Notre fédération rassemble près de 300 structures dans toute la France. Il s'agit de communautés, de dispositifs d'hébergement et de logement et d'insertion professionnelle. Nous comptons 30 000 acteurs bénévoles et salariés. Nous sommes historiquement impliqués dans la vie des personnes placées sous main de justice, dont plus de 1 000 sont accueillies chaque année.
Nous sommes positionnés sur les alternatives à la détention du type TIG – travaux d'intérêt général –, mesures de réparation, dispositifs d'alternative aux poursuites ou à la détention provisoire. Par ailleurs, nous sommes engagés quant aux aménagements de peine avec des fermes agro-écologiques d'accueil de sortants de longue peine de prison en placement à l'extérieur. Depuis 2016, nous sommes également partie prenante de l'expérimentation sur la création d'ateliers-chantiers d'insertion en détention. Cette procédure vise à développer des activités de travail valorisantes et formatrices dans le cadre de la réinsertion, tandis qu'elle permet de lutter contre les ruptures de parcours. Enfin, nous poursuivons le suivi à la sortie de détention.
Comme M. Jean Caël l'évoquait, nous avons publié un rapport d'enquête sur les liens entre prison et pauvreté que nous vous avons également communiqué en amont. Dans le cadre de cette enquête, nous avons interrogé plus de 1 140 personnes détenues. Notre objectif était de recueillir d'une part leurs témoignages et des informations statistiques fiables sur leur profil socio-économique et d'autre part de co-construire vingt-cinq propositions de plaidoyer sur la base de leurs propositions.
La densité de votre questionnaire et le temps de parole qui nous est imparti ne me permettant pas de répondre à l'intégralité de vos interrogations, nous vous adresserons également une contribution écrite.
Nous disposons d'un accord-cadre avec le ministère de la justice, qui a été renouvelé en 2019 et se décline en plusieurs conventions de partenariats avec la direction de l'administration pénitentiaire. Ces partenariats concernent notamment la lutte contre la pauvreté et l'essaimage des fermes précédemment évoquées. Nous sommes membres du comité d'orientation stratégique du TIG et de l'insertion professionnelle.
Dans l'ensemble, nos relations sont plutôt bonnes avec les DISP et les SPIP – directions interrégionales des services pénitentiaires et services pénitentiaires d'insertion et de probation –, notamment les DISP impliqués dès le début dans la co-construction des projets que nous menons. Dans le cadre de l'implantation dans les établissements pénitentiaires, il existe des difficultés fréquentes connues et des situations extrêmement variables au niveau local.
Le budget du bâti est en hausse, mais la France demeure en retard par rapport à nos voisins européens sur les questions de justice. Nous constatons et rappelons l'urgence à allouer des moyens financiers supplémentaires à l'humanisation des conditions de détention garantissant la dignité des personnes. Nos questionnaires ont montré la nécessité d'un certain nombre de moyens de base comme se nourrir, se laver ou se vêtir. Nous appelons régulièrement des associations pour combler ces besoins, notamment sur le plan vestimentaire. Des budgets sont également nécessaires pour la mise en œuvre de dispositifs qui favorisent réellement la réinsertion.
Une autre urgence concerne la suppression des courtes peines et la surpopulation carcérale. Nous sommes historiquement opposés à la construction de nouvelles places qui ne représentent aucunement une solution aux enjeux évoqués. Dans notre arsenal juridique, nous disposons d'un très grand nombre de dispositifs alternatifs moins coûteux que les places de prison. Ils ont d'ailleurs fait leurs preuves en matière de réinsertion et de lutte contre la récidive mais emeurent trop peu prononcés, la prison restant dans nombre de cas la peine de référence.
Le projet de loi de finances pour 2022 consacre des sommes très importantes à l'immobilier pénitentiaire, qui diminue ainsi les sommes allouées aux alternatives à la détention. C'est le cas du placement à l'extérieur dont le budget prévoit une augmentation de 300 000 euros. Or l'ambition portée dans la loi de programmation de mars 2019 était de disposer de 1 500 places. Pourtant 300 000 euros ne permettront la création que de 27 places soit l'équivalent des places créées au sein d'Emmaüs au cours d'une année.
Dans un climat médiatique et politique fortement focalisé sur les questions de sécurité, il est intéressant de se questionner sur la nature des dispositifs proposés. Nous promouvons le placement à l'extérieur, car cette mesure n'est pas fondée sur des dispositifs de sécurité physique, mais sur la confiance, l'autonomie et la responsabilisation des personnes. Nous constatons, en pratiquant cette mesure depuis plus de vingt ans, qu'elle produit des résultats. Pourtant, ces mesures restent marginales.
Il est nécessaire de changer de paradigme, de sortir de la vision punitive et de recourir à ces alternatives qui n'ont pas à être inventées, puisqu'elles existent déjà. Dans ce cadre, un changement d'échelle des moyens humains et financiers qui y sont alloués demeure essentiel.
La réalité carcérale est méconnue. Un travail de pédagogie et de déconstruction des stéréotypes reste nécessaire. L'image des peines aménagées qui ne sont pas exécutées envoie un signe de laxisme et provoque l'apparition d'un discours contre lequel il faut lutter. Les discours répétés ont des impacts sur les terrains. Lorsque nous installons des structures d'accueil d'anciens détenus sur le terrain, ces discours sont entendus par la population. Ils nous sont renvoyés très fortement et font obstacle à l'édification de ces projets.
Afin d'effectuer ce travail de sensibilisation, nous souhaitons disposer de données fiables, actualisées, et publiques sur la récidive et la réinsertion. Ces éléments nous permettront par ailleurs d'évaluer dans le temps l'impact des politiques publiques sur la situation carcérale.
Concernant le travail et la formation en détention, il existe un manque d'offre criant. L'accès au travail et à la formation constitue la première demande des détenus interrogés. Elle arrive loin devant la demande d'aides, sachant pourtant que l'aide d'indigence est de 20 euros, soit un montant insuffisant pour subvenir à des besoins primaires. Nous regrettons, à ce titre, que le projet de loi en cours de discussion, s'il pose les bases d'un statut de travailleur, n'aborde pas la question des salaires ou de la flexibilité du travail. Il ne peut donc s'agir que d'une première étape. Il serait préférable de se tourner vers des dispositifs comme l'IAE – insertion par l'activité économique – en détention, qui fonctionne beaucoup mieux.