Le constat évoqué dans votre propos introductif est partagé par l'ensemble des acteurs. La surpopulation carcérale constitue la véritable problématique dans la politique pénitentiaire actuelle. Lors du premier confinement, le recours assez massif à la remise en liberté de personnes détenues provisoirement ou en fin de peine a permis un certain désengorgement des établissements pénitentiaires sans pour autant semer le trouble dans l'opinion publique. Cependant, nous constatons que le taux d'incarcération a de nouveau augmenté avec une certaine intensité. Vous connaissez les chiffres. Le taux d'incarcération en France s'élève à 105 détenus pour 100 000 habitants – il est l'un des plus importants d'Europe – et 26 % des personnes incarcérées purgent une peine inférieure à six mois d'emprisonnement, correspondant à des courtes peines.
Les causes de cette surpopulation sont connues. Elles tiennent d'abord au faible nombre de magistrats acceptant d'aménager la peine ab initio, c'est-à-dire dans le cadre du jugement correctionnel. Ce constat provient peut-être d'un manque de compétence des magistrats. Il faut toutefois souligner que le droit s'est tellement complexifié au fur et à mesure des années qu'il nécessite une véritable technicité manquant à leur formation initiale.
Le CNB soutient qu'une réflexion sur la formation des magistrats serait pertinente. En outre, il faut relever un problème qui tient à l'habitude. Les magistrats ont souvent préféré prononcer des peines d'emprisonnement, même courtes, qui apparaissent plus dissuasives dans leur esprit. C'est une erreur, puisque nous constatons auprès de nos clients que le port d'un bracelet électronique à domicile est une peine dissuasive et contraignante. Cette peine n'est presque jamais requise par les procureurs de la République en audience, qui prônent les peines d'amendes et d'emprisonnement.
J'évoquais un peu plus tôt la question des courtes peines, essentiellement prononcées en comparution immédiate, où les mandats de dépôt sont extrêmement nombreux. Il s'agit d'une justice qui tranche les affaires pénales à enjeu modéré et à faible complexité. Cependant, le recours de plus en plus important à la comparution immédiate aboutit aujourd'hui à une forme de justice expéditive. Les affaires sont généralement traitées en moins de trente minutes. Le détail des conditions de vie d'un prévenu n'est pas examiné et laisse place à une enquête de personnalité minimaliste, souvent déclarative et non vérifiée, ce qui rend impossible le recours à un aménagement de peine ab initio.
La lecture des textes récents a suscité une inquiétude de notre part quant à la surpopulation. Les crédits de réduction de peine – CRP – automatiques sont supprimés, alors que les conditions pour en bénéficier, comme la démonstration de la réalité d'un travail ou d'une formation, sont difficiles à remplir. Ce texte provoque également des inquiétudes quant à la responsabilité ou l'irresponsabilité pénale, qui risque de permettre la condamnation d'un certain nombre de personnes aujourd'hui jugées irresponsables. Les effectifs de détenus risquent de se voir renforcés.
La surpopulation carcérale a pour corollaire les conditions de détention indignes qui ont largement été évoquées lors du nouveau recours dorénavant consacré dans notre corpus législatif. Cette voie de recours est salutaire, mais elle se concentre dans ses solutions sur la notion de transfèrement davantage que sur l'aménagement de peine ou la remise en liberté. Nous pensons par conséquent qu'elle aura très peu d'effet sur la question de la surpopulation carcérale.
La solution pour lutter contre la surpopulation carcérale est unique : construire de nouvelles places de prison. Voilà qui nous paraît insuffisant si cela ne s'accompagne pas d'une véritable réflexion sur le sens de la peine, en particulier dans les cas de courtes peines, et de l'entretien du parc immobilier existant. Vous avez visité un certain nombre d'établissements. À la maison d'arrêt de Fresnes, il apparaît dès le stade du parloir que les conditions de détention ne peuvent être considérées comme dignes. La question se pose du mécanisme de régulation carcérale, tel qu'il est expérimenté à Grenoble. Les retours dont dispose le CNB sont plutôt positifs. Il semble que les conditions de détention des détenus se soient relativement améliorées et qu'elles participent d'une plus grande sérénité dans les conditions de travail du personnel pénitentiaire.
Le CNB a choisi de concevoir un plan prison, consistant à réintégrer dans les établissements pénitentiaires le droit accessible aux détenus. Nous nous apprêtons à fournir de la documentation à ce sujet, notamment un vade-mecum accessible aux détenus sur le nouveau recours de conditions indignes, central dans ce plan prison. Outre cet aspect, nous souhaitons également participer à la formation des magistrats de l'ENM – École nationale de la magistrature – sur les peines alternatives pour répondre au problème essentiel du recours aux peines d'emprisonnement pour les très courtes peines.
Le respect des droits fondamentaux des détenus est également un sujet important. L'accès aux soins en détention est très difficile dans certains établissements. Des mois d'attente sont parfois nécessaires pour consulter un dentiste. Des obstacles récurrents se posent face aux demandes d'autorisation de sortie ponctuelle, par exemple lorsque les détenus souhaitent assister à une cérémonie d'enterrement. Même lorsque le juge d'application des peines octroie cette permission de sortie, les services de l'autorité de régulation et de programmation des extractions judiciaires – ARPEJ – qui doivent constituer l'escorte de ces détenus ne répondent pas toujours, et le détenu ne peut assister aux obsèques de ses proches. Des difficultés subsistent au niveau des instances disciplinaires dans les établissements pénitentiaires, où bien souvent les allégations des détenus rendent difficile, voire impossible, toute contestation. Or ces instances disciplinaires ont un poids dans les demandes d'aménagement de peine.