Intervention de Dr Marie Bur

Réunion du mercredi 27 octobre 2021 à 9h05
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Dr Marie Bur, psychiatre au centre pénitentiaire du Havre, vice-présidente de l'Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP) :

L'ASPMP a pour but d'aider au développement de la psychiatrie en milieu pénitentiaire tant dans son fonctionnement institutionnel que dans la recherche théorique et pratique. Elle vise également à faire bénéficier les personnes intéressées des expériences acquises par le biais de l'enseignement et la formation. Il s'agit d'un lieu d'expression des professionnels de santé mentale qui exercent une activité de soin en milieu pénitentiaire. Elle représente ces professionnels dans les instances administratives et professionnelles.

Les fondamentaux de la psychiatrie et de nos soins en milieu carcéral sont unis autour du secret médical, de la confidentialité, du libre consentement et de la responsabilité pénale. La médecine intrapénitentiaire est rattachée à l'hôpital de secteur, sous la tutelle de l'ARS – agence régionale de santé – et du ministère de la santé.

L'accès aux soins psychiatriques et psychologiques en milieu pénitentiaire est organisé en trois niveaux.

Au premier niveau, il s'agit de consultations en ambulatoire, auprès du psychiatre, du psychologue ou de l'infirmier, mais également d'activités groupales et d'accompagnement par le centre de soins, d'accompagnement et de prévention à l'addictologie – CSAPA. Ces soins ont lieu dans un espace commun ou de manière séparée pour les soins somatiques et psychiatriques. Il s'agit de souligner la richesse de la complémentarité, mais aussi la coordination de tous les intervenants de soins dans l'objectif d'une prise en charge globale du corps et de l'esprit.

Le deuxième niveau est constitué par les services médicaux psychologiques régionaux, créés par le décret du 14 mars 1986 et définis par celui du 10 mai 1995. Il s'agit d'un hôpital de jour et d'un service de détention la nuit. Il en existe actuellement 26 en France, notamment dans les maisons d'arrêt, soit 300 places disponibles.

Enfin, le dernier niveau représente les hospitalisations du détenu devenant patient en unité d'hospitalisation spécialement aménagée – UHSA –, en soins sans consentement sur décision d'un représentant de l'État – SDRE – ou en service libre. Ce dernier niveau nous confronte à la problématique du manque crucial de places disponibles. Il existe actuellement neuf UHSA en France. En outre, les conditions d'hospitalisation du détenu devenu patient hors des UHSA sont souvent inadaptées. Le détenu est hospitalisé en chambre d'isolement de manière prolongée, sans sortie dans le service, sans contact avec les unités hospitalières en dehors des repas et pour une durée de séjour très courte. Il apparaît alors difficile de construire et de maintenir un lien de confiance envers l'institution psychiatrique que le détenu, au profil régulièrement très carencé, fuit.

Depuis plusieurs années, nous constatons une évolution des profils psychopathologiques des détenus, avec une représentation importante de la maladie mentale en tant que telle. Il s'agit de pathologies psychotiques de type schizophrénie, de la maladie bipolaire, de la polytoxicomanie, de l'enclavement dans la violence extrême chez ces sujets carencés sur tous les versants, entraînant un passage à l'acte destructeur dirigé tant contre autrui que contre soi. Ces personnes ont souvent connu un parcours développemental entravé par l'insécurité, l'absence ou la pauvreté majeure des repères socio-éducatifs familiaux ou sociétaux, l'instabilité de vie, et l'exclusion sous toutes ses formes.

Si la mission de chacun des intervenants intrapénitentiaires nécessite d'être fondamentalement garantie, une communication intelligente doit viser l'intercontenance et le développement d'un parcours au plus près de la singularité de chacun. L'une des situations psychiatriques les plus alarmantes est le suicide de la personne détenue : 119 suicides ont été rapportés en 2020, soit un tous les deux à trois jours. Le surveillant pénitentiaire étant au plus près du détenu, constituant parfois même son seul interlocuteur ; il doit pouvoir alerter et communiquer avec l'équipe sanitaire.

Chaque détenu doit bénéficier, s'il l'accepte, d'une visite d'entrée à son arrivée en maison d'arrêt, réalisée par l'infirmière et le médecin, afin de permettre l'identification primaire d'un trouble psychique, psychiatrique, addictif et somatique. La personne détenue peut également prendre l'initiative d'une demande de suivi ou d'entretien psychique ou psychiatrique. Elle peut être repérée et signalée par l'administration pénitentiaire si cette dernière observe des troubles du comportement. L'une des limites est alors celle des invisibles : les détenus qui ne font pas parler d'eux, mais se trouvent en souffrance et en isolement, jusqu'à constituer la proie idéale de tout discours et embrigadement extrémiste. Il ne s'agit pas pour les acteurs intrapénitentiaires d'imposer une décision médicale ou pénitentiaire, mais d'ajuster l'accompagnement et les contraintes pénitentiaires à la singularité du détenu et de son parcours d'évolution.

La psychiatrie intrapénitentiaire souffre d'un manque de personnel paramédical et médical. Le personnel est recruté par l'hôpital de rattachement. Ce manque de personnel s'explique par plusieurs facteurs : un certain mal-être de l'hôpital ; la situation de parent pauvre que représente la psychiatrie, dépourvue de possibilités d'accueil continu ; la spécificité de la confrontation à l'enfermement et à l'impuissance face à des sujets en proie à l'agressivité, à la souffrance morale et à la pathologie psychiatrique sans bénéficier de soins hospitaliers au long cours. Les surveillants pénitentiaires des quartiers disciplinaires et d'isolement se transforment en gardiens de la folie. À ce jour, aucune suspension de peine n'a été accordée pour des raisons psychiatriques, alors qu'une telle possibilité existe depuis mars 2019.

Il s'agit pour nous, acteurs de soins intrapénitentiaires, de ne pas soigner la prison, mais celui qui s'y trouve et qui, à l'extérieur, resterait le plus souvent en dehors des soins tant somatiques que psychiatriques. La prison, outre l'aspect répressif, permet ce temps de pause et d'accès à l'autre, propice à l'introspection si les moyens d'y accéder et de la consolider sont à la hauteur de l'enjeu sociétal que cette réappropriation de l'altérité de l'autre requiert.

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