Intervention de Guillaume Martine

Réunion du mercredi 17 novembre 2021 à 16h00
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Guillaume Martine, avocat au barreau de Paris :

J'orienterai mon intervention sur la question de la détention provisoire. Le traitement des dysfonctionnements du système pénitentiaire et de sa conséquence la plus visible qu'est la surpopulation nécessite d'aborder ce sujet.

Me Kessel rappelait le manque d'habitude d'aménager les peines ou de prononcer des aménagements de peine ab initio. Je pense également qu'une question d'habitude intervient en matière de détention provisoire. La comparaison des chiffres français avec ceux des autres pays de l'OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques – en témoigne. En France, entre un quart et un tiers des personnes incarcérées le sont au titre de la détention provisoire. Elles ne sont pas condamnées et sont même présumées innocentes. Ces personnes sont incarcérées dans des maisons d'arrêt ou des quartiers de maisons d'arrêt où se concentre le problème de la surpopulation carcérale. Un peu plus de 19 000 des 69 000 personnes incarcérées sont en détention provisoire.

Or les quartiers des maisons d'arrêt accueillent des personnes prévenues, mais également des personnes en courte peine. Les chiffres du ministère montrent qu'en moyenne, la densité carcérale atteint 134 % en maison d'arrêt. Cette surpopulation concerne 131 établissements pénitentiaires, parmi lesquels 89 présentent un taux supérieur à 120 %. Dans ces 89 établissements, 37 594 personnes sont incarcérées, dont 19 000 en détention provisoire et 16 000 autres en courte peine qui pâtissent également de la surpopulation carcérale. Selon les chiffres du Conseil de l'Europe, la France fait partie des six, sept ou huit pays dans lesquels le taux de personnes incarcérées au titre de la détention provisoire est le plus élevé. Ces chiffres interrogent notre politique pénale en matière de placement en détention provisoire. Ces placements sont peut-être effectués un peu trop facilement. Il est en outre parfois difficile de sortir de détention provisoire dans certains dossiers.

J'ai évoqué le mode de placement en détention provisoire effectué chaque année. À l'heure actuelle, 19 000 places sont dénombrées en détention provisoire mais, en 2020, 44 000 personnes ont été placées en détention provisoire. La durée peut varier de quelques jours à plusieurs mois.

Les habitudes sont conditionnées par des facteurs matériels. Certains juges d'instruction m'ont expliqué ne pas effectuer de placement sous bracelet électronique dans le cadre de l'information judiciaire, bien que ce soit possible. Le bracelet électronique, qui assure des garanties de contrôle sur les personnes et qui constituerait une alternative à la détention provisoire prévue par les textes pour être étudiée avant l'incarcération, est assez rarement utilisé. Le manque de bracelets électroniques pousse certains juges d'instruction à réserver leur recours au juge d'application des peines.

La détention entraîne un double problème : la surpopulation carcérale, qui aboutit à des problématiques de dignité en détention, et la qualité de l'exercice des droits de la défense. Ces droits ne s'exercent pas de la même façon lorsque le client se trouve ou non en détention. L'accès au dossier pénal est extrêmement variable d'une maison d'arrêt à l'autre, et il faut parfois attendre plusieurs semaines pour que le client puisse accéder à son à son dossier. Cette problématique n'intervient pas lorsque les personnes sont libres.

Au-delà de l'aspect surpopulation carcérale dans les maisons d'arrêt, le régime carcéral n'est pas le même. Généralement, les personnes condamnées bénéficient d'un régime carcéral un peu plus souple, avec des possibilités de circuler plus importantes. Une anecdote m'a marqué. Je me trouvais avec un client en liberté après avoir exécuté une peine à la maison d'arrêt de Nancy. Nous étions dans les premiers jours du mois d'octobre, et il y avait du brouillard. Ce client m'a raconté que le brouillard affectait les personnes en détention provisoire à la maison d'arrêt de Nancy, car contrairement aux détenus en exécution de peine qui pouvaient circuler librement, ils ne bénéficiaient que d'une heure de promenade le matin, qui était annulée en cas de brouillard. Il s'agit peut-être d'un détail, mais qui révèle la difficulté que rencontrent ces personnes.

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