L'A3D n'est pas une association partenaire de l'administration pénitentiaire. Elle est composée d'avocats investissant les champs de l'application des peines et du droit pénitentiaire. Elle se donne différentes missions : se former et former les acteurs de ses disciplines juridiques ; mettre en relation les détenus avec des professionnels de justice pour la défense de leurs droits ; entreprendre des actions de plaidoyer et contentieuses visant à défendre les droits fondamentaux des personnes privées de liberté.
Nous nous interrogeons quant à la proposition de résolution ayant conduit à la création de cette commission d'enquête. Je rejoins plusieurs des prises de parole de mes collègues. Je demeure relativement inquiet de la vision que peut avoir l'Assemblée nationale, ou que peuvent avoir certains de ses membres, vis-à-vis de la prison. Je demeure préoccupé par ce que les députés considèrent comme des enjeux dans la politique pénitentiaire française, deux ans après une condamnation historique de la France par la Cour européenne des droits de l'homme. Regretter un faible taux d'incarcération, comme si ce dernier devait constituer un absolu en matière de justice pénale, me semble alarmant. Les raccourcis et les affirmations péremptoires concernant l'évolution de la criminalité en France sont particulièrement inquiétants de la part de la représentation nationale.
Les chiffres s'avèrent en effet bien plus nuancés que ce qu'affirme cette proposition de résolution. L'enfermement dans un paradigme de construction qui ne trouve pas sa fin sinon celle d'une incarcération massive et de condamnations répétées de la France par toutes les autorités nationales et internationales me semble préoccupant. Dans la précédente table ronde autant que pendant celle-ci, tous s'accordent à dire qu'il faut cesser cette politique de construction. Pourtant, nous entendons encore que la seule solution pour mettre un terme à la surpopulation carcérale reste la construction. C'est bien ainsi qu'est formulé votre questionnaire, notamment la question n° 9 : « Les programmes immobiliers en cours sont-ils suffisants pour le traitement de la surpopulation et les conditions de détentions ? ». À mon sens, la question serait plutôt de savoir si ces programmes sont capables de régler le problème de la surpopulation.
La focalisation de l'Assemblée nationale sur la question de la radicalisation et du phénomène de terrorisme islamique dans les prisons me semble étrange. En effet, il ne représente qu'un phénomène minoritaire par rapport aux nombres de personnes détenues et aux problématiques telles que celle de la pauvreté qui ont pu être évoquées et qui touchent une large majorité de la population carcérale. Les liens établis entre immigration, délinquance et population carcérale sont démentis par les faits.
Les dysfonctionnements de la politique pénitentiaire française sont clairs. Ils sont énoncés dans une série de rapports que vous connaissez de longue date et que certains d'entre vous ont rédigés. Je fais référence aux commissions et aux rapports parlementaires qui ont été mis en œuvre en 2000. Vous avez pris connaissance des différentes condamnations de la France par les autorités internationales, le comité de prévention de la torture, la Cour européenne des droits de l'homme, des autorités nationales : le CGLPL – contrôleur général des lieux de privation de liberté –, le défenseur des droits, la CNCDH – Commission nationale consultative des droits de l'homme. En réalité, les lignes politiques à investir sont évidentes. Elles sont indiquées dans l'ensemble de ces documents.
La politique pénitentiaire n'a guère changé depuis la fin des années 50 : il s'agit d'une politique sécuritaire, qui refuse de reconnaître des droits aux personnes détenues s'il n'existe pas de contraintes de la part d'autorités judiciaires, juge judiciaire ou administratif. Cette évolution s'est construite à la force du droit. Il est important que l'Assemblée nationale, autour de votre rapport à venir, dispose d'un coup d'avance sur les prochaines décisions. Elle pourrait décider de prendre à bras-le-corps les dysfonctionnements du milieu carcéral, changer de ligne politique et d'approche vis-à-vis des politiques pénales. L'unique solution reste un moindre recours à l'incarcération et une reconnaissance des droits fondamentaux des personnes détenues.