Intervention de Claire Mérigonde

Réunion du jeudi 25 novembre 2021 à 9h00
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Claire Mérigonde, sous-directrice de l'insertion et de la probation à la direction de l'administration pénitentiaire :

Je vous remercie de prendre le temps de vous consacrer à l'activité de l'insertion et de la probation, qui se trouve au cœur des missions de l'administration pénitentiaire. Les services pénitentiaires d'insertion et de probation – SPIP – en sont les principaux acteurs, même s'ils sont souvent ignorés du grand public. Ils remplissent pourtant une mission essentielle de suivi des publics-justice, en milieu ouvert comme en milieu fermé. Ces dernières années, ils se sont fortement professionnalisés, faisant preuve d'une grande capacité d'adaptation aux réformes législatives successives. Ces dernières constituent le socle de la politique pénitentiaire visant à la prévention de la récidive et à la lutte contre la surpopulation carcérale.

Les SPIP, acteurs essentiels de la prévention de la récidive, sont des services à compétence départementale. Dirigés par un corps de direction, ils ont été créés en 1999 et sont issus d'une fusion entre les anciens comités de probation et d'assistance aux libérés et les anciens services sociaux éducatifs, qui intervenaient jusqu'alors en établissements pénitentiaires auprès des personnes détenues. Depuis 1999, les SPIP ont dû s'adapter aux évolutions de leurs missions et des enjeux de la politique pénale. Au nombre de 103, en métropole et en outre-mer, ils occupent une place centrale sur le champ de l'exécution de la peine, et sont identifiés comme services de l'État sur leur ressort territorial. Ils sont dotés de 6 517 personnels, qui prennent en charge 248 709 personnes sous main de justice, dont 165 777 en milieu ouvert et près de 82 932 sous écrou, dont 69 000 personnes détenues – il s'agit des derniers chiffres dont nous disposons.

Au fil des années, les SPIP ont accompagné l'évolution de la politique en matière d'exécution des peines, marquée par le développement de l'alternative à l'incarcération et des aménagements de peine, en adaptant leur organisation et en développant des partenariats spécifiques. La surveillance électronique mise en place ces quinze dernières années dans les SPIP en représente un exemple notable. Elle a nécessité l'intégration progressive de personnels de surveillance dans les services. Cet aménagement a connu un essor très important et représente aujourd'hui 14 460 placements sous surveillance électronique, auxquels s'ajoutent 44 placements sous surveillance électronique mobile.

Les SPIP ont construit une identité propre, en mettant en œuvre une prise en charge axée autour de la réinsertion des personnes et de la sortie de délinquance de l'ensemble des publics qui leur sont confiés. Au-delà des entretiens individuels, les prises en charge en groupe s'y sont largement développées. La pluridisciplinarité s'est aussi installée et est venue renforcer l'action des services. Le recrutement de psychologues, d'assistants de service social, de personnels de surveillance, de binômes de soutien dans le cadre de la lutte contre la radicalisation violente et de coordinateurs d'activités socioculturelles a permis d'enrichir l'offre de prise en charge des SPIP et d'adapter au mieux le cadre de leur mission aux évolutions de la délinquance et aux enjeux de la sécurité publique. Concernant les personnels, les effectifs de référence en cours de finalisation viennent achever ce travail en déterminant des ratios alignés sur les normes européennes, de manière à favoriser un accompagnement adapté au profil de chaque personne suivie, tant en milieu ouvert qu'en milieu fermé.

Près de dix ans après leur création, la circulaire du directeur de l'administration pénitentiaire du 19 mars 2008 relative aux missions et méthodes d'intervention a clarifié les compétences et missions confiées aux SPIP, recentrées sur la prévention de la récidive, en précisant qu'ils participent activement à l'aide à la décision judiciaire. La loi pénitentiaire de novembre 2009 a précisé les missions de l'administration pénitentiaire, notamment à l'article 2, qui dispose que le service public pénitentiaire participe à l'exécution des sanctions pénales. La période 2013-2016 a été riche en réflexion pour l'administration pénitentiaire et les SPIP. En effet, la conférence de consensus installée par Mme Taubira a permis d'établir un bilan des données probantes issues de la diffusion des règles de la recherche internationale, et a offert à l'administration pénitentiaire l'occasion de s'engager dans un processus de diffusion des règles européennes de la probation.

C'est dans le prolongement des principes d'action des recommandations de la conférence de consensus que s'inscrit la loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales. La prison n'offrant à la société qu'une sécurité provisoire en ne la préservant que très faiblement de la réitération d'actes délictueux, elle ne doit plus être la référence unique de l'échec des peines. Cette démarche a conduit à la création de la contrainte pénale, une forme de probation clairement distincte et indépendante de l'incarcération. La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, ou LPJ, a ouvert de nouvelles perspectives pour la probation en France en proposant une refonte de l'économie d'ensemble du dispositif de sanctions et de l'échelle des peines, afin de sortir du systématisme de la peine d'emprisonnement. Il s'agit de supprimer les peines les plus courtes en développant des peines autonomes et alternatives, ainsi qu'en facilitant les conditions de leur prononcé dès la phase de jugement. La politique initiée par la LPJ s'inscrit clairement dans une lutte contre la surpopulation carcérale, autour de quatre principes phares : éviter les peines fermes de moins de six mois, particulièrement désocialisantes, en s'assurant qu'elles soient des alternatives effectives à une peine d'incarcération, dès l'audience ; éviter les sorties sèches, afin de privilégier un accompagnement en milieu ouvert à l'issue de la détention ; développer les peines alternatives à la détention provisoire à l'égard des personnes présumées innocentes ; prévenir la récidive en effectuant des suivis en fonction des problèmes et des besoins criminogènes de la personne condamnée, grâce à l'adoption de méthodes de probation scientifiquement validées.

La LPJ s'est accompagnée de moyens, créant notamment 15 000 places de détention et 1 500 emplois en SPIP. Cette démarche est originale car il est rare qu'une réforme pénale soit concomitante à l'attribution de moyens immobiliers et en ressources humaines. La loi de finances 2014 avait déjà permis de créer 1 000 emplois supplémentaires entre 2014 et 2017 ; la LPJ en a généré 1 500 de plus. Par ailleurs, 100 emplois de CPIP contractuels ont été créés en fin d'année 2020, dans le cadre du renforcement de la justice de proximité. La LPJ a développé de nouvelles mesures pour répondre aux besoins des personnes condamnées, parmi lesquelles la libération sous contrainte et la détention à domicile sous surveillance électronique – DDSE – peine.

Cette réforme pénale s'est accompagnée sur le terrain d'une circulaire et de fiches pratiques à destination des tribunaux correctionnels, afin de contribuer à développer les aménagements de peine ab initio. La direction de l'administration pénitentiaire a mis en place des programmes clés en main contenant des modules permettant de travailler sur les facteurs de récidive que sont notamment la recherche d'adhésion, le renforcement du capital humain et social, prérequis à toute autre action d'insertion, notamment professionnelle. Ces programmes s'inscrivent dans la continuité du travail mené autour des méthodes d'intervention en SPIP, qui s'est tout d'abord matérialisé par la rédaction et le déploiement du référentiel des pratiques opérationnelles – RPO – numéro 1, détaillant la méthodologie d'intervention des SPIP.

Comme l'a démontré la crise sanitaire, notamment le premier confinement, les SPIP disposent d'une véritable capacité d'adaptation. Cette capacité a été coordonnée par l'ensemble des autorités judiciaires et par les établissements pénitentiaires sur le volet des greffes. Pour faire face à l'épidémie de covid 19, des mesures ont été prévues par l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédures pénales sur le fondement de la loi d'urgence du 23 mars 2020. L'application de ces mesures a donné lieu à 7 000 libérations anticipées, à la limitation des écrous entrants liée à une baisse d'activité des juridictions. Nous avons ainsi constaté une baisse importante de la population carcérale, avec un taux de suroccupation tombant de 119 % avant la crise à 98 % à l'issue du premier déconfinement. L'objectif de l'application de l'ordonnance était de favoriser une collaboration efficace et rapide entre les services des greffes, les autorités judiciaires et les SPIP afin de diminuer la pression carcérale et de réduire la promiscuité, et donc le risque de contagion entre personnes détenues. Ces dispositions ont été prises en corrélation avec la situation en milieu ouvert, dans un souci de temporalité pour éviter tout incident au sein des établissements pénitentiaires. Ces sorties anticipées se sont organisées dans un cadre maîtrisé et ont permis de garantir un climat plus serein en détention, limitant les incidents et garantissant aux personnels de meilleures conditions de travail, qui sont par ailleurs particulièrement difficiles.

Ainsi, au cours des quarante dernières années, certaines lois ont occasionné des diminutions ou des stagnations provisoires du nombre de détenus. Néanmoins, aucun effet durable n'a résulté de ces différentes réformes. Structurellement, la population pénale augmente depuis quarante ans, à rebours de ce qu'on observe dans de nombreux pays voisins. Ainsi, on peut s'interroger sur l'efficacité de la peine d'emprisonnement. Pourtant, la lutte contre la surpopulation carcérale constitue un enjeu majeur, au service d'une politique qui doit viser le sens et l'efficacité de la sanction pénale. Il s'agit également de garantir la prise en charge des publics dans de bonnes conditions, ainsi que d'offrir aux personnels des conditions de travail leur permettant de réaliser leur mission de sécurité et d'assurer la réinsertion de l'ensemble de nos publics.

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