Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Mercredi 17 novembre 2021
La séance est ouverte à seize heures.
(Présidence de Mme Caroline Abadie, rapporteure de la commission)
M. Philippe Benassaya est absent pour raison de santé et l'audition se déroule en visioconférence.
Notre commission d'enquête a été créée à la demande du groupe Les Républicains en vue d'identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française – je me permets d'ajouter que ceux-ci sont éventuels. Cette commission cherche à marquer des avancées de manière transpartisane et constructive. À ce titre, nous avons fixé un vaste cadre d'investigation. Lors de nos travaux, nous avons abordé les sujets du parc immobilier pénitentiaire, des ressources humaines, de la radicalisation, des activités en détention, de la culture, de la santé, de l'éducation nationale, de la place de la religion, de la situation des mineurs en détention. Nous avons effectué plusieurs déplacements de terrain, à Fresnes, à la Santé et aux Baumettes, et nous rendrons au centre pénitentiaire de Château-Thierry la semaine prochaine.
Cet après-midi est consacré à la politique pénale, à l'application des peines et aux alternatives à la détention. La politique pénale et la politique pénitentiaire sont regroupées en France dans un même ministère, ce qui favorise leur articulation. Les chiffres montrent que la surpopulation carcérale est incontestable en France et qu'elle est constatée de longue date. Nous cherchons à définir s'il faut moins prononcer de peines ou continuer à construire de nouvelles prisons. Je suis consciente que la question est complexe et qu'il existe des nuances entre ces alternatives.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Jérôme Dirou, M. Boris Kessel et M. Guillaume Martine prêtent successivement serment.)
Le constat évoqué dans votre propos introductif est partagé par l'ensemble des acteurs. La surpopulation carcérale constitue la véritable problématique dans la politique pénitentiaire actuelle. Lors du premier confinement, le recours assez massif à la remise en liberté de personnes détenues provisoirement ou en fin de peine a permis un certain désengorgement des établissements pénitentiaires sans pour autant semer le trouble dans l'opinion publique. Cependant, nous constatons que le taux d'incarcération a de nouveau augmenté avec une certaine intensité. Vous connaissez les chiffres. Le taux d'incarcération en France s'élève à 105 détenus pour 100 000 habitants – il est l'un des plus importants d'Europe – et 26 % des personnes incarcérées purgent une peine inférieure à six mois d'emprisonnement, correspondant à des courtes peines.
Les causes de cette surpopulation sont connues. Elles tiennent d'abord au faible nombre de magistrats acceptant d'aménager la peine ab initio, c'est-à-dire dans le cadre du jugement correctionnel. Ce constat provient peut-être d'un manque de compétence des magistrats. Il faut toutefois souligner que le droit s'est tellement complexifié au fur et à mesure des années qu'il nécessite une véritable technicité manquant à leur formation initiale.
Le CNB soutient qu'une réflexion sur la formation des magistrats serait pertinente. En outre, il faut relever un problème qui tient à l'habitude. Les magistrats ont souvent préféré prononcer des peines d'emprisonnement, même courtes, qui apparaissent plus dissuasives dans leur esprit. C'est une erreur, puisque nous constatons auprès de nos clients que le port d'un bracelet électronique à domicile est une peine dissuasive et contraignante. Cette peine n'est presque jamais requise par les procureurs de la République en audience, qui prônent les peines d'amendes et d'emprisonnement.
J'évoquais un peu plus tôt la question des courtes peines, essentiellement prononcées en comparution immédiate, où les mandats de dépôt sont extrêmement nombreux. Il s'agit d'une justice qui tranche les affaires pénales à enjeu modéré et à faible complexité. Cependant, le recours de plus en plus important à la comparution immédiate aboutit aujourd'hui à une forme de justice expéditive. Les affaires sont généralement traitées en moins de trente minutes. Le détail des conditions de vie d'un prévenu n'est pas examiné et laisse place à une enquête de personnalité minimaliste, souvent déclarative et non vérifiée, ce qui rend impossible le recours à un aménagement de peine ab initio.
La lecture des textes récents a suscité une inquiétude de notre part quant à la surpopulation. Les crédits de réduction de peine – CRP – automatiques sont supprimés, alors que les conditions pour en bénéficier, comme la démonstration de la réalité d'un travail ou d'une formation, sont difficiles à remplir. Ce texte provoque également des inquiétudes quant à la responsabilité ou l'irresponsabilité pénale, qui risque de permettre la condamnation d'un certain nombre de personnes aujourd'hui jugées irresponsables. Les effectifs de détenus risquent de se voir renforcés.
La surpopulation carcérale a pour corollaire les conditions de détention indignes qui ont largement été évoquées lors du nouveau recours dorénavant consacré dans notre corpus législatif. Cette voie de recours est salutaire, mais elle se concentre dans ses solutions sur la notion de transfèrement davantage que sur l'aménagement de peine ou la remise en liberté. Nous pensons par conséquent qu'elle aura très peu d'effet sur la question de la surpopulation carcérale.
La solution pour lutter contre la surpopulation carcérale est unique : construire de nouvelles places de prison. Voilà qui nous paraît insuffisant si cela ne s'accompagne pas d'une véritable réflexion sur le sens de la peine, en particulier dans les cas de courtes peines, et de l'entretien du parc immobilier existant. Vous avez visité un certain nombre d'établissements. À la maison d'arrêt de Fresnes, il apparaît dès le stade du parloir que les conditions de détention ne peuvent être considérées comme dignes. La question se pose du mécanisme de régulation carcérale, tel qu'il est expérimenté à Grenoble. Les retours dont dispose le CNB sont plutôt positifs. Il semble que les conditions de détention des détenus se soient relativement améliorées et qu'elles participent d'une plus grande sérénité dans les conditions de travail du personnel pénitentiaire.
Le CNB a choisi de concevoir un plan prison, consistant à réintégrer dans les établissements pénitentiaires le droit accessible aux détenus. Nous nous apprêtons à fournir de la documentation à ce sujet, notamment un vade-mecum accessible aux détenus sur le nouveau recours de conditions indignes, central dans ce plan prison. Outre cet aspect, nous souhaitons également participer à la formation des magistrats de l'ENM – École nationale de la magistrature – sur les peines alternatives pour répondre au problème essentiel du recours aux peines d'emprisonnement pour les très courtes peines.
Le respect des droits fondamentaux des détenus est également un sujet important. L'accès aux soins en détention est très difficile dans certains établissements. Des mois d'attente sont parfois nécessaires pour consulter un dentiste. Des obstacles récurrents se posent face aux demandes d'autorisation de sortie ponctuelle, par exemple lorsque les détenus souhaitent assister à une cérémonie d'enterrement. Même lorsque le juge d'application des peines octroie cette permission de sortie, les services de l'autorité de régulation et de programmation des extractions judiciaires – ARPEJ – qui doivent constituer l'escorte de ces détenus ne répondent pas toujours, et le détenu ne peut assister aux obsèques de ses proches. Des difficultés subsistent au niveau des instances disciplinaires dans les établissements pénitentiaires, où bien souvent les allégations des détenus rendent difficile, voire impossible, toute contestation. Or ces instances disciplinaires ont un poids dans les demandes d'aménagement de peine.
Je suis un avocat pénaliste de province et je connais bien les sujets de comparution immédiate, de droit pénal provincial classique et des maisons d'arrêt et centres de peine de la Gironde. Mon intervention s'appuiera sur ma connaissance de la juridiction correctionnelle de Bordeaux.
Il me semble tout d'abord que votre commission devrait réfléchir au positionnement des aménagements de peine lorsque le juge est amené à prononcer une condamnation. Les aménagements de peine avaient pour objectif de remplacer la détention, en exécutant la peine en milieu ouvert. Je suis avocat depuis trente-sept ans. Avec la détention provisoire et la création du contrôle judiciaire dans les années 80, j'ai observé que les aménagements de peine sont généralement utilisés non pas lorsque le juge s'apprête à prononcer une peine ferme, mais lorsqu'il se trouve dans une situation intermédiaire, entre une peine d'emprisonnement avec sursis et une peine ferme. Les peines d'emprisonnement courtes existent toujours, et les peines fermes aménagées ont été créées comme intermédiaire, en compagnie de la peine d'emprisonnement avec sursis ou de la mise à l'épreuve. Par conséquent, le nombre de personnes incarcérées ne diminue pas. Il en était de même lors de la création du contrôle judiciaire qui, au lieu de se substituer à la détention provisoire, a finalement empiété sur des situations qui ne suscitaient autrefois pas d'incarcération.
J'ai donc le sentiment que l'aménagement de peine mordra sur une catégorie intermédiaire de peines qui ne donnaient pas lieu à une peine ferme auparavant, et non sur les peines fermes telles qu'elles sont prononcées. Il faudrait sans doute que la jurisprudence redéfinisse ce qu'est un aménagement. Je n'ai pas mené d'étude sur le sujet et mon constat est de l'ordre de l'intuition, mais il risque d'être confirmé les chiffres et la durée d'enfermement.
Les détenus sont de plus en plus nombreux. La surpopulation pénale ou carcérale n'existe que dans les maisons d'arrêt avant la condamnation. De nombreux centres pénitentiaires, comme ceux de Neuvic ou Mauzac, ne rencontrent pas les problèmes d'encombrement qui se traduisent par des matelas au sol dans les cellules ou des cellules qualifiées de chauffoirs, occupées par cinq ou six détenus. L'encombrement dans les établissements pénitentiaires n'a jamais concerné non plus les quartiers pour femmes. L'idée selon laquelle, si plus de places sont construites en prison, les prisons seront davantage remplies, n'est pas toujours vérifiée.
Les centres de Gironde et d'Aquitaine ne rencontrent pas de problèmes importants de conditions de détention insalubres ou portant atteinte à la dignité. La maison d'arrêt de Gradignan connaît parfois de forts taux d'encombrement, souvent par pics, issus de jurisprudences de comparution immédiate ou de l'actualité de la pénitentiaire. La question des violences conjugales a par exemple suscité un goulot d'étranglement avant l'emprisonnement. Outre des places de prison, il faut aussi des magistrats pour juger. En Gironde et en Aquitaine, le logement pourrait être amélioré et nous attendons la construction de la nouvelle maison d'arrêt de Gradignan avec beaucoup d'impatience, en projet depuis cinq ou six ans.
Il existe deux approches concernant la prise en charge médicale. La première concerne les premiers entrants, et la seconde des catégories de personnes spécifiques. Le constat selon lequel l'incarcération permettrait de bénéficier de soins est caricatural. Il manque des médecins dans les prisons, notamment pour la prise en charge des premiers jours qui sont difficiles pour le détenu. L'incarcération, notamment dans une situation d'infraction complexe sur le plan intrafamilial, peut générer des compensations et des pathologies. En cas d'urgence, le système de prise en charge est efficace, mais la médecine traditionnelle reste quelque peu sous-équipée.
J'orienterai mon intervention sur la question de la détention provisoire. Le traitement des dysfonctionnements du système pénitentiaire et de sa conséquence la plus visible qu'est la surpopulation nécessite d'aborder ce sujet.
Me Kessel rappelait le manque d'habitude d'aménager les peines ou de prononcer des aménagements de peine ab initio. Je pense également qu'une question d'habitude intervient en matière de détention provisoire. La comparaison des chiffres français avec ceux des autres pays de l'OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques – en témoigne. En France, entre un quart et un tiers des personnes incarcérées le sont au titre de la détention provisoire. Elles ne sont pas condamnées et sont même présumées innocentes. Ces personnes sont incarcérées dans des maisons d'arrêt ou des quartiers de maisons d'arrêt où se concentre le problème de la surpopulation carcérale. Un peu plus de 19 000 des 69 000 personnes incarcérées sont en détention provisoire.
Or les quartiers des maisons d'arrêt accueillent des personnes prévenues, mais également des personnes en courte peine. Les chiffres du ministère montrent qu'en moyenne, la densité carcérale atteint 134 % en maison d'arrêt. Cette surpopulation concerne 131 établissements pénitentiaires, parmi lesquels 89 présentent un taux supérieur à 120 %. Dans ces 89 établissements, 37 594 personnes sont incarcérées, dont 19 000 en détention provisoire et 16 000 autres en courte peine qui pâtissent également de la surpopulation carcérale. Selon les chiffres du Conseil de l'Europe, la France fait partie des six, sept ou huit pays dans lesquels le taux de personnes incarcérées au titre de la détention provisoire est le plus élevé. Ces chiffres interrogent notre politique pénale en matière de placement en détention provisoire. Ces placements sont peut-être effectués un peu trop facilement. Il est en outre parfois difficile de sortir de détention provisoire dans certains dossiers.
J'ai évoqué le mode de placement en détention provisoire effectué chaque année. À l'heure actuelle, 19 000 places sont dénombrées en détention provisoire mais, en 2020, 44 000 personnes ont été placées en détention provisoire. La durée peut varier de quelques jours à plusieurs mois.
Les habitudes sont conditionnées par des facteurs matériels. Certains juges d'instruction m'ont expliqué ne pas effectuer de placement sous bracelet électronique dans le cadre de l'information judiciaire, bien que ce soit possible. Le bracelet électronique, qui assure des garanties de contrôle sur les personnes et qui constituerait une alternative à la détention provisoire prévue par les textes pour être étudiée avant l'incarcération, est assez rarement utilisé. Le manque de bracelets électroniques pousse certains juges d'instruction à réserver leur recours au juge d'application des peines.
La détention entraîne un double problème : la surpopulation carcérale, qui aboutit à des problématiques de dignité en détention, et la qualité de l'exercice des droits de la défense. Ces droits ne s'exercent pas de la même façon lorsque le client se trouve ou non en détention. L'accès au dossier pénal est extrêmement variable d'une maison d'arrêt à l'autre, et il faut parfois attendre plusieurs semaines pour que le client puisse accéder à son à son dossier. Cette problématique n'intervient pas lorsque les personnes sont libres.
Au-delà de l'aspect surpopulation carcérale dans les maisons d'arrêt, le régime carcéral n'est pas le même. Généralement, les personnes condamnées bénéficient d'un régime carcéral un peu plus souple, avec des possibilités de circuler plus importantes. Une anecdote m'a marqué. Je me trouvais avec un client en liberté après avoir exécuté une peine à la maison d'arrêt de Nancy. Nous étions dans les premiers jours du mois d'octobre, et il y avait du brouillard. Ce client m'a raconté que le brouillard affectait les personnes en détention provisoire à la maison d'arrêt de Nancy, car contrairement aux détenus en exécution de peine qui pouvaient circuler librement, ils ne bénéficiaient que d'une heure de promenade le matin, qui était annulée en cas de brouillard. Il s'agit peut-être d'un détail, mais qui révèle la difficulté que rencontrent ces personnes.
Pour quelles raisons le bracelet électronique est-il si peu utilisé ? Lors d'une précédente audition avec des syndicats de magistrats, il nous a été indiqué que la procédure pouvait être complexe, notamment en raison de carences. Pensez-vous que la procédure pourrait être améliorée ? Quelles mesures préconiseriez-vous pour que l'assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE) soit davantage utilisée de manière à éviter certaines détentions provisoires ?
Le bracelet est une bonne idée. La détention provisoire est motivée par des critères très stricts de l'article 144 du code de procédure pénale, notamment la réitération des faits, l'absence de pression sur les témoins ou victimes, et la notion d'ordre public selon la gravité de l'infraction de l'intervenant. La détention provisoire est assujettie à des conditions qui rendent impossible une situation de liberté. Or un bracelet ne peut empêcher une évasion, surtout dans le cas de dossiers très lourds, ni des pressions sur les victimes ou de réitération des faits, particulièrement intrafamiliaux. Il est dans un sens heureux qu'il y ait peu de bracelets électroniques, qui pourraient être posés à des personnes qui n'auraient pas été placées en détention provisoire. Il s'agit de dossiers lourds, parfois criminels, avec des peines importantes. Un bracelet n'est pas nécessaire pour réaliser un pointage dans un commissaire de police, une assignation à résidence ou une interdiction de voir les personnes.
Je n'ai pas la même position que Me Dirou. Le recours au bracelet électronique s'applique essentiellement à des personnes qui auraient pu, sans cette possibilité, être placées en détention provisoire. Ce bracelet permet en outre d'éviter une réitération de l'infraction ou de se déplacer dans certaines zones. Un contrôle en temps quasi réel de ce bracelet est effectué. Je pense donc que le bracelet permet d'éviter un certain nombre de détentions provisoires. Il est parfois obtenu dans le cadre de l'instruction. Cependant, la procédure est complexe pour les magistrats. Pour les avocats, elle relève d'une simple demande de modification ou de demande de mise en liberté sous réserve de placement sous bracelet électronique. Nous ne réalisons pas les enquêtes de faisabilité, mais nous nous contentons de communiquer des éléments relatifs au domicile et à la vie privée de notre client. Des magistrats nous ont indiqué manquer d'informations pratiques sur le placement sous bracelet électronique pour envisager d'y recourir de manière massive. C'est une possible piste de réflexion.
J'envisage le recours au bracelet électronique non pas au moment du placement en détention, mais plutôt comme une possibilité de sortie, susceptible de rassurer le magistrat en matière de contrôle. Les services chargés de la vérification sont en effet très encombrés. Les pièces que nous apportons doivent être vérifiées. Il faut ensuite établir des dates de placement. Les services pénitentiaires d'insertion et de probation – SPIP – connaissent avec deux ou trois semaines d'avance le créneau de placement de bracelets électroniques. Cependant, en matière de détention provisoire, les magistrats sont également tenus à des délais, par exemple quant à la prolongation de la détention provisoire. Si le débat devant un juge des libertés et de la détention se tient peu de temps avant la date de renouvellement de la détention provisoire, il rejettera la demande de placement sous bracelet électronique, car la vérification ne pourra pas être effectuée avant la date de renouvellement. Le problème est aussi celui de la disponibilité des dispositifs. Ils sont trop peu nombreux pour être alloués à des cas de détention provisoire. Ils sont par conséquent réservés au juge d'application des peines.
Ces raisons expliquent peut-être pourquoi, dans la loi dite « confiance » récemment votée, le dispositif privilégie le placement sous bracelet lors d'un renouvellement de détention provisoire et non lors de la première décision de détention provisoire. Nous avons évoqué le transfèrement. Les maisons d'arrêt sont le nœud du problème mais, outre les prévenus, s'y trouvent également des condamnés.
Je suis très surprise par le temps nécessaire aux transfèrements. Quel est le rôle de l'avocat dans ce transfèrement ? De quels leviers d'action disposez-vous ? J'entends que le transfèrement est évité lorsque le reliquat de peine est court afin de ne pas procéder à des actes inutiles. Quand le prévenu devient condamné, il sort de prison, car sa peine était plus courte que la période effectuée en détention provisoire. Quelles améliorations pourraient être réalisées ?
Le transfèrement peut être très rapide en cas de problèmes comme des incidents pénitentiaires. Un détenu qui commet une infraction au règlement pénitentiaire est transféré dans l'heure même.
Le problème du transfèrement réside dans les peines qui font l'objet d'un aménagement. Le premier paramètre est la jurisprudence du juge d'application des peines locales. À Bordeaux, où la prison souffre de surpopulation, les aménagements sont plus fréquents que dans les centres de détention moins encombrés. Il faut également prendre en compte les cas où les détenus sont incarcérés dans des centres très éloignés du lieu de vie de leur famille. En matière criminelle, il faut passer par Fresnes, où est situé le centre national d'évaluation. Les changements de région provoquent des difficultés de transfert de dossier pour les directions régionales ou interrégionales. Plusieurs paramètres entrent donc en jeu. Les avocats pourraient disposer d'un accès plus direct avec la direction régionale pour émettre une demande, notamment pour des détenus qui se sentent menacés. La pénitentiaire ne prend pas toujours en compte ces éléments d'information dont bénéficient les avocats.
Quoiqu'avocat parisien, je connais bien le Grand-Est. La résolution des questions de transfèrement est assez aléatoire. Selon l'interlocuteur, le dossier peut être traité très rapidement, ou dans des délais beaucoup plus longs. Je rejoins les propos sur les conditions de détention parfois difficiles. Certains clients ne souhaitent en effet pas être transférés, car ils ont leurs habitudes dans une maison d'arrêt et y bénéficient d'un confort relatif. Il faut également prendre en considération le travail que le détenu a pu reprendre dans les ateliers de la maison d'arrêt. Parfois, les personnes renoncent à un transfèrement qui, objectivement, pourrait leur permettre de meilleures conditions de détention mais ne leur convient pas dans la pratique.
Concernant les pistes d'amélioration, il pourrait être envisagé d'informer l'avocat en cas de transfèrement. J'ai souvent découvert qu'un client avait été transféré sans en avoir été prévenu.
Vous nous interrogez sur nos voies de recours : ces dernières sont inexistantes. Comme l'a souligné Me Martine, lorsque nous arrivons à tenir un dialogue avec l'administration pénitentiaire, nous pouvons tenter d'accélérer les mesures de transfèrement si elles correspondent à la volonté de notre client. Cependant, le seul recours est juridique et il consisterait éventuellement, a posteriori, à engager la responsabilité de l'État. Le transfèrement a soulevé des difficultés. Il n'existe pas d'autre recours.
Je comprends donc que la situation dépend de vos interlocuteurs mais que la justice constitue votre seule manière d'agir sur le sujet précis du transfèrement. Ne disposez-vous pas d'accès à un interlocuteur privilégié à la direction de l'administration pénitentiaire ou au SPIP ?
Nous cherchons à avoir un interlocuteur au sein de l'établissement, qui peut être le SPIP ou le secrétariat de la direction de l'établissement, mais il n'existe pas d'interlocuteur identifié sur ce sujet.
L'administration pénitentiaire est difficilement lisible quant aux interlocuteurs, d'un point de vue extérieur. Nous ne disposons pas d'une porte d'entrée bien identifiée. Les réponses qui nous sont apportées ne sont pas toujours bien motivées. Elles sont parfois difficiles à comprendre et à expliquer à nos clients, ce qui peut susciter des tensions. Nous avons évoqué ceux qui ne souhaitent pas s'éloigner, mais il arrive également qu'un prévenu cherche à revenir dans un centre pénitentiaire plus proche que la maison d'arrêt où il se trouve. Ces mesures sont souvent compliquées, et les familles peinent parfois à les comprendre.
Concernant la régulation carcérale, les magistrats que nous avons auditionnés avant vous ont indiqué que le cas de Grenoble ne fonctionne pas puisque le taux d'occupation de la maison d'arrêt de Varces est redevenu préoccupant depuis la fin du confinement. Selon vous, ce type d'initiative peut-il être dupliqué ? Dispose-t-on des outils pour le faire ?
Il me paraîtrait difficile de dupliquer cette expérience en région parisienne, où il existe plusieurs prisons. C'est la principale interrogation que j'identifie. Dans des territoires où la densité de maisons d'arrêt est plus importante et dont dépendent plusieurs juridictions très proches, cette initiative serait difficile à mettre en œuvre. Elle pourrait conduire à une surcharge supplémentaire.
Il est difficile de répondre de manière tranchée à votre question. Il faudrait tout d'abord se demander si ce mécanisme de régulation carcérale devrait être imposé ou s'il devrait consister en une orientation visant à désengorger les établissements pénitentiaires. Ce mécanisme de régulation ne peut fonctionner que s'il est le corollaire d'un changement de mentalité dans les juridictions pénitentiaires. Des incarcérations sont systématiquement prononcées pour de courtes peines, alors qu'elles ont de lourdes conséquences sur les individus. Nous manquons de temps pour penser ces initiatives. Une réflexion pourrait être menée sur une réforme législative visant à établir une politique de numerus clausus qu'il faudrait définir en fonction des établissements et des régions. Cette option ne devrait pas être écartée.
Les établissements et quartiers pour mineurs d'Île-de-France ont mis en place un dispositif de stop écrou, qui semble fonctionner. Il offre la souplesse de privilégier certains établissements lorsque d'autres sont arrivés à un taux d'occupation trop élevé.
Ce dispositif risque de reporter le problème en incarcérant les détenus dans une maison d'arrêt plus lointaine. Il ne serait qu'un élément de réponse supplémentaire, en évitant la surpopulation dans un lieu sans résoudre le problème fondamental d'une trop grosse entrée en nombre de personnes en détention, en provisoire ou en exécution de peine. Presque quarante pays dans l'OCDE font mieux que la France, qui dispose d'une forte marge de progression à ce sujet avant de chercher à mieux répartir les personnes détenues dans les établissements. J'entends cependant votre propos.
Dans les années 90, une expérience a été menée à Bordeaux autour de la création d'une association de réadaptation sociale et de contrôle judiciaire, qui comptait une quarantaine de salariés, pour partie de juges d'instruction. Elle proposait de remplacer la détention provisoire par le contrôle judiciaire et notamment socio-éducatif. Pour éviter la détention, notamment sur des dossiers de violences conjugales, la personne présentée au parquet était immédiatement réorientée, logée, et se voyait proposer un travail et assigner un éducateur. L'association proposait également de lancer des traitements de soin. Ce travail en amont permettait à la personne d'arriver à l'audience avec un rapport de contrôle judiciaire socio-éducatif et d'éviter une peine d'enfermement ferme. Cette expérience, alimentée par les budgets des départements et des communes, a bien fonctionné, mais elle l'association a finalement déposé son bilan.
Plutôt que de créer des places de prison, il faut réfléchir à des places de contrôle judiciaire ou en milieu ouvert. À Bordeaux, une prison intermédiaire a été créée, sans grillage. Le milieu ouvert rencontre des problématiques liées au manque d'éducateurs, de moyens et de structures. Cependant, le milieu ouvert coûte bien moins cher que la prison.
Je vous remercie pour cet exemple. Lors du Grenelle des violences conjugales, j'avais proposé de créer des lieux d'hébergement pour auteurs de violence conjugale avec un suivi socio-éducatif – en la matière, celui d'Arras fonctionne très bien. Je pense que ces expériences devraient être multipliées. Sur mon territoire, des associations portent ces projets, mais ils sont souvent freinés par des problèmes de financement et d'acceptabilité des élus.
La première dépense à Bordeaux consistait dans l'achat du ticket de bus pour permettre aux personnes de rejoindre facilement l'établissement, où elles étaient logées immédiatement dans une chambre plutôt qu'incarcérées.
Vous mettez le doigt sur l'acceptabilité de ce projet en centre-ville plutôt qu'en ruralité profonde, à l'abri des regards, ce qui complique la prise en charge des détenus bien que cela favorise l'implantation de l'établissement sur des modalités pratiques.
Ma dernière question sera sans doute un peu provocatrice : elle concerne l'encellulement individuel. Il m'a été rapporté à plusieurs reprises que l'encellulement individuel avait pu conduire à une recrudescence de suicides, parfois le jour précis où le codétenu quitte la cellule partagée. Des demandes de cellules doubles sont parfois émises et se voient opposer de longs délais. Partagez-vous ce sentiment que la cellule double peut être une bonne solution lorsqu'elle correspond au souhait du détenu ?
Votre question est légitime et fait écho à certaines surprises qu'il m'est arrivé d'expérimenter. La situation dépend beaucoup des codétenus et de leur nombre dans la cellule. La moitié des détenus vivent dans des quartiers qui souffrent de la surpopulation. Lorsque les détenus viennent de cellules encombrées, la cellule individuelle peut être bénéfique. Dans le même temps, certains détenus qui manquent de soutien familial et ne peuvent cantiner peuvent trouver avantage à vivre avec des codétenus. Par exemple, l'un de mes clients, amené à choisir acheter un ventilateur et téléphoner à sa femme, ce qui est très coûteux en prison, était heureux de profiter du ventilateur de son codétenu. Nous restons dans tous les cas encore éloignés de l'objectif d'encellulement individuel.
À Bordeaux, les maisons d'arrêt travaillent sur les sujets de prévention du suicide avec la mise en place de référents suicide qui partagent la cellule des détenus à risque. Nos directeurs d'établissement sont mobilisés sur ce sujet. Il faudrait disposer d'une cellule par personne pour laisser le choix au détenu d'une cellule individuelle ou double. Il ne peut s'agir d'un argument dans les discussions sur la surpopulation. Il faut aussi garder à l'esprit que les maisons d'arrêt sont toujours en rénovation, les cellules ne sont pas toutes disponibles à la fois.
Votre question relève de la casuistique. Il faudrait laisser la possibilité aux détenus de décider s'ils souhaitent avoir une intimité ou conserver en permanence un lien avec les codétenus. Cependant, la question de la surpopulation est tellement prégnante aujourd'hui que ce choix serait illusoire.
J'entends que ce choix ne peut être proposé en maison d'arrêt. Lors d'auditions précédentes, j'avais posé cette question différemment : si nous disposions d'1 million d'euros, faudrait-il les utiliser pour un encadrement avec des activités, permettant par exemple au détenu de sortir plus de dix heures de sa cellule par jour, ou serait-il plus utile de consacrer ce budget à la construction de nouvelles places ? La défenseure des droits a indiqué qu'elle préférerait consacrer ce budget à la construction de nouvelles cellules.
À Gradignan, des matelas sont ajoutés aux cellules de deux ou trois détenus. Cependant, les problématiques qui nous sont rapportées ne concernent pas majoritairement ce sujet. Elles se rapportent plutôt à des demandes sur le droit de sortie ou sur la douche quotidienne. Les conditions de détention ne sont pas les mêmes pour les détenus qui vivent à trois dans une cellule ouverte et pour ceux qui ne bénéficient que d'une heure de sortie le matin. L'accès aux parloirs est également limité à deux fois par semaine pour les détentions provisoires et trois pour les condamnés. De nombreux détenus demandent aussi à pouvoir travailler. Le chômage pénitentiaire est un sujet important. La prison est en outre un monde très violent où les problématiques de racket soulèvent la question de la sécurité. Certains détenus évitent les promenades pour cette raison. Le problème d'encellulement semble plus théorique. Il est souvent abordé dans les colloques, mais bien plus rarement lorsque nous nous rendons en maison d'arrêt.
Je comprends que l'encellulement individuel rejoint un questionnement philosophique qui remonte à 1870, mais les cas concrets soulèvent moins ce sujet.
La demande d'encellulement individuel peut être entendue. Toutefois, parmi de nombreuses autres requêtes touchant à la sécurité, la télévision, la promenade, la qualité de la nourriture, l'accès à la douche. À Gradignan, les détenus n'avaient droit à une douche que tous les deux jours jusqu'à récemment.
Je vous remercie. Si vous avez des contributions écrites à nous envoyer, vous pourrez les faire parvenir au secrétariat de notre commission.
La réunion se termine à dix-sept heures trente.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Françoise Ballet-Blu, Mme Aude Bono-Vandorme
Excusés. - M. Philippe Benassaya, M. Alain Bruneel, M. Alain David, Mme Séverine Gipson