Intervention de Cécile Marcel

Réunion du jeudi 21 octobre 2021 à 14h30
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Cécile Marcel, directrice de l'Observatoire international des prisons (OIP) section française :

Notre association de défense des droits de l'homme en milieu carcéral existe depuis vingt-cinq ans. Elle a pour mission de porter à la connaissance du plus grand nombre les conditions de détention. Par ailleurs, l'Observatoire international des prisons alerte sur les dysfonctionnements et les atteintes au droit en prison et promeut le respect des droits et de la dignité par des actions de plaidoyer et en justice. Nous avons notamment porté la question de la dignité des conditions de détention devant la Cour européenne des droits de l'homme à plusieurs reprises. Une décision de janvier 2020 condamne la France pour ses conditions de détention et sa surpopulation carcérale. Les questions que vous nous avez posées sont extrêmement vastes. Nous ne pourrons pas revenir sur l'intégralité d'entre elles compte tenu du temps de parole qui nous est imparti. Par conséquent, nous vous transmettrons une contribution écrite.

La population carcérale a connu une évolution importante au cours des quarante dernières années. En effet, elle a doublé depuis 1980, passant de 35 000 à 70 000 détenus environ. Il est important de s'intéresser aux facteurs qui ont contribué à cette évolution. Or, si la question de la surpopulation carcérale est régulièrement associée à celle de l'évolution de la délinquance, ces éléments doivent être décorrélés. Par ailleurs, les chiffres de la délinquance sont à considérer avec précaution, tandis qu'ils présentent une certaine constance. Ainsi, sur cette longue période, nous assistons davantage à une stabilité de la délinquance. Depuis le début des années 80, il existe une diminution des violences les plus graves. L'insécurité ne connaît pas d'augmentation générale. Toutefois, il existe un accroissement du sentiment d'insécurité perméable à la médiatisation des faits divers.

Les facteurs d'augmentation de la population carcérale découlent plus sûrement des orientations et différents choix opérés en matière de politiques pénales. Depuis les années 90, de nouvelles infractions ont été créées et de nouveaux comportements ont été pénalisés, entraînant une explosion du nombre de courtes peines de prison – de moins de trois ans. Les données concernant la population carcérale en 2021, révélées par le projet de loi de finances 2022, indiquent que 26 % des personnes détenues purgent des peines d'emprisonnement de moins de six mois, soit un quart de la population carcérale. Ce taux est extrêmement préoccupant.

La surpopulation résulte également d'une augmentation du recours aux comparutions immédiates. Avec une moyenne de trente minutes d'audience, ce type de comparution ne permet ni de s'intéresser à la personnalité de l'accusé ni de trouver des modalités de peines autres que la prison. Ainsi, il existe huit fois plus de chance d'être condamné à la prison à la suite d'une comparution immédiate que dans le cas d'une audience classique.

Par ailleurs, depuis 2015, l'augmentation des détentions provisoires, qui relève d'une augmentation du nombre de détentions provisoires prononcées et de l'accroissement des délais avant jugement, participe à la surpopulation carcérale. Ainsi, nous constatons qu'un tiers de la population carcérale demeure en attente de jugement. Il s'agit d'un sujet alarmant. Enfin, nous constatons l'existence de peines de plus en plus sévères ayant comme conséquence un accroissement de la durée moyenne d'incarcération, passée en vingt ans de moins de huit mois à onze mois.

La question de la surpopulation est au cœur des débats sur les conditions de détention. Cependant, il me semble que cette thématique n'est pas analysée comme il se doit. Elle est en effet essentiellement étudiée depuis ses conséquences, soit à partir du nombre de places de prison, et non au travers de ses causes. Ainsi, depuis trente ans, nous construisons de nouvelles places de prison pour absorber cette augmentation de la population carcérale sans nous intéresser aux facteurs de cette surpopulation. M. Emmanuel Macron, dans un discours de 2018, revenait sur la construction de places de prison. Il indiquait que cette méthode consiste à répondre à un problème politique, moral et social par un problème immobilier. Il existe donc une conscience politique de ce phénomène que nous n'arrivons pas à traduire en actes.

Par ailleurs, ces constructions, si elles ne résolvent pas le problème, absorbent l'essentiel du budget de l'administration pénitentiaire. Ainsi, le projet de loi de finances 2022 prévoit près d'1 milliard d'euros pour les investissements immobiliers et la construction de 15 000 places de prison. Cet investissement est effectué au détriment de la prise en charge des personnes détenues et de leur quotidien en détention. Le budget prévu pour la prévention de la récidive et la réinsertion est de 91 millions d'euros pour l'année 2022. Or ces chiffres sont corrélés, l'un venant puiser les ressources de l'autre. Lorsqu'il est question de la construction de nouvelles places de prison, il s'agit de l'accroissement du parc immobilier.

La Cour européenne des droits de l'homme, dans sa condamnation de la France, indique qu'il est primordial de revoir la méthode de calcul de la capacité opérationnelle des établissements pénitentiaires. Il est ainsi nécessaire de ne plus seulement s'intéresser au nombre de mètres carrés attribués à un détenu, mais à l'ensemble des capacités de prise en charge de cette personne en vue de sa réinsertion. La capacité de prise en charge d'un détenu comprend : la dimension des espaces collectifs, l'offre de formation, de travail, d'activités, de soins et la capacité de suivi des services pénitentiaires d'infraction et de probation. Cette injonction n'a pas été entendue jusqu'à présent.

Lors d'une précédente audition, madame Abadie, vous posiez la question de l'encellulement individuel. Vous indiquiez que ce dernier ne pourrait pas être remis en question dans la mesure où la prise en charge des personnes est adaptée. L'encellulement individuel ne correspond pas à une obligation, mais à un droit. Il s'agit d'une notion fondamentale qui ne peut être imposée.

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