base de données assez unique en France, voire en Europe. Celle-ci a été réalisée à partir des notices d'évaluation de la radicalité produites par des binômes de soutien de la détention dans les quartiers d'évaluation de la radicalisation, les QER. Elle concerne 353 acteurs djihadistes, repose sur 94 items différents et s'appuie par ailleurs sur 137 fiches des médiateurs du fait religieux, qui participent eux aussi à l'évaluation des djihadistes dans les QER. Il s'agit donc d'une base de données de taille importante, très représentative puisqu'actuellement, nous comptons 380 hommes sur un total de 454 détenus condamnés pour faits de terrorisme islamiste, ou TIS, les 353 individus représentant par conséquent la quasi-totalité de l'échantillon. Je pourrai brosser un portrait statistique plus détaillé, décrire le profil des djihadistes incarcérés, et même aller un peu à l'encontre d'un certain nombre d'idées reçues sur la question.
Je suppose que vous avez déjà obtenu de l'administration pénitentiaire un certain nombre d'informations sur la prise en charge des individus radicalisés. En 2017, la DAP – direction de l'administration pénitentiaire – a créé les QER, qui effectuent un premier tri quasi systématique pour la totalité des TIS. Dans les QER, les TIS sont évalués sur plusieurs semaines et sont ensuite répartis en détention ordinaire, dans des quartiers de prévention de la radicalisation – QPR – ou en quartier d'isolement pour les individus les plus dangereux. Cette politique me semble très efficace et les notices d'évaluation qui en découlent constituent des documents de très bonne qualité, composés d'une trentaine de pages comportant très souvent des éléments du dossier d'instruction, de plus en plus utilisés dans les tribunaux, ce qui n'est d'ailleurs pas sans poser question, puisqu'il s'agit de documents administratifs dépourvus de finalité judiciaire, mais qui, de fait, sont largement mobilisés par les avocats ou par le parquet.
Cette politique de la DAP a pour objectif d'éviter la dispersion totale des prisonniers salafo-djihadistes et en même temps leur unité complète au sein d'une même structure, ce qui pourrait engendrer des problèmes majeurs de prosélytisme. Il est actuellement difficile de mesurer l'efficacité de cette politique. En raisonnant par l'absurde, on pourrait affirmer qu'à notre connaissance, aucun djihadiste sorti d'un QPR, d'un QER ou de la détention n'est repassé à l'acte, ce qui constitue déjà un marqueur d'efficacité.
Je pourrai en outre proposer quelques éléments d'amélioration sur les notices de radicalisation. Avec mon équipe du CESDIP, nous sommes justement candidats à une recherche évaluative sur la politique mise en place par la MLRV et nous attendons la réponse de cette dernière pour savoir si nous pourrons débuter notre étude dans les mois à venir.