Intervention de Laurent Merchat

Réunion du jeudi 25 novembre 2021 à 12h00
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française

Laurent Merchat, directeur pénitentiaire d'insertion et de probation :

J'avais préparé des éléments que je vais m'efforcer de synthétiser. J'ai noté l'emploi de termes forts dans l'intitulé de votre commission d'enquête : « manquements » et « dysfonctionnements ». Même si ces derniers s'adressent à la politique pénitentiaire et non pas à l'administration pénitentiaire, je n'observe rien de tel dans ma pratique professionnelle. Peut-être suis-je un grand optimiste mais j'en ai la ferme conviction.

Je ne peux en effet que me réjouir de l'engagement sur le terrain dont fait preuve la filière pénitentiaire d'insertion et de probation. Les évolutions législatives, même si elles nous appellent à accroître notre technicité et notre responsabilité, aboutissent à des modes de prise en charge plus réactifs et plus efficaces. Quand bien même nous ne sommes astreints à aucune obligation de résultat mais seulement de moyens, nous avons obtenu de nombreux résultats, même s'ils sont difficilement évaluables et communicables. Nous bénéficions d'une écoute attentive de notre ministre de tutelle, nous sommes encouragés à mettre en œuvre des bonnes pratiques et les moyens déployés sont très rassurants.

Les SPIP – services pénitentiaires d'insertion et de probation – sont animés par des valeurs fortes. En l'occurrence, même s'il est essentiel d'appliquer une juste sanction pénale et civile, il n'en demeure pas moins que le justiciable peut légitimement prétendre à retrouver sa place dans la société – si tant est qu'il l'ait perdue – une fois sa dette purgée. Nul n'est heureux en prison, quelles que soient ses conditions de détention. La délinquance n'est pas un projet de vie dans la mesure où aucun enfant ne rêve de se marier puis de fracasser le crâne de son conjoint, ni de s'intéresser aux petites filles une fois sa situation familiale et professionnelle établie. La délinquance est un chemin de traverse et pour prévenir la récidive, il importe de comprendre dans quel contexte une personne a pu s'y engager et quels changements de son mode de vie lui permettraient de ne plus commettre de nouvelles infractions. Les SPIP prennent alors toute leur place.

Si l'organisation interne des établissements pénitentiaires est essentielle, si la place des surveillants dans le travail éducatif n'est pas à négliger, le SPIP assurer une mission tout aussi cruciale en prévenant la récidive. Pour autant, la voix des SPIP se fait peu entendre. Cela s'explique par le fait qu'il agisse dans un cadre individuel : les décisions relatives à l'application des peines ont lieu à huis clos et on peut le comprendre car des questions intimes y sont analysées. Je pense que les citoyens seraient bien plus rassurés s'ils savaient exactement en quoi consiste la prise en charge des justiciables à partir du prononcé de leur peine. Ils comprendraient mieux que certaines peines puissent être exécutées sans faire appel à l'incarcération et que toutes les peines apportent bel et bien leur lot de pénibilité. D'une certaine manière, les contraintes imposées aux personnes en milieu ouvert peuvent être perçues avec une plus grande acuité : un détenu peut se contenter d'attendre passivement que sa peine soit écoulée alors qu'en milieu ouvert, des efforts sont requis. Nos logiciels métiers nous permettent difficilement de définir les contours de la population localement prise en charge et il est encore compliqué de dégager une vision macroscopique de nos interventions individuelles. Nous sommes contraints d'adopter une approche empirique lorsque nous cherchons à évaluer l'efficacité de telle ou telle démarche. Celle-ci n'est pas mauvaise en soi mais elle ne permet guère de communiquer sur la nature de notre travail.

L'emploi, le logement et la santé sont des éléments essentiels pour la prévention de la récidive mais notre action ne peut se limiter à ces aspects. Ce que nous appelons les « besoins criminogènes » sont de natures diverses et variables, selon chaque situation. Les agents sont particulièrement impliqués et ce en dépit d'une charge de travail conséquente. Il s'agit de porter des outils sur la communication sans violence ou la résolution de conflits. L'objectif est de donner un sens à la peine y compris lorsque l'intervention est de très courte durée.

Depuis une dizaine d'années, sont menées sur le territoire des actions porteuses qu'il serait bon de partager, qu'il s'agisse de tenir compte de l'entrée infractionnelle – violences envers le conjoint, violences sexuelles, etc. – ou d'un besoin transversal – alcoolisme ou courtes peines, par exemple. La communication sur ces actions collectives est plus aisée, et elle permettrait de mettre en valeur la richesse de nos métiers à condition de ne pas perdre de vue la richesse du suivi individuel.

En tant qu'acteur de terrain dans la Drôme, j'ai eu la chance de pouvoir parrainer le programme du parrainage de désistance avec Doriane Serrières, directrice pénitentiaire d'insertion et de probation, et avec le soutien de la direction départementale en la personne de Pierrick Leneveu. J'ai coanimé ce programme avec ma collègue Yasmina Boyadjian et j'ai contribué à son évaluation interne et externe avec la participation et l'engagement de l'ARCA – l'Association de recherche en criminologie appliquée

Ce programme, articulé autour d'une méthodologie d'intervention en SPIP, décline les principes de valeur d'un autre programme : les cercles de soutien et de responsabilité. Il fait intervenir des bénévoles en collaboration étroite. Il vise le rétablissement de la paix sociale en permettant que les personnes aux mains de la justice renouent avec le contrat social par l'ouverture à des cercles relationnels pro-sociaux, en plaçant la prévention de la récidive au cœur de la cité et en impliquant la société dans la réinsertion sociale de certains membres éloignés du fait de la délinquance. Ce programme véhicule certainement un objectif restauratif. La désistance est le processus qui permet à une personne de sortir de la délinquance. Cette théorie met l'accent sur des facteurs positifs.

Si l'intervention professionnelle ne peut prétendre avoir prise sur l'âge, au sens de la maturité, ou sur les événements positifs de la vie, comme une rencontre amoureuse ou la naissance d'un enfant, il en est tout autre pour ce qui est des deux autres facteur de désistance mis en avant par la recherche criminologique : le renforcement du capital humain – capacités de communication et de gestion des émotions – et le développement du capital social – intégration dans des relations et des réseaux sociaux non délinquants, développement de compétences personnelles et sociales, insertion professionnelle. Si les besoins criminogènes sont divers, l'isolement est une difficulté récurrente. Non pas que les personnes placées sous mains de justice n'aient pas d'entourage relationnel, mais ils ne bénéficient pas nécessairement du soutien dont ils auraient besoin au moment où ils en ont besoin. Le repli sur des cercles restreints voire sur soi-même constitue un frein au processus de changement. De même la difficulté à comprendre les codes et procédures limite souvent les possibilités d'insertion sociale. Ce programme donne accès à des facteurs sociaux de protection tout en diminuant les facteurs de risques infractionnels.

La finalité du programme est en elle-même innovante puisqu'elle porte l'ambition d'instaurer des relations sociales sincères et authentiques vécues dans la communauté. Ces relations sont librement choisies entre des bénévoles formés et accompagnés et des personnes placées sous mains de justice sous l'autorité du service public de la justice. Tous les participants – neuf bénévoles et neuf personnes placées sous mains de justice – se rencontrent une fois par mois et font cercle. Il est alors possible qu'ils définissent ensemble une mission de parrainage dont ils déterminent la durée : quatre, six ou huit mois. Le bénévole devenu parrain ou marraine de désistance s'engage à téléphoner une fois par semaine à son filleul pour prendre de ses nouvelles. Il est formé pour écouter, questionner, vérifier s'il a bien compris et témoigner : il peut établir une relation entre une difficulté mentionnée par le filleul et un exemple tiré de sa propre expérience de vie. Les deux personnes ont la possibilité de se rencontrer sur la place publique mais pas chez l'un ou l'autre et sans échange d'argent.

Sans entrer dans les détails, ce programme illustre à mes yeux la créativité des SPIP afin de mettre en pratique les corpus de référence sous la forme d'actions structurées et inscrites dans une politique départementale, en tenant compte des réalités de terrain et des nouvelles méthodologies d'intervention. Des modèles étrangers peuvent nous servir d'inspiration mais nous pouvons aussi construire nos propres modèles en France et il est essentiel que l'évaluation de ces programmes soit confiée à des criminologues, à charge pour ces derniers d'en valider l'utilité. Pour ce qui est du parrainage, l'ARCA a déjà procédé à une première évaluation dont les conclusions sont encourageantes. Une seconde évaluation a été ouverte. Ce programme existe toujours dans la Drôme cinq après sa création, il a été déployé en 2021 à Roanne et il est attendu prochainement à Bordeaux et Saint-Étienne. Ce programme a déjà été adapté dans deux cantons suisses et quatre autres y travaillent.

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