Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Jeudi 25 novembre 2021
La séance est ouverte à neuf heures.
(Présidence de M. Philippe Benassaya, président de la commission)
Cette commission a été créée à la demande du groupe Les Républicains en vue d'identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française. Nous nous sommes fixé un vaste cadre d'investigation. Nous entamons aujourd'hui une séquence consacrée à la réinsertion. Nous poursuivrons notre journée avec l'audition de la Conférence nationale des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation.
Ce sujet est très important pour notre commission d'enquête et a constitué un véritable fil rouge tout au long de nos travaux, dans le cadre des multiples auditions déjà réalisées et de nos visites de terrain. Les membres de la commission sont convaincus qu'un système carcéral intelligent et efficace doit rendre possible la réinsertion d'un maximum de détenus une fois leur peine purgée, et ce qu'elle qu'en soit la durée. La réinsertion constitue en outre un instrument de lutte contre la récidive. J'ajoute que nous avons déjà reçu l'ensemble des organisations syndicales de l'administration pénitentiaire, y compris celles représentant les différents corps de métier de l'insertion et de la probation.
Notre commission d'enquête est partie de la problématique liée au parc pénitentiaire. Nous avons ensuite abordé la question de la surpopulation et toutes les thématiques liées à l'humain, comme les conditions de détention ou encore les conditions de travail des surveillants. Nous avons parlé de la capacité de tous les partenaires de la justice à travailler sur la radicalisation, la réinsertion, la lutte contre la récidive, etc. Nous avons discuté de l'éducation nationale, de l'activité, de la culture, de la religion et de la santé en détention. Nous savons bien évidemment que la période qui suit la détention est tout aussi importante, et qu'elle constitue un temps décisif.
Cette matinée étant largement consacrée à l'insertion, nous souhaiterions aborder l'évolution à travers le temps des capacités de la justice à placer des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation – CPIP – en face des détenus toujours plus nombreux. Au-delà de cet élément quantitatif, nous voudrions creuser la question du qualitatif en nous intéressant à la façon dont vous travaillez.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
(Mme Claire Mérigonde et Mme Patricia Théodose prêtent successivement serment.)
Je vous remercie de prendre le temps de vous consacrer à l'activité de l'insertion et de la probation, qui se trouve au cœur des missions de l'administration pénitentiaire. Les services pénitentiaires d'insertion et de probation – SPIP – en sont les principaux acteurs, même s'ils sont souvent ignorés du grand public. Ils remplissent pourtant une mission essentielle de suivi des publics-justice, en milieu ouvert comme en milieu fermé. Ces dernières années, ils se sont fortement professionnalisés, faisant preuve d'une grande capacité d'adaptation aux réformes législatives successives. Ces dernières constituent le socle de la politique pénitentiaire visant à la prévention de la récidive et à la lutte contre la surpopulation carcérale.
Les SPIP, acteurs essentiels de la prévention de la récidive, sont des services à compétence départementale. Dirigés par un corps de direction, ils ont été créés en 1999 et sont issus d'une fusion entre les anciens comités de probation et d'assistance aux libérés et les anciens services sociaux éducatifs, qui intervenaient jusqu'alors en établissements pénitentiaires auprès des personnes détenues. Depuis 1999, les SPIP ont dû s'adapter aux évolutions de leurs missions et des enjeux de la politique pénale. Au nombre de 103, en métropole et en outre-mer, ils occupent une place centrale sur le champ de l'exécution de la peine, et sont identifiés comme services de l'État sur leur ressort territorial. Ils sont dotés de 6 517 personnels, qui prennent en charge 248 709 personnes sous main de justice, dont 165 777 en milieu ouvert et près de 82 932 sous écrou, dont 69 000 personnes détenues – il s'agit des derniers chiffres dont nous disposons.
Au fil des années, les SPIP ont accompagné l'évolution de la politique en matière d'exécution des peines, marquée par le développement de l'alternative à l'incarcération et des aménagements de peine, en adaptant leur organisation et en développant des partenariats spécifiques. La surveillance électronique mise en place ces quinze dernières années dans les SPIP en représente un exemple notable. Elle a nécessité l'intégration progressive de personnels de surveillance dans les services. Cet aménagement a connu un essor très important et représente aujourd'hui 14 460 placements sous surveillance électronique, auxquels s'ajoutent 44 placements sous surveillance électronique mobile.
Les SPIP ont construit une identité propre, en mettant en œuvre une prise en charge axée autour de la réinsertion des personnes et de la sortie de délinquance de l'ensemble des publics qui leur sont confiés. Au-delà des entretiens individuels, les prises en charge en groupe s'y sont largement développées. La pluridisciplinarité s'est aussi installée et est venue renforcer l'action des services. Le recrutement de psychologues, d'assistants de service social, de personnels de surveillance, de binômes de soutien dans le cadre de la lutte contre la radicalisation violente et de coordinateurs d'activités socioculturelles a permis d'enrichir l'offre de prise en charge des SPIP et d'adapter au mieux le cadre de leur mission aux évolutions de la délinquance et aux enjeux de la sécurité publique. Concernant les personnels, les effectifs de référence en cours de finalisation viennent achever ce travail en déterminant des ratios alignés sur les normes européennes, de manière à favoriser un accompagnement adapté au profil de chaque personne suivie, tant en milieu ouvert qu'en milieu fermé.
Près de dix ans après leur création, la circulaire du directeur de l'administration pénitentiaire du 19 mars 2008 relative aux missions et méthodes d'intervention a clarifié les compétences et missions confiées aux SPIP, recentrées sur la prévention de la récidive, en précisant qu'ils participent activement à l'aide à la décision judiciaire. La loi pénitentiaire de novembre 2009 a précisé les missions de l'administration pénitentiaire, notamment à l'article 2, qui dispose que le service public pénitentiaire participe à l'exécution des sanctions pénales. La période 2013-2016 a été riche en réflexion pour l'administration pénitentiaire et les SPIP. En effet, la conférence de consensus installée par Mme Taubira a permis d'établir un bilan des données probantes issues de la diffusion des règles de la recherche internationale, et a offert à l'administration pénitentiaire l'occasion de s'engager dans un processus de diffusion des règles européennes de la probation.
C'est dans le prolongement des principes d'action des recommandations de la conférence de consensus que s'inscrit la loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales. La prison n'offrant à la société qu'une sécurité provisoire en ne la préservant que très faiblement de la réitération d'actes délictueux, elle ne doit plus être la référence unique de l'échec des peines. Cette démarche a conduit à la création de la contrainte pénale, une forme de probation clairement distincte et indépendante de l'incarcération. La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, ou LPJ, a ouvert de nouvelles perspectives pour la probation en France en proposant une refonte de l'économie d'ensemble du dispositif de sanctions et de l'échelle des peines, afin de sortir du systématisme de la peine d'emprisonnement. Il s'agit de supprimer les peines les plus courtes en développant des peines autonomes et alternatives, ainsi qu'en facilitant les conditions de leur prononcé dès la phase de jugement. La politique initiée par la LPJ s'inscrit clairement dans une lutte contre la surpopulation carcérale, autour de quatre principes phares : éviter les peines fermes de moins de six mois, particulièrement désocialisantes, en s'assurant qu'elles soient des alternatives effectives à une peine d'incarcération, dès l'audience ; éviter les sorties sèches, afin de privilégier un accompagnement en milieu ouvert à l'issue de la détention ; développer les peines alternatives à la détention provisoire à l'égard des personnes présumées innocentes ; prévenir la récidive en effectuant des suivis en fonction des problèmes et des besoins criminogènes de la personne condamnée, grâce à l'adoption de méthodes de probation scientifiquement validées.
La LPJ s'est accompagnée de moyens, créant notamment 15 000 places de détention et 1 500 emplois en SPIP. Cette démarche est originale car il est rare qu'une réforme pénale soit concomitante à l'attribution de moyens immobiliers et en ressources humaines. La loi de finances 2014 avait déjà permis de créer 1 000 emplois supplémentaires entre 2014 et 2017 ; la LPJ en a généré 1 500 de plus. Par ailleurs, 100 emplois de CPIP contractuels ont été créés en fin d'année 2020, dans le cadre du renforcement de la justice de proximité. La LPJ a développé de nouvelles mesures pour répondre aux besoins des personnes condamnées, parmi lesquelles la libération sous contrainte et la détention à domicile sous surveillance électronique – DDSE – peine.
Cette réforme pénale s'est accompagnée sur le terrain d'une circulaire et de fiches pratiques à destination des tribunaux correctionnels, afin de contribuer à développer les aménagements de peine ab initio. La direction de l'administration pénitentiaire a mis en place des programmes clés en main contenant des modules permettant de travailler sur les facteurs de récidive que sont notamment la recherche d'adhésion, le renforcement du capital humain et social, prérequis à toute autre action d'insertion, notamment professionnelle. Ces programmes s'inscrivent dans la continuité du travail mené autour des méthodes d'intervention en SPIP, qui s'est tout d'abord matérialisé par la rédaction et le déploiement du référentiel des pratiques opérationnelles – RPO – numéro 1, détaillant la méthodologie d'intervention des SPIP.
Comme l'a démontré la crise sanitaire, notamment le premier confinement, les SPIP disposent d'une véritable capacité d'adaptation. Cette capacité a été coordonnée par l'ensemble des autorités judiciaires et par les établissements pénitentiaires sur le volet des greffes. Pour faire face à l'épidémie de covid 19, des mesures ont été prévues par l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédures pénales sur le fondement de la loi d'urgence du 23 mars 2020. L'application de ces mesures a donné lieu à 7 000 libérations anticipées, à la limitation des écrous entrants liée à une baisse d'activité des juridictions. Nous avons ainsi constaté une baisse importante de la population carcérale, avec un taux de suroccupation tombant de 119 % avant la crise à 98 % à l'issue du premier déconfinement. L'objectif de l'application de l'ordonnance était de favoriser une collaboration efficace et rapide entre les services des greffes, les autorités judiciaires et les SPIP afin de diminuer la pression carcérale et de réduire la promiscuité, et donc le risque de contagion entre personnes détenues. Ces dispositions ont été prises en corrélation avec la situation en milieu ouvert, dans un souci de temporalité pour éviter tout incident au sein des établissements pénitentiaires. Ces sorties anticipées se sont organisées dans un cadre maîtrisé et ont permis de garantir un climat plus serein en détention, limitant les incidents et garantissant aux personnels de meilleures conditions de travail, qui sont par ailleurs particulièrement difficiles.
Ainsi, au cours des quarante dernières années, certaines lois ont occasionné des diminutions ou des stagnations provisoires du nombre de détenus. Néanmoins, aucun effet durable n'a résulté de ces différentes réformes. Structurellement, la population pénale augmente depuis quarante ans, à rebours de ce qu'on observe dans de nombreux pays voisins. Ainsi, on peut s'interroger sur l'efficacité de la peine d'emprisonnement. Pourtant, la lutte contre la surpopulation carcérale constitue un enjeu majeur, au service d'une politique qui doit viser le sens et l'efficacité de la sanction pénale. Il s'agit également de garantir la prise en charge des publics dans de bonnes conditions, ainsi que d'offrir aux personnels des conditions de travail leur permettant de réaliser leur mission de sécurité et d'assurer la réinsertion de l'ensemble de nos publics.
J'aurais voulu connaître l'évolution des effectifs des SPIP dans le temps. En effet, la population carcérale ne fait qu'augmenter. Qu'en est-il de vos effectifs ?
Selon les données des ressources humaines disponibles, le nombre de CPIP est passé de 1 347 au 1er janvier 2007 à 3 514 au 1er janvier 2021.
L'augmentation du nombre de détenus s'accompagne d'un véritable changement de paradigme, avec une nouvelle méthode de travail pour s'occuper de la population carcérale.
La semaine dernière, lors de l'audition de la direction des affaires criminelles et des grâces – DACG –, nous avons appris que les alternatives à la peine de prison avaient connu une augmentation, il me semble qu'elles sont passées de 3 à 18 % des peines prononcées. Constatez-vous ce phénomène vous aussi, bien qu'il soit inférieur à ce qu'on pourrait espérer ?
La DACG vous a sans doute parlé des aménagements de peine ab initio. Cette augmentation est un effet de la réforme 2018-2022, qui incite fortement au prononcé de peines ab initio sur la base d'enquêtes sociales rapides – ESR – plus étoffées. Les chiffres dont nous disposons indiquent que les aménagements de peine représentaient 2 % des peines prononcées ab initio par les chambres correctionnelles en 2019, contre 14 % fin 2020.
Ces données montrent que la réforme n'a pas été inutile. Pensez-vous que nous soyons encore dans une période d'appropriation par les juges, et que ces aménagements de peine pourraient être encore davantage prononcés ces prochaines années ? Ou, au contraire, considérez-vous que nous avons atteint le stade de retombées maximal ? Selon vous, la majorité qui a porté ce projet est-elle passée à côté d'un aspect du sujet ? Aurions-nous, en tant que législateurs, pu faire autrement ?
Cette réforme, qui avait vocation à développer les aménagements de peine ab initio, a produit ses effets et a contribué à encourager les présidents de chambres correctionnelles à entrer en lien avec les services d'application des peines. L'aménagement des peines constitue également un sujet d'appropriation. En effet, cette question relevait naturellement de la compétence du service d'application des peines.
L'amélioration de 2 à 14 % ne signifie pas que nous ne devons pas poursuivre nos efforts. Dans cette optique, nous devons continuer à développer un certain nombre d'outils déjà existant et à les diffuser auprès des juridictions. Je pense par exemple à l'élaboration d'une trame d'ESR harmonisée à l'échelle du territoire national, où apparaissent des éléments susceptibles d'éclairer les décisions des présidents des tribunaux correctionnels, notamment sur les aménagements de peine possibles auprès de la personne condamnée. Les informations ainsi rassemblées sont collectées par le SPIP ou par le milieu associatif. Cette trame devra être retravaillée avec les associations pour les sortir de leur seul rôle de collectrices d'informations. L'objectif est qu'elles soient en mesure de procéder à des propositions grâce à des formations auxquelles les SPIP doivent participer pour leur apporter leur aide.
Il existe en outre des outils comme la fiche destinée aux juridictions présentant l'offre de services du SPIP, l'ensemble des stages mis en œuvre, des aménagements de peine et des places de semi-liberté dont il dispose, les délais dans lesquels il est en mesure de réaliser des poses dans le cadre de la surveillance électronique. Cette fiche rassemble tous les éléments de nature à doter les chambres correctionnelles d'une meilleure connaissance de l'action du SPIP sur le département. Il s'agit d'une question d'acculturation. Auparavant, les relations avaient lieu entre le SPIP, le service d'application des peines et le service d'exécution des peines – SEP. Depuis la mise en œuvre de la LPJ, ces relations ont élargi leur périmètre et s'étendent du SPIP aux chambres correctionnelles en passant par le SEP.
Cette réforme présente l'avantage de remettre la question de la peine au cœur de la décision. Dans le cadre de l'accompagnement de la mise en œuvre de la LPJ, nous avons organisé des réunions avec l'ensemble des chefs de cour pour assurer un suivi de la réforme. Un accompagnement plus spécifique a en outre été mené auprès de dix-sept sites pilotes. Ce qui ressort de nos discussions, c'est qu'auparavant, la question de la peine n'était pas au cœur du procès, ou l'était moins. La réforme a le mérite de replacer la question de la peine au cœur de la décision du tribunal correctionnel.
Il existe également des outils qui contribuent à aider le magistrat dans sa décision. Je pense par exemple à l'ESR, à la fiche destinée au président du tribunal correctionnel, ainsi qu'à une plateforme sur le travail d'intérêt général – TIG –, qui permet à la juridiction de disposer d'une vue d'ensemble des postes de TIG disponibles dans son ressort. En 2022, une cartographie des placements extérieurs sera également déployée, sur le même modèle que pour les TIG.
L'administration pénitentiaire fournit de réels efforts pour faire connaître les modalités de prise en charge qu'elle peut proposer concrètement dans le cadre d'un aménagement de peine. Au-delà du nombre de places de TIG et de placements extérieurs, l'idée consiste à faire connaître l'offre de services, les actions et les programmes que l'administration pénitentiaire peut mettre en œuvre directement pour donner du contenu aux aménagements de peine. Nous sommes bien confrontés à une forme d'acculturation progressive. La crise sanitaire n'a pas aidé à l'appropriation de ces outils. Toutefois, elle a fait baisser la pression carcérale, nous offrant de meilleures conditions pour la mise en œuvre de la réforme.
Au bout d'un an et demi, nous constatons tout de même une appropriation progressive, avec une augmentation des aménagements de peine, notamment ab initio, fruit de la réforme. Pour nous, le domaine que nous devons encore faire évoluer est le champ présentenciel. En effet, le développement de l'assignation à résidence avec surveillance électronique – ARSE – et de l'alternative à la détention provisoire que l'on espérait n'a pas eu lieu. En dépit des efforts fournis, ce sujet reste beaucoup plus compliqué. L'ARSE existait déjà avant la LPJ, qui l'a toutefois renforcée, mais nous constatons que ce dispositif n'est pas encore entré dans les pratiques des juridictions.
Comment se passent vos relations avec vos partenaires, notamment les services de l'État, les collectivités territoriales et les associations ?
Je souhaiterais également faire un point sur les structures d'accompagnement vers la sortie. Combien de SAS ont été créées, et comment voyez-vous leur évolution ?
Un des objectifs de la réforme consistait à ce que les SPIP aient des interlocuteurs dédiés à l'échelle départementale, qu'il s'agisse de partenaires institutionnels ou associatifs. Nous collaborons notamment avec les mairies dans le cadre de contrats locaux de sécurité. Les DPIP – directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation – participent également aux dispositifs territoriaux de concertation, aux comités départementaux, aux conseils départementaux de prévention de la délinquance, ou CDPD. Parfois, la collectivité cofinance également certaines de nos actions. Elle peut nous prêter ses locaux dans le cadre de la mise en œuvre de stages, par exemple sur la citoyenneté ou la sécurité routière.
En ce qui concerne nos partenaires institutionnels, la préfecture est fortement associée au travail du SPIP, notamment pour décliner la politique via le fonds interministériel de prévention de la délinquance. La préfecture est aussi associée au SPIP dans le cadre de la politique de repérage et de lutte contre la radicalisation, réalisée par un certain nombre de services. Elle agit de façon plus ou moins opérante, notamment en Île-de-France et dans les régions accueillant beaucoup de ces publics spécifiques auxquels nous nous adaptons depuis quelques années.
Certains opérateurs nationaux figurent également parmi nos partenaires. Nous avons signé des conventions tant sur le milieu ouvert que le milieu fermé avec Pôle emploi, avec des missions locales. Actuellement, quarante-huit conventions sont signées au niveau de la sous-direction de l'insertion et de la probation, couvrant à la fois les champs de l'activité culturelle, de l'enseignement, de l'accès aux droits, notamment avec les CAF et les CPAM – les caisses d'allocations familiales et les caisses primaires d'assurance maladie. Ce travail est en cours, l'accès aux droits étant une thématique majeure pour l'ensemble des publics en milieu ouvert et fermé.
Les SAS sont des quartiers livrés pour partie en 2021. Il s'agit d'anciennes structures qui ont été transformées, et 2 000 places en SAS sont prévues. La volonté derrière la création de ces structures est de diversifier les modalités de prise en charge. Elles ont vocation à faire l'intermédiaire entre le milieu fermé et le milieu ouvert, en permettant de développer des plateaux techniques, outillés notamment sur les questions de l'accès aux droits et du partenariat. Les SAS ont pour objectif la prise en charge de publics dont le reliquat de peine est inférieur ou égal à deux ans, et ayant vocation à retrouver le milieu ouvert dans le cadre d'un aménagement d'une exécution de peine. Il s'agit de publics dont nous souhaitons développer la capacité à s'autonomiser, et auxquels nous proposons d'adhérer aux prises en charge proposées par le SPIP, individuelles comme collectives. Pour l'instant, les places livrées se trouvent dans les SAS de Marseille, de Gradignan, de Poitiers, de Seysses, de Longuenesse. D'autres SAS sont en projet, nous vous enverrons la liste des projets avec le nombre de places et les échéances de livraison.
La mise en œuvre de la LPJ s'est accompagnée du déploiement d'outils pour permettre aux juridictions de s'approprier la réforme. Je comprends que l'on pourrait faire encore mieux, par exemple avec la trame d'ESR qui gagnerait à être développée. Auriez-vous des pistes d'amélioration à nous proposer concernant l'ARSE ? Selon vous, devons-nous revenir sur le texte ou pourrait-on essayer de développer des outils similaires dans le domaine du présentenciel ?
Je vois difficilement comment faire progresser les ARSE. Cette disposition existe depuis plusieurs années. Les SPIP interviennent, procèdent aux poses et aux déposes du matériel, informent le magistrat instructeur des incidents éventuels, sollicitent les consignes en matière de remontées d'informations, de modifications horaires. Toutefois, les magistrats instructeurs ne sont pas les partenaires naturels des SPIP. Les partenaires naturels et historiques des SPIP sont le service d'application des peines et le SEP. La LPJ a étendu ce périmètre aux présidents de chambres correctionnelles, qui sont informés de ce que le service peut proposer. Le SPIP répond à leur questionnement pour les rassurer sur le fait que la peine en milieu ouvert reste une peine, et que le suivi des SPIP est exigeant. Néanmoins, le juge d'instruction est encore plus éloigné des SPIP que les présidents de chambres correctionnelles.
Nous nous heurtons souvent à des problématiques matérielles. Nous nous retrouvons face à des magistrats qui ne connaissent pas bien les SPIP, et qui ne disposent pas forcément de tous les éléments pertinents quand ils rédigent leur jugement, ne serait-ce que d'un répertoire des SPIP. Ces détails peuvent freiner la mise en œuvre des alternatives à l'incarcération. Une ordonnance d'ARSE n'entraîne pas de placement sous écrou. Pour le magistrat instructeur, il s'agit d'un dossier plus lourd à gérer que celui d'une personne envoyée en détention, un greffe pénitentiaire prenant le relais. Les magistrats ont déjà une charge très lourde, et il est plus compliqué de suivre les alertes sur l'évolution de la mesure. Bien sûr, les SPIP sont les interlocuteurs capables de faire remonter les éventuels incidents, mais ce type de dossier est parfois perçu comme plus compliqué à gérer.
Nous voyons bien que prononcer des alternatives à l'incarcération relève d'une véritable acculturation. La peine naturelle demeure l'emprisonnement, même dans un contexte présentenciel. En effet, l'emprisonnement est davantage perçu comme une mesure présentant des gages de sécurité suffisants. Ces dernières années, nous avons également beaucoup travaillé à rassurer sur la surveillance électronique, en expliquant que ce dispositif fonctionne. Nous avons actuellement près de 14 000 mesures, et nous étions arrivés à près de 16 000 mesures il y a un an après le premier confinement. Les juges de l'application des peines et des tribunaux correctionnels se sont approprié cette mesure. Ce n'est toutefois pas encore le cas de l'ARSE, où les chiffres restent assez faibles.
J'ai l'impression que la procédure de la détention provisoire est assez simple et maîtrisée, et qu'elle prend moins de temps et d'énergie au juge d'instruction que l'ARSE, qu'il ne connaît pas encore très bien et sur laquelle il manque peut-être d'éléments, d'autant que ce partenariat avec le SPIP ne lui est effectivement pas naturel. Pensez-vous qu'il faille alourdir la procédure d'un côté ou l'alléger de l'autre ? Il me semble que nous avons essayé de faire en sorte que les avocats soient capables de défendre l'ARSE.
Dans le cadre de la mise en place de la LPJ, le Conseil national des barreaux et les écoles du barreau ont été sollicités. Nous souhaitions établir un relais auprès des avocats sur la mise en marche de la réforme, afin qu'ils puissent eux aussi formuler des propositions auprès de l'autorité judiciaire sur les possibilités d'aménagement de peine et d'alternatives à l'incarcération telles que l'ARSE. Lors de notre tour de France des cours d'appel, on nous a signalé que leur appropriation restait lente, et que ce dialogue avec les avocats n'avait pas totalement abouti. Toutefois, la situation évolue positivement. Je pense que les bâtonniers s'emparent également davantage de ces solutions. Nous devons promouvoir ce dialogue avec les avocats afin qu'ils puissent proposer ces alternatives, auxquels ils ne pensent pas naturellement pour l'instant.
La conjecture n'a pas non plus aidé à l'appropriation de l'ARSE ou des aménagements de peine ab initio. N'oublions pas que le confinement avait été précédé d'un mouvement de grève nationale. Sur le terrain, le travail de pédagogie auprès des barreaux n'a pas été évident. De façon générale, on constate que les avocats estiment que proposer un aménagement de peine revient à partir du principe que la culpabilité de leur client est établie. C'est sur ce point que nous devons changer de paradigme. Il faudrait sans doute que les magistrats parviennent à partir du postulat que la culpabilité n'engendre pas nécessairement une peine de détention ferme, et qu'une culpabilité reconnue peut s'accompagner d'un aménagement de peine en milieu ouvert, qu'il s'agisse d'une DDSE peine, d'un sursis probatoire renforcé, etc. Ce travail auprès des barreaux doit être intensifié pour faire comprendre que la peine en milieu ouvert est bel et bien une peine, qu'elle présente également des contraintes, encourt des révocations et qu'il ne s'agit pas d'une sous-peine par rapport à la détention et à l'exécution ferme.
Je souhaiterais aussi souligner que la plateforme du TIG dont je parlais tout à l'heure est accessible aux avocats. À l'instar des magistrats, cela leur permet de connaître l'ensemble de la proposition de postes sur le territoire national et sur le ressort qui les intéresse.
Je souhaitais avoir votre avis sur les programmes de prévention de la récidive. Tous les détenus y ont-ils accès ?
Les PPR sont des outils développés par les SPIP particulièrement intéressants. Ce sont des programmes de prise en charge collective qui s'étalent sur environ douze semaines et comprennent huit séances suivies d'une séance de bilan. Ils sont animés par des CPIP formés et ont vocation à travailler avec un public de probationnaires, tant en milieu ouvert que fermé, présentant les mêmes caractéristiques de délinquance. Les groupes sont par exemple composés de plusieurs personnes condamnées pour violences conjugales ou pour des violences routières.
L'idée consiste à provoquer une prise de conscience de l'acte posé chez ces personnes détenues ou probationnaires. Ce dispositif est destiné aux personnes ayant exécuté une peine et dont le CPIP se rend compte qu'elle n'adhère pas à sa peine et ne comprend pas la gravité de son passage à l'acte. Ce format collectif permet une interpellation mutuelle entre pairs. Un participant pourra faire comprendre à un autre que l'acte qu'il a commis ou les propos qu'il a tenus constituent des délits, qu'ils sont graves. Ces discussions contribuent à leur faire réaliser qu'ils ont commis un crime ou un délit justifiant leur condamnation. Tous les publics ne sont pas en mesure d'en bénéficier, notamment en raison de problèmes de disponibilité. Il faut en effet pouvoir s'engager sur plusieurs séances. La question de la mobilité peut également freiner l'accès aux PPR, notamment en milieu ouvert, les participants devant pouvoir se déplacer jusqu'au service. Il est également nécessaire de travailler sur leur adhésion à ce dispositif. En 2019, sur 18 226 inscrits 15 000 ont suivi le programme, contre 12 942 en 2016. Nous avons réussi à atteindre un taux de 8 % de personnes sous main de justice ayant réalisé un PPR ou un stage collectif en 2019. Ce chiffre correspond aux objectifs qui nous avaient été fixés dans le cadre des conférences budgétaires.
Le volontariat est un prérequis dans le cadre de la participation aux modules de confiance. Ce n'est toutefois pas le cas dans le cadre des SAS. C'est alors au CPIP et à l'ensemble des professionnels d'aller chercher l'adhésion du participant pour l'affecter à la SAS.
Il s'agit d'une approche nouvelle. Nous nous appuyons sur l'évaluation réalisée en pluridisciplinarité par les personnels pénitentiaires et par les partenaires pour décider de l'affection qui nous paraît la plus pertinente. Selon le parcours de l'intéressé et ce qu'il est possible de mettre en place avec lui, nous pouvons préconiser la SAS. C'est ensuite au CPIP de travailler pour gagner l'adhésion de la personne concernée. Penser ces structures et ces programmes de cette manière constitue un véritable défi.
La réunion se termine à neuf heures quarante-cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Présents. – Mme Caroline Abadie, M. Philippe Benassaya