Nous concluons les travaux de notre commission d'enquête par l'examen du rapport, qui va nous être présenté par Mme la rapporteure.
En juillet dernier, le groupe Les Républicains, faisant usage de son droit de tirage, a demandé la constitution d'une commission d'enquête sur « les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française ». Ce titre a suscité beaucoup de débats. Notre groupe n'entendait nullement incriminer l'administration pénitentiaire, ses responsables opérationnels et ses dizaines de milliers de fonctionnaires engagés quotidiennement en première ligne : c'est la politique pénitentiaire qui était visée. Nous désirions pointer du doigt les manquements et les dysfonctionnements de la politique déterminée et conduite par les autorités, auxquelles il incombe de donner aux prisons de France des moyens humains, immobiliers, matériels et organisationnels suffisants. L'objectif de cette commission était aussi clair qu'exigeant : évaluer de façon objective, mais sans complaisance, la situation du monde carcéral dans notre pays. La surpopulation chronique, la radicalisation croissante, le taux de suicide endémique ou encore le manque de considération envers le personnel pénitentiaire rendaient notre évaluation nécessaire et urgente.
La commission a-t-elle répondu à ces questions ? Elle s'en est, en tout cas, donné les moyens. Nous avons mené, au cours des six derniers mois, des travaux denses et intenses. À l'heure de la présentation du rapport, je suis animé par trois sentiments : la reconnaissance, la fierté et, je le confesse, un peu de frustration.
J'éprouve un sentiment de reconnaissance, d'abord, en raison de la manière dont se sont tenus nos travaux. La bonne intelligence, l'honnêteté intellectuelle, le désintéressement politique ont toujours animé nos auditions comme nos déplacements. C'est à mes yeux une des grandes forces de notre rapport, qui est transpartisan, dépassionné et rigoureux. Sur une question telle que la politique pénitentiaire, un travail de ce type ne saurait être clivant.
J'éprouve une reconnaissance plus particulière envers tous ceux qui, individuellement, par leurs interventions, nous ont permis de produire un rapport de qualité.
Et je remercie l'ensemble des membres de la commission d'enquête, qui, par-delà des appartenances politiques, se sont attelés, avec le souci de l'intérêt collectif, à identifier les problèmes structurels qi doivent être réglés. Je voudrais tout particulièrement saluer la qualité du travail mené en commun avec Mme la rapporteure et le bon état d'esprit dans lequel nous avons mené nos investigations. Nous partageons, il est vrai, un intérêt marqué pour les questions carcérales.
Je remercie également chacun de ceux qui, à titre personnel ou en tant que représentants d'une administration, d'une autorité administrative, d'un syndicat, d'une entreprise ou d'une association, ont contribué à parfaire notre connaissance du milieu carcéral et à alimenter le matériau analytique sur lequel nous avons fondé notre réflexion. J'ai retiré, à titre personnel, de grands enseignements de ces auditions.
J'éprouve également de la fierté, non seulement parce que j'ai présidé cette commission d'enquête, alors que je ne suis député que depuis un an et demi, mais aussi parce que notre champ d'investigation a témoigné d'une grande ambition. Nous avons été en mesure de produire des analyses sur les facteurs de la surpopulation carcérale et de la dégradation progressive des conditions de détention des personnes incarcérées en France, sur le lien de causalité entre les conditions d'incarcération et le phénomène de la radicalisation de personnes détenues, sur le risque de dégradation de la réponse pénale associée à l'insuffisance du nombre de places de prison, sur la question de l'efficacité de l'aménagement des peines, sur l'accès aux dispositifs de réinsertion et de préparation à la sortie des personnes détenues, sur le traitement carcéral des délinquants mineurs et sur le défi de la prise en charge médicale. C'est donc une analyse très complète des enjeux et des défis du monde carcéral que nous livrons.
Nous pouvons, enfin, tirer de la fierté du fait que notre rapport soit profondément ancré dans la réalité. Il l'est, pour ainsi dire, doublement. Premièrement, nos analyses ont été construites grâce aux acteurs quotidiens du monde pénitentiaire et avec eux. Nous avons interrogé pas moins de 135 personnes au cours de quarante-deux séances d'auditions. Ce sont autant de retours écrits approfondis qui nous ont été faits. Deuxièmement, nos visites de terrain, dans les établissements de la Santé à Paris, des Baumettes à Marseille, mais également de Fresnes et de Château-Thierry, ont eu une incidence considérable sur nos travaux. C'est le cas, notamment, du déplacement effectué à Château-Thierry : cet établissement a eu une importance particulière au cours de nos auditions.
En résumé, nous avons réalisé un travail sérieux sur l'état du monde pénitentiaire. Cela étant, j'apporterai un bémol. En effet, je reste un peu frustré par le volet des propositions. Certes, je me réjouis de certaines d'entre elles, notamment concernant le logement et le statut des personnels pénitentiaires, l'aménagement de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) pour les communes accueillant une prison et la meilleure prise en compte des élus locaux. Ce dernier enjeu me tient à cœur, en tant que président de l'association d'élus locaux Territoires et prisons ; je vous remercie, madame la rapporteure, d'avoir fait une place à cette question dans les propositions.
Ces propositions sont-elles à la hauteur des défis soulevés pendant les auditions ? Même si leur nombre a été réduit à cinquante-cinq, elles demeurent trop nombreuses, ce qui dilue leur force. Cela s'apparente, à mes yeux, à un trop-plein. Pourtant peut-on se satisfaire qu'il n'y ait qu'une seule proposition sur la radicalité ? Ne doit-on pas regretter le faible nombre de propositions sur le renseignement pénitentiaire et le manque de places de prison – question pourtant centrale ? Je ne partage pas forcément votre vision en matière d'encellulement individuel ; il s'agit, je le sais, d'un principe difficile à respecter, mais on aurait pu proposer la fixation d'un taux d'amélioration. J'aurais souhaité des propositions moins nombreuses mais plus percutantes pour éviter que le rapport demeure sans effet.
Il n'en reste pas moins que le rapport est fidèle à l'esprit des auditions et des déplacements. Il est complet et dresse un constat clair, pragmatique et nuancé sur l'état du monde carcéral. Je regrette cependant que les propositions qui en résultent ne soient pas à la hauteur de la gravité de la situation.
Mes chers collègues, je veux vous exprimer une nouvelle fois ma gratitude pour votre engagement sans faille au cours de nos travaux. Je me suis efforcé d'être impartial, indépendant et bienveillant. Je tiens, encore aujourd'hui, à respecter cette réserve. En cohérence avec la neutralité dont j'ai fait preuve envers tous les acteurs des auditions, je ne prendrai pas part au vote et laisserai les représentants de mon groupe voter dans le sens qu'ils souhaitent.
Je vous rappelle que, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, le rapport ne vous a pas été envoyé préalablement à cette réunion, mais il était consultable mardi et ce matin, dans une salle de notre assemblée.
Un exemplaire vous est remis pour cette réunion. Je précise que nous sommes tenus par les règles applicables aux commissions d'enquête : le rapport ne pourra être publié avant mardi prochain, 18 janvier, un délai de cinq jours francs étant ouvert pendant lequel l'Assemblée nationale pourrait demander sa réunion en comité secret pour se prononcer, le cas échéant, sur sa publication.