Intervention de Sabrina Delattre

Réunion du jeudi 21 octobre 2021 à 14h30
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Sabrina Delattre, coresponsable du groupe de travail prisons de la Ligue des droits de l'homme (LDH) :

La formulation m'interroge mais j'entends votre réponse. La construction de nouvelles places de prison ne constitue pas une solution, mais un problème. Elle participe du dysfonctionnement actuel des politiques pénitentiaires. Les plans de construction de nouvelles places, plan 13 000, plan 11 000 et plan 15 000, existent depuis des décennies. Or ils constituent tous des échecs. Ce constat était d'ores et déjà formulé par le secrétaire d'État à l'intérieur de Louis XVIII qui indiquait « À mesure que les constructions s'étendent, le nombre de prisonniers augmente. » Depuis le XIXe siècle, nous constatons que la création de nouvelles places de prison induit le remplissage de celles-ci au travers d'une augmentation du nombre de prisonniers.

En 2016, nous avons dénoncé l'annonce d'un plan de construction de 10 000 nouvelles places de prison qui, sous couvert de pragmatisme, aggravait le problème de la surpopulation carcérale. Je vous transmettrai, dans le cadre de notre contribution écrite, le lien vers le dossier de presse réalisé à l'époque. Y figure un graphique représentant deux courbes, l'une correspondant à l'augmentation du nombre de places de prison, l'autre à la hausse du nombre de détenus. Ces deux courbes ne se croisent pas : elles évoluent en parallèle.

La construction de nouvelles prisons n'a jamais résolu le problème de la surpopulation carcérale. Il s'agit d'une approche quantitative qui ne traite que les conséquences de la surpopulation et favorise l'exécution de peines plus dures concernant la petite délinquance. La prison demeure une solution contre-productive, puisqu'elle favorise la récidive. Un certain nombre d'études indiquent que 59 % des individus sortants de prison sont de nouveau condamnés dans les cinq ans qui suivent. La prison favorise la récidive tandis qu'elle accentue la problématique des conditions de détention indignes. La localisation des prisons, loin des villes, pose également un problème d'accès pour les proches. Or la vie sociale et familiale des détenus participe à leur réinsertion.

L'accroissement du parc immobilier pénitentiaire grève le budget de l'administration ainsi que l'évoquait l'OIP. Dans le budget proposé pour 2022, la construction de nouvelles places de prison s'effectue au détriment du développement d'alternatives à la détention et à la prévention de la récidive.

Les nouvelles constructions correspondent à des bâtiments très sécurisés qui poursuivent un objectif de neutralisation, mais pas une politique de réinsertion par le développement des activités. Le Livre blanc de l'immobilier pénitentiaire, remis à Jean-Jacques Urvoas en 2017, indiquait déjà qu'il était primordial de centrer l'organisation des prisons non pas autour de la sécurité, mais autour de la réinsertion. L'une des propositions de ce rapport était de contraindre l'administration pénitentiaire à proposer cinq heures d'activité par jour et par détenu. Aujourd'hui, les détenus passent beaucoup de temps seuls dans leur cellule. Or le Conseil de l'Europe suggère huit heures d'activités par jour et par personne.

En 2000, une précédente commission d'enquête formulait déjà ces constats. La construction de nouvelles places de prison ne permet pas d'enrayer le problème de la surpopulation carcérale. Le président du CPT – le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants –, auditionné, indiquait : « Plus vous construisez de nouvelles prisons, plus vous avez de détenus dans un pays. C'est une loi que personne n'a réussi à mettre en défaut, il n'y a qu'à voir le parc actuel pénitentiaire français. Le nombre de places a augmenté à la suite du programme 13 000 et le nombre de détenus a crevé tous les plafonds. » Je vous invite à relire les travaux de vos prédécesseurs car les constats que je formule aujourd'hui avaient déjà été dénoncés.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.