J'ai abordé les questions de la prison et du terrorisme en premier lieu à travers le prisme douanier, dans le cadre de mes travaux de thèse, pour lesquels je me suis intéressé au salafisme djihadiste à partir de 2014. J'ai ainsi pu m'engager dans un certain nombre de collaborations avec l'administration pénitentiaire, et notamment avec les SPIP – services pénitentiaires d'insertion et de probation.
L'administration pénitentiaire semble avoir pris cette thématique à bras-le-corps, puisqu'à partir du moment où les pouvoirs publics ont été exposés fortement à la menace terroriste, prenant parallèlement la mesure des enjeux de prise en charge de ces nouvelles populations du point de vue pénitentiaire, elle s'est mobilisée rapidement sur une problématique connue et massive en termes de volume représenté par les personnes incarcérées.
Au départ, nous avons assisté à des créations expérimentales à l'image de la mise en place d'unités dédiées, des QER, des QPR, ainsi que de la montée en puissance du service national de renseignement pénitentiaire. À ce titre, il est important de comprendre comment s'articulent les différents outils mis en œuvre, qui reposent sur des logiques pouvant parfois apparaître, sinon contradictoires, du moins insuffisamment coordonnées. Ainsi, les enjeux de sécurité, d'une part, et de réinsertion, d'autre part, sont à interroger lorsque des professionnels différents doivent élaborer des missions qui peuvent suivre des directions opposées.
On constate également une véritable volonté de formation des personnels, qui ont réellement gagné en professionnalisme au cours des dernières années. Se sont également créés les binômes de soutien au niveau territorial, pour appuyer les équipes des SPIP.
Enfin, le recours à des opérateurs parapublics ou privés dans le cadre de programmes de délégation s'est développé. Il s'agit par exemple du programme d'accompagnement individualisé de réaffiliation sociale – PAIRS –, sur lequel Marc Hecker a produit un rapport particulièrement intéressant.
En tant qu'opérateurs extérieurs, il nous manque parfois, pour pouvoir analyser la mobilisation de l'administration pénitentiaire, une connaissance suffisante de la population dont elle a la garde. En la matière, les travaux de M. Xavier Crettiez mettront en lumière des éléments particulièrement pertinents qui aideront vraisemblablement en retour l'administration pénitentiaire à déterminer des programmations futures sur des types de publics finalement assez diversifiés.
Il reste encore un certain nombre de questions sur lesquelles des progrès sont possibles. Il s'agit des problèmes structurels auxquels l'administration pénitentiaire doit faire face, c'est-à-dire la surpopulation carcérale. La population radicalisée n'est pas la seule à devoir être considérée. La délinquance de droit commun implique également une mobilisation des services concernés. La question est donc de déterminer quelle est la part et quel est le niveau de spécialisation que nous devons consacrer à la prise en charge de ces populations par rapport à d'autres types de délinquance violente ou non-violente.
Se pose également la question des outils d'évaluation, qui me paraît encore un peu flottante, dans la mesure où ils ne sont pas encore tout à fait formalisés, acceptés ni considérés comme légitimes dans l'espace administratif pour assurer l'estimation du niveau de dangerosité ou des capacités de réinsertion des personnes. Il est important d'établir une distinction entre ces différents types d'évaluation. Par ailleurs, il convient de s'interroger sur les limites de ces outils, avec des enjeux de prise de risque pour la société. La question du risque zéro est en effet un objectif louable, mais certainement illusoire, ce qui fait à mon sens peser sur l'administration pénitentiaire une forme de poids politique qui la dépasse parfois.
La sortie de prison représente également un véritable enjeu. Au-delà de la prise en charge pénitentiaire des individus purgeant une peine longue, dès aujourd'hui, la question de la réinsertion de ces publics nécessite la collaboration entre les SPIP et, par exemple, les services préfectoraux, les services des collectivités territoriales, les services des conseils départementaux, le secteur associatif, voire les acteurs religieux, c'est-à-dire un ensemble de ressources participant aux enjeux de resocialisation. Or cela n'est pas sans poser de questions en termes de partage d'information ou sur les principes de pilotage et les espaces de coordination à établir. Cette problématique touche bien sûr aux missions de la pénitentiaire mais la dépasse également, dans le sens où se jouent aussi des enjeux territoriaux : qui doit participer à cette coordination ? les préfets, l'administration pénitentiaire elle-même ? Comment peut-on piloter et coordonner cette action de réinsertion quand on l'aborde du point de vue des territoires ? Comment conduit-on des actions de socialisation, à travers une mobilisation assez classique en matière sociale, professionnelle, mais aussi de santé mentale ?