Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Réunion du jeudi 21 octobre 2021 à 16h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • carcéral
  • carcérale
  • détention
  • détenu
  • milieu carcéral
  • prison
  • pénitentiaire
  • trouble
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La réunion

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Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Jeudi 21 octobre 2021

La séance est ouverte à seize heures.

(Présidence de Mme Maud Gatel, membre de la commission)

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Je supplée M. Philippe Benassaya, président de la commission d'enquête, malheureusement retenu par un engagement de circonscription et ne peut être parmi nous cet après-midi. Je vous prie de l'excuser.

Cette commission d'enquête a été créée à la demande du groupe Les Républicains en vue d'identifier les dysfonctionnements et les manquements de la politique pénitentiaire française, constatés de longue date, mais que les pouvoirs publics peinent à corriger.

Nous nous sommes fixé un vaste cadre d'investigation qui vous a été communiqué. Je suis accompagnée de Mme Caroline Abadie, rapporteure. Avec vous, nous achevons un moment consacré aux associations partenaires de l'administration pénitentiaire. La première table ronde a réuni des associations à dominante réflexion sur la question carcérale. Celle-ci réunit des associations à dominante intervention en milieu carcéral.

Nous avons bien conscience que l'un ne va pas sans l'autre et que nous ne pouvons pas réfléchir à la question pénitentiaire sans la connaître de l'intérieur. Nous ne saurions intervenir auprès des détenus sans mener une réflexion à propos de la prison. C'est la raison pour laquelle le questionnaire qui vous a été adressé embrasse ces deux aspects.

Cet après-midi, nous vous proposons de nous faire part d'un exposé d'une durée maximum cinq minutes par organisation. Cela nous permettra d'échanger plus de trente minutes sur les propos qui auront été les vôtres. Si vous avez besoin de nous envoyer des précisions ou des lectures complémentaires, la commission d'enquête demeure à votre disposition pour recueillir toutes les contributions.

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Depuis plusieurs semaines, nous tentons de scruter la politique pénitentiaire de ce gouvernement et des précédents, puisque nous savons qu'en milieu carcéral, tout se déroule dans un temps très long.

Un fléau y est installé depuis longtemps : la surpopulation carcérale. Cette dernière a des impacts sur la qualité de la réponse pénale, de la réinsertion et sur différents aspects de la vie en prison tels que la radicalisation et le traitement de la radicalisation en détention. Ce phénomène nous amène à discuter de nombreux sujets : du parc immobilier, de l'accompagnement en détention, du personnel, des activités, des formations, des moments culturels, des ateliers professionnels, etc. Nous attendons cette audition avec impatience, car vous connaissez bien le milieu carcéral et avez suivi son évolution depuis une quarantaine d'années. Nous souhaitons savoir comment vous analysez cette histoire, son évolution et ses progrès.

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L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Jean Caël, M. Christophe Conway, M. Michel Doucin, M. Hubert Gourden, Mme Marion Moulin et M. Matthieu Quinquis prêtent successivement serment.)

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Jean Caël, responsable du département prison et justice du Secours catholique-Caritas France

Le Secours catholique est une association classique qui vise un public universel. Son rapport à la prison est dans ses gènes. Nous comptons 60 000 bénévoles, dont 2 000 pour la prison. Les bénévoles peuvent accompagner des mesures en milieu ouvert, en milieu carcéral ou suivre l'accompagnement à la sortie. Le panel de nos activités est assez large, depuis l'écrivain public en détention jusqu'à la réalisation d'ateliers. Nous plaçons la relation au cœur de nos actions. Elle peut permet une reprise de confiance en soi, une réconciliation avec soi-même et avec la société.

La relation avec les SPIP – services pénitentiaires d'insertion et de probation – est bonne quand nous parvenons à les contacter. Il serait plus efficace de réintroduire du travail social à l'ENAP – École nationale d'administration pénitentiaire – car les personnels demeurent novices en la matière alors qu'il s'agit du premier sujet auquel ils seront confrontés. Nous disposons d'une convention nationale avec l'administration pénitentiaire depuis 2004, renouvelée régulièrement. Nous disposons également de conventions régionales et locales. Nous ne demandons aucune subvention, ce qui nous offre une certaine liberté de parole. Il s'agit d'une convention qui inclut le SPIP et l'éducation nationale pour le financement de la lutte contre l'illettrisme.

Concernant le budget du ministère de la justice, des sommes importantes sont dilapidées dans la construction, asséchant les budgets socioculturels et les moyens qui permettraient d'embaucher de nouveaux membres du personnel au niveau du SPIP. L'inconvénient des nouveaux établissements reste le manque d'espaces collectifs et d'occasions de rencontres entre les personnes. Nous croyons au bénéfice des rencontres entre les personnes qui permettent de stimuler les potentiels de contribution de chacun.

Le personnel pénitentiaire agit selon la commande politique et les moyens dont il dispose. Ces derniers sont sous-dimensionnés pour l'entretien et la rénovation. La surpopulation grippe l'ensemble du système carcéral et coûte plus cher que certaines alternatives. Les associations peuvent accompagner ce type d'alternatives.

Selon nous, l'encellulement individuel est une mauvaise justification permettant de construire de nouvelles places de prison.

L'objectif des tutelles, depuis la loi Perben notamment, n'est pas d'améliorer les conditions de détention pour y envoyer les auteurs de petits délits. L'objectif était de développer des alternatives pour éviter les effets de désocialisation de la prison. Pourtant, une minorité des personnes incarcérées s'avère réellement violente, d'où une criminalisation de la pauvreté, phénomène que nous dénonçons dans notre rapport.

La loi du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en prison, à laquelle fait référence votre question 10, déplace le problème et n'améliore pas l'existant. L'administration pénitentiaire reste le décisionnaire final sur le terrain.

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Marion Moulin, responsable nationale de groupes justice et prison d'Emmaüs France

Notre fédération rassemble près de 300 structures dans toute la France. Il s'agit de communautés, de dispositifs d'hébergement et de logement et d'insertion professionnelle. Nous comptons 30 000 acteurs bénévoles et salariés. Nous sommes historiquement impliqués dans la vie des personnes placées sous main de justice, dont plus de 1 000 sont accueillies chaque année.

Nous sommes positionnés sur les alternatives à la détention du type TIG – travaux d'intérêt général –, mesures de réparation, dispositifs d'alternative aux poursuites ou à la détention provisoire. Par ailleurs, nous sommes engagés quant aux aménagements de peine avec des fermes agro-écologiques d'accueil de sortants de longue peine de prison en placement à l'extérieur. Depuis 2016, nous sommes également partie prenante de l'expérimentation sur la création d'ateliers-chantiers d'insertion en détention. Cette procédure vise à développer des activités de travail valorisantes et formatrices dans le cadre de la réinsertion, tandis qu'elle permet de lutter contre les ruptures de parcours. Enfin, nous poursuivons le suivi à la sortie de détention.

Comme M. Jean Caël l'évoquait, nous avons publié un rapport d'enquête sur les liens entre prison et pauvreté que nous vous avons également communiqué en amont. Dans le cadre de cette enquête, nous avons interrogé plus de 1 140 personnes détenues. Notre objectif était de recueillir d'une part leurs témoignages et des informations statistiques fiables sur leur profil socio-économique et d'autre part de co-construire vingt-cinq propositions de plaidoyer sur la base de leurs propositions.

La densité de votre questionnaire et le temps de parole qui nous est imparti ne me permettant pas de répondre à l'intégralité de vos interrogations, nous vous adresserons également une contribution écrite.

Nous disposons d'un accord-cadre avec le ministère de la justice, qui a été renouvelé en 2019 et se décline en plusieurs conventions de partenariats avec la direction de l'administration pénitentiaire. Ces partenariats concernent notamment la lutte contre la pauvreté et l'essaimage des fermes précédemment évoquées. Nous sommes membres du comité d'orientation stratégique du TIG et de l'insertion professionnelle.

Dans l'ensemble, nos relations sont plutôt bonnes avec les DISP et les SPIP – directions interrégionales des services pénitentiaires et services pénitentiaires d'insertion et de probation –, notamment les DISP impliqués dès le début dans la co-construction des projets que nous menons. Dans le cadre de l'implantation dans les établissements pénitentiaires, il existe des difficultés fréquentes connues et des situations extrêmement variables au niveau local.

Le budget du bâti est en hausse, mais la France demeure en retard par rapport à nos voisins européens sur les questions de justice. Nous constatons et rappelons l'urgence à allouer des moyens financiers supplémentaires à l'humanisation des conditions de détention garantissant la dignité des personnes. Nos questionnaires ont montré la nécessité d'un certain nombre de moyens de base comme se nourrir, se laver ou se vêtir. Nous appelons régulièrement des associations pour combler ces besoins, notamment sur le plan vestimentaire. Des budgets sont également nécessaires pour la mise en œuvre de dispositifs qui favorisent réellement la réinsertion.

Une autre urgence concerne la suppression des courtes peines et la surpopulation carcérale. Nous sommes historiquement opposés à la construction de nouvelles places qui ne représentent aucunement une solution aux enjeux évoqués. Dans notre arsenal juridique, nous disposons d'un très grand nombre de dispositifs alternatifs moins coûteux que les places de prison. Ils ont d'ailleurs fait leurs preuves en matière de réinsertion et de lutte contre la récidive mais emeurent trop peu prononcés, la prison restant dans nombre de cas la peine de référence.

Le projet de loi de finances pour 2022 consacre des sommes très importantes à l'immobilier pénitentiaire, qui diminue ainsi les sommes allouées aux alternatives à la détention. C'est le cas du placement à l'extérieur dont le budget prévoit une augmentation de 300 000 euros. Or l'ambition portée dans la loi de programmation de mars 2019 était de disposer de 1 500 places. Pourtant 300 000 euros ne permettront la création que de 27 places soit l'équivalent des places créées au sein d'Emmaüs au cours d'une année.

Dans un climat médiatique et politique fortement focalisé sur les questions de sécurité, il est intéressant de se questionner sur la nature des dispositifs proposés. Nous promouvons le placement à l'extérieur, car cette mesure n'est pas fondée sur des dispositifs de sécurité physique, mais sur la confiance, l'autonomie et la responsabilisation des personnes. Nous constatons, en pratiquant cette mesure depuis plus de vingt ans, qu'elle produit des résultats. Pourtant, ces mesures restent marginales.

Il est nécessaire de changer de paradigme, de sortir de la vision punitive et de recourir à ces alternatives qui n'ont pas à être inventées, puisqu'elles existent déjà. Dans ce cadre, un changement d'échelle des moyens humains et financiers qui y sont alloués demeure essentiel.

La réalité carcérale est méconnue. Un travail de pédagogie et de déconstruction des stéréotypes reste nécessaire. L'image des peines aménagées qui ne sont pas exécutées envoie un signe de laxisme et provoque l'apparition d'un discours contre lequel il faut lutter. Les discours répétés ont des impacts sur les terrains. Lorsque nous installons des structures d'accueil d'anciens détenus sur le terrain, ces discours sont entendus par la population. Ils nous sont renvoyés très fortement et font obstacle à l'édification de ces projets.

Afin d'effectuer ce travail de sensibilisation, nous souhaitons disposer de données fiables, actualisées, et publiques sur la récidive et la réinsertion. Ces éléments nous permettront par ailleurs d'évaluer dans le temps l'impact des politiques publiques sur la situation carcérale.

Concernant le travail et la formation en détention, il existe un manque d'offre criant. L'accès au travail et à la formation constitue la première demande des détenus interrogés. Elle arrive loin devant la demande d'aides, sachant pourtant que l'aide d'indigence est de 20 euros, soit un montant insuffisant pour subvenir à des besoins primaires. Nous regrettons, à ce titre, que le projet de loi en cours de discussion, s'il pose les bases d'un statut de travailleur, n'aborde pas la question des salaires ou de la flexibilité du travail. Il ne peut donc s'agir que d'une première étape. Il serait préférable de se tourner vers des dispositifs comme l'IAE – insertion par l'activité économique – en détention, qui fonctionne beaucoup mieux.

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Christophe Conway, président de l'Association des Anciens du GENEPI (Groupement étudiant national d'enseignement aux personnes incarcérées)

L'Association des anciens du GENEPI couvre l'activité de 30 000 personnes intervenues en tant qu'étudiants pendant au moins une année auprès des personnes détenues. Nous existons depuis plus de quarante-cinq ans. Nos formations sont très variées. Dans la vie active, nous sommes présents dans différents secteurs professionnels ou associatifs, dans le monde carcéral ou de la justice. Nous n'intervenons pas actuellement en prison.

Vous évoquiez le temps long et l'inscription dans la durée. La longévité de notre organisation nous a permis de constater que peu d'éléments évoluent positivement. Le projet Rebond que nous menons actuellement devrait nous permettre d'intervenir de nouveau en prison afin de recréer un lien entre la société et l'univers carcéral.

Je n'ai pas reçu le questionnaire que vous avez mentionné. Mon propos se concentrera donc sur l'exposé des motifs sous-jacent à la création de cette commission d'enquête. Je contribuerai volontiers par écrit après cette réunion.

Dans cet exposé, il est fait référence à Cesare Beccaria, fondateur du droit pénal moderne, pour insister sur la seule vraie garantie de prévention et de récidive que constitue la certitude qu'une peine est effectivement exécutée. Le taux d'incarcération en France est présenté comme particulièrement faible. Il est mis en perspective avec ceux du Royaume-Uni et de l'Espagne qui présentent un fort taux d'emprisonnement. Pour nous, il s'agit d'un raccourci regrettable que d'assimiler l'exécution d'une peine à l'incarcération. En ce quarantième anniversaire de l'abolition de la peine de mort, c'est omettre que ce même juriste s'était signalé en développant la première argumentation contre la peine de mort. Au regard de notre expérience, nous souhaitons plaider ici pour la prise en compte de la finalité de notre justice. C'est par cette dernière que vivent les Républiques, c'est pour elle qu'a été conçu le contrat social, par elle que s'est forgée l'esprit républicain. La justice permet à un corps social de ne pas se déliter, chacun ayant le sentiment d'être justement traité dans le cadre des lois qui nous gouvernent. La justice doit représenter un horizon pour tous les citoyens. Dès lors, il est absolument nécessaire de penser le sens de la peine, de sa proportionnalité, de son effectivité, et de sa finalité notamment en termes de réinsertion. Par ce biais, il s'agit de concourir à la protection de la société dans son intégralité.

Mobiliser des moyens pour construire de nouvelles places en prison revient à maltraiter tous les acteurs qui contribuent au rendu de la justice au nom de notre République : les juges, les agents de probation, les assistants sociaux, les gardiens, etc. Le budget des ressources humaines est sacrifié aux projets immobiliers. Créer de nouvelles places en détention revient à tourner le dos à une autre approche, car la nature a horreur du vide. Le système s'attachera à remplir ces nouvelles places. Pourtant, le taux d'incarcération en France est de 105 détenus pour 100 000 habitants. Il compte parmi les plus importants d'Europe – 76 en Allemagne et 101 en Italie. Ce taux enregistre une baisse générale en Europe, y compris en Espagne ou au Royaume-Uni. Or il a cru en France de 2 %.

Il est temps de s'interroger sur la fuite en avant que ces chiffres démontrent. Des moyens supplémentaires demeurent nécessaires pour proposer un meilleur encadrement de la probation, une exécution de peines en prison plus humaine et non désocialisante, une sortie de prison moins problématique, une réduction de la population carcérale et une prise en charge en milieu libre de ceux qui peuvent et doivent l'être. Il s'agit d'autant de processus qui ne sont ni déraisonnables ni dangereux. Nous avons tous en tête l'épisode de la pandémie de covid-19, pendant laquelle a eu lieu la libération de plus de 10 000 personnes. Ces fins de détention ont permis de réduire la surpopulation carcérale et l'opinion publique ne s'en est pas offusquée. La surpopulation peut être traitée autrement que par la création de nouvelles places.

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Matthieu Quinquis, membre du bureau de l'Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D)

L'A3D n'est pas une association partenaire de l'administration pénitentiaire. Elle est composée d'avocats investissant les champs de l'application des peines et du droit pénitentiaire. Elle se donne différentes missions : se former et former les acteurs de ses disciplines juridiques ; mettre en relation les détenus avec des professionnels de justice pour la défense de leurs droits ; entreprendre des actions de plaidoyer et contentieuses visant à défendre les droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

Nous nous interrogeons quant à la proposition de résolution ayant conduit à la création de cette commission d'enquête. Je rejoins plusieurs des prises de parole de mes collègues. Je demeure relativement inquiet de la vision que peut avoir l'Assemblée nationale, ou que peuvent avoir certains de ses membres, vis-à-vis de la prison. Je demeure préoccupé par ce que les députés considèrent comme des enjeux dans la politique pénitentiaire française, deux ans après une condamnation historique de la France par la Cour européenne des droits de l'homme. Regretter un faible taux d'incarcération, comme si ce dernier devait constituer un absolu en matière de justice pénale, me semble alarmant. Les raccourcis et les affirmations péremptoires concernant l'évolution de la criminalité en France sont particulièrement inquiétants de la part de la représentation nationale.

Les chiffres s'avèrent en effet bien plus nuancés que ce qu'affirme cette proposition de résolution. L'enfermement dans un paradigme de construction qui ne trouve pas sa fin sinon celle d'une incarcération massive et de condamnations répétées de la France par toutes les autorités nationales et internationales me semble préoccupant. Dans la précédente table ronde autant que pendant celle-ci, tous s'accordent à dire qu'il faut cesser cette politique de construction. Pourtant, nous entendons encore que la seule solution pour mettre un terme à la surpopulation carcérale reste la construction. C'est bien ainsi qu'est formulé votre questionnaire, notamment la question n° 9 : « Les programmes immobiliers en cours sont-ils suffisants pour le traitement de la surpopulation et les conditions de détentions ? ». À mon sens, la question serait plutôt de savoir si ces programmes sont capables de régler le problème de la surpopulation.

La focalisation de l'Assemblée nationale sur la question de la radicalisation et du phénomène de terrorisme islamique dans les prisons me semble étrange. En effet, il ne représente qu'un phénomène minoritaire par rapport aux nombres de personnes détenues et aux problématiques telles que celle de la pauvreté qui ont pu être évoquées et qui touchent une large majorité de la population carcérale. Les liens établis entre immigration, délinquance et population carcérale sont démentis par les faits.

Les dysfonctionnements de la politique pénitentiaire française sont clairs. Ils sont énoncés dans une série de rapports que vous connaissez de longue date et que certains d'entre vous ont rédigés. Je fais référence aux commissions et aux rapports parlementaires qui ont été mis en œuvre en 2000. Vous avez pris connaissance des différentes condamnations de la France par les autorités internationales, le comité de prévention de la torture, la Cour européenne des droits de l'homme, des autorités nationales : le CGLPL – contrôleur général des lieux de privation de liberté –, le défenseur des droits, la CNCDH – Commission nationale consultative des droits de l'homme. En réalité, les lignes politiques à investir sont évidentes. Elles sont indiquées dans l'ensemble de ces documents.

La politique pénitentiaire n'a guère changé depuis la fin des années 50 : il s'agit d'une politique sécuritaire, qui refuse de reconnaître des droits aux personnes détenues s'il n'existe pas de contraintes de la part d'autorités judiciaires, juge judiciaire ou administratif. Cette évolution s'est construite à la force du droit. Il est important que l'Assemblée nationale, autour de votre rapport à venir, dispose d'un coup d'avance sur les prochaines décisions. Elle pourrait décider de prendre à bras-le-corps les dysfonctionnements du milieu carcéral, changer de ligne politique et d'approche vis-à-vis des politiques pénales. L'unique solution reste un moindre recours à l'incarcération et une reconnaissance des droits fondamentaux des personnes détenues.

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Nous prenons ce sujet à bras-le-corps sans naïveté et sans procès d'intention.

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Michel Doucin, administrateur de l'Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM)

Nous sommes une association de familles, de parents ou de personnes concernées par des maladies psychiques sévères. Ces maladies s'expriment par des comportements qui amènent les malades à rencontrer la justice pénale. Nous vous avons transmis une longue réponse à votre questionnaire dont je ne pointerai ici que quelques points.

Nous disposons d'une convention avec l'administration pénitentiaire réalisée à la demande de l'administration du centre pénitentiaire de Château-Thierry. Ce dernier est spécialisé dans l'accueil de détenus présentant de très graves troubles psychiatriques et condamnés à de très longues peines. Ils nous ont incités à travailler à la surveillance et à la préparation de la réinsertion d'une population carcérale qui, dans une proportion importante –– 22 % –, n'a pas accès au sens de la peine. Ces détenus éprouvent des difficultés pour s'inscrire dans les règles du milieu carcéral. Leur accès à la réinsertion demeure difficile, ce qui les conduit à des récidives plus marquées que dans le cas du reste de la population carcérale. L'accès à la réinsertion représente un travail complexe pour lequel l'administration pénitentiaire offre peu de moyens. L'État souhaite recruter des SPIP. Or leur formation ne comprend que peu d'éléments sur les troubles psychiques. L'objectif est de passer d'un conseiller pénitentiaire pour quatre-vingts détenus à un pour soixante.

Concernant le logement des personnes précaires avec des troubles psychiques dans le cadre du dispositif « Un chez soi d'abord », que nous pilotons, le rapport est d'1 à 16. Concernant les dispositifs d'emploi accompagnés pour conduire vers l'emploi ou conserver l'emploi des personnes souffrantes des troubles psychiques, nous nous alignons sur la norme internationale qui est d'un pour douze. Même en parvenant à un rapport d'un pour soixante nous ne pourrions pas engager un sérieux travail de réinsertion. Cette population n'a pas sa place en prison. Il s'agit de 20 000 personnes, qu'il suffirait de sortir de prison pour régler la question immobilière en milieu carcéral. Ainsi, d'autres pays, notamment les Pays-Bas ont réussi à réduire leur parc pénitentiaire en mettant en place des dispositifs pour les personnes atteintes de troubles psychiques.

Il existe très peu de soins en prison et ces derniers sont de piètre qualité, ce que vous confirmera tout psychiatre qui connaît le milieu carcéral. Il existe 27 services régionaux pour 187 prisons. Chaque service ne peut travailler que pour la grosse prison auprès de laquelle il se trouve. Ces services connaissent un déficit d'un tiers en matière de recrutement.

Le docteur Guillaume Monod, responsable du service psychiatrique à la maison d'arrêt de Villepinte, nous a présenté certains éléments factuels. Il évalue à 100 ou 200le nombre de détenus ayant besoin de soins psychiatriques sur les 1 100 personnes incarcérées dans sa maison d'arrêt. Or il dispose d'un psychiatre, de trois infirmiers, de trois psychologues et de cinq infirmiers. Ces ressources sont cinq fois inférieures à ce que nous considérons nécessaire pour un hôpital de secteur. Par ailleurs, lorsque nous additionnons les UHSA et les UMD – unités hospitalières spécialement aménagées et unités pour malades difficiles – avec les quelques lits qui résistent dans les SMPR – services médico-psychiatriques régionaux – nous arrivons au mieux à 1 000 lits pour 20 000 personnes.

L'accès au soin est également rendu difficile par les relations avec les codétenus. On apparaît comme fragile en cas de maladie psychique. Le trafic de médicaments s'exerce fortement et prive les personnes qui en ont besoin. C'est un mirage que de penser qu'il existe des soins en prison. La construction d'UHSA et UMD supplémentaires ne résoudra pas ce problème, car, une fois sortis de ces lieux, les détenus retournent en prison, où les soins seront abandonnés. En moyenne, un prévenu doit attendre six mois pour disposer d'une première consultation avec un psychologue. La durée moyenne de séjour en maison d'arrêt est de dix mois.

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Hubert Gourden, secrétaire général de l'Association nationale des visiteurs de prison (ANVP)

Notre mission consiste à assister les personnes détenues par notre présence et notre écoute. Nous disposons d'une convention avec l'administration pénitentiaire. Nos rapports sont positifs. Cependant, il existe une importante disparité entre les centres pénitentiaires. Le directeur d'établissement est le seul maître à bord. Les directives sont appliquées ou non en fonction de la bonne volonté locale. Parfois, ce phénomène est justifié. Ainsi, il est fréquent que nous ne disposions pas des mêmes possibilités d'actions selon les établissements.

Concernant la surpopulation et le placement à l'extérieur, nous partageons l'avis des représentants des autres associations.

J'insisterai tout de même sur le côté psychiatrique, car nous manquons de spécialistes en France. Je rejoins totalement M. Michel Doucin : les détenus souffrant de maladies psychiques n'ont pas leur place en prison. D'autres structures s'avèrent nécessaires pour accueillir ces malades, ce qui libérerait 20 000 places de prison.

Il existe très certainement trop de places en prison au regard des peines alternatives, dont nous espérons qu'elles rencontrent un jour un succès. Il est nécessaire de construire pour supprimer les places indignes du parc habituel. Tous les rapports des différentes associations et les condamnations de l'Europe appuient ce point. La construction doit prendre en compte le minimum de sécurité et l'individualisme, car aujourd'hui il s'agit de proposer l'encellulement individuel dans tous les centres. Nous savons que, dans les maisons d'arrêt, les détenus sont au minimum deux par cellule, voire trois ou quatre dans une pièce de neuf mètres carrés. Ces personnes sous main de justice passent vingt-deux heures sur vingt-quatre dans leur cellule.

Je suis en accord avec les autres représentants d'associations concernant le manque de moyens. Un nouveau détenu entre, attend et sort. Il verra peut-être son SPIP une fois. Les petites peines amènent à la multiplication de la récidive. Que devons-nous faire pour que des détenus qui ne rencontrent que des membres d'associations certes volontaires, mais ne disposant que de peu de moyens, comprennent le sens de leur peine, entament une réflexion sur leur parcours et les moyens d'en sortir ? Nous avons besoin d'augmenter le nombre de travailleurs sociaux pour répondre à des questions de droits sociaux. En milieu ouvert, un SPIP s'occupe de 120 dossiers.

Les sorties sèches sont beaucoup trop nombreuses. Un nombre important de détenus sort de prison sans disposer d'un hébergement ni d'un logement. J'ai rencontré des SDF qui viennent en prison pour être hébergés.

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Merci à tous de parler avec la force de vos convictions. Toutefois, l'Assemblée nationale demeure diverse et variée. Nous sommes 577 députés qui représentent la nation et nous ne sommes pas tous du même bord politique. Malheureusement, vous n'avez en face de vous que des députés de la majorité, laquelle n'est pas à l'origine de la création de la commission d'enquête. Je la trouve néanmoins utile car elle nous permet d'échanger. Cependant, les termes employés dans la proposition de résolution de nos collègues du groupe Les Républicains ne sont pas les miens. L'accent qui a pu être mis sur la radicalisation est effectivement un point régulièrement abordé, qui n'est pas de mon choix. Je précise n'avoir pas lu le terme d'immigration, tandis que le lien entre immigration et délinquance a conduit à des condamnations judiciaires que j'approuve.

Cette pandémie nous a appris quelque chose de très intéressant. Nous avons pu rapidement mettre en œuvre des outils qui avaient été votés par les précédentes législatures ou par nous-mêmes, pour permettre la régulation carcérale. C'est le cas de la cour d'appel de Grenoble. La régulation carcérale existe et a été initiée par mon groupe. Malheureusement, elle n'a été vérifiée qu'une fois dans les faits. Le CGLPL le cite régulièrement comme exemple.

Au-delà de cette régulation carcérale, d'autres outils ont été pris à bras-le-corps par les JAP, les juges d'application des peines. Cela a fonctionné et n'a pas engendré de surdélinquance outrancière à l'extérieur. Effectivement, l'opinion publique n'a pas surréagi. En revanche, nos opposants politiques nous ont reproché de « déconfiner la délinquance ». Malheureusement, on réincarcère désormais en nombre, tandis que les comparutions immédiates restent expéditives pour désengorger au lieu d'user d'autres alternatives.

Je profite de la présence d'une association d'avocats, car, pour défendre une proposition de TIG ou une autre alternative à l'incarcération, l'avocat est le mieux placé pour convaincre le magistrat. Ces dispositifs sont-ils efficients ? Peut-on aller plus loin ? Je pense que, plus l'avocat entre en confrontation sur ces sujets, plus les choses évolueront concrètement, au cas par cas.

S'agissant de l'encellulement individuel, il s'agit d'un droit que j'approuve. Je me suis simplement permis de me poser la question sur les moyens que nous déployons pour essayer d'atteindre ce Graal inatteignable puisque comme vous le remarquez plus nous construisons plus nous remplissons. M. Emmanuel Macron a pour idée de fermer des prisons insalubres et de donner davantage de dignités à certains endroits. Aux Baumettes, personne ne se plaindra du plan de rénovation. Si nous créons des places rapidement surpeuplées, nous courrons dernière un Graal inatteignable. Dans d'autres pays, il ne s'agit pas d'une quête permanente. Les détenus disposent d'activités, ils sortent de leur cellule entre cinq et huit heures par jour et ils disposent d'une cellule suffisamment grande pour deux voire trois détenus. Certains d'entre eux demandent d'ailleurs à ne pas être seuls en cellule. Ne devrions-nous pas penser la surface au sol par détenu et un accompagnement de qualité ? Je n'oublie pas que cet accompagnement est également valorisé. Des efforts sont déployés en ce sens, tels que les recrutements de SPIP ou l'ouverture de la prison à différents partenaires.

Enfin, nous ne devons pas confondre troubles psychiatriques et troubles psychologiques. Pouvez-vous préciser vos propositions ? Nous ne sortirons pas 30 % des personnes sous main de justice au prétexte qu'elles souffrent d'un trouble psychologique qui n'est pas une maladie psychiatrique. Les maladies psychiatriques n'ont effectivement pas leur place en prison. Il existe énormément de troubles psychologiques constatés en milieu carcéral.

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Michel Doucin, administrateur de l'Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM)

Si vous interrogez des psychiatres, ils vous expliqueront que 90 % de la population carcérale est atteinte de troubles psychiques. La prison est déstabilisante. Cet univers engendre de la dépression. Mes propos reposent sur des études réalisées par des psychiatres, notamment au CHU de Lille, qui évoquent des troubles psychiques sévères. Il s'agit de troubles vérifiés pour chaque maladie à partir de critères existant dans un barème international. Dans le nord de la France, on dénombre 7 % de schizophrénie, 7 % d'autres psychoses, auxquelles s'ajoutent des dépressions sévères et des tocs. La frontière entre les troubles psychologiques et les maladies psychiatriques est fragile, car des troubles psychiques peuvent évoluer vers une maladie et devenir un handicap. Il ne s'agit pas de malaises, mais de maladies qui nécessitent des soins.

Il est scandaleux que la République française trouve plus commode, car plus abordable financièrement, de placer en prison des personnes dont l'état de santé nécessite des soins. Toute la documentation est référencée dans la note que nous vous avons adressée.

Concernant l'encellulement individuel, les malades psychiques n'ont pas nécessairement besoin d'isolement. Toutefois, en cas de surpopulation, cela devient un réel problème notamment en raison du développement d'une phobie sociale. L'important demeure de donner le choix aux détenus.

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Hubert Gourden, secrétaire général de l'Association nationale des visiteurs de prison (ANVP)

Dans les maisons d'arrêt, les détenus sont trois ou quatre par cellule. Il est nécessaire de moduler cette contiguïté. Nous pouvons imaginer des chambres pour deux personnes, sans lit superposé. Il est essentiel de changer les critères en termes de confort, notamment en installant une douche dans la cellule et des WC fermés. Je visite régulièrement des détenus à la prison de Bois-d'Arcy. Dans les cellules de neuf mètres carrés de cet établissement, les WC ne sont pas séparés, il y a un lavabo, un lit superposé et un matelas au sol. L'encellulement individuel n'est pas nécessaire dans tous les cas, mais nos prisons doivent offrir des conditions de confort correctes et dignes.

Une maison d'arrêt comme celle de Bois-d'Arcy compte 800 détenus pour 530 places. Il y existe 200 places de travail réparties en ateliers et services intérieurs. Comment occuper toutes ces personnes ? Les lois actuelles tendent à favoriser le travail des détenus. Cependant, les conditions matérielles ne le permettent pas. Par conséquent, avant de voter des lois assujettissant les remises de peine au travail en milieu carcéral, offrons des possibilités de travail à tous les détenus. Il est nécessaire de restructurer les prisons existantes.

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Christophe Conway, président de l'Association des Anciens du GENEPI (Groupement étudiant national d'enseignement aux personnes incarcérées)

Je pense que courir après le Graal de l'encellulement individuel sans se demander pourquoi les prisons sont surpeuplées revient à poser le problème en termes de solution. Notre système de justice met en prison un détenu pour quelques mois, ce qui n'a pas de sens. Les moyens n'ont pas été suffisamment développés pour les peines alternatives. Créer des places de prison donne l'illusion de l'exécution de la peine. Or à l'inverse, cela renforce le problème. Nous appelons de nos vœux l'arrêt de cette fuite en avant de la construction et de cette politique pénale d'accroissement du nombre de personnes sous main de justice.

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Marion Moulin, responsable nationale de groupes justice et prison d'Emmaüs France

Concernant le travail d'intérêt général, nous avons collaboré avec l'agence du TIG et de l'insertion professionnelle, l'ATIGIP. La plateforme du TIG permet de recenser de manière exhaustive les postes disponibles. Ce processus d'identification permet aux avocats et aux magistrats de plaider en faveur de ce type de mesures. Il s'agit d'une avancée que nous saluons. La mesure de TIG est une sanction intelligente, réparatrice et non désocialisante, qui peut représenter le début d'un parcours d'insertion. Cependant, elle repose uniquement sur la participation de la société civile et plus spécifiquement de la coopération des associations. Ainsi, les personnes bénéficiant d'une mesure de TIG travaillent au sein d'associations. Elles doivent être encadrées car elles rencontrent de multiples difficultés socioprofessionnelles qui nécessitent un accompagnement. Ce processus demande une importante implication financière, qui renvoie à la question de moyens. Cette mesure n'est pas financée. Or nos associations atteindront rapidement la limite de leurs capacités d'accueil et d'encadrement.

Il me semble que le principe de l'encellulement individuel a été posé il y a longtemps. Les personnes détenues doivent avoir ce choix. Il doit s'agir d'un droit. Les temps hors de la cellule demeurent importants, ils ne doivent pas être uniquement occupationnels. Il est nécessaire de prêter attention à la qualité des actions, des activités, du travail et de la formation afin de proposer des parcours professionnalisants utiles à la réinsertion.

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Jean Caël, responsable du département prison et justice du Secours catholique-Caritas France

Je me réjouis que Mme Caroline Abadie ait abordé le sujet de la régulation carcérale comme un fait positif. L'existence d'un mécanisme obligatoire permettrait que cette régulation ne s'effectue pas selon le bon vouloir des acteurs locaux. Il s'agirait d'une obligation légale visant à libérer les détenus en fin de peine et à filtrer en amont l'arrivée de nouvelles personnes incarcérées. Dans ce cas, il est essentiel de revoir la procédure de comparution immédiate, forme d'abatage qui envoie les pauvres en prison alors que les personnes réinsérées y échappent.

Je suis originaire de la même circonscription que M. Hubert Gourden. J'ai reçu une lettre circulaire de M. Philippe Benassaya, président de cette commission d'enquête : sans son article consacré à la commission, il ne mentionne pas les personnes détenues, mais uniquement les syndicats du personnel pénitentiaire. Ce discours donne l'impression qu'on cherche à les satisfaire, tandis que le quotidien de la masse carcérale importe peu. Je m'élève contre cette vision. Il s'agit d'êtres humains dont le devenir est en question.

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Matthieu Quinquis, membre du bureau de l'Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D)

Je rejoins les propos de Mme Marion Moulin concernant le choix de l'encellulement individuel. Par ailleurs, la pratique pénitentiaire actuelle constitue une entrave à l'augmentation du nombre d'heures d'activité en dehors de la cellule. Le régime des portes fermées suppose un nombre de mouvements importants pour les personnels pénitentiaires qui devient rapidement ingérable. Les bâtiments sont sous-adaptés et ne proposent pas d'espaces d'activités individuelles ou collectives. De nombreux éléments pratiques doivent évoluer dans le quotidien des coursives.

La régulation carcérale demeure un impératif. Dans le cadre de cette commission, vous avez visité la prison des Baumettes. J'ai lu le rapport de la CGLPL qui a visité cet établissement récemment. Un paragraphe indique que le tribunal judiciaire de Marseille a mis en place un outil de régulation. Je ne connais pas précisément son mode de fonctionnement. Peut-être en avez-vous connaissance. Je vous invite à lire ce rapport.

Vous avez une haute estime de l'influence dont peut disposer un avocat quant à la peine prononcée. Dans la pratique, je serais plus nuancé. Nous devons tendre vers cet objectif en invitant les avocats à saisir l'application des peines non seulement pour l'aménagement, mais aussi pour le jugement, afin d'exposer aux juridictions le panel de mesures envisageables. La loi prévoit suffisamment d'alternatives aujourd'hui. Or ces dernières sont davantage utilisées pour resserrer le filet pénal que comme mesures de substitution à la prison. Nous savons que plaider un TIG en comparution immédiate est illusoire, la procédure de comparution immédiate visant à incarcérer plus rapidement. Une réflexion doit être menée sur la limitation de ces procédures d'incarcérations massives et rapides, car tant qu'elles pourront être utilisées facilement par les parquets, ce flux entrant de personnes détenues continuera.

Dans le questionnaire, vous posez la question du retour. Nous avions, en avril dernier, pu échanger avec Mme Caroline Abadie sur ce point. Comme le suggère M. Jean Caël, il est nécessaire de transformer ces voies de recours. Un mécanisme de régulation obligatoire permettrait de limiter le recours à l'incarcération et faciliterait les sorties par la voie d'aménagement de peines. Il s'agit d'ailleurs des recommandations du comité des ministres du Conseil de l'Europe dans sa décision d'exécution de l'arrêt J.M.B. et autre contre France du 16 septembre dernier : ce dernier confirme la nécessité d'envisager des mesures législatives qui réguleraient de manière plus contraignante la population carcérale en France. Par ailleurs, ce rapport reprend l'ensemble de nos inquiétudes sur l'article 803-8 du code de procédure pénale.

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Hubert Gourden, secrétaire général de l'Association nationale des visiteurs de prison (ANVP)

Il est également nécessaire de penser aux personnels pénitentiaires. Il est important que les SPIP soient plus nombreux et mieux formés. Nous constatons par ailleurs une réelle dégradation du niveau des surveillants au cours des dernières années. Ce type de personnel manque dans nos établissements. Pour en recruter, les niveaux ont été abaissés, tandis que la durée de la formation a été réduite. Par conséquent, les nouveaux surveillants envoyés sur le terrain sont insuffisamment formés. Les niveaux de rémunération sont très faibles, ce qui pose des problèmes en Île-de-France, région que quittent les surveillants à la première opportunité. Dans cette région, l'âge moyen des surveillants est bas, l'expérience est faible et les erreurs sont nombreuses. Une revalorisation de la fonction des surveillants pénitentiaires s'avère primordiale. Par ailleurs, le nombre de surveillants est proportionnel au nombre de places et non à celui des détenus. Certains parloirs ne sont pas ouverts, car le nombre de surveillants requis n'est pas atteint.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ce sujet des ressources humaines a également été listé dans nos préoccupations. Les conditions de travail des surveillants et les conditions de détention sont étroitement liées : agir pour les unes contribuera nécessairement à améliorer les autres.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comment percevez-vous la préhension de l'opinion publique sur la question de la prison ? Cette dernière semble avoir une faible connaissance du fonctionnement carcéral. Quelles seraient les pistes à examiner en ce sens ?

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Michel Doucin, administrateur de l'Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM)

Dans des pays voisins comme la Suisse, une formation sérieuse de cinq heures sur le thème de la psychiatrie est dispensée au personnel de prison. En Belgique, cette formation dure six jours. Aux Pays-Bas, il s'agit d'un enseignement scientifique. En France, il n'existe aucun enseignement de ce type.

Nous ne souhaitons pas que la publicité autour du système pénitentiaire véhicule l'idée que la construction représente la solution au problème de surpopulation. Il serait essentiel de mettre en avant les réussites en matière de réinsertion. La presse pourrait s'y intéresser.

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Matthieu Quinqui

Concernant l'opinion publique, il me semble que la population française a connaissance de l'état des prisons en France. Il existe certes des points à affiner sur la représentation du quotidien. L'enjeu serait de sortir du débat pénal focalisé sur la prison, et de changer l'angle d'approche de la sanction. C'est en expliquant la nécessité de se tourner vers ce type de politiques et en démontrant leurs effets positifs et leurs résultats concrets que nous arriverons à transmettre ce message. Par ailleurs, l'opinion publique ne doit pas constituer un frein au changement. Le Parlement a dépassé des débats et des clivages qui traversaient la société sur la peine de mort ou plus récemment concernant l'ouverture du mariage aux personnes de même sexe. Nous constatons par la suite que la vie sociale n'en a pas été perturbée. Le Parlement peut se sentir autorisé à appliquer ce qui doit être : des mesures et des politiques humaines.

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Jean Caël, responsable du département prison et justice du Secours catholique-Caritas France

Pour changer le regard de l'opinion publique sur les personnes détenues, il faut contribuer à ne pas les globaliser ou les anonymiser. La population doit se rendre compte qu'il pourrait s'agir de son voisin. Aux États-Unis, quand une personne sort de prison après une condamnation pour abus sexuels, son portrait est affiché dans son quartier. À l'inverse, Caritas enjoint les détenus proches de la libération à écrire une lettre à leurs voisins pour indiquer qu'ils souhaitent reprendre leur vie en main. Il s'agit d'un travail pédagogique important qui demeure à notre portée.

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Christophe Conway, président de l'Association des Anciens du GENEPI (Groupement étudiant national d'enseignement aux personnes incarcérées)

Un élément caractérise notre association : le parcours de nos membres. Nous avons été invités à connaître l'univers carcéral en dépit de nos études et de nos carrières. Cette expérience de passerelle amène de l'humanité et du lien social pour les personnes incarcérées tandis qu'elle permet d'irriguer la société pour détruire les fantasmes sur le milieu carcéral. Ce phénomène permet également de mesurer le poids de l'enfermement.

Paradoxalement, en termes de moyens financiers, nous avons comme projet de réintroduire le lien entre étudiants et personnes incarcérées. Ce projet Rebond requiert un financement de 100 000 euros par an que nous n'arrivons pas à obtenir. Il ne s'agit donc pas d'un problème financier, mais de décision politique. L'opinion publique suivra si les chemins tracés sont clairs.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie. Si vous souhaitez partager des ressources et de la bibliographie complémentaire, ces documents seront les bienvenus. Monsieur Christophe Conway, vous pouvez répondre au questionnaire qui vous a été transmis avant la mi-novembre.

La réunion se termine à dix-sept heures et trente minutes

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Présents. – Mme Caroline Abadie, Mme Françoise Ballet-Blu, Mme Maud Gatel, M. Jacques Krabal

Excusé. – M. Philippe Benassaya