Je m'efforcerai dans mon intervention d'analyser, d'un point de vue économique, l'efficacité de la politique pénale déployée depuis une dizaine d'années. Les coûts occuperont donc une place centrale dans mon argumentation.
Je reprendrai dans un premier temps un certain nombre de fondamentaux théoriques.
La prison s'avère être la modalité la plus coûteuse pour réprimer les délits non lourds – veuillez m'excuser si je n'emploie pas la terminologie adaptée. Les peines alternatives n'ont pas d'incidence particulière sur la récidive. Je me fonde principalement sur la récidive car, du point de vue économique, la récidive entraîne un surcoût social : il faut prévoir davantage de places en prison si les criminels récidivent. La réinsertion constitue un facteur de prévention de la récidive, comme cela vient d'être illustré. Le travail est une nécessité mais avec un taux d'occupation très élevé. L'éducation permet quant à elle le développement d'un capital humain et la sortie doit être particulièrement surveillée, car la période qui suit la première voire la deuxième incarcération joue un rôle important pour le retour au crime.
Les peines de prison inférieures à six mois ou un an apparaissent comme contre-productive, ce qui est lié au fait que la durée d'incarcération n'est pas suffisante pour mettre en œuvre l'apprentissage au travail, l'éducation et une préparation convenable de la sortie. Une peine de prison de moins d'un an est donc généralement considérée comme l'alternative pénale la moins pertinente.
La détention provisoire réduit également les perspectives de réinsertion et favorise la récidive. Elle s'accompagne d'une baisse de la probabilité de retrouver un emploi. Certaines études font apparaître le fait qu'un délai de détention provisoire supérieur à quatre jours peut amplifier le taux de récidive de 50 %.
Nous avons examiné la politique des nouvelles prisons mise en œuvre depuis une quinzaine d'années. La poursuite d'un double objectif nous est apparue comme absolument nécessaire : réduire la surpopulation et améliorer les conditions sanitaires, comme à la prison Saint-Michel de Toulouse.
Ces nouvelles prisons se sont transformées en opérations immobilières : il s'agissait de libérer des surfaces en centre-ville et de trouver un lieu pour implanter un établissement généralement plus étendu que le précédent. Les nouvelles prisons se retrouvent ainsi construites dans des zones industrielles, au voisinage de logements sociaux voire même en zone rurale. La raison en est qu'un établissement de 600 à 800 places est d'une superficie non négligeable et que les riverains sont susceptibles de manifester une opposition au projet. L'implantation en zone industrielle apparaît alors plus aisée vu l'absence de logements proches. À défaut, des zones proches de quartiers de logements sociaux sont utilisées, afin de minimiser les pertes de valeur locative et donc les potentielles oppositions au projet. Le projet peut même être présenté comme un moyen de développer l'emploi local, dans des quartiers où le taux de chômage est généralement élevé.
En réalité, les emplois ne sont pas réservés aux riverains dans la mesure où ils sont pourvus par voie de concours nationaux. Quant aux gains économiques, ils sont souvent largement surestimés : 600 millions d'euros de retombées économiques annuelles ont par exemple été annoncées en ce qui concerne la nouvelle prison d'Angers, mais sur la base d'un millier d'agents payés 30 000 euros annuels – on arrive en réalité péniblement à 50 millions d'euros… Il ne s'agit là que des salaires, mais ceux-ci représentent généralement la moitié des retombées économiques. Ces dernières ne sauraient donc guère excéder les 100 millions d'euros. En outre, les surveillants résident généralement dans d'autres communes, pas toujours à proximité de la prison. Ainsi, les communes d'accueil ne bénéficient pas des retombées économiques mais héritent des problèmes sociaux : parloirs nocturnes, lumières des miradors, etc.
Nous notons par ailleurs, avec les nouvelles prisons, l'absence de politique locale de réinsertion. Les prisons sont beaucoup plus grandes que les précédentes et aucune réelle garantie n'est apportée quant à la capacité du bassin d'emploi local à offrir des emplois aux anciens détenus. En dix ans, le taux d'occupation des quartiers de semi-liberté a plutôt baissé en raison de l'éloignement de ces quartiers. Dans un même ordre d'idée, les nouvelles prisons, éloignées des centres d'agglomération, sont moins bien desservies, ce qui pose des problèmes pour les familles et pour les avocats.
Les PPP – partenariats public-privé – s'avèrent économiquement peu efficaces, avec un coût de construction généralement majoré de 30 % par rapport à la construction publique traditionnelle. Quant à la gestion déléguée, en particulier de l'éducation, de la formation professionnelle et du travail, la qualité des prestations de formation professionnelle laisse souvent à désirer et dans le domaine du travail, les termes des contrats de délégation ne sont généralement pas respectés et les niveaux de travail sont très faibles. Les modèles de gestion publique de certaines prisons – comme à Saint-Maur, où une boulangerie a été créée – n'ont pas été dupliqués et aucune innovation n'a été proposée par les acteurs privés. Des contrats quinquennaux ou décennaux ne leur permettent pas d'envisager des investissements lourds et ils ont obtenu un abaissement des contreparties financières dues au titre de la non-atteinte des objectifs en faisant valoir des obligations non respectées de la part de l'administration.