Puisque nous sommes le 25 novembre, en pleine semaine internationale de la justice restaurative, j'aimerais tout d'abord avoir une pensée pour les victimes. La justice restaurative est parfois mal comprise. À notre niveau, il est intéressant de réfléchir à la manière dont nous pouvons demander à une personne qui ne croit pas en la justice d'en respecter les règles et les implications. La restauration du système de justice auprès des auteurs apparaît donc comme une voie de réflexion particulièrement pertinente, au-delà des rencontres entre auteurs et victimes.
Vous nous avez interrogé par ailleurs sur la question de la rétribution et de l'utilitarisme de la prison. La peine de prison est perçue comme la plus sévère dans la mesure où elle s'accompagne d'une privation des libertés. La sévérité des peines a déjà donné lieu à une analyse il y a une vingtaine d'années, aboutissant à l'absence de corrélation entre la sévérité des peines et le taux de récidive.
J'appelle par ailleurs votre attention sur une étude de septembre 2021, sous la forme d'une méta-analyse construite sur la base de 116 études portant sur 4,5 millions d'auteurs d'infractions dans plus de quinze pays : 981 effets possibles de la prison par rapport aux peines non-privatives de liberté ont été analysés. Cette étude très robuste sur le plan méthodologie aboutit au constat d'une absence totale de différence entre les peines privatives de liberté et les peines non-privatives de liberté, et cela fait l'objet d'un consensus criminologique. Les auteurs en concluent que l'incarcération ne peut être justifiée qu'au motif qu'elle assurerait la sécurité publique en éliminant la récidive.
La peine de prison pourrait s'avérer justifiée eu égard à d'autres considérations mais pas vis-à-vis de la prévention de la récidive.
La réhabilitation par la travail centrée sur l'auteur se heurtait il y a une trentaine d'années au même constat d'inefficacité. Entre-temps, un courant nord-américain a permis d'énoncer un certain nombre de principes à respecter dans le cadre du travail réhabilitatif. Lorsque ces méthodes sont correctement appliquées, il est possible de réduire les cas de récidive de 17 à 35 %. Le résultat n'est certes pas parfait mais il est scientifiquement reconnu.
Je déclinerai trois idées majeures à propos de la réhabilitation.
La première problématique renvoie à notre incapacité à mettre en œuvre au niveau national des principes reconnus par la communauté scientifique. Les États-Unis sont d'ailleurs dans une situation similaire, comme le montre une étude datant de 2016 : aucun des trente-huit programmes évalués ne respectait les principes criminologiques de prévention de la récidive ; sur cent trente-quatre autres programmes qui avaient bénéficié de financements élevés, seulement trente-six avaient réussi à respecter les principes criminologiques de prévention de la récidive. Même si cela peut paraître intuitivement plus facile de travailler avec un auteur, respecter les principes s'avère très compliqué et coûteux en ressources, pas nécessairement financières mais éventuellement méthodologiques, humaines, etc. Nous devons offrir à nos professionnels des outils et des formations, mais surtout un contexte administratif propice à la mise en œuvre de stratégies d'accompagnement et d'évaluation, permettant d'appliquer les connaissances scientifiques. Sinon, cela reviendrait à envoyer des médecins sur le terrain sans hôpitaux et sans outils et leur demander de travailler avec la même efficacité.
La deuxième problématique est la trajectoire des auteurs d'infractions. L'on se réfère aux expériences d'adversité rencontrées par les auteurs d'infractions avant leur majorité, qui peuvent considérablement compliquer l'accompagnement à l'âge adulte. Deux études majeures ont été publiées sur le sujet, dont une en 2019 et une autre plus ancienne qui avait été menée auprès de 64 000 mineurs âgés de plus de seize ans. Cette dernière montrait que la probabilité de suivre une trajectoire de délinquance était positivement corrélée au nombre d'expériences d'adversité avant dix-huit ans et surtout, il en était de même pour la probabilité de récidive.
On peut alors s'interroger quant à la systématisation des obligations de soins, par exemple. Peut-être certains profils nécessitent-ils un accompagnement très particulier, avec des méthodes qui seraient efficaces auprès d'eux, et peut-être inversement le risque de récidive est-il faible pour certains individus astreints à une obligation de soins – une évaluation fine permettrait de le mettre en évidence.
La troisième problématique est liée à l'adhésion. Si l'accompagnement ne peut pas être mené à son terme – en raison par exemple d'un changement de lieu de détention –, cela peut avoir une incidence sur la probabilité de récidive. Pire, une étude de 2007 confirmée en 2016 montre que l'adhésion au traitement est tout aussi importante pour l'entrée, le maintien que la complétion totale de l'accompagnement : les personnes qui ne suivent pas leur accompagnement jusqu'à son terme ont un risque de récidive supérieur, non seulement par rapport à ceux qui avaient achevé leur accompagnement, mais également par rapport qui n'avaient jamais débuté d'accompagnement. Avoir des lieux de détention efficaces mais avec des personnes suivies qui ne se présentent pas ou des changements fréquents de mode d'intervention peut remettre en question l'incidence de l'accompagnement.
Des modèles complémentaires sont à l'étude. Leur objectif est de mettre en avant l'importance de la motivation et de l'évaluation des forces à intégrer dans les interventions. Je signale d'ailleurs qu'au Canada, des méthodes sont reconnues depuis une dizaine d'années en ce qui concerne la motivation et le maintien dans le traitement ou l'accompagnement. Le recentrage de la réflexion sur les besoins des personnes et leurs motivations est une approche apolitique. Le lien entre la qualité de vie et la perception du niveau de satisfaction de vie est établi scientifiquement, et le niveau d'engagement dans le crime ou la violence au cours des douze derniers mois y apparaît corrélé. Telle est la conclusion d'une étude confirmée il y a un an.
Une méta-analyse publiée il y a un an et demi et qui était alimentée par 948 études, confirmait l'efficacité des méthodes basées sur le renforcement du capital humain vis-à-vis de la prévention de la rechute.
En résumé, il me semble important d'appliquer dans la durée des méthodologies éprouvées, de mettre à disposition des professionnels des outils et des formations et de leur laisser le temps nécessaire à la bonne application de leurs programmes. Une période de mise en place de deux à cinq ans est à prévoir pour une nouvelle méthodologie, et il est bien entendu nécessaire de procéder à une évaluation scientifique pour évaluer son efficacité sur le long terme. Cela implique notamment des partenariats stables. À titre d'exemple, les appels à projets FIPD – fonds interministériel de prévention de la délinquance – sont publiés chaque année aux alentours du mois de mars, avec un délai de réponse entre juin et septembre, et un financement potentiel en octobre ou novembre pour l'année en cours. Ainsi, il ne reste plus qu'une courte période d'exécution avec en outre une incertitude pour le renouvellement du contrat l'année suivante. Ces conditions ne me semblent pas propices à l'établissement de partenariats solides et stables dans le temps, ce qui me semble être un handicap pour mener une véritable réforme axée sur la prévention de la récidive.