Intervention de Xavier Crettiez

Réunion du jeudi 21 octobre 2021 à 10h45
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Xavier Crettiez, professeur de sciences politiques à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, chercheur au Centre d'études sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) :

J'ai été assez étonné au moment de l'analyse de la base de données que nous avons constituée à partir des notices de signalement mises en place dans les QER. On avance souvent que les individus radicalisés sont des étrangers, ce qui s'avère statistiquement faux, puisqu'il s'agit de Français dans 81 % des cas, avec un nombre cependant assez important de nationalités représentées. Viennent ensuite par ordre décroissant des Tunisiens, 4,5 %, des Algériens, 4 %, des Russes, essentiellement des Tchétchènes, 2,5 %, des Marocains, 2 %, ainsi que douze autres nationalités représentant 5 % de l'échantillon.

Par ailleurs, les TIS sont souvent perçus comme d'anciens délinquants qui se seraient reconvertis dans le djihadisme pour se racheter une bonne conscience après une vie de péchés. Ce discours est très présent dans la police mais, très clairement, cela ne correspond pas aux statistiques réalisées : 70 % des TIS ne possèdent en effet aucun dossier de mineur délinquant et 57 % d'entre eux n'ont aucun passé criminel. Parmi les personnes ayant un passé criminel, 25 % des faits sont des atteintes aux personnes ou des poly-infractions. Seules 4 % de ces personnes ont un passé criminel de type infractions terroristes et 2 % des antécédents de grande criminalité organisée.

Je suis, pour ma part, assez réticent à une lecture trop psychologique de la radicalisation islamiste. En effet, 8 % seulement des individus suivis en QER présentent des troubles psychiatriques décelés et 16 % des fragilités psychologiques. Les personnes présentant des troubles avérés sont donc loin de représenter la majorité de la population. Cette insistance sur l'aspect psychologique de la radicalisation est assez étonnante, dans la mesure où elle n'a pas lieu chez d'autres terroristes, comme les Basques, les Corses, l'ultra-gauche ou l'ultra-droite, chez qui on insiste plutôt sur la dimension idéologique. Il semblerait que, dans la mesure où l'on a beaucoup plus de difficultés à comprendre des gens qui tuent au nom de Dieu que des gens qui tuent au nom de la nation, de la classe ouvrière ou autre, la lecture psychiatrique constitue un réflexe facile.

Le pourcentage très important de personnes entretenant un rapport tout à fait singulier à leur mère nous a en revanche beaucoup étonnés, et revêt peut-être une dimension psychanalytique. En effet, 31 % du total renseigné, soit 92 djihadistes sur 299 individus, décrivent à travers leurs propos un rapport fusionnel à la mère, dans un contexte fréquent d'absence paternelle, ainsi que des fratries importantes, 8 % des individus ayant plus de neuf frères et sœurs. Dans certains cas, cette proximité avec la mère s'avère presque incestueuse.

La socialisation au djihad, c'est-à-dire l'entrée dans la carrière djihadiste peut se faire de cinq façons différentes : socialisation amicale, familiale, militante dans des associations de type Frères musulmans ou autres, institutionnelle, en particulier cultuelle dans les mosquées ou les clubs sportifs, et virtuelle, via internet. Il apparaît de façon très nette que la socialisation virtuelle est aujourd'hui largement dominante, le deuxième mode de socialisation le plus répandu étant la socialisation amicale. La socialisation militante comme la socialisation familiale restent très faibles. La socialisation institutionnelle est également relativement modeste, concernant environ 25 % du corpus.

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