Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Mercredi 12 janvier 2022
La séance est ouverte à quatorze heures trente
(Présidence de M. Philippe Benassaya, président de la commission)
Nous concluons les travaux de notre commission d'enquête par l'examen du rapport, qui va nous être présenté par Mme la rapporteure.
En juillet dernier, le groupe Les Républicains, faisant usage de son droit de tirage, a demandé la constitution d'une commission d'enquête sur « les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française ». Ce titre a suscité beaucoup de débats. Notre groupe n'entendait nullement incriminer l'administration pénitentiaire, ses responsables opérationnels et ses dizaines de milliers de fonctionnaires engagés quotidiennement en première ligne : c'est la politique pénitentiaire qui était visée. Nous désirions pointer du doigt les manquements et les dysfonctionnements de la politique déterminée et conduite par les autorités, auxquelles il incombe de donner aux prisons de France des moyens humains, immobiliers, matériels et organisationnels suffisants. L'objectif de cette commission était aussi clair qu'exigeant : évaluer de façon objective, mais sans complaisance, la situation du monde carcéral dans notre pays. La surpopulation chronique, la radicalisation croissante, le taux de suicide endémique ou encore le manque de considération envers le personnel pénitentiaire rendaient notre évaluation nécessaire et urgente.
La commission a-t-elle répondu à ces questions ? Elle s'en est, en tout cas, donné les moyens. Nous avons mené, au cours des six derniers mois, des travaux denses et intenses. À l'heure de la présentation du rapport, je suis animé par trois sentiments : la reconnaissance, la fierté et, je le confesse, un peu de frustration.
J'éprouve un sentiment de reconnaissance, d'abord, en raison de la manière dont se sont tenus nos travaux. La bonne intelligence, l'honnêteté intellectuelle, le désintéressement politique ont toujours animé nos auditions comme nos déplacements. C'est à mes yeux une des grandes forces de notre rapport, qui est transpartisan, dépassionné et rigoureux. Sur une question telle que la politique pénitentiaire, un travail de ce type ne saurait être clivant.
J'éprouve une reconnaissance plus particulière envers tous ceux qui, individuellement, par leurs interventions, nous ont permis de produire un rapport de qualité.
Et je remercie l'ensemble des membres de la commission d'enquête, qui, par-delà des appartenances politiques, se sont attelés, avec le souci de l'intérêt collectif, à identifier les problèmes structurels qi doivent être réglés. Je voudrais tout particulièrement saluer la qualité du travail mené en commun avec Mme la rapporteure et le bon état d'esprit dans lequel nous avons mené nos investigations. Nous partageons, il est vrai, un intérêt marqué pour les questions carcérales.
Je remercie également chacun de ceux qui, à titre personnel ou en tant que représentants d'une administration, d'une autorité administrative, d'un syndicat, d'une entreprise ou d'une association, ont contribué à parfaire notre connaissance du milieu carcéral et à alimenter le matériau analytique sur lequel nous avons fondé notre réflexion. J'ai retiré, à titre personnel, de grands enseignements de ces auditions.
J'éprouve également de la fierté, non seulement parce que j'ai présidé cette commission d'enquête, alors que je ne suis député que depuis un an et demi, mais aussi parce que notre champ d'investigation a témoigné d'une grande ambition. Nous avons été en mesure de produire des analyses sur les facteurs de la surpopulation carcérale et de la dégradation progressive des conditions de détention des personnes incarcérées en France, sur le lien de causalité entre les conditions d'incarcération et le phénomène de la radicalisation de personnes détenues, sur le risque de dégradation de la réponse pénale associée à l'insuffisance du nombre de places de prison, sur la question de l'efficacité de l'aménagement des peines, sur l'accès aux dispositifs de réinsertion et de préparation à la sortie des personnes détenues, sur le traitement carcéral des délinquants mineurs et sur le défi de la prise en charge médicale. C'est donc une analyse très complète des enjeux et des défis du monde carcéral que nous livrons.
Nous pouvons, enfin, tirer de la fierté du fait que notre rapport soit profondément ancré dans la réalité. Il l'est, pour ainsi dire, doublement. Premièrement, nos analyses ont été construites grâce aux acteurs quotidiens du monde pénitentiaire et avec eux. Nous avons interrogé pas moins de 135 personnes au cours de quarante-deux séances d'auditions. Ce sont autant de retours écrits approfondis qui nous ont été faits. Deuxièmement, nos visites de terrain, dans les établissements de la Santé à Paris, des Baumettes à Marseille, mais également de Fresnes et de Château-Thierry, ont eu une incidence considérable sur nos travaux. C'est le cas, notamment, du déplacement effectué à Château-Thierry : cet établissement a eu une importance particulière au cours de nos auditions.
En résumé, nous avons réalisé un travail sérieux sur l'état du monde pénitentiaire. Cela étant, j'apporterai un bémol. En effet, je reste un peu frustré par le volet des propositions. Certes, je me réjouis de certaines d'entre elles, notamment concernant le logement et le statut des personnels pénitentiaires, l'aménagement de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) pour les communes accueillant une prison et la meilleure prise en compte des élus locaux. Ce dernier enjeu me tient à cœur, en tant que président de l'association d'élus locaux Territoires et prisons ; je vous remercie, madame la rapporteure, d'avoir fait une place à cette question dans les propositions.
Ces propositions sont-elles à la hauteur des défis soulevés pendant les auditions ? Même si leur nombre a été réduit à cinquante-cinq, elles demeurent trop nombreuses, ce qui dilue leur force. Cela s'apparente, à mes yeux, à un trop-plein. Pourtant peut-on se satisfaire qu'il n'y ait qu'une seule proposition sur la radicalité ? Ne doit-on pas regretter le faible nombre de propositions sur le renseignement pénitentiaire et le manque de places de prison – question pourtant centrale ? Je ne partage pas forcément votre vision en matière d'encellulement individuel ; il s'agit, je le sais, d'un principe difficile à respecter, mais on aurait pu proposer la fixation d'un taux d'amélioration. J'aurais souhaité des propositions moins nombreuses mais plus percutantes pour éviter que le rapport demeure sans effet.
Il n'en reste pas moins que le rapport est fidèle à l'esprit des auditions et des déplacements. Il est complet et dresse un constat clair, pragmatique et nuancé sur l'état du monde carcéral. Je regrette cependant que les propositions qui en résultent ne soient pas à la hauteur de la gravité de la situation.
Mes chers collègues, je veux vous exprimer une nouvelle fois ma gratitude pour votre engagement sans faille au cours de nos travaux. Je me suis efforcé d'être impartial, indépendant et bienveillant. Je tiens, encore aujourd'hui, à respecter cette réserve. En cohérence avec la neutralité dont j'ai fait preuve envers tous les acteurs des auditions, je ne prendrai pas part au vote et laisserai les représentants de mon groupe voter dans le sens qu'ils souhaitent.
Je vous rappelle que, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, le rapport ne vous a pas été envoyé préalablement à cette réunion, mais il était consultable mardi et ce matin, dans une salle de notre assemblée.
Un exemplaire vous est remis pour cette réunion. Je précise que nous sommes tenus par les règles applicables aux commissions d'enquête : le rapport ne pourra être publié avant mardi prochain, 18 janvier, un délai de cinq jours francs étant ouvert pendant lequel l'Assemblée nationale pourrait demander sa réunion en comité secret pour se prononcer, le cas échéant, sur sa publication.
En préambule, je tiens à remercier M. le président, avec qui j'ai eu plaisir à travailler dans un réel esprit de concorde. Merci pour cette collaboration riche et sincère. Nous avons eu tous deux le souhait d'aborder les questions carcérales avec pragmatisme et ambition. Nous avons traité ces thématiques sans tabou – je n'ai posé aucune limite au choix des personnes à auditionner – mais aussi sans idées préconçues. Nous avons, au contraire, cherché à ancrer notre travail dans le réel.
Notre champ d'investigation était très vaste, en effet, ce qui nous a conduits à mener un long cycle d'auditions que nous avons organisé en séquences thématiques. Nous avons entendu plus de 130 personnes. Compte tenu des délais qui nous étaient impartis, ce chiffre est impressionnant. Nous avons en outre effectué des déplacements à la Santé, aux Baumettes, à Château-Thierry et à Fresnes. À ces occasions, nous avons rencontré plusieurs dizaines de professionnels exerçant en prison.
Le travail mené s'inscrit dans une forme de continuité ; en effet, plusieurs travaux parlementaires ont déjà été conduits sur les sujets pénitentiaires. En particulier, deux rapports d'enquête parlementaires, l'un de notre assemblée, l'autre du Sénat, ont été publiés en 2000. Les députés s'étaient alors fixé, comme nous l'avons fait, un champ d'investigation très large, tandis que les sénateurs s'étaient concentrés sur les conditions de détention, notamment dans les maisons d'arrêt, et le contrôle du système carcéral. Ces travaux avaient mis en lumière plusieurs manquements de la politique pénitentiaire et du système carcéral qui ont constitué un point de repère à partir duquel j'ai choisi de développer ma réflexion. Nous nous sommes demandé ce qui avait changé dans nos prisons depuis vingt ans, et nous avons constaté de nombreuses évolutions. Cela démontre l'utilité de ce type de travaux.
Avant d'en venir au fond du rapport et à la présentation de quelques-unes de mes propositions, je voudrais rappeler les principales évolutions qui sont intervenues au cours des vingt dernières années.
On constate, d'abord, un changement dans les pratiques et les règles pénitentiaires : depuis vingt ans, le droit des personnes détenues a été aligné, dans beaucoup de domaines, sur le droit commun, qu'il s'agisse par exemple du droit de vote, du contrat de travail ou de l'accès au système hospitalier. A été progressivement intégré dans les règles pénitentiaires le fait que la prison n'entraîne que la privation de la liberté d'aller et venir, et qu'elle ne doit pas déposséder le détenu de ses autres droits.
On observe, ensuite, un changement dans le contrôle des prisons. C'est peut-être l'une des évolutions les plus marquantes : en vingt ans, le contrôle des établissements pénitentiaires s'est considérablement accru, comme l'attestent le droit de visite explicite des parlementaires depuis 2000, l'institution du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) en 2007 et du Défenseur des droits en 2008, l'obligation de visite de certains magistrats depuis 2009 et le droit de visite des bâtonniers sur leur ressort depuis 2021. Parallèlement, le contrôle du juge administratif s'est développé, par exemple s'agissant des questions disciplinaires. Tout récemment, nous avons aussi créé une voie de recours spécifique pour saisir le juge judiciaire de conditions de détention jugées indignes. Ces évolutions tendent à garantir les droits des personnes incarcérées et la dignité de leurs conditions de détention.
Enfin, et même si cet aspect des choses est peut-être celui qui doit être le plus renforcé, nous avons constaté un changement d'état d'esprit. La façon de comprendre et de prendre en charge la délinquance a évolué. Nous portons un regard plus social, nous cherchons davantage que par le passé à traiter la racine des problèmes, nous mettons plus l'accent sur la réinsertion et la désistance. Les chiffres illustrent cette évolution. En 1999, le législateur a créé les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), dont les effectifs ont augmenté de 160 % au cours des quinze dernières années. C'est par une volonté politique réelle, et commune aux gouvernements successifs, que nous avons réussi à avancer en la matière. Il n'en demeure pas moins que nous pouvons encore faire mieux dans ce domaine – vous le comprendrez rapidement en lisant mes propositions.
J'en viens au contenu du rapport. J'ai organisé ma réflexion autour de trois grands axes. Dans le premier, intitulé « Des hommes : personnels pénitentiaires et personnes détenues », nous montrons que la prison est avant tout un lieu humain, un lieu de vie quotidienne, dans lequel évoluent des agents pénitentiaires et des personnes détenues.
La deuxième partie est intitulée « Des murs : des conditions de travail et de détention qui se confondent ». Lorsqu'on parle de prison, on pense murs d'enceinte, barbelés, barreaux, cellules. Or, à l'intérieur, les conditions de travail des agents et les conditions de détention des prévenus et des condamnés se confondent très intimement. La prison, ce n'est pas un lieu, ce sont des lieux. C'est un ensemble immobilier étendu, recouvrant différents types d'établissements qui correspondent à des réalités architecturales complexes et à des normes spécifiques définies par la politique pénitentiaire mais aussi par la politique pénale.
Dans la troisième partie, intitulée « La prison : une ville dans la ville », nous montrons que, contrairement à une idée reçue, les prisons ne sont pas intégralement coupées de la société. Elles entretiennent des liens avec cette dernière et avec les territoires ; elles accueillent de nombreuses activités. Cette approche permet de concevoir la prison comme une étape vers la réinsertion.
Vous l'avez constaté, ce rapport est volumineux. Et pour cause : il y avait de nombreux sujets à traiter. Il est vrai, monsieur le président, que, dans la mesure où nous avons traité autant de questions, un grand nombre d'idées et de bonnes pratiques nous a été communiqué au cours des auditions et des visites. J'en ai fait une sélection, en essayant, à chaque fois, de les regrouper autour de grands axes de progrès. Je n'en présenterai ici que quelques-unes.
Suivant votre idée, monsieur le président, à laquelle vous teniez particulièrement – et qui m'a semblé tout à fait opportune –, j'ai commencé par évoquer les personnels pénitentiaires. Nous avons souhaité, par là même, saluer l'investissement et le dévouement de ces personnes, dont le travail est souvent difficile et méconnu alors qu'elles exécutent une mission indispensable au fonctionnement de notre société et au maintien du lien social.
Cette administration a longtemps été confrontée à un déficit de personnels – c'est le directeur de l'administration pénitentiaire lui-même qui en a fait le constat devant notre commission. Tous les rapports, depuis 1875, soulignent ce problème. Malgré les efforts accomplis, avec par exemple la création d'une prime de fidélisation, ce sont des métiers qui manquent toujours d'attractivité. C'est pourquoi je propose d'aller plus loin. D'une part, il convient de prendre en compte les difficultés de logement, en particulier dans les zones urbaines tendues et en début de carrière. D'autre part, il faudrait envisager le passage de l'ensemble des personnels de surveillance en catégorie B, ce qui présenterait également l'avantage d'offrir des passerelles vers d'autres carrières.
Nous devons aussi mieux prendre en compte la réalité des conditions de travail et la surpopulation carcérale. À cette fin, il faut réviser les organigrammes des établissements, qui sont déterminés en fonction des effectifs théoriques. Je propose que l'on prenne en compte les effectifs réels. De fait, la surpopulation persiste depuis des décennies – un rapport de 1875 le signalait déjà. Malgré la baisse du nombre de détenus constatée pendant la première partie de la crise sanitaire, son niveau est à nouveau trop élevé : au 1er novembre 2021, on comptait 13 188 détenus en surnombre, soit 19 % de la population carcérale.
La raison de cette situation est que nous incarcérons toujours plus. En vingt ans, le nombre de personnes détenues a augmenté de 31 %, passant de 48 000 en 2001 à 70 000 en 2021. Cette progression en valeur absolue se traduit aussi en valeur relative : il y avait 103,6 personnes détenues pour 100 000 habitants en 2021, contre 78,5 en 2001. Or, dans le même temps, on n'a observé aucune explosion de la délinquance. Je ne crois pas que l'on puisse dire que la justice ait été laxiste – ce serait plutôt le contraire.
Depuis vingt ans, pour répondre à ces enjeux, de nombreuses mesures ont été prises, tant en matière de politique pénitentiaire immobilière qu'en matière de politique pénale.
Concernant le parc immobilier, tout d'abord, le nombre de places de prison n'a cessé d'augmenter, passant de 48 593 en 2001 à 60 494 fin 2021. Nous continuons de faire d'importants efforts dans ce domaine, en particulier dans le cadre du plan 15 000 places. Ce dernier, qui a été inscrit dans la loi de programmation et de réforme pour la justice, doit se dérouler en deux phases : 7 000 places sont prévues pour 2022, puis 8 000 places d'ici à 2027. Au total, la construction de 18 000 nouvelles places a été programmée, tandis que 3 000 fermetures interviendront, portant ainsi à 15 000 les créations nettes.
Je sais que c'est un sujet très important pour nos collègues Les Républicains, qui ont demandé la création de cette commission d'enquête. Je vais donc exposer précisément les chiffres.
Fin 2021, sept opérations ont été livrées, pour un total net de 2 049 places de détention créées, ce qui correspond approximativement à la construction de 3 600 places et à la fermeture de 1 600 places dans les établissements qui ne sont plus en état d'accueillir des personnes détenues. Pour l'année 2022, dix-huit opérations sont d'ores et déjà au stade des travaux, ce qui devrait se traduire par la livraison de 3 700 places, dont 2 541 créations nettes. À la fin de cette année, 4 590 places sur les 7 000 prévues dans cette première phase seront livrées.
Les retards sont principalement dus à la crise sanitaire. Ce bilan n'est donc pas totalement critiquable, d'autant que les travaux prévus pour les 2 400 places restantes sont déjà en cours ; pour la majorité d'entre elles, la livraison est prévue en 2023 et, pour quelques-unes, en 2024.
Concernant la seconde phase, quatre opérations sont au stade de l'étude de conception, pour 1 260 places ; cinq ont franchi le cap des concertations, pour 2 750 places ; cinq autres font l'objet de consultations, pour 3 200 places ; les trois dernières consultations seront lancées en 2022, pour 1 800 places. Le second volet est donc lancé. Les opérations sont identifiées, sur des sites précis, les concertations et les études locales ont été engagées. Nous pouvons être plus qu'optimistes quant au respect de l'ambition affichée pour 2027. Et, parallèlement, de nombreuses rénovations sont entreprises.
Il a fallu surmonter un grand nombre de réticences au niveau local. Nous proposons d'ailleurs un volet d'actions pour qu'il soit plus facile, à l'avenir, de convaincre les collectivités territoriales d'accueillir des établissements pénitentiaires.
Précisons enfin que jamais le budget de l'administration pénitentiaire n'a été aussi élevé. Les crédits de paiement sont passés de 3,5 milliards d'euros en 2018 à 4,3 milliards pour 2022, soit une augmentation de près de 20 %.
La politique pénale est aussi intimement liée à la surpopulation carcérale. C'est un sujet central dont notre commission d'enquête s'est saisie. L'administration pénitentiaire arrive à la fin de la chaîne pénale, après que la justice a décidé des peines privatives de liberté, en milieu ouvert ou fermé.
Pour réduire la surpopulation carcérale, il faut repenser la peine au-delà du seul modèle de l'emprisonnement. Nous avons pris de nombreuses mesures en ce sens, en particulier en matière d'aménagements de peine et de solutions alternatives à l'incarcération. Les résultats sont encourageants. À titre d'exemple, on prononce de plus en plus d'aménagements ab initio. La peine de détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) est de plus en plus utilisée par les magistrats : alors que 423 DDSE avaient été prononcées au 1er septembre 2020, on en a recensé 1 295 un an plus tard. Les peines de travail d'intérêt général (TIG) sont également en cours de revalorisation. Nous avons d'ailleurs entendu beaucoup d'acteurs saluer la création de l'Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice (ATIGIP) et le travail qu'elle réalise.
Nous devons continuer dans cette direction et prêter une attention particulière à certaines procédures pénales qui semblent conduire à un prononcé plus important de mesures privatives de liberté. Je propose notamment d'évaluer les conséquences en matière de détention des procédures de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC).
J'ai également étudié le sujet de la détention provisoire, car le problème de la surpopulation se pose de façon aiguë dans les maisons d'arrêt. Sans entrer dans le détail, il me semble que nous devons poursuivre le développement du recours à l'assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE), qui est sous-utilisée.
Les politiques immobilière et pénale sont cruciales pour mettre fin à la surpopulation et garantir l'encellulement individuel – principe qui n'a jamais été respecté depuis son inscription dans notre droit dès 1875.
Nous nous sommes longuement interrogés à ce propos. L'encellulement individuel est-il une obligation pesant sur la personne détenue, qui doit s'isoler pour s'amender, conformément à l'état d'esprit du législateur de 1875 ? Est-ce une règle de sécurité visant à éviter la « contagion délinquantielle » au contact des autres détenus ? Est-ce un droit de la personne détenue, lui garantissant des conditions de détention dignes, comme on le dit souvent aujourd'hui ?
Nous devons appréhender l'encellulement individuel en croisant ces trois conceptions et en y ajoutant un quatrième élément : le droit actuel admet des dérogations à ce principe. Celui-ci ne doit donc pas être vu comme un absolu. Dans certains cas, l'enfermement individuel peut ne pas être adéquat ; il est susceptible de compromettre la réinsertion. Nous en avons fait le constat lors de nos déplacements : toutes les personnes détenues ne souhaitent pas être placées dans une cellule individuelle. En cas de fragilité psychologique, par exemple, voire de risque suicidaire, la solitude en cellule représente même un véritable danger.
Nous devons donc dépasser une vision absolue du principe de l'encellulement individuel, mais cela suppose que les cellules occupées par deux détenus soient aménagées à cette fin. Ce qui me paraît indigne, en effet, c'est l'occupation double ou triple d'une cellule individuelle.
Dépasser la vision absolue de l'encellulement individuel nous conduit logiquement à ne plus faire de ce principe l'alpha et l'oméga de la politique pénitentiaire. La réflexion sur ce point doit servir de base à l'éventuelle révision du moratoire en vigueur jusqu'à la fin de l'année 2022. Les réformes pénales et immobilières mises en œuvre depuis cinq ans, couplées – comme je le propose – à l'usage plus étendu de l'ARSE, ou encore au développement de la régulation carcérale, devraient nous permettre de respecter la date butoir du 31 décembre 2022. Toutefois, cela reste une hypothèse. Puisque ce type d'enfermement n'est pas toujours adapté, peut-être devons-nous revoir notre objectif dans ce domaine ?
Après avoir abordé ces enjeux qui relèvent de la « quantité » et des capacités d'accueil des établissements, j'en viens à la qualité de la prise en charge des personnes détenues.
Celles-ci cumulent souvent difficultés sociales – précarité, éloignement des systèmes sociaux, mal-logement –, problèmes de santé mentale et physique – prévalence de certaines maladies, problèmes bucco-dentaires, problèmes psychiatriques –, et de nombreuses addictions. Selon les données disponibles, 78 % des détenus fument, 31 % sont dépendants à l'alcool, 33 % consomment régulièrement des drogues illicites. L'administration pénitentiaire doit prendre en charge toutes ces situations, à un stade où les autres politiques publiques ont échoué.
Dans ce domaine, nous devons encore beaucoup progresser. Nous ne saurions nous satisfaire de la situation sanitaire des détenus. Pour cela, il faut d'abord mieux connaître l'état général de santé des détenus en France, en conduisant une véritable enquête épidémiologique. Il faut également assurer un meilleur suivi de l'état de santé au cours de la détention. L'hôpital est entré récemment dans les prisons. C'est une grande avancée, mais il faudrait aussi, à l'avenir, faciliter la pratique médicale en détention et la rendre plus attractive pour les professionnels de santé. En effet, la désertification médicale s'observe aussi dans le cadre pénitentiaire. L'application d'une politique de réduction des risques en prison, à l'image de ce qui se fait à l'extérieur, est attendue depuis 2016 ; elle revêt une importance particulière compte tenu du niveau élevé des addictions. L'une de mes propositions porte sur cette question.
À l'entrée en détention, plus de la moitié des détenus sont sans emploi et dépourvus de diplôme ; près de 90 % d'entre eux n'ont pas plus que le certificat d'aptitude professionnelle (CAP). À cet égard, le temps d'emprisonnement doit être utile.
Il faut permettre le travail en détention. Or, ce dernier a fortement diminué depuis vingt ans. La proportion de détenus qui travaillent est passée de près de 50 % en 2000 à environ 30 % en 2020, le creux de la vague ayant été atteint en 2016. La création du contrat de travail pénitentiaire et celle de l'ATIGIP ont redynamisé le travail en détention. Nous devons continuer dans cette direction et adopter une approche pragmatique, par exemple en utilisant les mêmes outils qu'à l'extérieur – tels que les bilans de compétence et les forums de recrutement –, en tissant davantage de liens entre la vie économique et la prison, ou encore en structurant mieux les réseaux d'acteurs agissant en ce domaine.
J'en viens à l'enseignement et à la formation professionnelle. Depuis le transfert de la compétence aux régions en la matière, en 2014, la diminution des formations est considérable : entre 2010 et 2020, le taux de personnes détenues accédant à une formation professionnelle est passé de 40 % à moins de 13 %. Dans le même temps, le volume d'heures de formation consacré en moyenne annuelle à chaque stagiaire est passé de 177 à 120 heures. On observe également de fortes disparités entre les régions. La formation professionnelle est, indéniablement, une des clés de la réinsertion et donc de la lutte contre la récidive. Il est inacceptable que la situation se soit ainsi dégradée ; je propose plusieurs pistes pour y remédier. L'ATIGIP en sera un partenaire clé.
L'utilité du temps en détention passe aussi par d'autres activités, notamment d'ordre sportif, culturel ou cultuel. Celles-ci permettent de lutter contre l'oisiveté, ce qui est déjà un bien en soi. Si, par le passé, elles constituaient avant tout des occupations, elles sont désormais reconnues pour leur intérêt. Chacune d'entre elles contribue de manière spécifique à la réinsertion. En cela, elles sont complémentaires du travail, de l'enseignement et de la formation. Nous avons rencontré de nombreuses associations qui développent des activités innovantes. Leur implication doit être saluée, car elles jouent un rôle essentiel.
Dans ce domaine aussi, des progrès peuvent être réalisés. Nous devons fixer dans la loi un objectif de temps « hors cellule », par exemple de huit heures par jour et, dans cette perspective, poursuivre le développement et la diversification des activités, leur accorder un budget suffisant, nouer de nouveaux partenariats, notamment avec les fédérations sportives, ou encore mettre en place un agrément « visiteur de confiance » pour faciliter l'accès des intervenants réguliers à l'établissement. En plus des associations, cette proposition pourrait également concerner les aumôniers ou encore les entreprises, car leur accès aux établissements pénitentiaires est une difficulté dont tout le monde nous a fait part.
Enfin, pour être utile et efficace, la prise en charge des détenus doit davantage s'adapter à leur profil et à leurs spécificités. C'est ce que l'administration pénitentiaire a très bien su faire, aussi bien avec les mineurs qu'avec les détenus radicalisés – des publics, très différents l'un de l'autre, qui renvoient à des enjeux spécifiques et font l'objet de longs développements dans le rapport ainsi que de plusieurs propositions. Dans les deux cas, le travail de l'administration peut être salué.
Nous pouvons aller plus loin dans la spécificité de la prise en charge. Celle-ci peut se construire en fonction du profil des détenus, par exemple pour mieux répondre aux problèmes d'addiction, mais également en fonction de la nature de l'infraction : on pourrait par exemple assurer un meilleur suivi des auteurs de violences intrafamiliales.
Le développement de structures intermédiaires, davantage tournées vers la réinsertion, est aussi une piste intéressante. Le plan pénitentiaire prévoit à cet égard la création de 2 070 places dans seize structures d'accompagnement vers la sortie (SAS). Cela va dans le bon sens. Nous devrions également poursuivre le développement d'autres structures spécifiques, comme celles tournées vers l'insertion par l'activité économique en détention.
J'évoquerai, en guise de conclusion, un point qui me tient particulièrement à cœur. Dans son rapport d'enquête, en 2000, le Sénat soulignait l'enjeu de l'ouverture des prisons sur la société. « La prison ne peut changer que si elle est placée sous le regard des citoyens », y était-il écrit. Vingt ans après, d'importants progrès ont été accomplis : la prison a ouvert ses portes à des intervenants extérieurs toujours plus nombreux, le droit des détenus s'est rapproché du droit commun dans de nombreux domaines, le développement de la mission de réinsertion de l'administration pénitentiaire a conduit à concevoir la peine de manière plus inclusive.
Ces progrès doivent bien sûr être salués, mais l'ouverture du monde carcéral vers l'extérieur doit encore se poursuivre. La prison ne peut continuer d'être vue comme un lieu d'exil, éloigné du travail, des villes, des citoyens, alors qu'elle est une institution de la République, partie prenante de la communauté nationale. Plusieurs de mes propositions vont dans le sens d'un resserrement des liens entre prison et société. Par exemple, la mobilisation d'anciens détenus au parcours de désistance exemplaire pourrait permettre de développer de nouvelles actions de lutte contre la récidive. Pour changer l'image et la place de la prison dans la société, un effort de communication pourrait également être engagé, par exemple sur les réseaux sociaux, dans le territoire où est installée la prison, en direction du public, des jeunes, etc.
Je voudrais souligner et saluer le climat apaisé et l'état d'esprit transpartisan dans lesquels se sont déroulés nos auditions comme nos déplacements. J'espère que nous continuerons ainsi pour l'examen du rapport.
Je voudrais vous féliciter de la qualité du travail accompli, qui est le fruit de nombreuses auditions et de déplacements. Je suis toutefois déçue par les propositions, qui ne correspondent pas à l'intitulé de notre commission, laquelle visait à « identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française ».
À l'issue de nos travaux, de nombreuses propositions sont formulées. On peut approuver celles qui consistent à promouvoir une détention plus humaine en développant le travail en prison, en veillant à améliorer la santé des détenus et, d'une façon générale, les conditions d'incarcération. Il en va de même de la volonté d'améliorer le statut des agents de l'administration pénitentiaire. Tous ces sujets nous touchent et méritent des évolutions.
En revanche, je suis surprise qu'aucune proposition ne traite d'une question aussi inquiétante que celle de la radicalisation. Par ailleurs, votre satisfecit concernant la création de places n'est pas acceptable. Vous savez pertinemment que, d'ici à 2027, vous n'aurez pas construit les 15 000 places prévues. Concernant le renseignement pénitentiaire, ou encore les aumôniers, il n'y a rien. Ce sont pourtant des enjeux qui suscitent l'inquiétude de nos concitoyens, à l'extérieur comme à l'intérieur des prisons. Nous devons les prendre en compte.
La préparation à la sortie et le suivi post-détention ne sont pas à la hauteur pour les personnes présentant une grande dangerosité. Des personnes radicalisées se trouvent en prison ; elles sortiront en étant très peu contrôlées et elles risquent de constituer un danger pour la société.
Ces questions essentielles faisaient partie de la feuille de route de la commission d'enquête. Ne pas les traiter n'est pas acceptable. C'est la raison pour laquelle je voterai contre le rapport, tout en saluant le travail effectué par la commission et l'ambiance qui a régné en son sein.
Je m'associe à ces félicitations tant pour la qualité des auditions et des travaux que pour la bonne ambiance qui a régné dans la commission, lors des auditions et des visites.
La prison est le dernier maillon de l'institution judiciaire, dont elle est aussi un élément central. Pas un seul texte législatif portant sur la justice ne l'a écartée. Pourtant, la prison est sans aucun doute le parent pauvre de notre système. C'est pour cette raison que le président de notre groupe a choisi de créer cette commission d'enquête. Celle-ci était nécessaire pour faire la lumière sur les besoins de la politique pénitentiaire et pour tracer des pistes d'amélioration.
Évidemment, nul n'est besoin d'un rapport pour pointer l'échec du Président de la République en la matière : en 2017, il avait clairement promis de créer 15 000 places de prison supplémentaires d'ici à 2022. L'engagement a glissé jusqu'en 2027 et seules 2 000 places auront été créées au cours de la législature. Ce manque de places a pour conséquence directe des difficultés dans la gestion des détenus, notamment des détenus radicalisés.
Le covid-19 n'est pas vraiment en cause, puisque la plupart des entreprises de construction ont continué de travailler durant la crise sanitaire. En revanche, l'ancienne ministre de la justice, Mme Belloubet, a profité de la crise sanitaire pour vider les prisons, à tel point que nous avons atteint un niveau historiquement bas lors du premier confinement : le taux d'occupation est passé en dessous de 100 %.
La radicalisation en prison est un phénomène inquiétant. Ce n'est pas une lubie de ma part : François Molins a pointé récemment le risque que certaines personnes, loin de se repentir, sortent de prison endurcies. En décembre dernier, lors d'une audition de la mission d'information sur la résilience nationale, Laurent Nuñez, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, disait lui aussi que les sortants de prison condamnés pour faits de terrorisme demeuraient un élément très préoccupant. Étant donné l'ampleur du problème, je regrette que le rapport de notre commission, en dépit de ses 350 pages, ne l'ait pas pris à bras-le-corps. Il y va de la sécurité de nos concitoyens.
« Cinq ans après le déploiement des quartiers d'évaluation de la radicalisation et des quartiers de prévention de la radicalisation par l'administration pénitentiaire », vous entendez « conduire une évaluation globale de la prise en charge de la radicalisation en milieu pénitentiaire », selon la proposition no 11 – la seule formulée par la commission en matière de radicalisation, sachant que l'administration pénitentiaire doit encore évaluer une quarantaine de détenus de droit commun susceptibles de radicalisation (DCSR).
Autre point noir : la commission n'a quasiment pas parlé du renseignement pénitentiaire, auquel il faut pourtant donner plus de moyens. Dans le rapport de la mission d'information sur les services publics face à la radicalisation, corédigé avec Éric Poulliat, nous nous étions félicités de recrutements dans ce domaine. Or, quelle n'a pas été notre surprise d'apprendre par un syndicaliste qu'un agent du renseignement pénitentiaire gère en moyenne entre 50 et 70 dossiers ! Pour la cellule interrégionale de Strasbourg, qui regroupe 23 établissements pénitentiaires, il n'y a qu'un officier de renseignement. Selon cette source, il y a une différence entre la volonté politique et ce qui se passe sur le terrain : le personnel est souvent utilisé à des tâches administratives. En outre, le renseignement pénitentiaire se trouve dans l'impossibilité d'exploiter certains téléphones récents. Pourtant, la commission d'enquête n'a pas abordé la question de la circulation des objets en détention, notamment des téléphones portables.
D'ici à 2023, plus de 200 détenus radicalisés sortiront de prison. Ils doivent être la priorité de l'État car le risque de passage à l'acte est réel. En plus des moyens supplémentaires qu'il convient de donner aux services de renseignement pour les suivre, il est capital de renforcer l'arsenal législatif que la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) a commencé à constituer, à travers les fameuses mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS). Ces mesures sont intéressantes mais insuffisantes au regard de la dangerosité que représentent les anciens détenus radicalisés sortant de prison, notamment parce que leur durée ne peut excéder douze mois.
Il est regrettable que notre commission d'enquête n'ait pas suivi les recommandations de la délégation parlementaire au renseignement du Sénat. Celle-ci préconisait de déployer de véritables mesures de sécurité prises par un juge d'application des peines pour une durée d'un an, renouvelable, dans la limite de dix ans en matière correctionnelle et vingt ans en matière criminelle. Il n'y a aucun risque d'inconstitutionnalité : les auteurs de crimes sexuels particulièrement violents peuvent déjà faire l'objet d'une rétention de sûreté, sans que cette disposition n'ait été censurée par le Conseil constitutionnel.
En conclusion, je suis satisfait des auditions et des visites, mais la montagne a accouché d'une souris : on ne retrouve pas dans le rapport la puissance des auditions. Comme mes collègues, je regrette qu'il ne formule pas de propositions plus audacieuses et, surtout, à la hauteur du défi que représente la détention – notamment celle des détenus radicalisés – pour notre société.
Je souligne à mon tour le travail de qualité que nous avons mené, avec 135 auditions et quatre déplacements, ainsi que l'ambiance qui a régné au sein de notre commission d'enquête durant ces six mois. Je rends hommage au président pour la manière dont il a conduit les travaux, ainsi qu'à notre rapporteure. Un grand nombre de sujets ont été abordés avec beaucoup d'ardeur, d'intensité et de sérieux.
Il faut toutefois déterminer si ce que nous proposons répond à l'intitulé de la commission d'enquête. Sans vouloir polémiquer, je rappelle que la rapporteure elle-même, au début de nos travaux, s'était étonnée de cet intitulé. C'était aussi l'objet de la première remarque du garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, lors de son audition : visiblement, il n'en était pas satisfait. Pourtant, le président du groupe et les députés Les Républicains ne l'ont pas choisi au hasard.
Les questions touchant à la sécurité et à l'ensemble de la chaîne pénale – y compris la détention et le suivi des personnes sortant de prison – sont très importantes pour nos concitoyens. Elles les concernent tous, quelle que soit leur sensibilité politique. À cet égard, je ne partage pas les propos du garde des sceaux, selon lesquels il y aurait non pas de l'insécurité, mais un sentiment d'insécurité. Les faits disent l'inverse.
Les propositions contenues dans le rapport répondent-elles à l'urgence que ressentent nos concitoyens ? Permettent-elles de remédier aux dysfonctionnements et aux manquements de la politique pénitentiaire ? En tant que parlementaires et membres de la commission d'enquête, il nous revient de poser ces questions. Or, je dois marquer à mon tour ma déception, car il manque des propositions relatives à certains enjeux, quand d'autres ne sont pas à la hauteur des défis que nous avons à relever pour le compte des citoyens que nous représentons.
Il est vrai que certaines propositions vont dans le bon sens. Je pense à celles qui visent à améliorer les conditions de travail des agents pénitentiaires, à renforcer l'attractivité des métiers, à donner aux agents de l'administration pénitentiaire des perspectives de carrière, de meilleures conditions de logement, un meilleur statut, des conditions de rémunération plus favorables. Elles font d'ailleurs consensus auprès des membres de la commission d'enquête.
De même, je remercie la rapporteure d'avoir retenu les propositions du président concernant l'aménagement de la loi SRU, qui rejoignent ses préoccupations. Pour avoir été maire, je connais tous les bonheurs découlant de la loi SRU… Il est fondamental de tenir compte du point de vue des élus locaux – ceux qui ont un établissement pénitentiaire dans leur commune et ceux chez qui l'on envisage d'en construire un.
Lors de chacune de nos auditions et de nos visites, il a été question de la radicalisation en prison. Or, le rapport ne contient qu'une seule proposition sur le sujet, la proposition no 11, du reste trop générale et n'allant pas assez loin. Il faut être beaucoup plus audacieux et précis ; le phénomène doit faire l'objet d'une attention poussée. Le renseignement pénitentiaire est trop peu abordé lui aussi. De même, on ne va pas assez loin pour ce qui concerne le suivi, à leur sortie de prison, des personnes dangereuses pour la société. Il n'est pas suffisamment question non plus de l'encellulement individuel.
La surpopulation carcérale est un phénomène connu de tous, qui ne date pas de cette législature. Mme la rapporteure a évoqué le chiffre de 13 188 détenus en surnombre, soit près de 20 % de la population carcérale. La question est prégnante, car cette situation entraîne toute une série de problèmes, notamment au regard des conditions de détention, qui doivent pourtant respecter le principe essentiel qu'est la dignité humaine. Comme vous, madame la rapporteure, je considère qu'il n'est pas normal que des détenus s'entassent parfois à trois dans des cellules de 9 mètres carrés. L'amélioration de la condition pénitentiaire est essentielle et légitime.
J'ai trouvé laborieuse l'explication du garde des sceaux concernant le report à 2027 de l'engagement de créer 15 000 nouvelles places de prison. Mme la rapporteure a dit à cet égard : « Ce bilan n'est donc pas totalement critiquable. » Cela signifie bien qu'il est loin d'être totalement satisfaisant – c'est le moins que l'on puisse dire. Je regrette que l'engagement pris par le Président de la République n'ait pas été tenu, et ne suis pas certain que l'on obtienne ces 15 000 places en 2027.
Enfin, je n'ai pas reçu le document relatif à Fresnes que M. le garde des sceaux, lors de son audition, avait promis de me transmettre. J'ai sollicité son directeur de cabinet en séance, qui m'a renvoyé vers le conseiller parlementaire. Celui-ci n'a pas jugé utile de me répondre. Il est vrai que je suis dans l'opposition, mais on peut quand même attendre d'un conseiller parlementaire qu'il réponde au bout de trois ou quatre jours à un député, membre d'une commission d'enquête, qui demande simplement qu'on lui communique un document que le garde des sceaux avait en sa possession lors d'une audition. Je ne désespère pas que ma requête soit entendue jusqu'à la place Vendôme.
Le secrétariat de la commission a demandé le même document à plusieurs reprises, sans plus de succès.
Lorsque nous sommes allés à Fresnes, le plus ancien établissement de détention de France, nous n'avons pas pu savoir si la prison allait être rénovée en site occupé ou non. La question est pourtant importante.
Pour toutes ces raisons, je voterai contre le rapport.
Sans passer sous silence les difficultés qui viennent d'être soulevées, je salue ce travail de longue haleine. Pour le dire de manière un peu triviale, la commission d'enquête s'est vraiment « décarcassée », se rendant un peu partout en France.
Les propositions sont d'intérêt variable, parfois même elles sont redondantes, mais personne ne peut les contester et aucune ne mériterait d'être écartée. Certaines, sans que cela ne leur confère une qualité supérieure, reprennent les conclusions que Yaël Braun-Pivet, Stéphane Mazars, Laurence Vichnievsky et moi-même avions formulées il y a quelques années dans un rapport intitulé « Repenser la prison pour mieux réinsérer ». La continuité est intéressante.
Le rapport pèche peut-être plus par ce qui n'y figure pas, ce qui y est passé sous silence, que par ce qu'il contient. L'objectif d'une commission d'enquête n'est pas de répéter ce que d'autres missions parlementaires avaient déjà souligné : elle doit aller plus loin. En l'occurrence, la nôtre visait à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire.
Le premier dysfonctionnement réside dans la surpopulation carcérale. Le problème a été masqué ces derniers temps : depuis mars 2020, pour gérer la crise sanitaire, on a libéré certains détenus, parfois dans des conditions compliquées. Ce faisant, l'illusion a été donnée que la surpopulation avait reculé. La surpopulation est particulièrement sensible dans les maisons d'arrêt, vieux établissements où les conditions de détention sont indignes – mon département en compte deux. Certes, les détenus ne sont pas des anges, mais ce n'est pas en les faisant tourner comme des lions en cage que l'on parviendra à limiter la récidive, à plus forte raison quand ces établissements ont encore des cellules collectives, conçues pour six ou huit personnes où l'on installe en plus des matelas au sol. On est bien loin de l'encellulement individuel, version 1875, pourtant considéré comme l'alpha et l'oméga de la politique carcérale. De telles situations ne sont pas acceptables.
La question méritait davantage que quelques lignes dans le rapport. Vous dites bien que l'effort doit porter sur les maisons d'arrêt, notamment dans le cadre des constructions. Le sujet est coché, mais il faut aller au-delà.
Du reste, les constructions annoncées relèvent elles aussi de l'illusion : par un tour de passe-passe, le bilan mêle des engagements présents et futurs, certains appels d'offres ne devant être lancés, à supposer qu'ils le soient, qu'à la fin de l'année 2022. Pour certains projets, les recours engagés par les associations de riverains, notamment, n'ont même pas encore été purgés. Il faut parfois tordre le bras de certains élus, tant les collectivités manquent d'empressement pour accueillir des établissements pénitentiaires. À cet égard, il est urgent de retisser des liens avec les collectivités et les élus locaux, qui sont des acteurs incontournables.
Au total, on est loin du compte. Il y a bien là un dysfonctionnement et des manquements.
En ce qui concerne la radicalisation, je m'étonne, comme mes collègues : on ne pouvait vraiment pas faire moins ! Pourtant, le sujet préoccupe nombre de nos concitoyens, les chefs d'établissement, les gardiens et une partie des juristes et spécialistes des établissements pénitentiaires et de la détention. Des dizaines voire des centaines d'individus ont un profil préoccupant. Certains se retrouveront bientôt dans la nature. Or, le rapport, avec la proposition n o 11, n'envisage que d'évaluer, autrement dit de rédiger un autre rapport. Avec cela, on ne va pas aller bien loin ! Il faut quelque chose de plus concret. Évidemment, il ne s'agit pas de déposer en conseil des ministres, à la fin du mois de mars, comme cela vient d'être annoncé à Nice sur un autre sujet, un projet de loi qui ne pourrait de toute façon pas être voté en raison de l'organisation de l'élection présidentielle puis des élections législatives. Quoi qu'il en soit, cette question majeure n'est pas traitée dans les propositions : c'est un manque important.
Je tiens à souligner également, après Éric Diard, qui a toute compétence pour le faire, le caractère limité des éléments concernant le renseignement pénitentiaire, voire une forme d'indigence sur le sujet, qui n'est pourtant pas neutre.
Pour conclure, la jument grise est morte et les écuries sont en feu, mais tout va très bien ! Radicalisation, surpopulation, insuffisance du renseignement pénitentiaire : cela commence pourtant à faire beaucoup. Ces manquements et dysfonctionnements, clairement identifiés, sont précisément ceux qui avaient justifié la demande de création de cette commission d'enquête. Ce qui est proposé va dans le bon sens, et tend vers un diagnostic de plus en plus partagé sur la prison, ce qui est une évolution positive. Ces cinquante-cinq nuances de propositions sont intéressantes, mais il y a des manques : il faudra creuser et formuler d'autres propositions.
Sans surprise, à ce stade, je ne peux ni voter le rapport, ni m'abstenir : je vote donc contre moi aussi, à regret.
Je m'associe aux remerciements très chaleureux qui ont été adressés au président et à la rapporteure pour la qualité de nos travaux et l'ambiance qui a régné dans cette commission. J'ai eu beaucoup de plaisir à participer aux auditions. Le champ donné à la commission d'enquête est très large, ce qui témoigne de son ambition de départ.
La densité du rapport, qui est à la mesure du nombre de pages qu'il comporte, met en évidence le problème que pose la méthodologie retenue pour la restitution des travaux des commissions d'enquête : les membres ne disposent que de quelques heures pour prendre connaissance d'une somme telle que celle-ci.
Un champ d'investigation très large nous a été proposé. Le rapport fournit une évaluation très précise de la situation et des évolutions intervenues au cours des vingt dernières années, qu'elles concernent les détenus – leur typologie, leurs caractéristiques – ou les établissements, et permet d'objectiver certains éléments.
La prison est le miroir des effets des politiques publiques. Elle constitue le dernier maillon de la chaîne, ce qui emporte certains dysfonctionnements. Le rapport a le mérite de poser des sujets sur la table, d'y apporter des réponses, de formuler des propositions. Naturellement, tout n'est pas parfait, cela se saurait même si la prison a fondamentalement changé en vingt ans. Il y a eu un véritable « saut qualitatif ».
S'agissant de la politique immobilière et du plan 15 000 places, l'ambition affirmée en 2017 n'avait aucun précédent dans les quinze dernières années. Souvent, comme à Magnanville, en raison de freins posés par des élus locaux, la prison suscite de l'hostilité. De nombreux élus n'ont pas envie d'avoir un établissement à proximité. En ce sens, la proposition no 14, qui vise à étudier tous les leviers, y compris fiscaux, pour accompagner les élus locaux dans ces projets, est très pertinente.
Construire de nouvelles prisons prend du temps, compte tenu des procédures à respecter et des recours possibles. Ainsi, l'un des derniers établissements inaugurés par le Premier ministre en 2021 résulte d'une décision prise en 2009. Le programme 15 000 places est cependant bien lancé : son premier volet sera achevé dans un an et le second est sur les rails.
Ce que vous écrivez s'agissant de l'encellulement individuel constitue un véritable changement de paradigme, madame la rapporteure. Cela reflète d'ailleurs les propos des détenus, les surveillants et les responsables de l'administration pénitentiaire. Certes, l'encellulement individuel reste un objectif, mais cet enjeu peut être relié à la question du travail en prison, notamment, et à celle des huit heures en dehors de la cellule : si les détenus ne souhaitent pas nécessairement l'encellulement individuel, c'est aussi parce qu'ils ne passent pas assez de temps à l'extérieur. Le travail en prison concerne 35 % des détenus, contre 50 % en 2000, ce qui n'est pas suffisant. Son développement doit être une priorité absolue. M. le garde des sceaux a d'ailleurs évoqué sa tournée avec la ministre du travail pour convaincre les entreprises d'investir ce domaine de manière significative.
S'agissant de la déradicalisation, j'ai dans ma circonscription la prison de la Santé, qui comprend un quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR). Le directeur de l'établissement estime que cette organisation, relativement nouvelle, est en train d'évoluer. Une évaluation doit être menée. Une telle structure doit également ouvrir à Rennes pour les femmes de retour des zones de conflit. Nous commençons seulement à traiter le problème. Il me semble donc tout à fait pertinent de mener une évaluation.
Enfin, je me félicite des propositions de la rapporteure sur la santé en prison, notamment la poursuite du déploiement des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA). La santé, notamment psychologique, est une vraie priorité : il faut continuer à renforcer l'attractivité de l'intervention en prison pour les professionnels de santé, au service des détenus.
Je salue cet excellent rapport, la qualité du travail de la rapporteure et de ses conclusions, ainsi que le nombre et la pertinence des auditions. Nous avons ainsi entendu les personnels de l'administration pénitentiaire, laquelle était la première visée par la commission étant donné son intitulé. Nous avons également auditionné des personnes associées directement ou indirectement au travail réalisé en prison – qu'il s'agisse du travail des détenus en tant que tel, des ressources humaines, des enjeux immobiliers ou encore des domaines dans lesquels se développe l'innovation.
Lorsque nous avons commencé nos travaux, le garde des sceaux n'a pas été le seul à s'émouvoir de l'intitulé de la commission d'enquête : toutes les personnes auditionnées nous ont interrogés à ce propos, et à juste titre, car le rapport démontre que l'administration pénitentiaire est probablement l'une des administrations les plus innovantes, sinon la plus innovante, de notre pays. Il y avait donc une véritable erreur de ciblage. C'est peut-être cela qui explique d'ailleurs la différence d'interprétation ou d'appréciation que nous avons du travail réalisé. Pour ma part, j'estime que c'est un excellent travail.
Au début de chaque réunion nous avons expliqué l'intitulé de la commission d'enquête, en disant que c'était la politique pénitentiaire qui était en cause et non l'administration. Il ne nous viendrait jamais à l'esprit de pointer du doigt l'administration pénitentiaire.
S'agissant du personnel, nous avons démontré qu'il est possible d'être innovant en dépit de contraintes fortes. Le métier est peu attractif, nous le savons au moins depuis la publication en 2011 de l'ouvrage intitulé Dans la peau d'un maton. Le recrutement, la rémunération des heures supplémentaires, le travail de nuit et la violence sont des questions anciennes ; des réponses ont commencé à y être apportées au cours du quinquennat à la suite des grèves de décembre 2018, mais c'est une entreprise de longue haleine dans laquelle personne ne détient de solutions miracles. La commission d'enquête le montre très bien.
La surpopulation carcérale n'est pas une découverte. La situation s'est améliorée de manière conjoncturelle, à la faveur de la crise sanitaire. Cela dit, si certaines personnes ont bénéficié d'une liberté inattendue, d'autres ont été maintenues en détention pour la simple raison qu'elles ne disposaient pas d'un lieu pour se confiner.
J'ai relevé une contradiction politique dans les propos de mes collègues : on ne peut pas s'émouvoir de la surpopulation carcérale et dans le même temps proclamer dans son programme électoral le refus de tout aménagement pour les peines inférieures à un an d'emprisonnement. À la différence du groupe Les Républicains, nous sommes favorables à des solutions alternatives à l'incarcération pour les courtes peines.
En ce qui concerne la rénovation des bâtiments, il s'agit de rendre compte objectivement de ce qui a été fait ou pas. Sur les 15 000 places supplémentaires promises, 7 000 ont été engagées – les marchés sont signés, les contrats en cours d'exécution – ou réalisées, qu'il s'agisse de centres de détention, de maisons d'arrêt ou de SAS. À partir des calendriers de livraison et des échéanciers, le législateur peut contrôler les autorisations d'engagement et surtout les crédits de paiement pour s'assurer de la tenue des promesses politiques qui ont été faites. En visitant le centre pénitentiaire Baumettes 2, nous avons constaté le démantèlement de Baumettes 1 et le lancement de Baumettes 3, qui sont la traduction très concrète des promesses de construction de places.
J'en viens aux détenus. Il ne s'agit pas de nier qu'il existe des personnes radicalisées en prison. Des rapports ont été consacrés à la question. L'un d'entre eux, en particulier, traitait des services publics, et certaines de ses propositions ont été reprises dans la loi confortant le respect des principes de la République, que les uns ont approuvé et les autres pas. Dans le débat sur la radicalisation, les lignes de fracture demeurent ; ne faisons pas semblant d'être surpris.
S'agissant de la prise en charge des détenus atteints de troubles psychologiques ou malades, des transsexuels, des personnes vieillissantes ou des addictions, le rapport n'élude aucun sujet et pointe les limites du système carcéral.
En revanche, grâce à la contractualisation avec la médecine de ville ou l'amélioration des relations avec le milieu hospitalier, des progrès ont été accomplis : à Poitiers, des dentistes sont venus exercer en prison ; des soins en psychiatrie sont dispensés par des unités de recherche très performantes.
Le travail en prison s'est développé de manière spectaculaire par le biais de la contractualisation avec les entreprises de même que la formation grâce à la délivrance de titres professionnels par les centres de formation des apprentis (CFA). Dans la prison de Vivonne, un détenu sur trois travaille, à Nantes également. Du fait de cette évolution, la prison ne ressemble plus à celle que nous avons connue il y a dix ou quinze ans. Les détenus qui travaillent trouvent un revenu, un cadre mais aussi un but, ils ne sont pas abandonnés. Nous avons réussi – et c'était une performance – à obtenir les palmes académiques pour des professeurs qui enseignaient en prison. Cela témoigne de la réalité de l'éducation dans les prisons où l'on peut trouver des classes de plus d'une quarantaine de détenus sur les 600 que compte l'établissement.
Dans tous ces domaines – santé, travail, formation –, la politique pénitentiaire est performante et mérite d'être poursuivie plutôt que de recevoir les critiques que j'ai entendues. Les progrès concernent les centres de détention, qui accueillent les plus longues peines, mais aussi les SAS, où des bibliothèques sont installées.
J'ai oublié de souligner que les collectivités ne sont pas toujours enthousiastes quand il s'agit d'accueillir un établissement pénitentiaire. Quelle que soit leur étiquette, plusieurs maires considèrent pourtant que l'implantation d'un tel établissement est probablement la meilleure décision qu'ils ont prise pour l'économie et les ressources de leur commune. Il faudrait le faire savoir à ceux qui sont réticents.
J'ai noté que certaines propositions d'une candidate à l'élection présidentielle étaient issues du rapport – la proposition no 16 notamment. Il est étrange de critiquer un rapport dont on s'inspire dans son programme électoral.
En conclusion, le rapport est excellent et j'espère que nous serons nombreux à lui accorder nos suffrages.
Ne soyons pas manichéens. Le rapport a reçu des critiques mais aussi des compliments. Il faut savoir exposer les choses de manière équilibrée.
Il existe des quartiers d'évaluation de la radicalisation, des quartiers de prévention de la radicalisation mais pas d'unités de déradicalisation. L'expérience qui a été menée s'est soldée par un échec. Puisque nous sommes dans un État de droit, il n'est pas encore possible de déradicaliser une personne contre son gré.
Je vous remercie de reconnaître à ce rapport des mérites, plus ou moins grands selon les orateurs. J'ai suivi scrupuleusement la feuille de route, qui était très complète : la surpopulation, la politique pénale, la radicalisation, les jeunes, la santé, la religion, l'insertion – et bien d'autres sujets encore. Je crois me souvenir que l'énumération se terminait par des points de suspension. Par ailleurs, j'ai assisté à toutes les auditions. Si les responsables politiques étaient en cause, pourquoi n'ont-ils pas été convoqués devant notre commission d'enquête ? J'ai fait avec les auditions qui m'ont été proposées. Je n'ai eu à interroger qu'un seul ministre, et ce n'était pas celui qui a mis en œuvre le programme 15 000 places, puisqu'il a pris ses fonctions en juillet 2020. Vous mettez en cause la politique pénale et la politique pénitentiaire, mais nous n'avons entendu aucun responsable politique. Je m'en suis étonnée, mais c'était le président qui était maître des horloges.
Vous me reprochez de ne pas aborder la question de la radicalisation, alors que le rapport y consacre vingt-trois pages. En ce qui concerne le manque de propositions à ce propos, souffrez, monsieur Diard, que je puisse considérer que la radicalisation est plutôt bien prise en charge en prison. Après une matinée d'auditions et une visite consacrées au sujet, aucun élément ne me permet de dire que la question n'est pas traitée dans les établissements. Il faut évidemment faire davantage ; c'est ce que l'administration pénitentiaire s'attache à faire. Je me suis refusée, sur l'ensemble des sujets, à faire des propositions se bornant à inviter à poursuivre dans la voie choisie.
Vous pointez l'absence des aumôniers de prison dans le rapport. D'une part, le sujet y est évoqué ; d'autre part, je vous renvoie à l'excellent travail, bientôt achevé, de M. Bruno Questel, qui s'est intéressé à l'aumônerie pénitentiaire exclusivement pendant six mois. Il m'a semblé judicieux de s'en remettre à son expertise fondée sur plus d'une vingtaine de déplacements.
Nous avons dressé un état des lieux de la radicalisation. Dès 2014, sur l'initiative de l'administration pénitentiaire, a été créée une unité pour évaluer la radicalisation à Fresnes. La personne qui était ministre à l'époque a mis rapidement fin à cette expérience – il faudrait s'interroger sur la responsabilité politique qui s'attache à cette décision. En 2015, à la suite des attentats, le chantier est relancé à la hâte. Aujourd'hui, l'administration pénitentiaire est capable de gérer le « stock » et le « flux » des détenus radicalisés. Tout a été mis en œuvre pour éviter le prosélytisme. J'ai noté avec intérêt qu'en 1875, la question de la contagion de la délinquance se posait déjà. Lors des auditions, c'est avant tout la question de la sortie de détention des personnes radicalisées qui a été mise en avant. Nous avons ainsi évoqué les fameux programmes d'accueil individualisé et de réaffiliation sociale (PAIRS), qui se multiplient, de manière pertinente, mais ce n'était pas le sujet de vos demandes dans le cadre de la commission d'enquête.
Quant à la surpopulation, quinze pages y sont spécifiquement consacrées et le sujet est sous-jacent dans toutes les parties du rapport. Le renforcement des effectifs, calculés selon le nombre réel et non théorique de détenus, que je propose le montre bien.
En ce qui concerne le parc immobilier, mettons les pieds dans le plat ! Dès les premiers textes financiers, nous avons voté les crédits pour que les 15 000 places soient construites en dix ans. C'est inscrit dans la loi depuis 2017, mais si vous préférez vous référer à des tracts… Nous sommes liés par la loi, non par des tracts.
Elle l'est.
Monsieur Herbillon, quand je disais que le bilan n'était pas totalement critiquable, je faisais référence au retard de 2 000 places sur les 7 000 promises pour 2022. Il ne s'agit pas de nier ce retard : le rapport aborde clairement la question. On nous a fait valoir que la crise liée au covid-19 avait ralenti les travaux et je veux bien le croire. Au demeurant, monsieur Gosselin, tous les directeurs d'établissements pénitentiaires vous confirmeront qu'il est beaucoup plus complexe de réaliser des travaux dans une prison que dans une maison, une entreprise ou sur une route.
Cela vaut pour les engagements en cours, pas pour ceux qui auraient dû être lancés et ne l'ont pas été.
Je ne suis pas une spécialiste des travaux publics, mais les raisons se conjuguent, me semble-t-il : le retard a été aggravé par la crise du covid-19. De là à dire, madame Tabarot, que les 15 000 places ne seront pas construites en 2027… Si c'est votre sentiment, je vous suggère de demander une commission d'enquête sur le parc immobilier. D'après les informations dont nous disposons à ce stade, l'objectif devrait être atteint, mais des retards ne sont pas exclus.
Le ministre en charge du dossier, qui est une composante essentielle de la politique pénale, n'est pas capable de préciser les projets engagés. Pourtant, c'est à lui, en tant que membre du Gouvernement en exercice, de s'expliquer sur le respect des promesses faites par le Président de la République avant son élection.
Je dispose de chiffres exacts et d'informations qui me confortent dans l'idée qu'il devrait être possible de construire les 15 000 places à l'horizon de 2027, et même 18 000 puisque 3 000 doivent être fermées dans le même temps.
S'agissant du renseignement pénitentiaire, les difficultés que vous avez soulevées, monsieur Diard, tendent à se résorber puisque des recrutements sont en cours. Là encore, ce sujet fait l'objet d'un développement spécifique dans le rapport.
L'encellulement individuel et les possibilités d'activités hors de la cellule sont intimement liés, vous avez raison, madame Gatel. Le travail et la formation professionnelle en prison ont malheureusement reculé. Lorsque les détenus pourront passer huit heures hors de leur cellule pour travailler, suivre un cours ou une formation professionnelle, ou avoir une autre activité dans un but de réinsertion, la question de l'encellulement individuel se posera différemment. Il faut avancer dans les deux directions en gardant en tête ce que je viens d'indiquer.
Je vous remercie d'avoir salué les propositions du rapport en matière de santé, sujet d'inquiétude majeur. La plupart des personnes arrivent en détention avec des carences. La détention permet à certaines d'entre elles d'accéder aux soins pour la première fois. C'est un facteur de réinsertion. Lors d'une audition, quelqu'un a dit que la santé en prison devait être considérée non pas comme un coût mais comme un investissement, au même titre que les actions de réinsertion.
Nous ne cherchons pas à polémiquer sur les places en prison. Vous connaissez l'engagement du Président de la République.
Non, c'était dans son programme, ce qui, à mes yeux, constitue un engagement. D'ici à 2022, 15 000 places devaient être construites. Elles ne l'ont pas été. Il est légitime que nous le soulignions. L'horizon a reculé : il est désormais en 2027. Vous reprenez l'argumentation donnée par le garde des sceaux lors de son audition, au cours de laquelle il m'avait paru assez embarrassé pour préciser les chiffres. Je ne vous en fais pas grief. Mais vous n'ignorez pas les aléas qui peuvent affecter la construction, surtout dans les programmes à long terme, aléas qui sont d'autant plus importants quand il s'agit de bâtiments aussi spécifiques que des prisons. C'est la raison pour laquelle nous exprimons de très forts doutes sur vos affirmations.
Vous ne pouvez pas dire, à moins d'être aveugle, sourde et muette qu'il n'y a pas de contagion de la radicalisation dans les prisons. On y recense 450 terroristes islamistes (TIS) et 655 DCSR. Les chiffres parlent d'eux-mêmes.
J'ai assisté moi aussi à l'audition du garde des sceaux, monsieur Herbillon, et je n'ai pas relevé son embarras. Il a donné des détails et fait part de difficultés pour implanter de nouveaux établissements ; il savait où il allait.
Je vous trouve sévère avec la rapporteure. Elle n'affirme pas que les places seront là en 2027. Qui peut le garantir ? Depuis deux ans, nous sommes bien placés pour savoir que des aléas peuvent survenir. Vous pouvez penser que les places ne seront pas au rendez-vous et c'est le droit de la rapporteure que de penser le contraire. Il n'est pas juste de lui faire un tel procès.
À aucun moment la rapporteure n'a été visée directement, mais il est utile de le préciser.
Nous avons bien conscience que cet engagement est celui du Président de la République, pas de la rapporteure !
J'ai bien précisé qu'il pouvait y avoir des aléas, monsieur Herbillon. À ce stade, j'ai l'impression que le projet est sur de bons rails. Je me fie aux chiffres qui me sont communiqués. Vous étiez présents lors des auditions, je n'ai rien déformé.
Je n'hésite pas à pointer les lacunes lorsqu'elles me semblent manifestes – c'est le cas sur l'ARSE, la détention provisoire, la comparution immédiate, la santé, les effectifs, ou encore l'attractivité des métiers pénitentiaires. Le rapport n'a rien de complaisant.
En ce qui concerne la radicalisation, je suis convaincue de ce que je vous dis. Monsieur Diard. En outre, tous les DCSR ne se sont pas radicalisés en détention ; ils peuvent d'ailleurs avoir été détectés avant la détention ou pendant celle-ci. C'est ce qui ressort des informations qui m'ont été données. Je relirai scrupuleusement les auditions mais je n'ai pas le souvenir qu'ait été mentionné un phénomène de radicalisation en prison comme il a pu en exister par le passé. Des protocoles ont été mis en place et certains pays viennent les étudier. C'est l'administration pénitentiaire, sans que l'autorité politique le lui ait demandé, qui a pris l'initiative de définir des protocoles et de les adapter ensuite en fonction des résultats obtenus.
Pour lever toute ambiguïté, en aucun cas nous ne vous avons mise en cause personnellement, madame la rapporteure. J'ai souligné la bonne ambiance de nos travaux et la qualité de votre rapport. J'ai bien précisé que je ne vous faisais pas grief de reprendre l'argumentation du garde des sceaux à propos des places de prison.
Comprenez que nous soyons sensibles à la question – chat échaudé craint l'eau froide. Le fait que l'engagement du Président de la République de construire 15 000 places ait été repoussé de 2022 à 2027 suscite simplement des doutes de notre part.
Le débat a eu lieu lors de l'examen des projets de loi de finances en 2017, 2018, 2019, 2020 et 2021. Vous avez pu vous exprimer sans censure aucune et la commission d'enquête ne vous apporte rien de ce point de vue.
Les DCSR sont des détenus de droit commun qui se sont radicalisés lors de leur détention, je le répète, tout comme les TIS sont des détenus terroristes islamistes. C'est tout simplement la signification de l'acronyme.
J'insiste : un détenu de droit commun peut être radicalisé, il est repéré et qualifié de DCSR. Ce repérage peut se faire avant ou pendant la détention, mais cela ne signifie pas qu'il s'est forcément radicalisé au cours de celle-ci. Je n'ai aucun élément tiré des auditions permettant d'affirmer que ces détenus se sont radicalisés en détention. Je sais seulement qu'ils ont été identifiés comme tels.
Une commission d'enquête ne se limite pas à ce qui ressort des auditions. On peut recueillir des informations à titre personnel au cours d'échanges officieux ; on peut s'appuyer sur des statistiques de la chancellerie. Peut-être n'en avez-vous pas eu connaissance, mais il y a bien des détenus qui se sont radicalisés en cours de détention, y compris des détenus de droit commun. Je ne vous fais pas de mauvais procès, mais vous ne pouvez pas prétendre que la radicalisation en prison n'existe pas sous prétexte que le sujet n'a pas été abordé lors des auditions. Malheureusement, cela existe.
Nous débattons de la qualité des travaux de la commission d'enquête mais je signale que d'autres travaux ont été menés, notamment par Bruno Questel. Il serait bon d'en prendre connaissance et de les adjoindre à ceux de la commission d'enquête au lieu de critiquer cette dernière. Ne nous dispersons pas sur des sujets qui n'entrent pas dans le périmètre de la commission.
Je vous renvoie à l'intitulé de la commission d'enquête. Libre à vous d'estimer que ce sujet ne relève pas des dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française ; pour notre part, nous pensons le contraire.
Oui, il existe des détenus qui se sont radicalisés en prison mais ce n'est pas le cas de tous les DCSR. Certains détenus ont été condamnés pour des faits de droit commun et sont déjà radicalisés au moment de leur arrivée en prison. Ils ont pu être repérés avant cette arrivée, et le sont parfois après. C'est tout l'intérêt du travail de détection effectué par le renseignement pénitentiaire.
Mohammed Merah, Mehdi Nemmouche, Cherif Chekatt : lorsqu'ils sont entrés en prison, ils avaient été condamnés pour vol et trafic de stupéfiants. Ils ont été en contact avec des détenus radicalisés et se sont radicalisés à leur tour. À cette époque, on ne surveillait pas la radicalisation dans les prisons.
La radicalisation a commencé lorsque 450 personnes liées au GIA ont été détenues dans les prisons parisiennes. Ensuite, des personnes venues de l'ex-Yougoslavie ont été incarcérées. Cela ne date pas d'hier. Il y a deux ou trois ans, on s'interrogeait encore sur la pertinence d'isoler ou de regrouper les détenus radicalisés.
Les gourous qui ont recours à la taqîya et continuent, comme dans une secte, à embrigader des détenus dans les prisons et à les faire basculer sont encore trop nombreux. Une de mes amies qui travaille à l'évaluation de la radicalisation à la prison de Fresnes m'a expliqué ce processus d'embrigadement qui se rapproche des phénomènes sectaires. C'est une réalité que vous ne pouvez pas nier.
Je ne nie rien, la taqîya est mentionnée dans le rapport. Une matinée d'auditions a été consacrée au phénomène. J'en ai retenu que selon les études des chercheurs, la radicalisation s'opère majoritairement par le biais d'internet et non en prison.
Je ne parviendrai pas à vous convaincre car vous exprimez un point de vue. Si l'on s'en tient aux faits, il s'avère que la plupart des djihadistes n'ont pas d'antécédents délinquants avant leur passage à l'acte. Ils ne se sont donc pas radicalisés en prison. Xavier Crettiez a déclaré devant notre commission : « La socialisation au djihad, c'est-à-dire l'entrée dans la carrière djihadiste peut se faire de cinq façons différentes : socialisation amicale, familiale, militante dans des associations de type Frères musulmans ou autres, institutionnelle, en particulier cultuelle dans les mosquées ou les clubs sportifs, et virtuelle, via internet. Il apparaît de façon très nette que la socialisation virtuelle est aujourd'hui largement dominante ». C'est ce que je retiens des auditions. Je ne nie pas ce que vous dites mais le phénomène que vous mettez en avant ne m'a pas semblé majoritaire.
Le débat a été vif mais rien de plus normal après six mois d'enquête et d'auditions sur un sujet aussi essentiel. Chacun des membres présents a pu relever les points positifs, exprimer ses réserves et ses critiques et reconnaître le travail accompli.
La commission d'enquête adopte le rapport.
La réunion se termine à seize heures quarante.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française
Présents. – Mme Caroline Abadie, Mme Françoise Ballet-Blu, M. Philippe Benassaya, M. Éric Diard, Mme Maud Gatel, Mme Séverine Gipson, M. Michel Herbillon, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Monica Michel-Brassart, M. Thomas Rudigoz, Mme Michèle Tabarot
Excusés. – M. Alain Bruneel, M. Alain David