Ma direction, à l'ENAP, a vocation à alimenter le débat scientifique autour des problématiques pénitentiaires. Nous organisons au moins un colloque par an.
Notre administration est confrontée à des demandes évolutives diverses et les métiers qui la constituent se transforment très rapidement sous cette double impulsion : extérieure avec les différentes normes et interne avec une redéfinition des pratiques. Une telle évolution entraîne indubitablement des modifications profondes et des phénomènes de résistance en redéfinissant les liens avec les pouvoirs institutionnels.
Les travaux que nous menons à l'ENAP s'efforcent d'identifier les différentes dynamiques à l'œuvre dans le champ pénitentiaire et leurs diverses sources. J'avais préparé une intervention de dix minutes sur la base de la convocation mais je vais m'efforcer d'en réduire la durée. Je vous proposerai une analyse prospective à partir du retour d'expérience de la crise sanitaire qui a fait irruption en mars 2020.
J'appelle tout d'abord votre attention sur l'irruption de l'usager dans la gestion de la crise du covid 19. En effet, les mesures décidées par Mme la garde des sceaux le 23 mars 2020 – crédit de téléphone de 40 euros par mois par exemple – et la régulation de l'occupation des maisons d'arrêt ont permis d'éviter un embrasement généralisé en dépit de quelques tensions observées localement. Un dialogue a été instauré par les directeurs d'établissement avec les détenus.
L'ENAP mène actuellement une réflexion sur la question de la sécurité dynamique. Nous pourrions nous interroger sur ces pratiques. Quelles évolutions possibles permettraient la prise en compte de l'expression collective des détenus ?
Grâce à la régulation pénitentiaire, nous avons observé une augmentation de 22 % de l'encellulement individuel dans la période considérée. Le taux d'occupation carcérale était redescendu à 119 % le 13 avril 2020. Concomitamment, nous avons observé une forte augmentation du nombre de suicides : trente-neuf suicides sur une période donnée, contre vingt-huit en 2019 durant la même période.
Quels enseignements pouvons-nous en tirer pour ce qui concerne le maintien des liens familiaux en prison ou l'organisation de la vie sociale en détention ? Quel accompagnement spécifique peut-on envisager en lien avec la pandémie ?
Nous observons un renversement de la figure de l'ennemi : non pas l'ennemi qui a rompu le pacte social, mais celui qui apparaît comme le porteur potentiel de la maladie. Durant la crise sanitaire, les surveillants pouvaient être considérés par les détenus comme des vecteurs de contamination. La suspension des parloirs, des activités socioculturelles et du travail pénitentiaire étant suspendus, les surveillants pouvaient parfaitement être identifiés comme des vecteurs potentiels du virus. La perception de la dangerosité avait pour ainsi dire changé de camp.
Quelles sont les conséquences potentielles pour l'évolution du rapport entre surveillants et détenus ? De quels types de changement cette situation est-elle annonciatrice, d'autant plus que nous avons constaté une forme d'alliance, les détenus soutenant la demande de fourniture de masques de la part des surveillants. À une époque où les masques étaient devenus très rares, des détenus travaillaient en régie pour fabriquer des masques susceptibles de sauver des vies, y compris celles des personnels de surveillance. Quelle représentation la société dans son ensemble a-t-elle de ce travail à la portée symbolique importante ? Je préfère conclure sur ce point, et je pourrai prolonger au besoin cette intervention pendant nos échanges.