Je suis médecin et responsable thématique milieu pénitentiaire de Sidaction. Notre structure est une association créée en 1994 pour collecter des dons privés destinés à la recherche et au soutien d'associations en France et à l'international de malades du VIH. Depuis quinze ans, des actions en prison ont été développées, et j'occupe ce poste depuis lors. Auparavant, j'ai travaillé dix ans en milieu pénitentiaire. En abordant ce milieu pour la première fois, chacun est frappé par le décalage entre les textes et la réalité du terrain.
Notre guide « Promotion de la santé, VIH et prison » de 2019 propose des recommandations pour l'État sur les questions d'accès à la santé, d'aménagements de peine, de sexualité et d'usage de drogues en prison, et des minorités sexuelles. Je l'ai adressé à votre secrétariat.
Nous nous appuyons sur des projets associatifs que nous accompagnons et sur un groupe d'experts de la prison, constitué de professionnels du milieu carcéral, pénitentiaires, soignants ou associatifs. Tous soulignent le décalage entre les programmes nationaux de santé et leur déclinaison pour les personnes placées sous main de justice. Cette situation a également alerté des structures de l'État comme le Conseil national du sida – CNS –, la Cour des comptes ou le Comité consultatif national d'éthique – CCNE –, qui dénoncent un manque de connaissance de la réalité des prisons. Je vous invite à consulter le rapport de la Cour des comptes de 2019 et du CNS de 2020 sur le VHC – virus de l'hépatite C – en prison. Les chiffres officiels sur la santé des personnes détenues datent de 2004 pour la santé physique, de 2003 pour la santé mentale, et de 2010 pour VIH et les hépatites.
La surpopulation carcérale et le sous-effectif des soignants et des personnels pénitentiaires sont notables pour qui découvre le milieu carcéral. Le personnel est indexé sur le nombre de places en prison sans tenir compte de la population exacte. L'absence d'expression des détenus est une autre réalité de la prison. La question de la santé communautaire pose un problème. Lors du dernier colloque de la SFLS – Société française de lutte contre le sida –, réunissant les acteurs de la lutte contre le sida, François Dabis, président de la feuille de route de la stratégie nationale de santé sexuelle qui sera appliquée en 2022, n'a pas prononcé un mot sur la prison. Cette feuille de route est issue de la stratégie nationale de santé valable jusqu'en 2030. La SFLS avait pourtant placé le colloque sous la thématique des inégalités en matière de prison. Être en prison est donc véritablement un manque de chance.
La RDR, qui existe depuis la loi de santé du 26 janvier 2016, doit être dupliquée en prison. Alors que, pour la population générale, elle fait partie du Code de santé publique depuis 2005, elle n'existe pas en prison. Pourtant, la RDR a permis de faire chuter l'impact de l'usage de drogues dans la contamination au VIH de 60 % à moins de 2 % aujourd'hui. La RDR est une priorité à mettre en place en prison. La lutte contre l'épidémie cachée signifie qu'une petite minorité est à l'origine de la contamination d'un maximum de personnes chaque année. Ces détenus contaminés en prison reviennent dans la population générale et mettent en danger l'intérêt général.
Nous proposons de cesser d'exclure cette population, considérée comme sous-citoyenne, car elle n'est pas comprise dans les programmes de santé. Nous souhaiterions qu'elle figure à part entière dans les programmes nationaux sans déclinaison particulière la visant, afin de mettre en pratique tous les programmes de santé. Nous voudrions une déclinaison régionale de cette stratégie nationale de santé jusqu'en 2030, ce qui représenterait un niveau opérationnel pour les ARS – agences régionales de santé – tenues de mettre en stratégie les lois nationales de santé. Les COREVIH – coordinations régionales VIH – devraient jouent leur rôle d'instances chargées de la santé sexuelle en prison et de la connaissance de ces publics, en créant en leur sein des commissions prison. L'ARS pourrait y être invitée pour prendre en compte ces questions dans les schémas régionaux de santé. Les COREVIH reposent sur des bénévoles, alors qu'il s'agit d'institutions de la démocratie sanitaire. Quatre régions ont mis en place des pôles prisons recrutant des salariés grâce au financement des ARS dédié à la RDR en prison.
La solution ne réside pas dans la construction de nouvelles prisons ou l'augmentation du nombre de places, mais dans la lutte contre la surpopulation carcérale, dans la mise en place d'une véritable médiation assurée par des détenus facilitateurs ou des médiateurs de santé, et enfin dans la multiplication, si les moyens sont disponibles, de postes de professionnels en prison. La prison n'a qu'un sens : elle doit contribuer à la réinsertion sociale des détenus dans la société. Sans ce sens de la peine, la prison n'a pas lieu d'être. L'expérience de la covid, avec la libération de 8 000 détenus en quelques semaines, prouve que chacun est concerné, y compris les personnels pénitentiaires, par la prévention et la promotion de la santé. Ces questions sont négligées en prison puisque les USMP – unités sanitaires en milieu pénitentiaire – sont d'abord confrontées à l'urgence et au manque d'effectif.