Intervention de Laurent Michel

Réunion du mercredi 27 octobre 2021 à 10h30
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Laurent Michel, administrateur de la Fédération Addiction :

Je suis administrateur de la Fédération Addiction, psychiatre, addictologue et chercheur à l'INSERM – Institut national de la santé et de la recherche médicale –, au centre de recherche en épidémiologie et santé des populations. J'ai travaillé quatre ans en tant que chef de service en détention, au service médico-psychologique régional de Bois-d'Arcy, et je dirige le Centre Pierre-Nicole, structure de la Croix rouge qui prend en charge des patients souffrant de conduites addictives avec une forte interface avec les personnes sous main de justice.

Plusieurs principes gouvernent nos pratiques. Le principe d'équivalence entre le milieu extérieur et la prison pour la santé et la prévention, avancé par l'OMS – l'Organisation mondiale de la santé – en 1993, a été adopté par la loi française de 1994 qui transférait au service public hospitalier l'organisation des soins en détention. Ce principe implique une continuité des interventions lors de l'entrée et au moment de la sortie de détention. De plus, la santé en prison relève de la santé publique. Tout est importé en détention et ce qui se passe en détention est exporté par la circulation des détenus. Toute intervention en prison bénéficie à l'ensemble de la communauté, personnel pénitentiaire inclus. Si les conditions sanitaires sont améliorées en prison, la sécurité de la prison est améliorée. Environ 40 % des détenus entrants sont concernés par des pratiques addictives concernant l'alcool ou les drogues. Les consommations en détention sont courantes et doivent être prises en compte. Elles conditionnent notre exercice professionnel. Il n'existe pas de prison sans drogue, de même qu'il n'existe pas de société sans drogue. La prise en charge des addictions suppose une intervention globale, transversale et multidisciplinaire. Les périodes d'incarcération présentent des risques majeurs de rupture dans les processus de soins, mais aussi sur le plan social. La prévention de la récidive nécessite une intervention en amont et en aval de la détention. L'articulation avec le personnel pénitentiaire en détention ou le personnel des SPIP – services pénitentiaires d'insertion et de probation – en milieu ouvert ou fermé est donc indispensable.

De nombreux freins ont été identifiés, notamment le renouvellement permanent des travailleurs en région parisienne, l'insuffisance du personnel, notamment sanitaire, qui est en outre calculé initialement sur des effectifs de détenus sans surpopulation et pour des missions restreintes. Or la surpopulation a un impact considérable sur la capacité à intervenir des soignants. Toutefois, plus que le nombre de places et la qualité des interventions déployées, nous avons constaté que l'application des mesures de RDR – réduction des risques – était inversement proportionnelle à la surpopulation. Il faut également noter le manque d'intervenants spécialisés, d'organisation et d'interaction avec les services pénitentiaires, et l'insuffisante prise en compte de la différence entre le temps judiciaire et le temps du soin. Les processus de soin en addictologie s'établissent sur le temps long. Des ajustements rapides sont parfois nécessaires mais bloqués par les étapes judiciaires. Les établissements pour mineurs sont actuellement exclus des dispositifs CSAPA référents, malgré les besoins de cette population.

Certains aspects législatifs représentent également des obstacles, en premier lieu l'absence de statut de la RDR en prison. La loi de modernisation de notre système de santé de 2016 affirme l'extension du principe d'équivalence avec le milieu extérieur pour les mesures de RDR, mais aucun décret n'a été publié, en raison d'un fort blocage du niveau central de la direction de l'administration pénitentiaire. Les pratiques à risque existent et interrogent sur la responsabilité institutionnelle de ceux qui ont la charge et la tutelle des détenus. Sur le plan éthique et déontologique, les professionnels ne peuvent rester indifférents à ces pratiques à haut risque. Des dispositifs se mettent en place, mais de manière occulte et sans possibilité d'évaluation. Les accords locaux avec le personnel pénitentiaire, allant du surveillant à la direction, sont en général de grande qualité et ouvrent d'importantes possibilités. Le blocage ne se situe donc en général pas à ce niveau. En pratique, seules les interventions médicales spécialisées sont déployées de façon efficace. Elles sont souvent fondées sur les traitements de substitution aux opiacés, sur l'accès au traitement de l'hépatite C en détention, la prophylaxie post et préexposition au VIH. Nous restons cependant loin du niveau d'équivalence préconisé par l'OMS et acté par la loi de 1994.

Les pistes d'améliorations identifiées comprennent notamment le déploiement de la loi de santé et de ses décrets dans la RDR en suivant un objectif de santé publique et en y associant les acteurs sanitaires et associatifs compétents en amont. Il est également nécessaire d'allouer des moyens dédiés suffisants en quantité de personnel et en qualité, qui facilitent les interventions extérieures notamment en addictologie sur le modèle des CSAPA référents. La question de la formation, de la sensibilisation et de l'explication des pratiques de soin et leur objectif est également centrale. Tout comme à l'extérieur, la sécurisation de pratiques interdites par la loi peut paraître problématique si un message d'information n'est pas associé. Il est enfin nécessaire d'améliorer les interactions entre la santé et la justice, de renforcer les relais en amont et en aval, d'envisager des alternatives à l'incarcération et de favoriser le développement durable d'expérimentations et leur montée en échelle.

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